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Appelons-le Chico Chica. Ça simplifiera les...
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 Article publié le 14 octobre 2018.

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Appelons-le Chico Chica. Ça simplifiera les choses. Je savais pas qui c’était. Autant en faire un personnage. Il n’avait aucune importance dramatique, romanesque. J’avais frappé chez lui comme chez n’importe qui susceptible de m’attendre. Et s’il m’attendait, c’était parce qu’il avait fixé une heure à « elle ». J’en savais pas plus. Mais le temps passait. Et de verre en verre, mon imagination s’est mise à me jouer des tours de son sac. Est-ce que je me suis montré poli, sans aspérités et même cultivé au point d’engager une conversation que si vous aviez été là je suis sûr que vous en auriez apprécié la profondeur et la justesse… ? J’en sais rien, mais rien de rien ! J’ai des problèmes aussi de ce côté-là. Alors appelons-le Chico Chica, CC en mode short, et attendons avec lui qu’ « elle » se pointe avec retard au rendez-vous dont ils ont convenu sans me demander mon avis. C’est Roger qui a manigancé tout ça. Et comme j’étais pas là pour donner mon avis et améliorer les conditions de l’évènement, j’en sais à peu près autant que vous. La deuxième bouteille était morte. D’un doigt expert, je la fis chuter sur le tapis. Le mec jeta un œil égaré à cet endroit précis. Il me le jeta ensuite à moi, mais pas égaré, plutôt furax. Il ne dit rien. Je finissais de lécher le bord de mon verre. J’aime pas beaucoup ce genre d’attente, l’étreinte du verre et la langue qui pend dedans sans rien trouver. Je trouvais le temps long et le temps ne m’inspire jamais la bonne humeur qu’un simple remplissage conseille à mon esprit toujours en proie aux tourments de l’attente.

« Si ça se fait, proposai-je, elle viendra pas…

— Elle a dit qu’elle viendrait… Je suis inquiet… Et pas seulement à cause de votre comportement… Vous allez mieux… ?

— J’espère que j’ai rien cassé…

— Je vous ai servi dans du plastique… luce m’a prévenu, vous pensez ! Surtout pas de verre ! m’a-t-elle répété autant de fois que nécessaire. Il casse tout quand il est dans cet état…

Il imite luce, très bien.

— Vous connaissez bien luce… ?

— Pas plus que ça…

— Elle m’a pas payé la pension depuis des mois… Voilà comment j’explique l’état qui vous turlupine et qui n’est rien d’autre que celui dans lequel mon costard se trouve… Je suis tombé dans l’eau… Personne ne s’est inquiété. On m’a sorti de là et j’ai passé trois jours à…

— Non ! Non ! C’est trop inquiétant ! Il faut qu’on y aille !

— Qui ça « nous » ? On ? »

Et voilà la djellaba qui glisse encore jusqu’aux pieds. Mais cette fois, le mec est habillé. Chemise blanche et pantalon de toile bleue. Il est pied nu mais d’un saut il les entre dans des espadrilles. Le voilà qui trottine vers la sortie par où je suis entré. Je le suis, mais alors : par le chemin le plus long. Qu’est-ce qu’elle m’a mis !

« Elle ne vous a rien mis ! Elle n’est pas là… Vous avez une voiture… ?

— Je sais pas si on parle de la même chose…

— Prenons la mienne ! »

Il plonge dans un buisson et cavale vers un garage qui se prélasse sous les arbres. J’ai attendu tout ce temps pour m’apercevoir de la dimension de la propriété. Pour le coup, je loge chez un rupin comme je les aime : rupin et encore rupin. Le buisson me donne envie de vomir. Je vomis.

« Vous êtes dégueulasse ! dit le type en poussant une bagnole tellement rapide qu’il lui pousse des ailes.

— Je supporte pas la vodka… Vous n’avez pas du vin français… ?

— Prenez le volant… »

Il hésite en me tirant par la manche car un habitant du buisson m’a invité à partager sa rogne.

« Vous ne pouvez pas conduire dans cet état… constate-t-il.

— Et ben prenez-le… Mais avant toute chose…

— Je ne conduis pas… »

Il réfléchit, se tenant le menton.

« À votre avis… dit-il en me regardant bien droit dans les rétines.

— J’en ai plus… J’en manque…

— Vous qui avez l’habitude des ennuis avec la justice…

— Pour le bien de l’Humanité seulement…

— Qu’est-ce qui coûte le plus cher : la conduite en état d’ivresse ou sans permis… ?

— À pile ou face…

— Conduisez et suivez mes instructions ! »

Putain mais qui c’est ce type ? Et qu’est-ce que je fous dans la banlieue cossue de New Dream où je mets jamais les pieds ? Dans quelle galère il m’a fourré le Roger des Vérifications ? Ah ! si y avait pas eu cette vodka, j’en serais déjà sorti de cet épineux ! Un costard qui m’a rien coûté. Ça m’a toujours plus fait mal de perdre ce que j’ai pas payé que le contraire.

« Le contraire c’est : de gagner ce que j’ai payé. Absurde ! Les choses sont plus compliquées que ça. Votre costume est définitivement foutu. Dans quel état vous allez vous présenter à elle ! Une femme si charmante ! Un costume en pièces et l’esprit embrouillé. Elle ne croira plus un mot de ce que dit monsieur Russel. »

Il arrêtait pas de parler, parler, parler ! Et pour rien dire de cette femme. À part qu’elle aimait pas les hommes mal fringués et beurrés. Je l’avais trouvé ce costard ! Sur un corps. Enfin… le corps était dedans. Il dormait. J’en ai profité pour m’habiller à la mode. Mais je savais rien de la mode du temps et il était trop tard pour changer d’apparence. J’ai continué comme ça, en costard démodé et seul dans la vie. On ne se change pas aussi facilement. Les gens ne parlent que d’eux sauf quand ils en cassent sur vous-même. Ah ! le sucre de l’existence ! Le type renonça à me sortir de là. J’étais tout écorché. Je me déshydratais. Il était lui aussi dans un état, mais pas le même.

« Voyez où ça nous mène, vos folies ! pleura-t-il dans une branche sans épines. Elle est en retard et je vais être obligé d’y aller tout seul ! »

Il me regarda comme si je venais d’arriver.

« Je ne sais pas conduire ! Tant pis ! Je vais y aller à pied ! »

Et le voilà parti. Mézigue dans un buisson. Piqué de partout avec impossibilité de me servir de mes mains tellement ça piquait. Il s’éloignait, cet aventurier ! Et la nuit tombait. Plus question de compter sur le soleil pour éclairer les zones d’ombres de ce récit. J’avais même plus personne à qui parler. Quant à gueuler pour signaler ma présence, je jugeai que c’était la meilleure manière de passer encore une nuit au poste. Avec l’eau du robinet et des biscuits rassis. Et la tronche du flic qui a longtemps étudié mais pas dans les livres. Avec pour seule loupe celle des fonds de bouteille. Et pour seul éclairage celui de son collègue idoine.

Le type disparut. Si on me demandait ce que je foutais dans ce buisson et dans ce costard et même dans ma peau, je répondrais que j’étais tombé du ciel où je travaillais.

« Travailler à quoi… ? me demanda la voisine qui était sortie en robe de chambre.

— Ce n’est un secret pour personne, madame ! Renseignez-vous ! »

 

 

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