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Les bêtes à concours
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 Article publié le 16 juillet 2017.

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C’est la fête ! Et la peinture fait partie des réjouissances.

  La chance météorologique est avec les organisateurs et les participants viennent de se disséminer à travers la petite ville sans banlieue, de plein pied dans une verdoyante campagne hérissée de grosses roches. Chacun essayant de trouver le plus joli paysage urbain ou rupestre à peindre. Le coin sympa qu’il fixera sur sa toile pour la postérité.

 La plus part sont des amateurs sans aucune autre prétention que de se faire un bon et sain plaisir. Celui de pouvoir une fois de plus laisser leur imagination vagabonder par couleurs interposées. Tous sont passés par la mairie où un tampon et un numéro ont été apposés bien visibles au verso de la toile pour certains, de la plaque de contreplaqué pour d’autres, enfin de la feuille de papier pour cette catégorie, incluse dans le concours mais que peu de concurrents choisissent, qu’est l’aquarelle.

 Le gros bourg bariolé de banderoles voit pousser d’étranges personnages. Pôles d’attraction pour les nombreux curieux venus des villages voisins, de Lyon pour certains et qui « nonchalandent » dans les ruelles étroites où dans les environs immédiats. Un périmètre est bien fixé dans le règlement et il est de bon ton que l’œuvre représente un coin caractéristique, du genre de celui que l’on peut trouver sur les cartes postales. La valse des pinceaux, des spatules, des crayons ou des pastels peut maintenant commencer.

 Parmi les peintres, évidement aucun n’est de renom. Mais quelques uns, des professionnels, suivent une route. Un itinéraire qui leur faisaient et fait encore sillonner notre bel hexagone et revenir, année après années sur les mêmes lieux. Ces virtuoses de la peintures itinérante je les ai appelés "Les bêtes à concours" Des pros, avec tous leurs trucs, leurs combines et voir aussi...leurs petites tricheries ! Du bon temps où je peignais, mes aquarelles et mes acryliques me laissaient de bons bénéfices…mais jamais dans les concours où toujours mes tableaux n’avaient pas un soupçon de succès ! Pourquoi ? Naïf depuis le jour qui m’a vu naître, j’ai tardivement compris.

 Quand une municipalité offre mille Euros à la meilleur œuvre rapide, en général entre trois et cinq heures pour rendre sa copie, cela vaut le coup de s’organiser. Quelques loustics s’y emploient fort bien.

 Premier truc. Avant de s’être inscrit et reçu le numéro de participation, le lieu du méfait est déjà choisi, le chevalet s’y trouve et volontairement, il va gêner un autre qui désirerait jouir du site et de la vue. Psychologie, tes ressorts sont décidément bien compliqués ! Le pro est venu la veille et déjà sa mémoire visuelle, exercée par des années de pratique, a cadré sa toile. Un peu de technique, rester surtout dans le grand classique de détails restant flous (en si peu de temps, surtout pas trop de réalisme) ; ne pas user de couleurs trop criardes, voir simplement trop vives. Rien de trop, et voila les bases du succès.

 Deuxième truc, les distingués membres du jury ne connaissent strictement rien à la peinture. Ils obéissent un peu à leur cœur et surtout, surtout sont influençables…Par les amis…Comme parmi eux le gagnant de l’année passée est présent, gentil jeu de mots, et qu’il "tourne" lui aussi sur le circuit…

 …finalement ils se comptent sur les deux mains les noms des bêtes à concours de peinture ! Et ils gagnent très bien leurs mauvaises croûtes ! Pour moi, d’art cela n’a rien. Pourtant là est l’intention, non ?

 Cette année je me suis replongé dans les couleurs et vais briser ce cercle qui me paraît légèrement vicieux ! Fini les pinceaux trempés dans l’insipide. Celui qui m’accompagne dans ma tâche redresseuse de tort est un Maître. Un vrai. Un de ceux dont les salles de vente et les musées s’arrachent les toiles. Un de ceux capables, non seulement de modernismes abstraits qui font pousser de cris de pamoison (cachant souvent l’incompréhension), mais aussi d’un réalisme fulgurant par son aisance. Un de ceux dont le "point" n’a pas de prix sur les catalogues de référence. Ami se prêtant à l’expérience et ayant par avance prévenu un journaliste, critique d’art, lui aussi fort connu. Les traits légèrement dissimulés, dans un recoin à l’aparté il va peindre pour moi ce format de soixante dix centimètres par cinquante que j’ai choisi. Dans la limite imposée.

