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Histoire de Jéhan Babelin 65 (poésies de Romain Gambois - texte intégral)
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 Article publié le 2 mai 2019.

oOo

***

 

PRINTEMPS

 

Printemps de la poésie

 

Au matin on me voit les pieds dans la rosée

cueillant le verbe sur les feuilles

et le conjuguant au présent

pour donner la chanson à la poésie

 

Si tes yeux ne m’avaient pas inspiré

si tes seins de marbre ne m’avaient pas nourri

si je n’étais pas né de ton ventre souple

que trouverais-je sur les feuilles

sinon la poussière des hommes

qui ne savent pas que la vie est poésie

avant de disparaître dans cet humus

 

J’ai fouillé toute ma vie dans cette nourriture

au pied des arbres qui lui font de l’ombre

et j’ai toujours trouvé de quoi me nourrir

car les racines sont le meilleur de nous-mêmes

et nous devons tout à la terre qui nous porte

avant de nous emporter

dans sa puissance tellurique

 

Je chante le printemps d’une poésie

que tout le monde reconnaît

que ce soit dans la rue ou dans les théâtres

chacun y va de son inspiration

pour reconnaître que c’est ainsi qu’on chante la vie

et non pas en ne sortant jamais de la nuit

pour finalement mourir avec ses rêves

de je ne sais quelle gloire moderne

 

Au matin je suis le premier dehors

s’il pleut je suis heureux de me mouiller

et si la gelée brûle mes feuilles

je les réchauffe en peu de mots

car ici c’est le printemps qui s’impose

et la poésie est reconnue au premier regard

 

 

*

 

Le dire en français

 

Touchez au vers tant que vous voudrez

la poésie est si forte qu’il résistera

aux assauts les moins subtils

Mais ne touchez pas à la langue française

 

Chantez dans la rue pour le passant

ou pour la passante que votre cœur étreint

Mais au soleil ou sous la pluie de grâce

ne chantez pas sans la langue française

 

Rêvez la nuit et le jour si vous ne dormez pas

la place du bonheur est dans la poésie

seul ou en compagnie elle est le bien commun

Mais n’ouvrez pas la porte à l’étranger

 

Chacun est roi dans son pays

il n’y a pas de rois sans pays

et si vous avez le cœur bien placé

Ne touchez pas à la langue du vôtre

 

Nous traduirons ce que la poésie amène

comme le vent transporte des oiseaux

Mais s’il emporte nos propres chansons

Ne touchez pas à la langue française

 

Il n’y a pas de trésors sans religion

Il n’y a pas de poèmes sans poésie

Et sans la langue française nous ne sommes rien

que l’intraduisible défaite du traitre à sa passion

 

*

 

Les pas de l’amour

 

Le printemps connaît l’amour

mieux que le cœur lui-même

C’est que l’été n’est pas loin

Nous nous retrouverons sur la plage

 

Traverser ces trois mois de douce pluie

ne coutera rien au cœur qui attend

J’aurais cette patience comme l’hiver

a duré plus que de raison

 

Seul dans la nuit avec mes seuls rêves

de toi et de ce que je sais de toi

je prendrai les chemins les plus longs

pour ne pas te perdre

 

Il n’y a rien comme l’amour pour donner

au poète toutes les raisons de revenir

sur cette plage où tu n’as songé

qu’à me rendre ce que j’avais trouvé en toi

 

Comme la mer était docile en ce temps-là

et comme il n’y avait plus que toi pour aimer

et comme je savais que tu reviendrais en été

car l’été est ton nom ô ma liberté d’aimer

 

Que dure ce printemps une éternité

je n’en serai pas moins le passager tranquille

même si après l’été les feuilles tombent

pour qu’on les foule d’un pied pressé

 

*

 

Le jardin des extases

 

Rose exquise qui ne pique pas les mains

j’ose approcher ma joue de tes lèvres

et recevoir le baiser de ta couleur

pour enflammer mon cœur printanier

 

Comme il est agréable ce jardin où nu

je retrouve la saveur du premier instant

Comme les choses n’ont pas changé

depuis que le monde nous appartient

 

Buvons de cette eau pour nous griser

Ces fruits sont aussi notre nourriture

Par ce bain et ce festin de rois

je te nomme ma reine et je suis ton enfant

 

C’est ici que je suis né

entre les pommiers et la vigne

ici que mon enfance a commencé

à aimer ce que tu es devenue

 

*

 

Poussière de pluie

 

Aujourd’hui il pleut doucement

si doucement que je me sens seul

Il n’y a plus d’oiseaux dans les arbres

et le vent tourne en rond

 

À la fenêtre les fleurs penchent leurs têtes

comme si elles regrettaient d’être venues

Dans ces jardinières qui ont l’air de cercueils

elles pâlissent sans un mot pour pleurer

 

Jamais je ne me sens aussi mélancolique

qu’en ces jours de petite pluie

Une lettre de toi me laverait

de cette poussière de pluie

 

*

 

Robinet miroir

 

Ma tête est pleine de souvenirs

et mes poches d’oubli

Comme je suis seul sans toi

et comme tu dois penser à moi

 

Je te sais languissante

comme tes lettres le disent

Je t’imagine implacable

avec ceux qui disent le contraire

 

Entre nous cette tête et ces poches

les lettres qui voyagent comme les oiseaux

parce que la Poste existe

et que l’air n’a plus de secret pour l’Homme

 

D’ailleurs je vais t’écrire un email

C’est décidé — je me connecte

Que les oiseaux de la Poste se le disent

La campagne va changer de visage

 

Telle est la Modernité que je chante

Elle est claire comme l’eau que je bois

et sereine comme la fontaine chromée

où je me vois te voir

quand je me penche sur l’évier

 

*

 

La seule source

 

Ah ! ces enfants qui veulent savoir

et qui oublient ce que je sais

quand ils s’égaillent dans la cour

où nous attendons l’heure

 

Je les vois se chamailler

pour des riens qui sont tout

Souvenons-nous de cette enfance

elle nous a aussi appartenu

 

Dans la rue les passants

semblent guetter nos échecs

Même les oiseaux sont jaloux

de nous entendre chanter mieux qu’eux

 

Ce soir je rentrerai dans ma maison

et je penserai à toi pour que tu existes

comme seules savent exister

celles qui comprennent la poésie

 

Dans la cour les tilleuls fleurissent

et dans cette ombre je me repais

Buvons ensemble ô mes enfants

à la source de toutes les saisons

 

*

 

Résistance

 

Vive le son du canon

quand il aveugle nos ennemis

Pourquoi regarder en face

ces yeux qui nous jalousent

 

Nous sommes la patrie

des droits de l’homme

et s’il faut un canon

nous aurons un canon

 

Mais la poésie nous inspire

peut-être mieux que le sang

Tu es le témoin de ma vigueur

ô printemps qui vient à point

 

Nos frontières se gonflent

comme des muscles à l’effort

Canon et poésie font front

chaque fois qu’il le faut

 

Notre Justice est notre savoir

Qui pourra longtemps résister

à notre langue mille fois primée

par le temps qui ne se trompe jamais

 

*

 

Toi et moi

 

Je suis la tolérance faite chair

par le sang de notre fils

Voilà ce que dit le printemps

quand j’interroge sa vigueur

 

Que dirais-tu toi l’étrangère

si je te parlais une autre langue

que la tienne

 

Ma porte est ouverte sur le Monde

Je ne connais pas le riche

et je reconnais le pauvre

 

Prenez ce que ma table vous donne

Rêvez dans le lit où je dors

Nous ne serons plus seuls

si nous nous aimons

 

Voilà ce que dit le printemps

chaque année renouvelant

la parole faite chair

 

Et sur le seuil de ma maison

j’attends

que tu parles ma langue

pour que je te comprenne

 

*

 

Le cahier du vent

 

C’est ici que tu t’abandonnas à la passion

entre cet arbre mort pour rien

et cette rivière qui ne va nulle part

 

Les fleurs cueillent les oiseaux

avant même qu’ils ne battent de l’aile

 

Le ciel revient chaque jour

sans rien changer au sens

que prend la couleur des prés

 

Sur le sentier tu abandonnes aussi

tes vieilles chaussures poussiéreuses

On dirait que tu es né pour ça

 

La maison n’est jamais loin

Son toit brille de mille feux

et sa fumée ne veut rien dire

 

Qui m’attend à l’intérieur

si ce n’est moi-même en chausson

revenant du jardin avec des légumes

pendus à la ceinture

comme les perdrix du chasseur

 

Mais quand j’arrive sur le perron

un cahier d’écolier s’effeuille

au gré du vent

que les petits doigts agiles

ne comprennent pas

comme je le comprends

maintenant que tu n’es plus là

pour attendre avec moi

 

*

 

Marie-Poésie

 

Qui ment le mieux au petit garçon que j’ai été

et que je ne suis plus

 

Qui parle encore avec des mots choisis

dans le dictionnaire de rimes

 

Qui n’attend plus que je revienne

pour allumer le feu

 

Qui est cette femme qui ne veut pas de moi

et qui m’aime

 

Car tu es comme ma langue ô Marie-Pierre

 

Tu m’aimes comme jamais langue n’aima un homme

mais tu ne sais rien de la poésie

 

Car qui peut dire que la langue sait mieux que moi

ce que la poésie change dans le cœur d’un homme

qui se donne sans espoir de retour

 

*

 

De pointe et d’estoc

 

Je puise dans cette profondeur

avec le seau des grandes espérances

mais il y a longtemps que je sais

que sans la France je ne suis rien

 

Je ramène des pépites d’attente

qui attirent le regard de mes voisins

mais lequel dictera la Loi

qui sans la France n’est plus loi

 

Renaissant chaque fois de ce saut

dans l’inconnu des puits sans fond

je chante un lendemain de chansons

qui sans la France ne chantent pas

 

Ô mon pays beau comme l’eau

que la fontaine en fuite nous promet

que serais-je si tu ne m’armais pas

des pointes de ta langue

et de l’estoc de tes traditions

 

*

 

L’arbre de naissance

 

Belle terre des sacrifices de la guerre

tu me portes encore et je veux naître

Comme le passé est lourd de sens

et comme l’attente n’est pas facile

 

Je possède bien une maison

et mes meubles sont hérités

de la tradition qui fait les grands hommes

et la fortune de l’Histoire

 

Je connais tous les chemins

et les fenêtres s‘ouvrent à mon passage

J’ai même le cœur dépossédé

depuis que je suis amoureux

 

Mais ô ma belle terre de naissance

suis-je né si je ne te possède pas

comme tu sais tout de la langue

qui manque au poète que je suis

 

Me faudra-t-il mourir seul

pour que tu reconnaisses ma voix

Faudra-t-il qu’un seul de mes poèmes

te revienne en mémoire

 

Terre du sang qui a coulé justement

Ne me laisse pas sur le bord du chemin

couché sous un arbre dépouillé

que je n’ai pas reconnu

 

*

 

Monument de l’enfance

 

Un rayon de soleil éclaire

ton visage dans l’ombre

de la fontaine où tu bois

le vin de la patrie en deuil

 

Je te vois boire et je sais

que ce n’est pas de soif

mais de cet amour qui tue

quand il est vainqueur

 

La pierre porte les noms

de ceux qui se lèvent encore

Un bouquet les honore

de son parfum d’enfant

 

Qui sommes-nous mes paysans

si nous ne sommes rien

Qui aimerons-nous si rien

ne vient alimenter la source

 

Nous te voyons boire sans soif

à la fontaine de jouvence

La terre porte tes pas

à l’horizon de notre mort

 

*

 

L’enfant qui vient

 

Ô pères qui habitez dans nos tombeaux

que le son du clairon vous réveille

et que pour un instant on vous écoute

nous qui avons perdu le sens de la mort

 

Que ces tombes se couvrent d’oiseaux

et que leurs becs nous disent la parole

qui fut la vôtre au moment de mourir

sous le feu de l’injustice et du devoir

 

Accomplissez nos rêves aujourd’hui même

Ne partez pas sans ouvrir vos bouches

et que votre langue qui est aussi la nôtre

retrouve les accents de la sincérité

 

Vous ne serez pas morts pour rien

et nous ne vivrons pas inutilement

Nos enfants retiendront le temps

avec le sel de nos paroles jointes

comme des mains en prière

 

Regardez puisque vous le pouvez

nos visages d’un sang nouveau

et dites-nous comment le verser

pour que nos femmes y conçoivent

le meilleur de nos enfants

 

*

 

Lune de rêve

 

 

Ce soir la Lune ne dort pas

et je ne peux m’empêcher de rêver

 

Qui es-tu Lune aux grands yeux

qui m’apporte la tranquillité

et l’inspiration chère au poète

 

J’ai laissé la fenêtre ouverte

pour que tu entres dans la chambre

Tu hésites dans les feuillages

et les feuilles scintillent de ton argent

 

Moi aussi j’attends mais je rêve

 

Qui es-tu toi que je n’attends pas

 

 

*

 

La chanson du Diable

 

Dansons puisque c’est la fête

Aimons-nous du même amour

Ne ménageons pas cette nuit

le talent de nos musiciens

 

Allumons des feux pour la joie

Nous avons apporté le bois

et la flamme ne nous manque pas

Jouez Musiciens sans instruments

 

La nuit n’a pas d’autre issue

Nous la retenons dans nos filets

Et nos bouches se rencontrent

comme les papillons des lampions

 

