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Dictionnaire Leray
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 Article publié le 19 mars 2017.

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« Business is business and progress is progress ». Cet adage mafieux est toute l’ironique morale du film Performance au croisement du film noir et de l’esthétique psychédélique. Le progrès est une série indéfinie. Il l’est, assez précisément, depuis Auguste Comte. La « série indéfinie du progrès » fait polémique. On en trouve la contestation aussi bien chez Baudelaire qui conspue les « philosophes zoocrates et industriels » que chez Durkheim :

Vues de loin, en effet, l’histoire prend assez bien cet aspect sériaire et simple. On n’aperçoit que des individus qui se succèdent les uns aux autres et marchent tous dans une même direction... Or, en procédant ainsi, non seulement on reste dans l’idéologie, mais on donne comme objet à la sociologie un concept qui n’a rien de proprement sociologique.

Cette conception du progrès découle tout naturellement du monisme matérialisme, d’une certaine manière. Diderot décrit ainsi cette continuité de principe qui doit régir les lois de l’univers :

Les observations des astronomes ne nous permettent pas de douter que toutes les planètes ne soient des corps semblables à la terre, & ne doivent être compris sous une espèce commune. Les mêmes observations découvrent sur la surface de ces planètes des générations & des corruptions continuelles. En vertu donc de l’argument tiré de l’analogie, on peut conclure qu’il y a dans toutes les planètes plusieurs séries contingentes, tant de substances composées que de modifications. Le soleil, corps lumineux par lui - même, & qui compose avec les étoiles fixes une espèce particulière de grands corps du monde, est également sujet à divers changements dans sa surface. Il doit donc y avoir dans cet astre & dans les étoiles fixes une série d’états contingents. C’est ainsi que de toute la nature sort en quelque sorte une voix qui annonce la multiplicité & l’enchaînure des séries contingentes. Les difficultés qu’on pourrit former contre ce principe, sont faciles à lever. En remontant, dit - on, jusqu’au principe des généalogies, jusqu’aux premiers parents, on rencontre la même personne placée dans plusieurs séries différentes. Plusieurs personnes actuellement vivantes ont un ancêtre commun, qui se trouve par conséquent dans la généalogie de chacun. Mais cela ne nuit pas plus à la multiplicité des séries, que ne nuit à un arbre la réunion de plusieurs petites branches en une seule plus considérable, & celle des principales branches au tronc. Au contraire c’est de - là que tire sa force l’enchaînure universelle des choses.

La thématique du progrès est cruciale pour le devenir de la série car elle est portée massivement par le développement de l’industrie, qui en donne le modèle concret et en même temps, constamment nourri par un sous-thème lui aussi relié à la genèse du mot « série », que nous appellerons motif généalogique.

En latin, déjà, « series » équivaut à une lignée. La série des ancêtres, le renouvellement des générations, les questions de filiation et jusqu’à la démographie se greffent aux raisonnements et aux visions des philosophes qui tentent de décrire ce qu’est le progrès. Cette image, on la trouve déjà chez Auguste Comte, dans son Cours de philosophie positive.

Sans doute, les phénomènes collectifs de l’espèce humaine reconnaissent pour dernière cause, comme ses phénomènes individuels, la nature spéciale de son organisation. Mais l’état de la civilisation humaine à chaque génération ne dépend immédiatement que de celui de la génération précédente, et ne produit immédiatement que celui de la suivante. Il est possible de suivre, avec toute la précision suffisante, cet enchaînement, à partir de l’origine, en ne liant d’une manière directe chaque terme qu’au précédent et au suivant. Il serait, au contraire, absolument au-dessus des forces de notre esprit de rattacher un terme quelconque de la série au point de départ primitif, en supprimant toutes les relations intermédiaires.

A. Comte, CPP

Il y a une sorte de parallélisme entre ce qu’on pourrait appeler le conglomérat conceptuel qui articule monisme matérialisme, motif généalogique et théorie du progrès et ce qu’on distinguera de cette matrice thématique le conglomérat lexical lui-même, où chacun de ces thèmes n’est plus qu’un trait de signification qui s’associe, ou non, au mot dont l’assemblage chaque fois particulier mais toujours enraciné dans une histoire, dans un enchaînement continu de paroles et de discours, forme une constellation sémantique d’une puissance diffuse.

C’est encore cette constellation qu’on retrouve dans le Petit livre rouge de Mao Zedong, dans son édition française.

 De même, nous avons vu que dans le domaine de la pensée également, nous ne pouvons pas échapper aux contadictions et que, par exemple, la contradiction entre l’humaine faculté de connaitre, intérieurement infinie, et son existence réelle dans des hommes qui sont tous limités extérieurement et dont la connaissance est limitée, se résout dans la série des générations, série qui, pour nous, n’a pratiquement pas de fin, — tout au moins dans le progrès sans fin.

Pour bien se rendre compte de l’homogénéité du motif dans cette série de discours, on peut la comparer avec l’interprétation de l’univers qu’on trouve chez Gérard de Nerval, à la même époque et avec des sources d’inspiration voisines.

Car nous revivons dans nos fils comme nous avons vécu dans nos pères — et la science impitoyable de nos ennemis sait nous reconnaître partout. L’heure de notre naissance, le point de la terre où nous paraissons, le premier geste, le nom, la chambre, — et toutes ces consécrations, et tous ces rites qu’on nous impose, tout cela établit une série heureuse ou fatale d’où l’avenir dépend tout entier.

 

G. de Nerval, Aurélia, p.81

Pour Nerval, à travers cette vision cosmique pour le moins angoissée, la suite des générations ne donne nullement lieu au progrès des civilisations mais à l’universel palimpseste où les êtres revivent les uns à travers les autres, dans une combinatoire secrète et mystérieuse. Et de cette combinatoire on est le prisonnier, qu’elle soit « fatale » ou « heureuse ». Mais chez Nerval comme chez Auguste Comte (et ses contradicteurs avec), le motif généalogique détermine l’apparition de la série, du mot « série » et de ses corrélats. Le thème du progrès à travers la littérature même la plus récente est un vecteur d’apparition du mot « série » à haute fréquence.

 

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