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Schématique de la rétrospection - Chantiers 21 et 22

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 Article publié le 11 novembre 2018.

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La remémoration s’est enclenchée dès le début des années 1990, après une période d’interruption qui m’a laissé une forte impression de discontinuité.

J’avais écrit de la poésie et des récits. J’avais d’abord cessé d’écrire de la poésie. Puis, j’avais abandonné aussi d’écrire des récits. Je me consacrais à la musique plutôt qu’à mes études. Je jouais de la basse électrique plusieurs heures chaque jour. De ma sortie du lycée (juin 1990) au printemps 1991, j’ai peu de traces d’une quelconque activité littéraire.

- Une petite série de poèmes en prose assez rudes que j’ai dû rédiger au moment où je passais le baccalauréat

- Quelques pages griffonnées dans une banlieue londonienne où je m’ennuyais férocement

- Une amorce de récit que je ne puis dater précisément mais qui paraît antérieure aux narrations de l’été 1991

Mon « retour à l’écriture » s’est tout de suite appuyé sur les écrits antérieurs. Le sens des réalités, tout d’abord, même si je n’ai pas vraiment eu l’intention de reprendre le roman en tant que tel. Puis, plus tardivement, les poèmes.

Pour la narration, le point d’appui était évident. Si évident qu’il laissait de côté Au-dehors de toute lumière.

Pour la poésie, c’est Pyramides urbaines et cinémas antiques qui a été la matrice de tout ce qui a suivi. C’est logique puisque c’est pratiquement tout ce qui restait. Mais ce que je méconnaissais alors et que j’ai méconnu peut-être jusqu’à aujourd’hui, c’est que j’initiais une écriture qui n’était que le commentaire d’écrits antérieurs, parfois disparus.

C’est sans doute une exagération de dire les choses ainsi. Mais la rétrospection a, je crois, pris un ascendant qui est longtemps resté dans l’ombre par la suite, convaincu que j’étais d’aller de l’avant puisque les choses s’engageaient de façon somme toute assez linéaire, en apparence.

Fin 1991, après des essais épars et un recueil sans forme, Crépusculaire, je me suis concentré sur un fascicule resté en déshérence par la suite, « Carnet sans séjour ». Puis il y a eu Le spectacle interdit, Le récit ruisselant, une période de gestation qui a abouti à Rien - Un train suivi de Rien,avant que ne s’enclenche le procès Avec l’arc noir, etc.

Dans les faits, cette linéarité est douteuse. Mais je crois que, jusque récemment, c’est elle qui dominait la compréhension que j’avais de ma propre écriture, maintenant dans une zone confinée les impulsions régressives qui ont pourtant été les véritables leviers de ce cheminement.

Prenons la séquence du jugement ou « tribunal dernier ». On en trouve une description dans ce premier recueil intitulé « Suite cérémoniale » que j’ai dû établir en septembre ou octobre 1987. Cette vision quasi apocalyptique clôt le recueil.

Déraison saugrenue

le tribunal hystérique

t’a revendiqué

 

Le jugement dernier

en était enfin à son heure.

Ensembles espacés de mobiliers

à tendance irréelle.

Formes géométriques

qui nous étaient parfaitement

inconnues.

L’ensemble semblait serein mais

toutefois incrédible.

(Mais qu’en avions-nous à faire nous allions tous mourir).

 

Sorte d’affolement général, un ordre fulgurant avait été ici lancé dans le cerveau de chacun. Pourtant il y manquait une pièce – ordre bancal.

 

Esprit découvert,

ton incapacité mentale à l’obéissance

- ton meurtrier.

Pourquoi ne veux-tu accepter ces données fausses ?

 

On ne la retrouve pas exactement dans Pyramides urbaines mais les ressorts sont les mêmes. Il ne s’agit plus d’un jugement mais d’un spectacle insoutenable et addictif auquel l’humanité est conviée (ou plutôt convoquée).

Nous nous retrouverons au même endroit, la pièce

originelle, celle où les espoirs meurent et nous avec.

Le retour à l’amphithéâtre semble marqué par les

acclamations des spectateurs qui maintenant ressentent

le spectacle comme une drogue impure et malsaine.

Ils s’assoient presque rituellement aux mêmes places,

figurines de plomb immobiles et attendent le début.

Le silence régnant dans l’endroit n’exprime plus rien.

Il n’y a plus rien ici qui puisse ressembler à la vie.

Aucune parole n’est échangée et il en sera ainsi pendant

le temps que durera le cérémonial.

 

Enfin le vent s’est levé, créant ainsi le fond musical

sonore mais, contrairement à toute attente, il semble

immobile, produisant ainsi une vague d’impression d’in-

temporel et donc, le sentiment d’être perdu.

Mais nous ne serons jamais perdus puisque nous sommes

dans l’univers.

Mais sommes-nous encore dans l’univers ?