Ah comme vos jupes ensorcellent

et comme la pluie peut venir

Nous ne nous mouillerons pas

dans le feu de notre joie

 

Revenons toutes les nuits

dans les sabbats de la poésie

Le Diable n’est plus un diable

et nous connaissons la chanson

 

*

 

L’enfant-loup

 

Qu’est-ce que la poésie mon amour

si ce n’est ce que la langue nous inspire

quand la terre revient à la mémoire

et qu’un enfant y joue avec nous

 

La poésie connaît le monde mieux que nous

Il y a longtemps qu’elle le chante

Les mots ne se trouvent pas dans la parole

mais dans ce qu’elle remet sur le tapis

 

Je ne sais pas si je suis clair

La poésie est limpide pourtant

Elle vient comme le jour

et se couche avec la nuit

 

Je reviens tous les jours

au moins une heure dans ma patrie

pour retrouver mes jeux d’enfants

et d’une comptine faire un poème

 

Car je suis resté un enfant des bois

La louve me nourrit encore

des viandes arrachées aux proies

quand je ne savais rien de la langue

 

*

 

Ce que le temps tue

 

Nous commençons par jouer à la balle

puis nous jouons à autre chose

comme si nous ne jouions plus

 

Le temps a la mauvaise habitude

de tuer les jouets

 

Nous étions fascinés par les insectes

et maintenant ils nous dérangent

et nous les écrasons sur le carreau de la fenêtre

 

Le temps a la mauvaise habitude

de tuer les jouets

 

Jadis nous complotions à trois ou quatre

mais nous ne sommes plus que deux

et même qu’un si nous n’avons pas de chance

 

Le temps a la mauvaise habitude

de tuer les jouets

 

Je me souviens que tu pleurais

chaque fois qu’il pleuvait

Maintenant tu fermes le rideau et tu dors

 

Le temps a la mauvaise habitude

de tuer les jouets

 

Ce n’est pas nous qui trichons

C’est le temps qui ne revient pas

ou s’il revient

ce n’est pas pour nous amuser

 

Le temps a la mauvaise habitude

de tuer les jouets

 

*

 

Pomme de discorde

 

Je voudrais tellement que tu sois heureuse

Le printemps ne dit pas autre chose

 

Entre la pluie et le soleil

nous avons le temps d’en parler

et tu t’éloignes avec les outils

de nos jardins

 

Le printemps peut-il n’être pas le printemps

 

Cette parole que tu me prends

t’appartient depuis si longtemps

que je ne sais plus si j’en suis l’enfant

 

Le printemps ne connaît pas l’hiver

mais il sait déjà tout de l’été

 

Cueillons ensemble ces fruits verts

Ils mûriront à la fenêtre

Au passant inconnu

tu les donneras sans mon consentement

 

J’ai connu des printemps sans pluie

mais j’y étais peut-être né

 

Revenons de nos jardins

non sans partager le poids

de nos récoltes

 

Ou n’était-ce plus le printemps

et déjà l’automne

 

Frappe à la porte de notre maison

comme le font les passants

qui demandent le chemin

et reçoivent de tes mains

le fruit de mes printemps

 

*

 

Terre des poètes

 

Cette terre est plus que notre chair

Elle est la chair de notre chair

 

Un chant impur sort de ses entrailles

si la poésie n’est pas au rendez-vous

 

Or qu’est-ce que la poésie sans la terre

sinon ces racines en forme d’os

qui ne veulent pas devenir poussière

 

Depuis l’enfance jusqu’à la mort

et de la mort au souvenir

Du souvenir à l’œuvre même

et de l’œuvre à l’éternité

nous sommes poètes ou spectateurs

et nous demeurons ce que nous sommes

 

Je crois que la poésie m’a choisi

Je ne peux que le croire

car où est la certitude

si nous n’avons pas le pouvoir

de nous projeter dans le futur

 

Mais si je ne me trompe pas

alors que mon chant se multiplie

Qu’il soit le chant de mon cœur

aussi bien que celui de tous

 

Nous nous retrouvons en famille

chaque fois que la langue parle à notre place

 

*

 

Terre infinie

 

Je revois le passé

comme si je l’avais vécu

 

Des milliers d’histoires

forment l’Histoire

 

Des millions de poèmes

n’en forment plus qu’un

 

Une seule eau coule

dans nos veines

à la place du sang versé

 

Les fontaines de cette terre

jaillissent sans commerce

 

Dans le pas des oiseaux

nous reconnaissons nos mains

 

La toile d’araignée se pose

comme une explication

sur les énigmes du temps

et de l’espace

 

Entre le tambour qui bat

comme un cœur à prendre

et la tête qui s’ouvre

dans le feu de l’action

le monde entre dans notre monde

et la terre de France renaît encore

 

*

 

Jour des cendres

 

Personne ne meurt plus à la lanterne

mais le feu ne s’est pas éteint

Mon cœur connaît cette énergie

et je m’y abreuve comme si le sang

n’avait pas d’autre sens

 

Les beautés de la langue

sont celles que la Poésie

prend à la terre

 

S’il faut détruire ce qui détruit

que les mots nous inspirent seuls

la renaissance de notre chair

 

Car s’il est doux de mourir

pour une juste cause

jamais âme qui vive

ne connaît la douceur

de la mort donnée

en retour de l’injustice

 

Le front dans la motte de terre

que mes mains viennent de creuser

je sème la fraternité

sans faire couler le sang

 

Seules les cendres en témoignent

 

*

 

Aubade sans soleil

 

Quoi de plus doux à l’esprit que ces fleurs simples

que je viens de cueillir sur le bord du chemin

Le printemps me les donne et je te les dois

car le temps est venu de te dire que je t’aime

 

Remplis le vase de la bonne eau du robinet

Ce verre transparent est un hommage à la limpidité

Ô comme le bouquet rassemble bien mes intentions

et comme tes mains valent mieux qu’elles

 

Sur le rebord de la fenêtre le soleil demande

sa part de fleur parce que tes mains

sont les mains qui savent tout du printemps

 

Travaillez chères pluies de doigts fins

Reformez ma langue au sentiment réciproque

Cette pluie me réveille à la place du soleil

et il fait encore nuit quand je reviens de loin

 

*

 

Miroir de soi

 

Comme l’enfant est beau

et comme tu resplendis

dans ce rayon de soleil

qui a l’air d’une étoile

 

Ta chanson me berce un peu aussi

On dirait que je suis né

pour ce moment de la journée

où tu n’existes que pour lui

 

Soleil ne cache pas mon ombre

sous les effets de tes feuillages

Dans le jardin où je m’aventure

La musique de sa voix est un oiseau

qui ressemble à tes feuilles

 

Plus loin je croque un fruit

grappes vermeilles qui promettent

d’autres moments de pure folie

avec les mots d’un refrain

vieux comme le monde

 

Comme l’enfant est beau

dans ce silence que tu brises

comme un verre après boire

dans le feu de ma Poésie

 

Tes yeux que je ne vois pas

éclairent le berceau

et donne la Lune

au reflet exact

de mon imagination

 

*

 

Unisson des cœurs

 

Je veux écrire ce que la mémoire retient

de tant d’Histoire et de si peu d’Homme

Que ma plume ne prenne pas son envol

sans la langue qui inspire les morts justes

 

À genoux dans cette bruyère de douleur

le front saignant de blessures infligées

à ceux que je n’ai pas connus vivants

je ne me lamente pas en vain car

 

un enfant m’écoute et prends note

de ce que la Poésie lui inspire déjà

lui qui est tout ce que sa mère veut

mais qui ne devient pas sans moi

 

Il s’essaie lui aussi au chant

Sa voix retentit sous le ciel de lit

Une larme en estompe les cris

mais le cœur y est sans partage

 

Tu me regardes pour me le redire

Et je sais que je te ressemble

L’œuvre commune est route

sur les chemins de la résistance

et sous le soleil de l’éternité

 

Non ne décroise pas tes genoux

Que ta main ne cesse de caresser

La langue est à cet endroit précis

L’unisson est maintenant acquis

 

*

 

Le bûcheron des mots

 

Il n’y a pas de toit

pour qui sait dormir dehors

et d’une herbe se sustenter

aussi bien que de ne boire

que l’eau qui vient à mourir

dans l’ornière des chemins

 

Il n’y a pas de lit

plus poétique que l’herbe des prés

ou le gazon verdissant des rivages

où se perd ce qui reste des voyages

 

Non il n’y a pas d’amour plus grand

que cette liberté durement acquise

à force de croiser le fer

avec les mots de la tribu

 

Les feuilles mortes de l’automne

s’assemblent en linceul

sur les racines de mon arbre

celui que j’ai choisi de couper

pour alimenter ta cheminée

 

car si je dors et si je vis dehors

je n’en suis pas moins homme

et du travail je connais le secret

même si la Poésie ne sait pas encore

jusqu’où je peux aller avec elle

 

Voici le bois de ma volée

Je n’entre pas dans la maison

ou plutôt je n’y rentre plus

car c’est dehors que je me sens le mieux

 

*

 

Chemin des pommiers

 

Je suis tombé de haut

le jour où je suis monté

là-haut

 

La douleur des chutes est formidable

Le craquement des os n’a rien d’une chanson

 

Poème en route pour l’exil

tu es l’échelle que je porte

comme un autre a porté sa croix

 

Les mots sont les murs de mon chemin

Les branches des pommiers

par-dessus les murs m’appellent

et je réponds en écrivant ce poème

 

Sur le chemin les pommes tombent

comme je vais tomber

elles sont ma nourriture

comme moi-même je nourrirai

celui ou celle qui m’aidera à me relever

pour m’emporter dans son monde sans échelle

 

Derrière la fenêtre tôt ou tard je reverrai

le chemin des pommiers de mon enfance

Le temps me fera cette grâce

chaque fois que mon cœur manquera de cœur

 

*

 

L’éternité

 

Vaillants couturiers de nos blessures

tirez sur le fil

resserrez bien les bords

et ne lésinez pas sur la force du nœud

 

Ouverts comme nous sommes

à cause d’une guerre

nous n’avons plus que la parole

pour remercier d’être encore de ce monde

 

Je suis ouvert de la gorge au bas-ventre

Le fer a plongé en moi comme dans le feu

et le Poème en est trempé comme l’acier

 

L’herbe ou les draps peu m’importe

puisque je suis vivant autant que mort

et que ma voix s’est enfin forgée

dans la réalité qui est ma seule offrande

 

Cousez sans ménager le fil

ô couturiers de mes lendemains

On ne meurt pas d’avoir écrit un poème

On dit même qu’on y gagne quelquefois l’éternité

 

*

 

La lampe à l’entrée

 

Rien n’est plus triste que cette obscurité

qui est le noir de la misère

Je choisis la clarté comme seule lumière

blanc tissu du poème

et seule joie d’avoir été

 

Je n’entends plus vos hypothèses

Je me rends sourd pour être clair

 

N’entrez plus dans ma maison

si ce n’est pour partager le pain

car nous n’avons plus que cela en commun

le pain que le travail nous donne

 

Passez votre chemin

à moins que la nuit vous inspire

elle qui ne connaît du rêve

que ce qu’il ignore de nous

 

L’interrupteur de ma lumière

est toujours éclairé

Voyez cette lueur vert pâle

C’est lui c’est mon signe

que vous pouvez entrer

si vous avez compris

 

*

 

Le bouclier

 

Il n’y a pas de poésie sans poésie

C’est tout ce que je sais

et vous n’y pouvez rien

 

Vos armes agissent dans la nuit

On ne voit pas vos morts

signes de victoire

et promesses de futur

 

Seules vos armes s’entendent

et le cri de vos victimes

pauvres lecteurs qui ne demandaient pas

à mourir en pleine jeunesse

 

Ce sang qui passe sous ma porte

sera votre seule présence chez moi

J’y trempe ma plume pour vous dire

que ma fenêtre n’est pas faite pour les charlatans

qui privent de lumière

ceux qu’ils destinent à la mort atroce

réservées aux crédules et aux idiots

 

Voici mon bouclier magique

ce n’est qu’une métaphore

et elle vaut ce qu’elle vaut

mais ne vaudrait-elle rien

que jamais je ne vous ouvrirai la porte

ni à vous ni à vos victimes

perdues de toute façon

parce qu’elles m’ont d’abord tourné le dos

 

*

 

Histoire de la vie

 

Je suis le vent qui vient de la mer

porteur d’autres raisons de s’aimer

Mouillé d’écume et de sel baigné

je ne viens jamais les mains vides

 

et si je reviens parce que je suis déjà venu

c’est toujours à l’heure de rêver

ou de se souvenir de ce qui n’est plus

Vent de la mer aime la raison

 

Je suis comme le Poème

qui ne rime plus

Il ne manque rien à ma beauté

pas même la ponctuation

que l’air signe

mais tu ne sais plus si je mens

ou si je rime malgré tout

 

Toutes les fenêtres portent ma trace

Ce goût de sable venu d’ailleurs

d’un ailleurs qui t’appartient

si tu me crois enfin

 

Je suis aussi la mer

mais c’est une autre histoire

l’histoire de toute une vie

 

*

 

Ors du temps

 

Notre drapeau est plus que tricolore

ô républicains inattentifs

car le blanc est la somme

de toutes les couleurs

 

