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Faux orgueil, faux nationalisme
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 Article publié le 4 septembre 2016.

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Pas plus tard qu’hier un bon ami à moi, grand fan de sport américain, me signala un article paru sur un site américain d’actualités sportives qu’il jugeait biaisé, voire injuste à l’égard d’un jeune basketteur collégien d’origine haïtienne. Tout en se répandant en acrimonies et en dénonciations de l’éternelle injustice que confrontaient nos compatriotes à l’étranger, il insistait pour que j’aille jeter un coup d’œil au plus vite à l’article en question.

Durant ma pause au boulot, je parcourus le texte à la volée : rien à signaler en particulier. Il m’appelle avec fracas pour mes commentaires à chaud ! Bon,j’avoue : je l’ai lu à toute vitesse et je promets que dans la soirée en rentrant du boulot,j’y reviendrai à tête reposée. Pas le choix devant le patriotisme offensé et ardent de mon ami.

Comme prévu, plus tard je m’y suis remis. Et de quoi parlait-on exactement ? D’un jeune prospect d’origine haïtienne évoluant dans le basket universitaire américain. Tout d’abord, c’est quoi un prospect ? Un talent, messieurs et dames, un jeune talent repéré par des scouts sportifs (agents de détection de jeunes sportifs doués) et que l’on compte présenter sur le marché du recrutement des clubs professionnels ( ce que les Américains nomment la Draft).

Le prospect en question est Haïtien donc. Pas plus tard que l’année dernière illustre inconnu pour tous ses compatriotes, il acquérait une certaine renommée sous la plume d’un chroniqueur de basket universitaire très apprécié qui lui dédiait plusieurs colonnes dithyrambiques ! Ébloui par ses performances titanesques au lycée, le bonhomme l’annonçait même comme une future étoile professionnelle. De quoi susciter la fierté de mes chers compatriotes ! Une douce « vengeance »pour notre pauvre nation humiliée,quoi !

Mais avant d’arriver sur la scène professionnelle,il faut préalablement passer par la case universitaire ! Et apparemment là, le bât a blessé : le fruit n’aurait pas tenu la promesse des fleurs. Notre compatriote se serait comme on dit planté, perdant des plumes inexorablement au fur et à mesure que la saison universitaire avançait,voyant peu à peu son temps de jeu et ses statiques s’effriter pour finir relégué sur le banc. Difficile chute pour un jeunot que l’on présentait des mois plutôt comme l’étoile montante du basket universitaire. L’article décrié n’en faisait que le constat.

Je lus et relus pour avoir la conscience tranquille : style neutre, pas d’envolées ni de traits acerbes, de banales considérations techniques, des chiffres bien sortis et même quelques comparaisons pour les relativiser par rapport à son âge et sa marge de progression encore importante ; notre prospect était passé en revue sous toutes les coutures. Non, rien de méchant ni de mesquin !

Faisant défiler les commentaires, une surprise assez amusante m’attendait. Des internautes déchaînés, que l’on devine sans peine Haïtiens, attaquaient fielleusement à tout va. On charcutait en tout sens, rageusement ! Chacun y allait de son tacle, indexant l’auteur de raciste et le vouant aux gémonies ! La persécution des Haïtiens s’étalait au grand jour sur le Net à les lire ! Fascinant comme les petits esprits trop longtemps confinés injustement dans les ténèbres du mépris n’accédaient à la lumière de la reconnaissance qu’en s’inventant de fausses plaies, d’imaginaires affronts ! Et à y regarder de plus près,la plupart n’y connaissaient strictement rien au basket universitaire américain,ayant sans doute été alertés en urgence par quelque compatriote furibond pour venir apporter leur écot à la bataille ! Et quelle bataille ? Un faux combat…de mouches !

La vérité est que le sport américain, le sport en général du reste, fourmille d’exemples de jeunes pousses promis au sommet de leur discipline dont la flamme s’est éteinte en chemin. Sur mille champions annoncés, très peu parviennent au pinacle, les autres échouent contre les écueils de la rude concurrence et finissent dans l’ombre,tristes vaincus sur un champ de bataille sans pitié,dans un monde qui va toujours plus vite chaque jour ! Les colonnes des magazines sportifs US en regorgent d’exemple. Mettre les interrogations légitimes du chroniqueur sur le compte d’une haine raciale mal placée est malhonnête et transpire le petit nationalisme de salon, lâche, abstrait, superficiel, creux et hypocrite !

 

J’allais placer mon mot dans la discussion mais le bon sens m’en dissuada ; au milieu de toute cette fureur, de tout ce canardage ridicule, prendre le contre-pied de l’opinion de la foule ne me vaudrait que des attaques acerbes, des remarques déplacées et des propos désobligeants de la part de certains hystériques qui ne manqueraient pas à l’occasion de mettre en doute mon sens de l’honneur et mon patriotisme ! Ben oui, l’on glisserait infailliblement sur cette pente ! Et votre serviteur, perdrait alors un temps fou et inutile à se défendre des basses insinuations, des lâches flèches lancées vicieusement derrière l’écran de leur ordinateur par ces obscurs nationalistes de carton, ces porte-étendard hypocrites qui croient pouvoir faire la leçon à tous en tout et sur tout dès que le mot haïtien est cité quelque part sur le web !

Avec eux, critiquer la médiocrité, les errements et l’incompétence qui ont fait le malheur de notre pays se révèle un exercice osé, risqué, épuisant même ! Mieux vaut se taire sinon applaudir n’importe quoi dès qu’il s’agit d’un Haïtien ! Douloureux dilemme. Ces hérauts de mauvais goût, ces piètres avocats du « n’importe quoi » oublient qu’on ne saurait cacher la laideur par un mensonge plus laid encore, par un déni irresponsable de la réalité.

Je choisis donc de ne placer aucun mot. Appeler mon ami pour en discuter m’effleura l’esprit quelques secondes mais j’y renonçai également. Parmi les commentaires pleins de hargne qui sévissaient, je devinais le sien, pourfendeur intrépide et aveugle, mauvais croisé portant le glaive pour une bonne cause et qui passait totalement au travers en croyant bien faire. Je préférai me coucher. À mon réveil, il ne manquerait pas de m’appeler pour avoir mon opinion ; ma réponse toute simple l’attendait : trop fatigué hier soir, je ne l’ai pas relu… Désolé !

 

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