 Les deux séquences se compléteront dans Le sens des réalités, quelques mois plus tard. Par la suite, c’est surtout le jugement de John Wayne (pas l’acteur) / Ulrich Hyndir qui m’a occupé (« L’encan », 1993 est une prose qu’accompagne une adaptation de la scène en bande dessinée). Et une vision du jugement dernier assez proche de ce qu’elle était dans « Suite cérémoniale » en clôture du Spectacle interdit (1992).

A la toute fin des années 1990, quand j’ai repris Le sens des réalités, la séquence apocalyptique a repris le dessus, sous couvert d’art contemporain cette fois.

Entretemps, il y a eu l’apparition du policier Hector, dont la confrontation avec l’univers de la « maison Guermynthe » a abouti au « Jugement de rien » entre 1992 et 1993. Je laisse de côté les épisodes qui ont suivi car cette fonction rétrospective est devenue de plus en plus manifeste et consciente avec le temps.

Elle a été favorisée, il faut sans doute le préciser, par l’instabilité de la technologie qui nous faisait évoluer de la machine à écrire au traitement de texte, d’une informatique peu aisée à manier au début des années 1990 à un univers numérique en constante expansion quelques années plus tard. Ce qui m’obligeait, d’année en année, à tout reprendre.

La rétrospection a connu un premier pic au tout début de l’année 1994, à la suite de Rien - Un train et de Rien. J’ai éprouvé le besoin de réunir mes écrits en quatre volumes distincts. Il ne reste pratiquement rien de cette tentative aujourd’hui. Elle n’était pas obligée, même si elle été liée à l’utilisation encore récente de la machine à écrire électrique de marque Brother. Le désir de donner à ma production une forme cohérente et structurée était distinct du changement d’outillage.

En revanche, l’emprise croissante du stockage informatique m’a amené à sérier les projets selon un modèle que j’ai longtemps conservé, à savoir :

- Le spectacle interdit, le récit ruisselant,etc.

- Avec l’arc noir

- Un déjeuner sous l’abat-jour, Repli,etc.

- Le sens des réalités

- L’archéologie de la série

- Le journal & les notations de rêves

Il y a eu plusieurs moutures de cette schématique mais dans l’ensemble, ce sont ces blocs qui dominaient l’organisation des dossiers.

A plusieurs reprises, il a fallu tout reprendre. Le bug de l’an 2000, pour moi, a été un virus qui m’a obligé à abandonner une quantité de textes difficile à évaluer, rétrospectivement. Une part a été conservée par l’existence de manuscrits ou d’impressions. Mais les premières années du nouveau millénaire ont été compliquées parce qu’il n’y avait pas de format libre et que la suite Office, si elle était dominante, n’était pas disponible par défaut sur nombre de PC. J’ai donc repris l’écriture sur un logiciel qui aujourd’hui n’existe plus, Works, et qui n’était compatible avec rien.

La dimension rétrospective de mon écriture s’est encore accentuée quand, à la fin de l’année 2004, j’ai repris l’ensemble des chantiers qui étaient restés épars et remis en forme les chantiers indiqués ci-dessus. Je pourrais dire que ça a bien fonctionné quelques années. Le problème, c’est que ça fonctionne pour des projets qui sont bien cernés. On sait qu’il y a Avec l’arc noir, Le sens des réalités, etc. Mais les projets contemporains ? Comment même les délimiter puisqu’on est dedans ?

Et même dans l’activité rétrospective, combien de choses ne rentrent pas dans les cases, au fait ? Doit-on considérer Repli comme une séquelle d’Avec l’arc noir ou comme une force autonome ? Et comment organiser les poèmes plus dispersés que sont, par exemple, ceux de Remuements et sarcasmes (1996-1997) ou de Secret et silence (2001-2003) ?

Ce système s’est délité de lui-même. Les dossiers qui se sont accumulés dans les années 2007-2013 ne présentaient pas d’unité, ne marquaient aucune inflexion particulière. Je pense qu’il aurait été possible d’identifier, à terme, des blocs aussi bien taillés que l’arc, la série ou les réalités mais l’artefact devait céder devant la pression de cette activité qui sur mon écriture prenait un ascendant sans cesse croissant, la rétrospection.

La rétrospection était devenue un facteur constructif, pour reprendre le mot de Tynianov, de ces grands ensembles eux-mêmes : Le sens des réalités qu’ironiquement et cruellement je finissais par définir comme une autobiographie ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah

Avec l’arc noir qui était initialement la narration d’un choc artistique intime, la vue de la peinture de Kandinsky à Beaubourg où l’œuvre était exposée avec constance. Le projet avait débordé l’espace du poème pour engager non une rétrospection mais une réflexion à travers le « Journal de l’arc » d’un côté et de l’autre toutes les notations auxiliaires qui ont contribué à l’établissement du poème.

Il faut donc, dans l’absolu, considérer ensemble la rétrospection et la réflexion. Mais là, tout de suite, non. Ce serait trop compliqué.

Dans le cas d’Avec l’arc noir, la réflexion est devenue rétrospection.

 

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