Et s’il est l’absence

de toute couleur

alors notre drapeau

a la couleur de l’acier

qu’on trempe dans le sang

si le bleue st la couleur de l’acier

au lieu d’être celle du ciel

qui appartient à tout le monde

 

J’y songeais en entendant le clairon

nous redire que la terre sans la mort

n’est plus celle des hommes

 

Un chant est alors monté

au-dessus de ces têtes

qui ne pensaient plus

pour penser

mais pour se souvenir

 

Les ors de la pierre

ne savent rien de la couleur

pas plus que le noir de nos âmes

ne sait pas plus que le blanc

s’il est négation de la couleur

ou toutes les couleurs d’un seul regard

 

*

 

Saisons de la Poésie

 

Le printemps te revoit

et tu ne le remarques toujours pas

On dirait que tu ne sais pas

que le temps passe

 

Cet hiver je t’ai parlé de la mort

mais tu ne m’as pas écouté

Tu préfères la musique des Dieux

et ses arias incompréhensibles

 

Quand l’été viendra

je te répèterai les mots

qui ne te disent rien

et tu nageras sans moi

dans les eaux tièdes

de l’oubli et de la certitude

 

Puis l’automne rouillera nos fers

et nous cesserons de nous battre

pour laisser enfin la place

à l’enfant qui est venu

pour ne pas nous laisser seuls

 

Cet hiver je te dirai un mot

de cette mort qui vient

rimer avec mes vers sans rimes

Je ne sais pas si l’année s’achève

avec les fêtes qui la commencent

mais je renouvellerai ma Poésie

sans en changer une seule parole

 

*

 

Les insectes

 

Fruits de l’inconstance

les insectes visitent

votre facilité

 

ô belle après-midi

sous la tonnelle

chargée d’un soleil

harassant

 

les insectes tournent

et retournent dans ma tête

sans que je puisse rien

contre cette fièvre

 

si je suis la dupe

faites briller vos ailes

au cirage de la lumière

du jour

 

et si je suis l’oracle

frottez vos pattes

sur le tapis de la nuit

qui commence

 

*

 

Des moutons et des bergères (ou le contraire)

 

La poésie des bergères manque de berger

aujourd’hui

Bergère dans la voix

ou fileuse de mauvais coton

l’une et l’autre se trouvent seules

assise sur une veille souche

toujours aussi belle

et prometteuse mais

seules comme des mortes

 

De ma fenêtre je les vois

et bien que je sois poète

je ne sors pas pour éprouver

le fil de ma poésie

au cuir de leurs oreilles

exercées depuis longtemps

 

Ce n’est pas que je fuie l’amour

Au contraire je le poursuis

Mais ces bergères sans moutons

sont aussi sans pitié

dès qu’il s’agit d’elles

et de leur influence

sur l’inspiration des poètes

 

Pourquoi ne pas préférer

l’ouvrière qui descend

de sa petite auto

et qui d’un air complice

m’invite à prendre un pot

 

À moins que la bourgeoise

qui fait ses courses

ait aussi bien compris

que je veux être moderne

et que je ne suis pas un mouton

 

*

 

Ni facile ni difficile

 

Ah ce qu’on s’ennuie avec les poètes

qui ne savent pas ce qu’ils disent

et qui le disent parce qu’ils n’ont

rien d’autre à dire

 

Notre belle langue se passe d’eux

et c’est heureux

parce que la frontière est mince

entre la grossièreté

et la vulgarité

 

Le contraire n’est pas plus poétique

 

Les finesses et les préciosités

n’emportent pas la langue

au septième ciel

c’est le moins qu’on puisse dire

 

Et entre ces extrêmes

il n’y a rien à glaner

Ce n’est pas que j’ai essayé

mais il ne faut être grand clerc

pour le deviner

 

C’est ailleurs que la Poésie

exerce le génie de la Langue

Un ailleurs qu’on ne montre pas du doigt

sauf quand le doigt coupe le dictionnaire

à l’endroit où il prend tout son sens

 

Ce n’est pas difficile la Poésie

Ni à lire ni à écrire

mais encore faut-il mettre le doigt

sur ce qui a quelque importance

 

*

 

Une mauvaise influence

 

Être pris pour un autre

au bout d’un fusil

ou au cœur d’une conversation

ah ce n’est pas la même chose

Monsieur oh non Monsieur

 

Je n’ai jamais su

ce qui était arrivé

au Monsieur

qui me traitait ainsi

de Monsieur

 

Je ne sais toujours pas

si c’est le fusil

ou la médisance

de ses semblables

qui l’ont jeté

dans un pareil embarras

 

Je ne l’ai pas revu

mais je me revois

au moment où il allait

me dire ce qu’il en était

du fusil

ou de la conversation

 

Et c’est le moment

qu’a choisi sa femme

pour parler d’autre chose

 

*

 

La différence

 

Quelle différence

entre la femme

et l’enfant

 

Je me posais

cette question

sans y répondre

quand on me dit

que j’étais un enfant

 

ma sœur subit

le même sort

un an plus tard

car elle était

ma cadette

d’un an

 

On lui dit alors

tu es une femme

ce qui fait

la différence

 

Elle la femme

et moi l’enfant

âgé d’un an de plus

nous ne posâmes

jamais

la question

qui nous brûlait

les lèvres

 

Quelle différence

entre la femme

que je suis

et l’enfant

que tu n’es plus

 

*

 

Écrire un poème

 

Pour écrire un poème

n’écrivez pas un poème

Faites autre chose

Pensez à autre chose

 

Regardez le ciel

pour penser à autre chose

Ou signez une lettre

pour faire autre chose

 

Car le poème

est cette autre chose

Ni ciel ni lettre

c’est pourtant là

que s’écrit le poème

 

*

 

Chose de poète

 

Je ne suis jamais devenu

J’ai toujours été

en tous cas depuis que je suis

 

Et je ne mourrai pas

car si je devais mourir

je n’existerai pas

 

Dès qu’une chose

la moindre chose

prend de l’importance

nous nous mettons

à exister

et alors

la mort est la mort

et rien de plus

 

Par exemple

je ne suis pas le seul

à avoir fait exister

le ciel

et ce n’est donc pas

de cette manière

que je ne suis pas mort

 

Cette chose

qui me fait exister

est en toi

 

Alors je te prie

de ne pas mourir

et de me laisser le temps

de tout dire d’elle

pendant que je t’ai

sous la main

 

*

 

L’enfant de la Poésie

 

Nous ne sommes rien

si nous sommes tout

Pas plus que ce fruit

qui est tout l’arbre

n’est ce qui manque à l’arbre

pour tout expliquer

 

L’enfant que tu me donnes

n’a pas plus de sens

mais quelle joie de savoir

qu’il est de moi

et que je suis en lui

comme je suis entré en toi

 

Que demander à la Poésie

sinon que nous soyons

l’un pour l’autre l’enfant

et pour lui le mystère

de sa future alliance

 

Ce matin j’ai écrit

ces mots pendant

que tu dormais encore

 

Ce soir je les relis

comme si la nuit

n’allait pas encore

se remplir de tes rêves

et me vider de moi-même

 

*

 

Origine de la Poésie

 

Nous la terre et eux la langue

il n’y a pas d’autres moyens

de devenir leur poète

 

Car que signifierait un poète

qui ne fût pas le leur

 

Et que serait la terre

s’ils manquaient de poètes

comme il arrive avec l’eau

ou les idées

à certaines époques

 

Il n’y a pas de poètes en Enfer

Ceux qui en reviennent en témoignent

Leurs blessures ou leur mort

témoignent que l’Enfer

n’inspire pas les vrais poètes

 

Ils sont la langue de la Poésie

Ils connaissent l’Enfer

et les faux poètes

Reconnaissons-les pour maîtres

et donnons-leur le silence

car ils ne savent pas ce que c’est

 

Nous la terre et eux la langue

sur le même chemin et dans le même temps

ce qu’ils chantent nous l’avons écrit pour eux

 

*

 

Laudanum

 

L’eau apaise la soif

La chair apaise la chair

La mort apaise la douleur

Qu’apaise donc la Poésie

 

Il faut commencer par l’enfant

le contraire de la mort

 

Il ne voulait que chanter

pour être différent des autres

sans cesser de leur plaire

 

L’innocence n’a pas d’autre place

dans ce monde mal fait pour elle

 

Il faut continuer avec ce que l’enfant devient

mort ou vivant

 

C’est savoir beaucoup

que de savoir

qu’on est vivant

et que la mort n’est qu’un acte

 

Comment cette existence

pourrait-elle apaiser l’existence

 

Ne penses-tu pas alors à la Poésie

 

Certes la mort apaise vraiment la douleur

mais la Poésie n’est-elle pas cette même douleur

mais sans la mort

 

Je ne sais pas ce que c’est de mourir

mais je sais ce que peut la Poésie

Elle apaise la mort

Elle seule peut apaiser la mort

et ce n’est pas rien

 

*

 

Fil du temps et des couleurs

 

Doux pétales que le vent caresse

d’où tenez-vous le tremblement

de vos couleurs

 

Le peintre peint les couleurs

Le poète parle aux pétales

et le vent lui répond

précis comme une couleur

 

Dans le ciel vous traversez

l’infinité de la couleur

du blanc au noir vous existez

et le vent me le dit

 

Ces mots doivent enchanter

Je ne connais pas de chanson

qui ne s’y ressource pas

 

Ces mots que l’enfant cherchait

sans en trouver le sens

ces mots revenaient pour le hanter

et il croyait au vent

 

Fabuleux pétales d’insectes

ou tranquilles ailes de la fleur

dans vos draps couleur chair

et couleur de nos printemps

j’ai filé comme le vent

au fil de vos histoires

 

*

 

Histoire de l’homme

 

Soudain l’orage crève le ciel

ouvre les torrents du printemps

brise les tabous de la lumière

ne reconnaît plus les siens

 

et le monde semble s’écrouler

sur le toit de ma maison

 

Un volet grince dans ses fers

la cheminée respire comme un homme

une tuile fend une autre tuile

et le monde semble parler

à la place de l’homme

 

Cet homme court sous la pluie

tenant son chapeau à deux mains

son parapluie ne lui sert plus

qu’à fendre l’air électrique

 

Si vite et si imprévisible l’orage pèse

de tout son poids sur les épaules

de cet homme qui se bat pour arriver

avant la foudre qui aime la mort

 

J’ouvre la porte sans la lâcher

Derrière moi la cuisine s’anime

L’homme arrive et entre chez moi

et son chapeau est emporté tant pis

 

Tant pis pour le chapeau me dit-il en souriant

Les chapeaux ne peuvent rien contre la foudre

Et tandis qu’il disait cela en souriant

la foudre a embrasé le meilleur de mes cerisiers

 

J’en ai pleuré toute la nuit

L’homme dormait lui

Il ne pleurait pas

Rien n’avait d’importance pour lui

que son sommeil

et ce qu’il y cachait

 

*

 

Limite du voyage poétique

 

Monde de technologie et de misère

de trottoirs éclairés et de campagnes grises

Monde de fous et de savants

Monde sur terre et loin d’ici

 

Comment ne pas craindre le pire

 

S’il s’agit seulement de mourir mourons

 

Mais s’il s’agit de disparaître

alors la question de ce gouffre se pose

 

Je peux parler de moi toute la nuit

et de toi toute la sainte journée

Même les autres méritent ce silence

 

Mais le monde où va-t-il

 

Dans quel abîme trouvera-t-il sa fin

et que restera-t-il de cette fin

 

Mes chemins en travers des champs

pas plus que mes trottoirs aux vitrines

colporteuses des dessous du désir

ne m’inspire la moindre idée à ce sujet

 

C’est qu’à cet endroit de nulle part

il n’y a plus de Poésie qui tienne

 

*

 

Simple comme un bonjour

 

Pourtant la Poésie est à fleur des lèvres

On l’entend alors qu’elle n’existe pas encore

Tout le monde sait le faire

Entendre ce qui ne dit rien pour l’instant

 

Attendre Entendre la différence est infime

et c’est ce que nous faisons

quand nous ne faisons rien

 

Et quand nous faisons quelque chose

quelque chose d’autre

nous perdons la Poésie

pour gagner du temps

 

C’est aussi simple

 

Rien à voir avec ces complications inutiles

que les nouveaux trouvères imposent

à nos spectacles quotidiens

parce qu’ils se trompent de poésie

 

Attendre d’entendre

ou

entendre à force d’attendre

je ne vois vraiment pas

ce qu’on peut attendre de plus

ni ce qu’on peut entendre d’autre par Poésie

 

*

 

Relativité restreinte

 

Tu ne sais plus ce que tu dis

Tu as perdu le silence

dans les bruits de ta ville

 

Un éclat de lumière

sur la vitre d’une boutique

vaut-il une touche de soleil

sur l’écorce d’un arbre

 

Et que dirais-tu de la Lune

ou plus loin de Saturne

 

Sur le trottoir

tu ne connais personne

et personne ne sait

que tu existes

 

Mais que sais-tu toi-même

de ce reflet sans yeux

 

Les trottoirs ne sont pas des chemins

On s’en sert pour aller et revenir

On ne s’y arrête que pour demander

 

Chez toi les chemins se croisent

Chaque reflet est un reflet

et non pas un effet d’optique

 

