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Tome II - Mon ami Pédar
VII - Complètement con
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« Vous boirez votre eau plus tard ! Suivez-moi ! » C’est plutôt comme ça qu’on est sorti de chez Popol. Rue Saint-Sulpice-la-Tapette, on monte au premier, puis au deuxième et comme je suis en train de monter au troisième, je m’aperçois qu’Arto est resté au deuxième. Je me dis : C’est encore cette vieille conasse de Latorc qui lui demande de descendre sa poubelle dégueulasse sans couvercle et sans poignées. Je redescends. Pas de madame Latorc. Arto est tout seul en train de forcer une porte. Il arrache un ruban tricolore « Vous me raconterez ça plus tard ! fait Arto qui n’arrive pas à tourner la clé. — Forcément ! C’est la bonne clé, mais pas le bon trou ! Pédar y créchait au-dessus. Il avait pas de paillasson. Vous voyez pas le paillasson ? — Qu’est-ce que vous racontez, monsieur Hartzenbusch ? J’y comprends rien. Vous feriez mieux de la fermer. — C’est la porte qui est fermée. Et à double tour. Mademoiselle Pinuche la ferme toujours à double tour parce que Pédar… — Qu’est-ce que vous savez de cette relation, monsieur Hartzenbusch ? » Artose redresse et me met la clé sous le nez. « Je me doutais que vous saviez quelque chose ! grogne-t-il. — Je sais ce que tout le monde sait, monsieur Arto ! Rien de plus ! — Vous en savez forcément plus puisque Pédar était votre ami ! » La porte s’ouvre. La clé a fonctionné ! Je dis, au cas où on m’interroge avant que je dise : « C’est la première fois que j’entre dans cet appartement. Mademoiselle Pinuche va pas être contente. Vous avez oublié de frotter vos sales pieds sur le paillasson que madame Latorc secoue tous les matins après que mademoiselle Pinuche est sortie pour travailler dans son usine. — Vous êtes complètement con, monsieur Hartzenbusch… » Artoreferme la porte. Il y a des tapis parterre. Et pas un grain de poussière sur les meubles qui sentent la térébenthine. La fenêtre est fermée, mais les volets sont ouverts. On voit les géraniums et le petit arrosoir avec Donald en salopette. J’étais en train de m’extasier sur ce bonheur grandissant quand j’ai vu la tache de sang ! J’ai fait un bon comme un chat qui croise un chien. Et j’ai renversé un pot de fleurs. « Je bois pas de cette eau ! dis-je bêtement. — C’est ce que vous dites, fait Arto. Il est tombé là et ensuite, pas tout à fait mort, il s’est traîné jusqu’ici. Avec le couteau dans le bide. — Je peux pas vous dire… Mademoiselle Pinuche, je la connaissais à peine. — Pourquoi Pédar et pas vous ? Qu’est-ce qui l’a fait pencher pour votre copain ? — Elle ne s’est pas penchée sur moi ! Si elle s’était penchée… — Elle était blonde ou brune ? — Rouquine ! Enfin… moi, j’ai toujours aimé les rouquines. Alors des fois, je me trompe. Je prends les vessies pour des lanternes et… — Vous reconnaîtriez le couteau ? » Il me regarde avec ses petits yeux rouges qui clignotent et sa bouche se tord pour se livrer à ses dents qui la picotent et en arrachent de petits lambeaux de peau blanche. Je me baisse pour ramasser les fleurs, mais comme le pot est définitivement cassé, je sais pas où les mettre. « Vous ne répondez pas à ma question… dit Arto sortant la langue pour explorer ses grosses lèvres trouées. — Vous vous mangez aussi l’intérieur des joues ? » J’allais relever une chaise, mais Arto m’en empêcha, disant qu’elle était tombée pendant le drame et qu’il fallait pas y toucher. Pour les fleurs, ça n’avait pas d’importance. Je pouvais me les mettre où je voulais, ça ne le regardait pas. Je pouvais aussi toucher aux rideaux, et même les tirer pour jouer avec la lumière sur la tache de sang. « Vous voyez cette trace, là ? me demanda-t-il. — C’est pas du sang. — Non, en effet. C’est de la merde. — De la merde ? Ici ? Chez mademoiselle Pinuche ? Vous n’y pensez pas ! — Et à quoi vous pensez, vous, monsieur Hartzenbusch ? » J’imaginais mademoiselle Pinuche, qui se prénommait Sophie, assise pour chier, mais certainement pas sur le tapis. Je la connaissais bien. « Je la connaissais suffisamment pour affirmer aujourd’hui que jamais elle n’aurait fait ça sur le tapis, monsieur Arto ou qui que vous soyez ! — Qu’est-ce que vous entendez par suffisamment… ? — J’entends, monsieur Arto, que si je l’avais mieux connue, je serais peut-être moins affirmatif, je vous le concède. Mais… — Mais… — Pédar ne me faisait pas ce genre de confidence ! — Rien sur Sophie Pinuche ? — Absolument rien ! — Et sur les femmes en général ? — Il se vantait beaucoup, mais je n’étais pas dupe. — Vous ne pouviez tout de même pas vérifier toutes ses allégations… — Je vérifiais, monsieur ! Je vérifie tout, vous savez ! — Donc vous savez beaucoup de choses… — Mais pas tout, monsieur ! — Pas ce que je voudrais savoir… — Faites votre métier. C’est pas moi qui vous en empêcherai ! — Que vous dites… » Il me lance un regard complice, presque narquois. « Où se trouve la boisson ? demande-t-il. — Il y a un robinet dans la cuisine et un dans la salle de bain. Tous les appartements ici se ressemblent. On ne peut pas se tromper. Ou plutôt si : on se tromperait facilement si on se trompait de porte ! — Sinon… ? — Sinon les boissons alcoolisées sont dans ce placard en bois exotique. » Et elles s’y trouvaient en effet ! Comment expliquer ce coup de pot ? « J’aurais voulu le faire, je n’y aurais pas réussi ! — Mais vous avez réussi, monsieur Hartzenbusch… » Il s’en jeta un puis grimaça. Un deuxième parut avoir meilleur effet sur son esprit au travail. Il sortit sa langue et s’en frotta le bout du nez. « Vous avez un beau nez, dit-il. C’est pas comme moi… — Oh !... je m’en flatte pas tous les jours, mais… si vous insistez… — Vous êtes vraiment con, monsieur Hartzenbusch… Ou alors vous êtes un gros malin. Le plus gros malin que j’ai jamais péché. — Mais vous ne m’avez pas péché, monsieur Arto. — Non, c’est vrai. J’appâte… Je commence toujours comme ça. — Je m’y connais ! Si vous restez ici quelque temps, nous pourrions allez pêcher. Pédar et moi… ah ! J’en pleurerais si vous n’étiez pas là ! — Vous gênez pas. — Mademoiselle Pinuche sera pas contente pour le vase… — Je lui expliquerai. — Vous pensez qu’elle comprendra ? Je la connais si peu… — Vous allez la connaître mieux maintenant. — Vous pensez ? Mais comment le pourrais-je ? Maintenant que Pédar n’est plus là pour… — Pour… ? — Pour me présenter à elle. — Je vais vous la présenter, moi. Vous savez ce que c’est une confrontation ? » |
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