 Je suis un salaud ? Non mais j’aime bien rire parfois !

 Comment suis-je pratiquement à tu et à toi avec un grand maître ? Pourquoi a-t-il accepté de jouer à ce jeu qui ne lui plaît guère ? Ho, c’est facile à comprendre. Le hasard, s’il existe, m’a aidé et je ne lui ai pas laissé le choix ! 

 Soyons francs ! Ce n’est pas vraiment mon ami, disons plutôt que je le tiens en mon pouvoir…S’il m’arrivait de vouloir parler d’un curieux spectacle auquel j’ai assisté, monsieur le grand Maître risquerait bien des années derrière de solides barreaux, pas dorés du tout. Vous allez dire que je suis comme lui suivit du qualificatif de chanteur ? Un peu, mais pas trop non plus. En fait cela ne m’a jusqu’à présent pas rapporté un sou.

 Il y a environ quatre ans, par un beau jour ensoleillé de printemps, j’étais parti avec papier et pinceaux utiliser l’eau des bords de Saône pour délayer mes petites pastilles d’aquarelle. J’avais repéré lors d’une pêche qui d’ailleurs n’eu rien de miraculeuse, un coin si charmant qu’il valait son immortalisation par un talent tel que le mien. Comment me suis assoupi ?

 La voiture est arrivée dans la faible descente de ce petit chemin à peine carrossable. Une belle limousine. Américaine certainement car je n’ai pas reconnu la marque. Et tout c’est passé très vite. Le conducteur, j’ai vu qu’il avait des gants, a posé sa passagère inanimée à sa place, desserré le frein à main et, refermant la portière, tranquillement poussé la voiture dans l’eau. Le gars devait avoir étudié son coup depuis longtemps et connaître certainement en sondant, la suffisante profondeur. Abomination pour moi qui aime les belles mécaniques.

 Doucement la peu usuelle sépulture disparut sous le calme flux indifférant, avec d’énormes bulles éclatant en surface au milieu d’une myriade d’autres minuscules On ne devait pas retrouver le corps avant un petit moment. Tapis derrière un buisson à guère plus d’une vingtaine de mètres je restais ratatiné et immobile, retenant presque ma respiration. Et si le gars était armé ?

 Après avoir soigneusement regardé la scène, inspecté le sol, notre individu vêtu d’un bleu de chauffe et chaussé d’une paire de basquets est reparti le plus tranquillement du monde mais sans siffloter. La météo prévoyait pour le lendemain de fortes pluies qui allaient certainement effacer de possibles traces. Crime parfait ? Certainement car je n’étais pas un délateur à cette époque mais un peintre. Je me répète, de talent s’il vous plait ! Aujourd’hui j’écris avec passion, sans retenue mais encore sans succès…j’œuvre vainement pour que ce dernier frappe à ma porte. Le grand gaillard au visage osseux, aux cheveux longs tressés sur l’arrière du crâne qui s’est éloigné du bord de l’eau, est connu de bien des gens sur la planète entière. Lui est un Maître incontesté du pinceau.

 Malgré de fortes suspicions de culpabilité, la police n’a pu le confondre. De nombreux témoins l’ont vu en bien des lieux qu’ils fréquentaient, lui et son épouse, cherchant désespérément cette tendre moitié. Une centaine de coups de téléphone d’un homme affolé par la possibilité d’un drame sont restés inscrits sur la messagerie du portable de madame, encore exploitable par les techniciens. Personne n’avait vu le grand maître en bord de Saône.

 Moi peut-être ?

 Avec cette simple scène que je vous ai décrite, j’aurais pu me laisser aller à de fâcheuses extrémités mais, plus tard, j’ai juste glissé une petite enveloppe dans la boîte à lettres de son somptueux appartement avec vue sur le Parc de La Tête d’Or à Lyon. En précisant quelques détails qui ne pouvaient être inventés. Et je l’ai recontacté la semaine passée…Une chance, je suis moi-même grand et ne fais pas vraiment partie des plus gros. Maigre, je n’aime pas ce mot, je lui préfère svelte ou élancé ; ainsi Dame Nature m’a constitué.

 Mais, à quoi donc rime tout ca ?