Mais que dirais-tu de la Lune

ou plus loin de Saturne

 

*

 

Un et zéro zéro

 

Nous ne savons pas ce que nous savons

Spécialistes de la réalité

nous ne sommes rien l’un sans l’autre

 

Mais qui es-tu toi qui me lis

Quelle est cette voix qui m’appelle

 

Qui suis-je moi qui écris

Quelle est cette voix qui m’inspire

 

Mais nous nous rencontrons ailleurs

et souvent il est trop tard

 

Est-il arrivé une seule fois

que l’heure soit l’heure

 

Autant que je me souvienne

j’étais seul et je le savais

 

La Poésie n’est-elle pas cet espoir

J’imagine que je n’attends pas pour rien

que si je vis assez longtemps

je finirai par te rencontrer

et savoir enfin ce que je sais

 

*

 

ÉTÉ

 

Drôle de cadeau

 

Voici la couleur que je te donne

ce ne sera qu’une idée

Je n’ai rien à te donner en ce moment

Une couleur m’a semblé utile

 

Tu en feras ce que bon te semble

On fait toujours quelque chose avec une couleur

Ce ne sont pas les couleurs qui manquent

mais en avoir une à soi ce doit être utile

 

Ou alors tu n’en feras rien

Tu la poseras n’importe où

et elle en prendra la couleur

 

*

 

Fruits amers

 

Souvent

dans ces siècles qui nous ont construits

le poète a chanté avec les oiseaux

du matin

et les mots sont devenus oiseaux des arbres

ou oiseaux de passage

et même on a connu des oiseaux en cage

 

C’est la nature qui revient

elle nous colle à la peau

à la campagne ou sur la plage

nous sommes des oiseaux mécaniques

mais l’air nous frotte les ailes

et nous nous envolons avec lui

 

Dans les vagues tu n’as pas l’air d’un poisson

et je ne suis pas le coquillage couché sur le sable

 

Au soir nous promenons nos regards

de visage en visage vu de profil

passants qui nous ressemblent

des petites filles jouent au petit garçon

et des petits garçons se prennent pour des filles

 

Puis la nuit installe ses noirs

et nous nous revoyons dans le lit

ailes blessées au contact des réalités de ce monde

le bec un peu salivant des mots

mots depuis toujours chantés

en cage ou dans les airs

ou ici sur la branche de l’arbre Humanité

dont nous ne sommes pas les fruits hélas

 

*

 

Gouttes de vent

 

Comme le poème est rebelle

à toute idée de poème

 

J’en ai tracé une ligne ce matin

d’un bout à l’autre de toi-même

et le vent a ouvert la fenêtre

 

Tu sembles apprécier ce mouvement de rideau

mais ce n’est pas de la poésie

 

Laisse dis-tu entrer la mer

par cette ouverture

 

L’air est saisissant de sel

et d’écailles

 

Non ce n’est pas un poème

C’est une lettre que je t’écris

pour que tu saches

pour que tu n’oublies pas que je sais

 

On aimerait que les embruns

montent plus haut que les mouettes

mais hélas le ciel n’est pas conçu

pour les gouttes de mer

 

Et c’est la pluie qui revient

mouillant le rideau

celui dont je t’ai dit

qu’il manque de poésie

et que les mots que tu lui donnes

ne sont pas les gouttes de pluie

qui harassent les mouettes

 

*

 

Si loin de toi

 

Ô lointaine patrie de mes mots

inaccessible terre de ma langue

sang que je n’ai pas versé

mais que je reconnais

je ne sais plus si je chante

ou si tout ceci n’est que langage

 

Je ne suis pas seul dans la nuit

Mes pas ne sont pas les miens

Le mur que nous touchons

hôtel de nos angoisses

porte les traces d’un long combat

contre les forces de l’ignominie

 

Qui est cet être qui m’accompagne

et me parle comme si je l’aimais

 

Sa peau est douce et ses mains tranquilles

 

Ô impossible patrie du poème

le sang versé n’est pas versé

la mort n’a pas voulu de cette offrande

 

La nuit est mon jour

et le jour est mon rêve

Je ne possède rien d’autre dans ce paradis

du jour rêvé

ou du rêve qu’un jour

je ne sais plus

je ne sais plus

 

Je n’ai que mes yeux pour toucher l’horizon

 

*

 

Séductions

 

Vieilles carcasses pourrissant

entre le sable et les rochers

 

Sommes-nous bien ici

 

Tu arraches des coquillages à ce bois

 

Je te suis

 

Une cavité aime nos conversations

Ne nous privons pas d’exister

 

Cartes postales de l’horizon

 

Plus loin nage une beauté nue

et c’est ta bouche qui me le dit

 

Nous n’irons pas plus loin que le quai

Nous monterons lentement l’escalier

et nous entrerons dans ce restaurant

où tu plais au garçon

c’est le moins qu’on puisse dire

 

*

 

L’ordre

 

La poésie habite chez moi

Elle est la terre que je connais

comme je sais que tu existes

 

Renaissons ensemble

si j’existe moi aussi

 

Tes mots entreront chez moi

comme des voisins

depuis longtemps appréciés

pour leur complicité

en matière de vision

 

Peu importe si je ne te comprends pas

Je sais ce que je sais

Sans toi je perdrais mon indépendance

 

Alors à qui le refrain

à qui le couplet

Qui commencera ce partage

de la poésie

 

Je voudrais être celui-là

mais tu es arrivée la première

et je te dois d’être le second

 

*

 

Deux nageurs

 

Voici l’été chapeau de paille

et bouts de tissu sur la peau

Voici le soleil et ses fans

et la mer qui pousse les oiseaux

dans nos serviettes

 

Fillette pressée d’en finir

avec les jeux

un seau de plastique fend l’air

et se répand sous le parasol

 

Comme tu sais lui parler

et comme tes doigts savent caresser

ces cheveux que le sel emmêle

 

Voici l’été pelle et râteau

Ces traces parallèles dans le sable

sont le signe que tout est fini

avant même d’avoir commencé

 

Voici l’été bouée poussée par le vent

tandis qu’un nageur fou la poursuit

et que tu lui conseilles la prudence

 

Fillette ravie par le vent

qui jette à l’eau

son beau chapeau

de paille

à la baille

 

Un deuxième nageur

disparaît sous les flots

 

*

 

La seule douleur

 

Nous ne volons pas comme les oiseaux

Ce serait trop facile

 

Nous sommes des voleurs

C’est plus difficile

 

Le ciel n’appartient pas à l’oiseau

Son voyage est à refaire

et il ne s’en lasse pas

 

Le voleur ne possèdera jamais le ciel

Ce n’est pas ce qu’il veut

Posséder oui

mais pas le ciel

 

Voleur ou oiseau

avons-nous le choix

nous qui avons été enfants

nous qui avons aimé avant d’être aimés

nous qui nous reconnaissons

dans le miroir des autres

 

Ciel et quoi d’autre

si c’est dans un miroir

 

Nous finissons par briser ce reflet

Qui en souffre

sinon le reflet

 

*

 

Jeu d’enfant

 

Va chercher petit chien bête et inutile

cours après la balle

qui appartient à cette petite fille

qui deviendra grande

 

Ne mouille pas tes pattes

et ne ramène pas du sable

à la maison

mes tapis ne sont pas faits pour les chiens

 

Et ne joue plus

avec cette petite fille

qui est plus grande que tu dis

Elle aussi mouille ses pieds

 

Je n’aime pas l’eau de vos jeux

petites créatures de mon imagination

L’eau ne lave rien

Elle a trop vécu

 

Et où donc a-t-elle vécu

sinon partout

cet ailleurs à imaginer

sans mettre les pieds dans l’eau

 

Va chercher le petit chien fou

cours après ce jouet imprévisible

Tu as encore le temps

d’en penser quelque chose

 

*

 

Ce que dit le poète à propos de femmes

 

Le poète dit et ne dit pas

C’est comme ça qu’on l’aime

ou qu’on ne l’aime pas

 

As-tu supporté sa dernière trouvaille

 

Le voici qui te sert

négligeant le contenu

mais c’est sur un plateau

alors tu te gondoles

et ta peau s’expose au soleil

 

Ne sais-tu pas qu’il sait

 

Ses boissons coulent entre tes seins

Est-ce ainsi qu’on donne du sens

à ce qui n’en a peut-être pas

Et tu t’étires

blancs des mains et des pieds

aux extrêmes de ta position sociale

 

Qu’a-t-il dit à la fin

 

Il m’a trouvée pas mal

mais les mots lui manquaient

alors il a cessé

de butiner mon lait

et a jeté son dévolu

sur un garçon de son âge

 

Le poète dit et ne dit pas

C’est comme ça qu’on l’aime

ou qu’on ne l’aime pas

 

*

 

Feu de paille

 

Été de feu de paille

chaque jour tu t’ennuies un peu plus

Tout cela finira mal

comme si le printemps

n’avait jamais existé

 

Été de conclusions

un verre dans la main

et le rêve en pointillé

comme la couture

le long du bras

 

L’été je m’ennuie

si le temps passe

comme avant

et s’il menace de passer

après tout le reste

 

Ô balcon de mes attentes

Dans la piscine des corps se frottent

Comme ce bleu m’ennuie

et comme le rose de tes dents

est signe d’attente

 

Été de silences noirs

Un néon brise des verres

à l’oblique d’un comptoir

 

Il n’y a pas de substance sans sommeil

ni d’esprit sans retour à la réalité

 

*

 

Solitude passagère

 

Je ne suis pas chez moi ici

Je n’y ai pas mes commodités

Ce papier m’appartient

Cette encre aussi

mais ces murs

ce soleil vertical

ces boissons de poisson

ces robes entrouvertes

la musique qui ne pense qu’à la danse

le vertige cher payé

cette mer qui ne bouge pas

non je ne suis pas ici chez moi

et je ne vais pas tarder à m’ennuyer

 

Ce n’est pas une menace

Je ne t’écris pas pour ça

J’écris parce que je m’ennuie

Parce que je ne sais pas où aller

pour t’oublier une bonne fois pour toutes

 

J’écris avec mon encre

sur mon papier à moi

mais je n’écris rien qui vaille

face à ce monde qui me fuit

ces passants qui n’existent qu’une seconde

la seconde d’inattention

que je leur consacre

parce que je m’ennuie

de toi de tout ce qui n’est pas toi

 

Ennui de pluie

de gouttes de ton sang

de chair tétanisée

à l’approche de l’été

de cet été que tu n’aimes pas

parce que je m’y ennuie sans toi

 

*

 

Feu rouge

 

Le soleil ne m’inspire pas comme la pluie

Aux embruns salés de la tempête

je préfère l’acidité des gouttes du printemps

et ce vent ce vent qui m’apporte de tes nouvelles

 

C’est par quarante degrés à l’ombre que je te revois

subissant les assauts de l’averse sous les arbres

parce que ton petit parapluie n’est bien qu’en ville

et qu’il vient de perdre sa petite tenue rose bonbon

 

Cette séquence me donne de quoi écrire

Pourquoi m’en plaindrais-je dis-je à la serveuse

qui se sert de son popotin comme d’un feu rouge

et qui règle la circulation sans un mot de trop

 

Ce soir le soleil est tombé comme un verre

Je l’ai entendu se briser sur la nappe verte

mais dans le noir je ne l’ai pas retrouvé

et la serveuse a accepté de coucher avec moi

 

*

 

Confusion estivale

 

L’amour inattendu ne se fait pas attendre

Les habits volent dans l’air saturé d’insectes

Nous sommes nus sans nous voir

mais de près l’effet est saisissant

 

Qui est cette femme qui s’en va

Où va-t-elle si elle ne revient plus

Je ne me suis pas même posé

la question de l’âge

 

La nuit continuera sans toi

belle inconnue sans âge déterminé

Au moins suis-je certain

que tu étais une femme

ce que tu n’es peut-être plus

si tu as changé de visage

à la demande d’un autre désir

 

Ainsi l’été se passe

et se passant il revient

toujours à la même place

 

*

 

Faute du vent

 

Croissant de lune à l’orientale

Blanc d’argent sur fond de nuit

On dirait que tu pleures

mais c’est ton maquillage

qui goutte sous l’effet

d’un bonheur de passage

 

Ta main est chaude dans la mienne

Je n’aime pas la sueur des filles

mais la guitare a aussi son charme

Moi qui n’aime que les tambours en amour

 

Dans les draps tu ne prends pas une ride

Tes cheveux font la poussière

Tu sais jouer à tous les jeux

On voit que tu as de l’expérience

 

Non je n’allumerai pas même pour t’embêter

La seule lumière est une lueur

qui se reflète dans tes yeux

et je sais que c’est le carreau brisé

 

Le vent en est la cause

Ce matin il s’est levé avant moi

et comme je comptais les carreaux

il en a cassé un pour te faire plaisir

 

*

 

Elle et ses chats

 

Nous avons regardé le chat qui se léchait

en haut du mur d’où sortent les fumées

de la cuisine et toutes autres sortes

de fumées que nous aimons aussi regarder

 

Le chat dans la fumée nous regarde aussi

Tu le trouves beau parce qu’il est beau

En voilà une explication dans ton style

de fillette prise au piège de sa raison

 

Il miaule aussi de temps en temps

et fait des enfants aux chattes

ce qui lui impose aussi de jouer

et de donner des leçons de choses

 

