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Autres romans, nouvelles, extraits (Patrick Cintas)
Injection létale de folie pure
[E-mail] Article publié le 13 décembre 2015. oOo Extrait du roman Anaïs K..
— Vous allez maintenant écouter l’épisode où elle raconte la fameuse nuit qui lui a valu un internement psychiatrique. Vous n’aimez pas ce passage. Vous nous avez dit pourquoi et on comprend. Mais notre travail n’est pas de comprendre ce que vous ressentez. Nous cherchons à établir une connexion avec ce qui demeure inexplicable. Cette fois, c’était lui qui comprenait. Il opina, secouant mollement une tête douloureuse qui dodelinait plutôt. — Pas de contention ce matin. Nous agissons par l’intermédiaire de la perfusion. Le sérum contient une dose infinitésimale de colocaïne II. Êtes-vous prêt pour le voyage ? Avait-il le choix ? Sa tête dodinait comme un pendule. Il se reprocha ce rythme intérieur. Il souriait comme quelqu’un qui part sans bagages. — Dites après moi : Je suis prêt pour le voyage. — Je ne suis pas prêt pour le voyage. — Je comprends tout ce qu’on me dit. — Je ne comprends rien à ce qu’on me dit. — Je me soumets sans résistance. — Je vais tout faire pour vous emmerder. — Il n’arrivera rien si je n’interprète pas sans vous consulter. — J’en penserai ce que je voudrai sans vous demander votre avis. C’est tout ? — Encore une recommandation... — Hier, on en est resté à quatre recommandations ! — Aujourd’hui, cinq. — Et demain ? — J’ai conscience de représenter un poids pour la société. — La société me pèse et vous vous en foutez éperdument ! La pompe se mit en marche. Sensation de bien-être. Premier personnage sans viscères. — Vous n’allez pas mourir, Frank. — Tant pis ! — Vous allez voyager dans votre propre pays. — En parfait étranger, je sais. Deuxième personnage, plus actif. — Voici un exemple d’accélération déréalisante. Votre opinion, Frank ? — J’ai vu mieux. Continuez. — Vous n’êtes pas en train de mourir. Traduisez ! — Je ne suis pas condamné à mort. — Nous sommes les amis de votre inconscient. — Dites-le-lui vous-mêmes ! Il comprendra. — Nous savons qu’elle dit la vérité. Sous des dehors un peu... libres, désinvoltes, voir cyniques, elle suit le fil d’une histoire qu’elle a effectivement vécue sans vous. À cette époque, elle vivait seule. Nous avons vérifié. Elle vivait bien, économiquement parlant, vous savez de quelle manière, disons... — Exonérée d’impôts. — Bon, l’humour, Frank, très bon. Continuez. Vous vous fatiguerez avant nous. Il est trop tard pour reculer. La deuxième injection neutralise les effets de cette réalité circulaire que nous constituons avec nos appareillages scientifiques. Vous n’êtes plus avec nous. Vous ne nous percevez plus. Un mot sur la troisième injection, Frank. Elle sera définitive si vous revenez les mains vides. Définitive, cela veut dire que... — Maman ! — Ne plaisantez pas, Frank. Nous attendons les premiers effets de la seconde injection qui devrait, si nous ne sommes pas encore dans l’erreur où votre duplicité nous plonge chaque fois que nous tentons d’en savoir plus pour alimenter l’enquête en cours.... — Maman ! — Ne plaisante pas, Frank. Ils finiront par ne plus croire un seul mot venant de toi. — Je ne veux pas de cette troisième injection ! Je sais... — Il ne tient qu’à toi. — Je ne veux plus savoir. — Mais eux le veulent. C’est long et délicat, une instruction judiciaire. Tu dois te soumettre et cesser de lutter avec ces moyens dérisoires. — Pourquoi moi ? Je mérite qu’on me pende, c’est tout. — Ils veulent peut-être te sauver. — Me sauver ? Grands dieux ! De quoi sauve-t-on les fous ? — Tu n’es pas fou. — Mais j’ai commis l’irréparable ! — Ils veulent savoir comment. — Ils ne savent pas pourquoi ! — Je peux parler ? — C’est écrit ? — J’improvise. Tu me crois ? — Si cela me dispense d’une troisième injection. Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! — Dingue, ce mec ! |
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