 Tout simple. Ayant repéré le manège efficace des bêtes à concours, j’ai voulu faire partie de cette secte particulière. Non pas pour le pognon, je m’en suis toujours foutu, mais pour mieux les connaître, les décortiquer, pénétrer leur monde, écouter leur auto-estime. Les hors du commun, les curiosités humaines de toutes sortes m’intéressent. Je me voyais déjà un probable futur d’écrivain et imaginais le récit que je pourrais en tirer. Ces braves ont soupesé mes toiles d’un air hautain et m’ont proposé un marché. Soixante pour cent de mes retombées économiques si j’étais primé pendant deux ans sur le "circuit" Et ce, seulement si l’un d’entre eux ne pouvait participer à un concours. Et ce, avant que je puisse jouir de tous mes gains. Et ce, et ce…Je les ai un peu envoyés au diable…après avoir filmé et enregistrer notre si particulière conversation.

 Vous cacherais-je qu’ils n’ont pas apprécié du tout ! Effarés, ils voyaient déjà la projection de cette vidéo dans bien dans municipalités où ils sévissaient depuis de nombreuses années.

 Rien n’est illégal en leur comportement. Peut-être qu’une certaine étique semble être bafouée, mais que peut-on redire…sauf si un grand maître venu incognito se trouve un jour déclassé par ces mesquins et minus messieurs moins que rien. On (qui n’est pas toujours con) pourrait ne pas vraiment comprendre…

 Il y a plusieurs années que je délaisse les pinceaux car le démon de la plume s’est emparé de moi. Des mots se forment sous mes doigts qui ne suivent pas tout à fait les règles strictes de la mécanographie, mais page après page, romans, nouvelles plus ou moins courtes, polars s’accumulent dans ma besace. Mes amis sont contents de me lire et me poussent dans ma nouvelle passion. Pourtant le succès se défile et court toujours plus vite que moi. Une édition à compte d’auteur que je ne recommande surtout pas, a largement profité de mes possibilités financières et, il faut aussi l’avouer, d’un gros soupçon d’égoïsme, en publiant mon premier livre. Ne chercher plus un exemplaire, le pilon est passé par là.

 Quelle fierté. Celui qui avait étudié la mécanique en délaissant la belle langue française ne se sentait plus de joie. Et que de plaisir dans les yeux de ma vielle maman. Rien que pour son sourire, je ne regrette rien.

 Puis je l’ai rencontré. La bête à concours littéraires. D’une magistrale façon, il a remporté un prix auquel je postulais. Ayant lu son texte, je me suis senti tout petit mais n’ai pas hésité à le contacter.

 Homme d’autan plus charmant qu’il semblait lui aussi apprécier ce que j’appelle encore parfois mes inepties d’écrivaillon. Homme qui en deux année a remporté une cinquantaine de concours sans que personne ne connaisse son nom. Homme avec qui j’échangeais avec grand plaisir textes en tous genres et qui gentiment a corrigé le petit million de fautes d’orthographe que je fais encore. La bête à concours m’a, petit à petit, enseigné les astuces du métier, et dans ce domaine aussi il y en a ! J’ai osé, je me suis lancé.

  Je n’ai jamais dirigé un service d’espionnage mais mon petit doigt me parle. Toujours juste ! A chaque compétition, le gars en question était devant moi ; dans le dernier sprint il me devançait encore et encore. Pour les jurés, le dernier texte évincé…le mien, le mien, le mien. Celui choisi, le sien, le sien, le sien. Jusqu’à ce qu’enfin, je trouve la parade.

 Le con, c’est lui-même qui me l’a enseignée !

 Pour preuve, depuis le début de cette année j’ai remporté cinq concours littéraires…on commence enfin à parler de moi. Préparez-vous sonneurs de cornes, de buccins et de trompettes !

 Pour ce grand amateur de tisanes (alors que personnellement j’ai horreur de ça), j’ai préparé dans son thermo, un jour que nous devions aller seuls disserter en rase campagne, une délicieuse infusion de scrofulaire noueuse. Crise cardiaque sans symptôme d’empoisonnement et aucune trace dans l’organisme. Ma bière bien fraiche ne m’a pas provoqué le moindre rot, et personne n’a jamais retrouvé le thermo.

 Pour certaines bêtes à concours de peintures…j’ai ma petite idée. Et finalement, le Grand Maître va chanter. Rigoletto ou La Traviata s’il le faut.

 

Non messieurs ! Je ne suis pas jaloux…

…mais il faut bien que justice se fasse !

 

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