Toutes choses que je passe à l’as

parce que c’est l’été

et que je n’ai pas rêvé de toi

comme tu n’en rêves pas non plus

 

Reprenons la position du début

au moment où le peintre saisissait

ta petite grimace d’amour

celle que tu réserves à tes chats

 

*

 

Ce que promettent les yeux

 

À quel moment oublie-t-on

Quel est ce moment inaperçu

imprévisible

qui met fin au souvenir

celui qui persistait

mais qui avait perdu son charme

 

Car c’est exactement ce que tu as perdu

ton charme

celui qui tenait non pas à ta beauté

mais à ton élégance

l’élégance de l’âge

doigts fins de l’expérience

 

Ne plus se souvenir de toi est un rêve

La nuit porte conseil dit-on

En tous cas elle n’est pas repartie

sans cette trace de toi

petits pas sur les tapis de ma conscience

 

À midi je te mange des yeux

Tes mains sont posées tes genoux

Les doigts tambourinent

en attente

Nous attendons d’être servis

et tu as déjà fait savoir

que tu as perdu patience

ce qui double l’impatience

tu devrais le savoir

 

Derrière la grille un visage me sourit

Je perdrais aussi du temps avec lui

La promesse est dans mon regard

On ne peut pas la rater

 

*

 

La mer, la mer

 

Je suis déjà passé par là

Je ne t’en dis rien

Tu n’aimes pas mes souvenirs

Même l’enfant t’agace

 

Qu’avons-nous trouvé ensemble

à part le coquillage du salon

gros coquillage pour l’oreille

Les nouveaux sont invités

à entendre patiemment

ce que tu sais de la mer

 

Ces pas ressemblent à d’autres

Le long du parapet les mêmes pas

Pieds nus qui reviennent du sable

et se frottent sur les miens

 

Cet enfant qui n’est pas le mien

me ressemble

sans doute parce que c’est un enfant

et que c’est le tien

 

Je l’ai trouvé sans toi

comme tu as trouvé le coquillage

et je m’en sers des fois

pour abreuver les nouveaux invités

des détails de ma vie amoureuse

ceux qui te font défaut

 

Oui je suis déjà passé par là

Je pourrais t’en parler

Nous nous arrêterions un instant

pour en retrouver ensemble

la trace et ce qu’elle inspire

 

*

 

Les roissons pouges

 

Les petits poissons ne sont pas rouges

Les petites mains ne sont pas des mains

Je croque des pommes d’amour

et je m’invente un passé de rêve

 

On ne boit pas l’eau des flaques

surtout que celle-ci est salée

Avec le sucre caramélisé

l’amour est une sacrée galère

 

Les petits poissons ça se nourrit

Ça ne vit pas d’amour et d’eau fraîche

Pour l’amour je comprends

mais l’eau fraîche reste fraîche

 

Le bocal est comme un verre en verre

Si tu le casses il est cassé cassé

On ne t’en achètera pas un autre

et tant pis pour les petits poissons

 

*

 

Rêve d’amour

 

Jour de pluie

non

c’est le robinet de la piscine

qui arrose les gens

et ma fenêtre

 

J’ai juste le temps

de la fermer

le rideau est mouillé

mais tu ne t’es pas réveillée

 

J’ai tellement peur

de te réveiller

Briser tes rêves

n’est pas mon style

 

La pluie continue

de frapper le carreau

par intermittences

et par intermittences aussi

les enfants jouent

avec le tuyau

 

Tu ne parleras pas

de ton rêve

et pourtant

tu l’auras vécu jusqu’au bout

 

*

 

Sans les yeux

 

Et si la Poésie n’était pas de la poésie

Si c’était autre chose de moins poétique

ou de carrément pas poétique du tout

Tu dirais quoi si c’était ça et pas autre chose

 

Tu ne dirais rien parce que tu ne parles jamais

de ce qui ne peut pas se dire autrement

 

Je te connais comme si je t’avais fait

 

Et te voilà un jour de plus

assis dans l’ombre loin du soleil

les yeux ouverts mais sans regarder

les mains agitées par la fièvre

 

Tu ne te poses pas les bonnes questions

On te l’a déjà dit tu n’es pas sur le bon chemin

 

Même les poissons savent ce que c’est un poisson

mais toi tu te contentes de ne pas regarder

pour voir si ça peut exister sans les yeux

 

*

 

Dialogue de muets

 

— Ici les statues sont comme les gens

Je ne les connais pas

Celle du port par exemple

en face du café

où l’on sert des tartines

de pain chargées de confiture

Tu sais qui c’est

 

— Non je ne sais pas

et les tartines de confiture

sont excellentes et j’en reprendrais

bien une autre ou même deux

 

— Moi ça m’embête de ne pas savoir

mais bien sûr toi t’en fous

pourvu que tu aies ton café

et tes tartines de confiture

qui font envie aux petites filles

 

— Des petites filles je n’en vois pas

Des petits garçons non plus

mais quand j’étais petit

j’en voyais tous les jours

et ça ne me faisait rien

 

— Quand tu étais petit

tu te damnais pour les tartines de confiture

pas pour les petites filles

ni pour les petits garçons

 

— Tu te trompes d’enfer ma chérie

C’est chaque fois pareil

Je t’amène au Paradis à grands frais

et tu trouves plus cher pour me compliquer la vie

 

*

 

Le cercle privé

 

Changer de sujet ne change rien

Nous revenons aux premiers temps

et les détails ont beau changer d’apparence

ce qui arrive devait arriver et c’est tout

 

Ainsi cette retrouvaille tout à l’heure

Nous étions sous le parasol

Tu grillais joyeusement en surface

et j’observais les effets de la mort

sur tes plis et les replis de ta peau

 

Je ne reconnaissais plus tes cris

quand tu t’es mise à crier

qu’il était temps que je me réveille

parce que le passé revenait nous visiter

 

Nous avons tous poussé des cris

Des cris de reconnaissance joyeux et clairs

avec une petite touche d’obscurité ici ou là

parce qu’il ne faut pas se cacher toute la vérité

 

Nous avons bien ri d’être encore capables

de nous souvenirs de toutes ces choses

avec autant de précisions

et immanquablement

il a fallu que tu parles de la poésie

que j’écris

et de celle que tu voudrais que j’écrivisse

 

Changer de sujet ne change rien

Ce n’est pas que nous tournons en rond

mais c’est comme si le cercle était rompu

et sa circonférence étalée au grand jour

pour former la ligne droite

de notre existence d’amoureux

fatigués l’un de l’autre

 

L’avantage de cette métaphore

(la circonférence étalée)

c’est qu’avec elle on voit bien

comment ça commence

et où ça finit

Je te remercie de m’y avoir fait penser

 

*

 

Demander

 

Que de poésie quand il n’y a plus de poésie

Ce n’est pas le silence ni ce qu’on entend alors

La Poésie revient à ce qu’elle va être

et cette attente est le meilleur de la Poésie

 

Ce n’est pas le néant ni même la mort

On n’entend pas parler de Dieu quand

la Poésie vient de s’absenter le temps

de revenir pour changer un détail

 

De poème en poème un détail a changé

et je ne te demande que de t’en apercevoir

Ce n’est pas trop demander que de demander

ce qu’on ne demande à personne d’autre

 

*

 

Coquille vide

 

Comment chanter le charme d’un coquillage

dont tu viens de manger l’habitant

Je ne te fais peut-être pas rire

mais c’est ce que je pense de toi

 

Le vin me rend facile comme ta bouche

Ma langue y trouve de quoi

reprendre la conversation

où nous l’avons laissée

quand il n’a plus été question de moi

et de mes petites intrusions

dans le domaine de la satisfaction

 

Il était déjà mort dis-tu

Comment imaginer le contraire

Tes dents broient la vie comme un fruit

Fruit mort arraché à un arbre

dont je suis peut-être la terre

 

Je dis peut-être

parce que je ne suis plus sûr de rien

Ce coquillage vide me fait penser

que je n’habite plus chez toi

et que tu viens de sortir sans moi

 

*

 

Bonheur à deux

 

C’est le bonheur des autres qui t’appartient

Je ne le dis pas assez et tu reviens

Moi aussi je reviens de loin

mais je n’en parle pas

Je te laisse vivre

Je n’attends pas de mourir

Je ne cherche rien

dans le bonheur des autres

 

Je rencontre et je reviens

Tu ne sauras jamais rien

de ce qui m’est arrivé

tandis que je sais tout

de ce qui ne t’est pas arrivé

 

Nous sommes faits l’un pour l’autre

 

*

 

Joie joie

 

Joie de l’été

à part le corps

et encore le corps

non je ne vois pas

ce que vous voulez dire

 

oui oui je suis heureux

de vous avoir rencontrée

surtout avec ce soleil

qui vous donne un air

un air un air de soleil

 

non je ne pense pas à la lune

à la lune ce soir

la lune lune

avec sa lumière d’argent

l’argent qui manque au soleil

s’il est d’or comme vous dites

poétiquement

 

oui j’aime ce paysage

ses hommes au travail

ses femmes en chemise

et les enfants qui jouent

à ne pas jouer

ici c’est l’hiver qu’on joue

 

Quelle joie oui

vous et le soleil

le paysage et vos mains

ce soir la lune non

pas la lune déjà

il faut prendre le temps

sinon il n’y a plus le temps

et Dieu sait ce qui peut se passer

si on vient à en manquer

 

*

 

Temple de l’amour

 

Poème de jour

contre un poème de nuit

Je troque le silence

pour un peu de bruit

 

Avez-vous pensé

à l’eau de mon bain

Le vin de la nuit

j’y pense j’y pense

 

Pas de jour sans nuit

et pas de nuit sans toi

Pas de soleil sans lune

et pas de moi sans toi

 

J’y ai pensé

et j’y pense encore

comment ne pas pensé

ce qui a été dit

 

Je l’ai dit le jour

et redit la nuit

on voit que

tu m’as écouté

 

On voit toutes ces choses

au matin

quand tu étires

ta colonne de marbre

 

*

 

Chaise musicale

 

Je ne sais rien sans souvenir

Les feuilles de l’été exigent

un effort particulier pour être

enlevées à l’arbre ensoleillé

 

Les fruits ruissèlent sur toi

Nous aimons cette fête

et nous ne nous privons jamais

d’en sortir plus vivants encore

 

Sans souvenir je ne sais rien

Je ne mesure pas l’importance

de l’été dans tes cheveux

poignée de bruits qui courent

 

Nous finirons par ne plus savoir

Les fruits de l’été sans soleil

n’expliqueront rien de toi

pas même cet instant de poésie

 

La place manque pour revivre

 

*

 

Fleur de l’âge

 

Non ce n’est pas ma petite fille

C’est ma petite amoureuse

Hier elle m’a offert un ballon

un ballon plein de couleurs

avec un trou dedans

trou caché par sa main

elle ne le lâchait pas

 

Aujourd’hui elle m’apporte des fruits

et mange le premier

parce que celui-là

elle l’aime trop pour le donner

avant de le manger

 

Demain nous irons au bois

Nous mangerons sur l’herbe toi et moi

pendant qu’elle cueillera les fleurs

qui lui plaisent le plus

et que ma conversation te renseignera

sur mes préférences sexuelles

 

*

 

Les mouches

 

La voilà qui revient

les bras chargés des bonbons collants

que je vais devoir peler de leur papier

sinon elle fera un caprice

et on me prendra pour son amoureux

 

Ces jeux parallèles m’ennuient

Tu ne peux pas savoir à quel point

je m’ennuie de toi

et comme j’ai envie de l’ennuyer

elle

 

Les doigts couverts de mouches

je n’amuse personne

On me trouve même dégoûtant

de les sucer ainsi devant une enfant

qui on le voit bien

a besoin de leçons

 

Je suce ses doigts aussi

C’est encore plus dégoûtant

et les mouches s’énervent

avec un bruit de porte qui grince

dans le silence des commentaires

 

Je l’ennuierais bien cependant

mais c’est trop demander à son imagination

 

*

 

Excès de zèle

 

Les gens de l’été sont comme des boutons

mais on ne peut pas les gratter

Il faut dire que je ne suis pas chez moi

Je n’ai rien sous la main

pour calmer cette démangeaison

pas même toi qui attend aussi

mais loin des gens de l’été

que je boutonne en t’attendant

 

Ma chemise est propre comme le vin

Mes poches sont vides comme mon verre

et dans ma tête tout s’est éteint

parce que le lustre est tombé

 

La police a été gentille avec moi

Ils ne m’ont pas jeté de l’eau à la figure

ni demandé ce que je faisais là

seul dans la nuit d’un pot de fleurs

 

J’ai donné mon adresse et ma clé

et je ne sais par quel miracle

j’ai rêvé dans mon lit toute la nuit

 

Mais les miracles sont des miracles

ou alors je n’y ai pas assez cru

car tu n’es pas sortie de mon rêve

J’en ai même fait plusieurs pour voir

mais tu n’as rien voulu savoir

 

Les gens ont recommencé à me gratter

et cette fois je n’ai pas hésité

Je me suis gratté jusqu’au sang

 

*

 

Fleurs à faner

 

Moi aussi j’ai jeté une fleur sur le mort

Le mort n’était plus là

mais on m’a assuré qu’il était mort là

et que je pouvais y jeter ma fleur

 

