« Tu sais, mon petit pote, je t’envie » –
dit un courtier à un vagabond qui l’avait abordé
à la sortie de la Bourse,
demandant s’il pouvait, pour l’amour du Christ,
lui prêter du pognon. –
« Je t’envie ta jeunesse,
ta peau fraîche et tes muscles bombés,
ton air polisson.
Je t’envie de vivre comme bon te semble,
de ne payer nul impôt,
de dormir à la belle étoile,
de baiser les femmes qui te plaisent...
enfin, d’être libre tel un pigeon
qui trouve sa pitance au milieu de la rue.
Même ton tee-shirt, si usé
qu’on ne devine plus sa couleur,
je te l’envie, mon petit pote,
car il est sûrement plus confortable
que mon trois-pièces suffocant. »
Le veinard s’enfuit sans mot dire
ni saisir la poignée de billets que le courtier lui tendait :
peut-être l’avait-il pris pour un fou
qui s’imaginait un nouveau Midas
ou pour un pédéraste qui le courtisait.
Quant au bienfaiteur, il se repentit aussitôt
de lui avoir parlé sur ce ton intimiste.
On sait bien, après tout,
que les confessions ne sont bonnes qu’à l’heure de la mort
et que l’enfer est peuplé de vertueux incompris.