Je n’ai pas demandé de quoi il était mort

J’aurais demandé pourquoi

et on m’aurait regardé de travers

parce que de mémoire d’homme

on ne meurt pas pourquoi

on meurt comment

Mieux ne pas savoir pourquoi

Comment c’est plus facile à comprendre

 

Je n’ai pas regretté ma fleur

Elle s’est perdue parmi les autres

On ne reconnaît plus les fleurs

quand elles redeviennent fleurs

 

*

 

Paradoxe

 

Si c’est ça la Poésie

je suis poète

et tant pis si ce n’est pas ça

 

— Mais enfin monsieur

si ce n’est pas ça

vous n’êtes pas poète

monsieur

 

Ah pardon

c’est plus poète qu’il faut dire

parce que le temps que j’y ai cru

je l’étais monsieur

 

Et je dirai que moins je l’ai été

et plus je me sens poète

 

Je ne suis pas amateur de paradoxe

de ces paradoxes qui font la poésie

mais pour le coup ah monsieur

plus poète que moi il n’y avait pas

 

Et même si ça remonte à loin

tellement loin que je ne m’en souviens plus

accordez-moi d’être encore

ce que j’ai eu l’honneur d’avoir été

 

*

 

Bouquet de filles

 

Savez-vous pourquoi vous riez

et pourquoi j’en ris moi aussi

Quelqu’un vous a-t-il expliqué

ce phénomène naturel

 

Une pluie de chapeaux s’abattit sur moi

— Mais enfin monsieur vous traversiez

Vous n’avez pas vu le panneau

 

— Non je pensais à autre chose

En vérité je pensais à d’autres filles

en voyant celles qui viennent

de me couvrir de chapeaux

 

— Mais ce n’était pas le but du jeu

Vous arrivez sans avoir vu le panneau

et il faudrait croire à vos chansons

 

— C’est à cause du rire monsieur

Savez-vous pourquoi elles rient

sans savoir pourquoi elles rient

 

Ô ce bouquet de rieuses sans joie

mon regard les cueillait une par une

mais mon bouquet demeurait sans parfum

 

*

 

Premier prix à payer

 

Dans les oubliettes du savoir

et des règles de la reconnaissance

je finirai par m’oublier

oublier même que j’ai connu le bonheur

 

Dit comme ça ce n’est pas clair

et pourtant je sens que je finirai

par être victime du savoir

 

La Poésie ne renseigne pas

Elle n’affine pas la taille non plus

On l’aime ou on ne l’aime pas

mais elle ne sert à rien

surtout en Médecine

qui est la science de la vie

à la conquête de la mort

et de la jeunesse qui est sa consœur

 

Je ne connais pas le travail commun

que la mort et la jeunesse

ont entrepris avec le commencement des temps

et de cette ignorance je me suis longtemps nourri

ce qui est faute de poète

et péché impardonnable de savoir

et de la reconnaissance qui l’accompagne

toujours en grandes pompes

 

Dire que j’ai connu le bonheur

et que je ne peux que le dire

ce qui n’a aucune valeur scientifique

et aucun prix aux yeux du monde

 

*

 

Brasiers

 

L’été brûle comme un feu de joie

Voici le bois que je t’apporte

ô dieu du vent et de la cendre

Ces quelques membres nourriront

l’heure qui vient en attendant

d’autres aventures de l’oubli

 

Fleuve de sens que cette mer

dont j’emprunte les voies

Membre arraché à force d’eau

je me laisse emporter pour oublier

que j’ai rêvé comme les autres

 

J’ai rêvé comme toi passante

Nous étions sur le même fil

Funambules d’un bonheur facile

nous ne nous sommes pas reconnus

 

Voici le bois bon à brûler

Ce qu’il en restera est déjà mort

Ici on ne brûle pas pour brûler

On alimente le feu de la joie

et sa fumée est une façon de parler

pour ne rien dire

pour ne rien dire

 

*

 

Limites du vide

 

Exercice du matinal en forme de nuit

Sur la page blanche je n’écris rien

Je ne me souviens pas de l’écorce

mais l’arbre s’est enraciné dans ma vie

 

Pensums des jours qui se croisent

à la verticale de l’horizon

pas une feuille ne m’est donnée

de cet arbre né de la nuit

 

Cette fois le soleil qui tombe

m’inspire une clameur de mots

mais sans le rêve je ne suis rien

et la nuit revient en force me hanter

 

Voici la nuit et ses surfaces

Tu n’en connais pas d’autres

Le sommeil te surprend toujours

quand tu n’y penses plus

 

Enfin le rêve se donne à vivre

Il entre à pleines mains et ressort

par la faute des mains saisies

elles-mêmes par d’autres sens

 

Formes de nuit je m’y exerce

C’est compliqué mais j’y crois

Si je suis venu pour rien

que ce rien ne soit rien de plus

 

*

 

Un sourire

 

Brûle encore ô soleil d’été

Ton disque fend la mer

de l’horizon à moi

et je me sens trahi

 

Après la route pas de route

Voilà ce que j’ai mis dans ton ventre

À la fenêtre le soleil

rougit les feuillages

et creuse des ombres

 

Nous n’irons pas plus loin

Le temps est circulaire

et nous sommes sa girouette

milieu de nulle part

et centre de tout

ce qui se fait

et se défait

 

Nous ne reviendrons pas non plus

Ce qui est fait est fait

Je ne veux même pas te voir sourire

comme si je me mettais à exister

 

*

 

Poème en forme de lune

 

Je ne me souviens pas d’être venu

dans cet endroit où tu te tais

inexplicablement

 

Une femme à la fenêtre me salue

comme si elle me reconnaissait

Une autre semble m’attendre

dans l’ombre d’un porche

 

Les façades ne ressemblent à rien

de connu

Les rues sont peuplées

de fleurs

mais je ne les ai pas cueillies

 

Qu’es-tu venu chercher ici

 

Je ne demande pas la Lune

J’ouvre des portes

parce qu’elles sont fermées

Tu n’entres nulle part

malgré les sourires

qui t’invitent à sourire

 

Je ne tuerai personne aujourd’hui

J’ai trop tué hier

Je tue tous les jours

depuis que je te connais

 

 

*

 

Cachotteries

 

Je montre

tu montres

nous montrons

nous n’arrêtons pas de montrer

toi et moi

 

Ne pourrait-on pas enfin cacher

une fois cacher

ce qui est déjà caché

mais le cacher cette fois

parce qu’on veut le cacher

 

Nous sortons pour sortir

Tu t’habilles pour t’habiller

et quand tu es nue

c’est pour te montrer

 

Ce n’est pas une manière de s’aimer

 

D’ailleurs je ne te rêve plus

telle que tu es

Dans mes rêves tu caches tout

et je ne cherche rien

Le couple idéal

 

Ce soir par exemple nous sortons

Pourquoi ne pas sortir en se cachant

Je suis sûr que personne ne nous reconnaîtra

Personne ne saura que c’est toi

que je cache le mieux

 

*

 

Blessure peut-être

 

Je sais ce que vous allez dire

Je l’ai écrit avant vous

Mes naïvetés blessent quelquefois la Poésie

et me voici l’aile en charpie

à cause de cette volée de plombs

 

Mais je ne suis pas un oiseau

quand je suis

et mes blessures ne saignent pas

ou du moins pas encore

 

Je suis simplement assis

à ma table de travail

et je consulte le dictionnaire

parce qu’un sens m’échappe

oui oui comme l’oiseau

mais sans fusil ni chasseur

 

C’est l’été et je suis chez moi

Un autre voyage s’est terminé

Il s’est terminé sans moi

comme tous les voyages

que je ne fais pas seul

 

Un arbre plein de soleil

inonde mes ombres

Plus loin un mur gris

reste gris

et je le peins en gris

 

Seule la trace du soleil

me pose un problème

Je ne sais pas peindre le soleil

ou alors seulement avec du violet

qui est la couleur des yeux

que je viens d’abandonner

à leurs voyages circulaires

 

Si j’ai blessé la Poésie

alors qu’elle n’était pas la Poésie

je veux bien être oiseau

même avec du plomb dans l’aile

 

*

 

Pourquoi pas

 

Premier matin chez soi après les voyages

Le café a le goût du café

et les draps conservent mon odeur

On ne sait jamais

Je ne serais peut-être plus là demain

pour l’écrire

 

D’ailleurs qu’écrirai-je demain

si je ne suis pas le poète

que j’ai été un jour

Je me souviens du jour

comme si c’était hier

Je ne suis jamais seul

quand je suis poète

 

Premier fruit aussi

Le sucre de ma terre

Le jus de ma langue

Ma terre de France

 

Je n’ai jamais été plus loin

malgré les voyages

et en dépit des rencontres

 

Train à l’heure pour une fois

Je m’embarque avec elle

J’entends les voix d’une autre langue

mais ce n’est qu’une chanson

Je ne reviendrai pas pour la chanter

 

Premières secousses du Midi

Aplat de chaleur jaune citron

et vert d’une saignée à blanc

il n’y a rien comme le retour

pour aimer à la folie

 

Le chat n’a pas quitté la maison

Il me regarde comme si je n’étais pas parti

Il ne pose aucune question

Le chien est mort et enterré

Mais ça je le savais déjà

 

*

 

Mort pour rien

 

La poésie est une mort provisoire

L’idée ne m’enchante pas

mais ce matin c’est mon idée

et je la suis comme si je savais

qu’à la fin c’est elle qui meurt

 

Je n’en suis pas si sûr

Je me trompe si souvent

à propos de la Poésie

Ce qu’elle est

et ce qu’elle n’est pas

Ce qu’elle donne

et ce qu’elle reprend

 

Petite mort d’un instant

puis le mort se réveille

de son sommeil de plomb

ni chaud ni froid

encore mort mais entier

pas décomposé du tout

sans odeur maléfique

juste un peu froissé

il a manqué d’eau

et la peau a séché

comme une flaque

elle a séché laissant

la poussière faire

ce qu’elle veut

de ses dix doigts

 

Puis enfin ce qui devait arriver arrive

La Poésie meurt de sa belle mort

et je reviens d’où je suis

par le même chemin

reconnaissant les choses

qui sont toujours à leur place

comme si la Poésie

n’avait pas d’effet sur elles

 

C’est d’ailleurs ce qui m’inquiète

qu’elle n’ait d’effet que sur moi

même su ça ne dure pas

Il faudra que je me repose la question

si je réussis à mourir encore

ce que la Poésie ne me garantit pas

 

*

 

Mauvais vin

 

Il n’y a rien à voir

même si j’y suis

J’ai bu votre vin

mais il piquait

 

J’ai lu vos vers

aussi vos vers

ils manquaient

de piquant

 

Des vers sans piquant

c’est la Poésie

qui rate son premier

rendez-vous d’amour

 

On n’est pas amoureux

quand on veut

de qui on veut

et si on veut

 

S’il n’y a rien à voir

on ne vient pas voir

On leur fiche la paix

aux morts

 

d’habitude

 

*

 

Conseil d’ami

 

L’été n’a pas de commencement

Pourquoi aurait-il une fin

Entre printemps et automne

il remplace le soleil

dans les cœurs

et il faudrait s’en porter mieux

 

Fête du printemps en plein été

c’est moi qui vous le dis

et je m’y connais en fête

Le soleil n’a plus de secret pour moi

jaune et vert il se laisse faire

parce qu’il n’a rien d’autre à faire

 

En parlant de l’été

le soleil se fait sa place

dans la conversation

 

Je ne joue pas des coudes avec le soleil

Il entre chez moi si ça lui chante

et il en sort s’il fait nuit

 

Il y a une manière de le dire

pour éviter de s’y brûler

mais je ne m’en souviens plus

C’était il y a longtemps

et je ne savais rien de la pluie

 

*

 

Nuit sans fin

 

Quel bonheur cette pluie du matin

Nous n’en avions même pas rêvé

et elle arrive comme un rêve

en habit de fée solitaire et mariée

 

Quelles noces que cette averse

qui ne dure pas assez de temps

pour ameuter l’esprit ensommeillé

comme le matelas qui le porte tout nu

 

Vite nous ouvrons la fenêtre

Les gouttes ricochent sur les carreaux

Les pétales font un bruit de papier

Sous les feuilles des antennes s’agitent

 

Mais vient sur le chemin de la maison

À qui ce parapluie que le vent reconnaît

et qu’il secoue sans lui faire de mal

tout le mal qu’il sait faire

quand on n’est pas du bon côté

 

Tes genoux lancent leurs éclats d’or

Je ne savais pas que quelquefois la nuit

recommence alors que le soleil

n’a pas encore montré ce qu’il sait faire

 

*

 

Branle-bas

 

Ma campagne n’a pas changé

On y tranche le pain avec un couteau

Dans les verres le vin rutile avec le soleil

et tes bras baladent mes yeux à l’affût

de tous les changements

que tu as dans l’idée

 

Si le chien n’est pas mort dis-moi

alors qui est mort qui a changé de place

 

Le vert tombe du ciel en tranches

Sur le rebord de la fenêtre il tombe

suivant le chemin de l’eau violette

de tes yeux

 

À travers le carreau sale depuis toujours

tu profites de la lumière pour changer

le détail significatif de mon attente

 

Est-ce bien le moment de changer

ce qui n’a jamais changé en mieux

Je le demande à tes yeux violets

comme les feuilles de la misère

 

Je ne sais pas si le jour est bien choisi

pour changer la poussière de place

 

*

 

Silence on tourne

 

Je ne sais pas s’il s’agit

de respirer le même air

ou de compter

sur la même seconde

 

Le silence peut en parler aussi

lui qui ne dit jamais rien

parce que tu n’es pas là

pour m’écouter respirer

 

S’agit-il de multiplier

par deux

chacune des instances

de ce temps et de ce lieu

 

Il n’y a que le silence

pour trouver les mots

qui conviennent sans erreur

à la seconde que je partage

 

Peut-être attendre

que la parole me revienne

et que d’un mot trouvé

le poème renaisse enfin

 

Le silence pourtant

a ses avantages

dès que deux êtres

renoncent en même temps

à la solitude

 

*

 

Saisons en quatre

 

Le printemps est bien loin

quand s’achève l’été

Quel chant me revenait

aux premières pluies d’or

Je ne me souviens plus

d’avoir chanté avec toi

 

Et pourtant j’ai chanté

Le voisinage dit que j’ai

même hurlé ma joie de poète

saignant le sang des fleurs

par la plaie ouverte du cœur

 

On le dit et tu dois croire

ce qu’on dit à propos du poète

Les images demeurent

comme les pierres

de nos cimetières

traces à marche forcée

de l’existence renouvelée

par la magie du cycle

 

Que serions-nous sans les saisons

Comment mesurerions-nous

ce qui n’appartient qu’à nous

si le printemps ne recommençait pas

à empoisonner nos rêves

de fleurs et de jet de sang

 

Mais le printemps est bien loin

quand l’été se finit

et que tu reprends ta place

pour en changer le sens

parce que tu reviens de vacances

 

*

 

Le Poème en soi

 

Comme une main qui se resserre

pour étouffer ce qui prend vie

au contact de l’existence

le Poème assassine ses personnages

 

Pourtant ils ont parlé de leurs belles voix

Soutenant toutes les thèses

ils n’ont pas manqué

de charmer l’esprit

Pourtant on les voyait

presque derrière la porte

fermée du récit de leur passage

de la vie à la mort

 

Le Poème assassin revient

comme le mauvais vent

secouer la poussière du temps

et faire les tapis de la conscience

 

Pourtant nous étions à l’heure

Nous n’avions tué personne

et même certains d’entre nous

avaient convolé en justes noces

comme on dit ici-bas

en parlant de noces

et de cette impression de voler

qu’on a

après s’être connu

 

Mais le Poème assassinait

sans pitié sans confession possible

il assassinait tout ce qui était vivant

et n’avait d’autre solution

que de mourir en sachant très bien pourquoi

parce qu’il n’y a pas de la place pour tout le monde

et parce que si le monde n’était pas monde

il faudrait l’inventer avec la mort comme principe

et la vie pour finir d’en parler

 

*

 

AUTOMNE

 

L’héritage

 

Quand vient l’automne

et il vient toujours

ce n’est pas un retour

c’est un rendez-vous

 

Quand vient l’automne

et que l’été persiste

aux fenêtres s’écoulant

comme l’eau d’une fontaine

que des mains viennent de troubler

beau visage penché

d’une fin de voyage

 

Quand vient l’automne

premières feuilles renouvelant

l’annonce du printemps

 

Quand vient l’automne

l’oubli fait signe à la mémoire

comme le vent dérange une tuile

ou l’eau qui revient

verte par le fond

épuiser les ressources de son œuvre

à la surface d’un galet

que je n’ai jamais touché

et qui n’a pas changé de place

 

Ici mes pas d’enfant

ont achevé le travail de l’héritage

et mes mains d’homme ont perdu

l’idée première de son sens

 

*

 

Couteau à peindre

 

Blanc des jambes

Ivoire de la baignoire

Un couteau de violet

rature la fenêtre

 

Seins au plâtre gris

Du ventre à la cuisse

un couteau de jaune chrome

fend la fente entrouverte

 

Pieds croisés sous la lumière

qui tombe verte des carreaux

une chevelure de noir

descendait le long de l’émail

 

Que sont les mains

au bris du gris

doigts d’argile au couteau

trahissant un fil de nacre bleue

 

Ce sont tes yeux

cette apparence de coquillage

spirale d’un sommet

où le couteau enfonce son fer

 

*

 

Esquisse de temps

 

Retrouvée au rehaut

jaune paille et consort

les lèvres baignées à l’or

d’une serviette aux plis

recomposés par l’habitude

 

Après les voyages

l’eau du bain facilite

les plans de fuite

de tes paysages

 

Ici les mains en croix

d’un bleu noir écrivent

des complémentaires

 

La porte demeure miroir

et en miroir se repeint

oblique maintenant

que l’eau répand ses feux

 

Le plaisir est un rendez-vous

avec le cœur étonnant

 

*

 

Les yeux veulent

 

L’automne glisse sur toi

comme la rivière dans son lit

sur ces fonds jamais vus

mais que la main connaît

 

Dans les trous d’ombre

une enfance résiste encore

corps plongé après le saut

en étoile éparpillé au fond

 

L’eau verte doigt chargé

d’un ocre mouillé de bleu

et le corps retrouve sa position

à l’endroit de la surface

 

Une enfance ici accroche

des impressions de bleu ivoire

minces filets tournoyants

sur le dos des poissons gris

 

Le rêve n’y commence pas

ses fuites ni ses tentatives

de donner un sens à l’oubli

 

Le sommeil n’y était pas non plus

le moyen de maintenir de force

cette tête le plus près possible

de ce que les yeux voulaient savoir

 

*

 

Un peu de bleu

 

L’hiver sera bleu ou ne sera pas

 

Comme la vérité est dure

quand elle met la main à la pâte

 

En attendant le rouge de tes mains

ruisselle sur l’échine noire

d’une bête morte et cuite

 

L’hiver bleu est un fantasme

 

Rien que tes épaules

encore nues à cette saison

pour servir d’oblique

à un repas de bête tuée

 

Le bleu a aussi ses lèvres

 

La fumée d’une cigarette

croise la poussière des rideaux

sur les os blancs et noirs

 

Un hiver sans bleu

oh je ne l’imagine pas

 

Bête sans tête

et donc privée de son regard

sa peau comme un torchon sur un fil

 

*

 

Joies du feu

 

La joie comme les poils sur un dos

secouée de l’intérieur qui se courbe

et surmontant un rire de peau fanée

au bout d’une tige à mi-jambe de l’eau

 

Je te voyais trouvant l’écrevisse sanglante

l’eau jaillissant de tes seins drapeaux

tandis qu’une barque passait au bord

de l’autre rive où des oiseaux faisaient

de l’ombre à un feu de bivouac

 

La joie que la main caresse comme le poil

de la nuque à la racine dressant ses fils

Ariane d’une autre histoire recommencée

tandis que la barque s’éloignait avec les oiseaux

et que le feu se nourrissait de vent et d’herbe

 

Tes jambes portent encore ces traces de cendres

 

*

 

Foulard

 

Un arbre couché encore vivant

feuillage en partie baignant

dans l’eau qui attire du monde

 

Image d’un automne à venir

 

Moi aussi j’ai glissé sur ce chemin

pour voir la saignée de bois éclaté

Ton foulard en était le sang

Emporté par le vent

il s’était posé sur le spectacle

donné par les fous de l’automne

 

Sang qui manque à l’automne

malgré la rouille de ses fers

et la cassure de ses plans d’argile

 

Le foulard est déchiré maintenant

Tes mains l’arrachent à d’autres mains

mais ta bouche dit le contraire

ce qui te vaut un compliment

pour la beauté de tes épaules

Les seins n’ont inspiré que le silence

 

Le foulard je l’ai vu voler

mais pourquoi a-t-il fallu que ce soit le tien

autant dire le mien

 

*

 

Musée revu

 

Croissance du feu et proximités

ce paysage de fenêtre change le soleil

J’ajoute un plan de vert émeraude

parce que mon imagination te retrouve

 

Je troque l’ocre pour le chrome

et l’ombre pour des reflets de vitrine

Sous le rideau des insectes rapides

métallisent la poussière de l’été

 

Sperme comme le tain des miroirs

gouttes de l’enfance dans les fissures

le couteau lance des chanfreins noirs

tandis qu’apparaît le blanc de tes cuisses

 

À l’automne je me sens peindre

Je traverse des musées d’impressions

Le couteau dans la poche je resquille

et la gardienne laisse tomber son rideau

 

*

 

Train de nuit

 

Jalouse tu remarques devant témoins

que l’été est la saison des récoltes

et l’automne celle du vin ce vin

que j’accumule sans le boire

 

Tu aimes les terrasses des cafés

et leurs témoins en forme de poire

Un garçon te fait de l’œil aux jambes

L’été était-ce hier ou aujourd’hui

 

Rues finissantes sous la chaleur

nous y voguions comme des touristes

revenant de si loin qu’on peut espérer

où les blés furent fauchés sous le soleil

 

Mais ici les grappes fondent sur toi

Je n’aime pas les pièges sucrés

Une guêpe a son charme si on veut

mais la mort ne m’enchante pas

 

Il faudra tuer un animal pour te le dire

et pendre sa peau au colimaçon de ton art

Le vent interroge ces poils séchés

mieux que le poème que tu ne veux

pas voir ni même en peinture

 

Coulissons ensemble ô passagère de nuit

Le train revient de loin et le quai est désert

 

*

 

Leçon de sang

 

Je ne voudrais pas que tu croies

que ces passages de peintures

prétextent la couleur de l’automne

au lieu de rendre à tes vertes cuisses

l’éclat d’un premier instant de joie

 

Tu ne croiras à aucun prix

et sous la menace d’aucune promesse

que ces croix de complémentaires

n’ont de sens qu’en dehors

de la symétrie parfaite de tes seins

 

Je ne mens à personne au couteau

mais c’est ta chevelure que je vois

balayant la palette de ton front

et tes yeux couleur de lilas

ne croient pas non plus à mes fables

 

Laisse ma main envoyer ta main

au diable de cet horizon graphique

Les sensations s’enchaînent au couteau

comme le fil à son histoire de feu

et le sang n’a plus la couleur du sang

 

*

 

La fin de l’été

 

C’est encore l’été dans l’ombre

Une craquelure d’aile y fond

doucement nourrie d’un feu

dont tu es je crois l’étincelle

 

C’est encore l’été sous la poussière

La soie d’une toile balance

des argents de visage en fête

dans les fissures du passé

 

C’est encore et toujours l’été

ces heures qui collent aux doigts

comme des mouches tombées

que tu n’as pas daigné achever

 

L’été finit mais sans oublier

ses petits cadavres de soleil

et ses momies de plaisirs

arrachées au sommeil de l’ombre

 

C’est encore l’été qui se lève

L’été croque-mort en panne

Chapeau bas et jambe en l’air

ouvrant des portes pour les fermer

 

Et les ouvrant moi-même je sors

ne rencontrant finalement que l’ombre

qui témoigne encore si c’est nécessaire

que l’été n’a pas de fin sans toi

 

*

 

Sonnet d’orgue

 

Tu n’as retenu que les brouillons de terre

Au fil de ton histoire le sang n’a pas coulé

et dans le vert sillon de tes rêves de Poésie

le grain a germé certes mais tu n’as pas grandi

 

Cette eau n’a emporté que des commencements

Au fil de tes fleuves l’été s’amenuise

Ces mains qui brisent les surfaces

n’appartiennent à personne en particulier

 

Les trottoirs de ta ville ont perdu le chemin

Les murs de tes campagnes portent des traces mais

sous la chape des mots la morte se plaint encore

 

Le seul été de l’existence se fond maintenant

dans l’estuaire de l’automne

et tu vois bien combien l’hiver est un monde

 

*

 

D’hiver à hiver

 

Oui je me souviens du printemps

Comment peux-tu penser que j’ai oublié

oublié mes petites naïvetés de terrien

oublié le monument de mes passages

oublié le sang versé pour que je m’enracine à mon tour

oublié les batailles sur le terrain de la Justice

 

Que peut-on oublier encore

si l’été n’a pas donné de fruits

et si l’automne n’est que le nom de l’hiver

 

Oui je me souviens de toi

et des délices de l’aventure

de l’inconnue rencontrée alors

et de tes crises empruntées à la Littérature

 

Le printemps m’a nourri

car je suis né de l’hiver

et j’y retourne

 

As-tu oublié que j’ai chanté

avant même que l’été t’emporte

au large de mon imagination

Nulle inconnue alors

même nue et donnée d’avance

n’a remplacé ce que tu m’as volé

 

Quand je verrai l’hiver

le jour sera venu de me taire

Il n’y a pas de raison

de chanter dans la saison

des premiers temps de l’existence

 

*

 

Soie des jours

 

Peinture de soie de l’existence

tenue pour seul enjeu

 

J’ai joué moi aussi

tout l’été joué avec toi

jouet de la nuit

 

Ici au cœur brisé

de l’automne qui commence

sans avoir jamais fini

je ne joue plus je vis

 

Peinture de soie

trouée par la lumière

une épine te retient

et le vent s’arrête

 

Nous jouions pour jouer

oubliant qu’au printemps

nous avions aimé la terre

et qu’elle saignait encore

 

Soie des jours comptés

un doigt mouillé

estompe les ombres

les emplit de lumière

 

Ce que je vois

n’est qu’un reflet

et je ne joue plus

à me regarder

 

*

 

Son de statue

 

Statue de pierre qui ne meurt pas

inspire-moi avant l’hiver

Ton sang fleurit encore la terre

mais je ne reconnais plus ton visage

 

C’est que l’ombre est retombée

Après l’été l’ombre a retrouvé son ombre

Ô statue de pierre sans visage reconnaissable

donne-moi le la de ta présence parmi nous

 

Ce matin personne n’est venu

La porte s’est ouverte sur l’inconnu

De loin j’ai aperçu ta main levée

dans les aurores d’un soleil mal réveillé

 

Voici mes pas tels que je les donne à compter

Si l’automne n’est plus une aventure

dans ce monde qui ne connaît pas d’hiver

ô que ta pierre se donne encore à creuser

 

*

 

Une rue tranquille

 

Maintenant je pose mon sac

sur le seuil de ta maison

Je ne frappe pas à ta porte

Je n’attends rien de l’existence

Les gens me regardent

et je les salue

quand je les connais

car autrement je sais

qu’ils n’aiment pas

qu’on les salue

surtout avec un sac

posé sur le perron

la pierre grave du seuil

de cette maison

où j’ai connu le bonheur

alors que l’été

n’avait pas commencé

 

Maintenant je te regarde

penchée à la fenêtre

et saluant peut-être tout le monde

les mains dans les fleurs

promenant ton regard violet

sur les gens qui s’approchent

car tu les connais tous

Les conversations tombent

dans mon silence

 

Maintenant je crois exister

parce que j’en ai fini

avec un été trop long

et trop chargé de tentatives

au moment où mon esprit

pensait renouveler

les explications mille fois

remises sur l’établi

 

Mon sac n’est pas témoin

pas plus que ma cigarette

vieux sac emprunté

ou volé je ne sais plus

Je fume tes cigarettes

mais tu ne me vois pas

Les fleurs sous tes seins

capturent les insectes

dont je t’ai parlé cet été

 

*

 

L’hôtesse

 

Je ne reviens jamais de loin

Certes le sable sent encore

la misère des coins du monde

où on se bat contre la mort

 

Le train me vomit souvent

sur des quais où tu n’attends pas

que je te dise tout à propos

d’une blessure encore visible

 

Il m’arrive souvent de suivre

mes hôtes sur le chemin

de la maison que j’ai quittée

parce qu’elle sentait le printemps

 

Ces fleurs envahissent mes nuits

Il n’y a pas de monde assez lointain

au bout du rail ou de la route

pas de monde sans sommeil

 

Si je reviens c’est pour finir

ce que tu as commencé sans moi

Peu d’horizons et pas de pays

j’ai perdu le peu de terre

 

le peu de terre que j’ai aimée

parce que sa langue me parlait

et que tu choisissais toujours

le bon moment pour me quitter

 

*

 

Maisons de rêve

 

Nous ne vieillissons pas aussi bien que nos maisons

Il faut dire qu’elles n’ont pas d’âge

Leur bois accepte nos peintures

et la pierre semble renaître dans le mortier

 

Même les fleurs se plaisent dans ces corbeilles

Le carreau brille des feux de la rue

Les ors d’une poignée de porte rutilent

à la surface revisitée de ses planches disjointes

 

Le temps a rajeuni ces paysages d’une autre époque

et nous y traînons nos douleurs articulaires

montant ou descendant quand le soleil

joue avec l’eau de nos bains sulfureux

 

Il faudra un enfant à ces belles vieilleries

pour qu’elles vieillissent sans perdre leur beauté

mais de quoi aurons-nous l’air

si nous l’avons perdue nous-mêmes

 

Difficile de trouver l’enfant de cette poésie

et je ne parle pas de le concevoir

Nos maisons nous parlent d’un autre temps

et non pas de ce qu’elles vivront encore sans nous

 

*

 

Armoire vide

 

Je connais aussi la poésie des armoires

Il n’y a pas de confiture qui n’en sache rien

Mes doigts recommencent toujours ce travail

dans le silence et l’ombre de l’automne

 

J’eusse été une femme des draps m’eussent ravie

Deux portes refermées sans grincement de fer

Une clé qui a toujours été la seule clé

et la photo aux pliures repassées à chaud

 

Le dessus des armoires a connu mes sommeils

Dormir avec le chat n’a plus de secret pour moi

Le fer d’une boîte rouille depuis longtemps

mais je n’ai jamais ouvert cette brèche dans la nuit

 

Est-ce de la poésie ou n’est-ce que l’automne

Au printemps je ne jurais que dehors

Des eaux m’invitaient au voyage

eaux doucement allées où le monde finit

 

Et si ce n’est pas de la poésie je mens

Je n’ai pas assez tourné ma langue

et ce que je dis maintenant à l’enfant

est un joli mensonge en forme de conte de fées

 

*

 

Le cœur de l’hiver

 

Je n’ai pas aimé la feuille

et elle me le rend bien

en n’inspirant à mon cœur

aucun chagrin d’amour

 

Verte je l’ai regardée

se gorger de soleil

à la tangente du fruit

que j’ai cru lui voler

 

Elle a fini par rouiller

Le vent l’a emportée

et sur la branche nue

le signe d’un bourgeon

m’a fait un signe

 

L’hiver n’a pas de feuilles

Il est comme les arbres

Il attend son heure

 

*

 

Liberté enfin libre

 

On sort plus libre

par la fenêtre

que par la porte

 

Une de mes amies

s’est défenestrée

Il faut bien se faire

quelque chose de mal

quand on n’a

plus rien à faire

 

Je me ferais bien

autre chose de bien

avec la même fenêtre

si je l’avais encore

à portée de voix

 

Mais je prends la porte

tous les jours la porte

sans me faire mal

ni me faire bien

 

Il faudra qu’un jour

je me donne les moyens

de penser vraiment

à la liberté

 

*

 

Énigme patriotique

 

Hier je suis passé

devant le monument aux Morts

Un drapeau déchiré

sans couleur

pierre martelée

avait été ajouté au décor

en mon absence

 

J’ai revu les pieds du soldat

et les seins de la liberté

Pourquoi ne pas revoir

ce qu’on sait déjà

 

Mais pourquoi chercher à voir

ce qu’on ne savait pas

 

*

 

Le premier regard

 

Où est-elle cette poésie du premier regard

que le printemps me promettait

sans ménager ses effets de manche

 

C’est l’hiver que devrait porter la jeunesse

comme habit de poète

mais l’hiver on est déjà mort

et l’automne ne porte pas de fruits

 

Nous mourrions alors en été

en plein soleil de la parole

et l’automne emporterait nos cadavres

loin de l’hiver et de ses créations

 

Mais c’est le printemps

qui va le mieux à la jeunesse

 

Ainsi l’été nous déçoit

et l’automne n’est qu’un spectacle

celui de l’envers de la déception

 

Le premier regard est printanier

et l’hiver s’en fout

lui qui ne pense qu’à créer pour créer

alors que nous sommes faits pour vivre

 

*

 

Matrice des anges

 

La Poésie couche dehors depuis longtemps

On ne l’a jamais vu passer l’hiver

Ces feuilles mortes sont des poèmes

qui n’ont pas été écrits pour l’être

 

J’aime les voir courir sur l’eau

aller plus vite que moi qui cours

comme un enfant sur le chemin de hallage

sachant que la prochaine écluse

est équipée d’un robot ramasse-feuilles

 

Mais les poèmes ne sont pas toute la Poésie

Les feuilles ne représentent pas l’arbre

Ce n’est pas courir qui t’inspirera

Des arbres nus s’enracinent ailleurs

 

Alors je reviens d’où je viens

Je ne reconnais plus personne

et pas un chat ne sait qui je suis

 

En passant devant ta fenêtre

j’ai aperçu ton échine penchée

sur l’ouvrage que tu me destines

car dis-tu l’hiver sera long

et je n’ai plus mes vieux habits

ceux qui tenaient si chaud

quand je suis né de toi

et que le printemps vagissait

 

*

 

La pluie

 

L’argent dénature le travail

Je ne veux rien en retour

Les vivants de la guerre

n’ont pas pris le bon chemin

 

Chemin de la Poésie sans papier

sous tes arbres ou sous tes lampadaires

nous suivons le fil de tes aventures

mais nous ne sommes pas tes ouvriers

 

Pas besoin de mémoire pour revenir

à la tradition orale perdue en chemin

C’est l’outil dont nous héritons

Comme l’Arabe laissons les mots aux fils

 

Il n’y a pas de pères sur le chemin

et une seule mère suffit au symbole

et les fils et les filles n’oublient jamais

d’éteindre leur feu avant de mourir

 

Mais les vivants de la guerre

sont encore vivants et la Poésie

en crève un peu plus chaque jour

car sans père l’homme se sent orphelin

 

Non ce n’est pas dans les orphelinats

que la Poésie habite le présent

Ce qui est fait est fait et ce qui est

ne sera peut-être plus dans un instant

 

Non merci ma bonn’ dame mon bon monsieur

La main c’était pas pour la pièce

J’avais juste besoin de me la gratter

des fois qu’il se mettrait à pleuvoir

 

*

 

Forêt des ombres

 

Palais de verdure

bientôt votre ossature

partagera le ciel

de ses ombres vivaces

et à vos pieds la terre

renaîtra de vous-mêmes

car si vous savez

perdre vos habits

votre nudité

est un signe d’éternité

 

Grands arbres vous avez

la vie devant vous

tandis que je promène

mon miroir sans tain

sur vos chemins

 

Je ne prends pas racine

nos morts sont inutiles

nos combats épuisants

et de nos champs brûlés

par le soleil d’été

demeure l’ombre

et ses habitants

 

Ici le fils

est poussière du fils

Les murs de nos palais

ne prennent pas racine

Il n’y a pas de forêt

moins humaine

que l’œuvre commune

 

*

 

Jour de colère

 

Où sont les drapeaux brûlés

par les feux de la terre assise

au bord de son abîme

 

Jour de colère ô France

 

Quelle langue parles-tu

à cette profondeur

que tu ne connais pas

 

Qu’est-ce que ce sang

 

La terre assise dans son fer

terre des fusions impossibles

que la langue ne connaît pas non plus

 

Je ne veux pas écrire ces noms

dans les marges de ma Poésie

 

Tout doit retourner à l’inconnu

les os avec les os

et la chair avec la chair

 

Cette terre n’a plus de paysans

Ses héros sont les marioles

de la gloire administrative

Je ne suis pas une décoration

au bout de la Justice

J’ai ma langue en colère

et je suis prêt à tuer

 

Jour de colère ô Nuit

 

*

 

Les grandes valises

 

Au printemps il faut se préparer à l’été

et c’est à l’automne que l’été prend son sens

mais comment en juger sans l’hiver en caution

 

C’est à peu près tout ce que je sais de la vie

maintenant que j’épouse ce que j’ai aimé

et que je me cache pour pleurer

 

Voici l’automne en habit de travailleur

bleu comme la douleur et sali par le temps

L’horizon a l’air d’une grande blessure

au front du monde

 

Ai-je bien joué le rôle de ma jeunesse

et jusqu’où ai-je poussé l’imitation

de cet âge que le soleil tanne durement

 

Ma langue est à tout le monde certes

sinon je n’aurais plus rien à dire

et peut-être même rien à penser

 

Demain n’est peut-être pas demain

non pas que la nuit peut emporter le combat

que je livre à ses fantômes revenus

 

mais je ne sais pas si le chant n’est pas

achevé depuis si longtemps que je n’ai

plus qu’à le relire depuis le début

pour en savoir un peu plus sur moi-même

 

*

 

Art nouveau

 

Cet outil oublié me rappelle que j’ai travaillé

travaillé avec les autres à l’œuvre commune

le fer dans une main et dans l’autre une main

et peut-être l’esprit ailleurs car j’étais malheureux

 

Cette rouille ne porte pas la trace de mon savoir

Elle ne participe pas à la mémoire de l’objet

et de tout ce qui accompagna cet objet

au bout de son chemin de plaisir ou d’utilité

 

Il ne reste que le fer sans la poignée ni le sang

L’herbe a bon dos quand l’oubli y demeure

Un peu de terre arrachée à la terre

se mélange à la rouille comme le feu jadis

 

Cet outil ne servira plus à se projeter dans le futur

Un clou dans le mur n’en fera pas une œuvre d’art

mais mon regard vient de créer un nouveau besoin

et je plante le clou pour accrocher ces yeux

 

*

 

Le toit

 

Un toit s’effondre et le bulldozer arrive

Une heure après le gazon a poussé

sur cette tombe où j’ai vécu heureux

quand c’était encore une maison à vivre

 

La terre est lisse comme un tissu

C’est un nouvel habit que le bulldozer

a taillé à l’aulne de ses chenilles d’acier

Il faut dire que je n’en crois pas mes yeux

 

Pourtant je les ai frottés avec toute l’énergie

du souvenir et des fictions qui s’en nourrissent

Et les ouvrant de nouveau pour voir le vrai

c’est le faux qui s’impose à ma mémoire blessée

 

Je ne sais pas si je reviendrai à cet endroit précis

Je prendrai peut-être la tangente

Qui sait ce qui peut arriver quand on revient

et qu’on a perdu le souvenir des distances

 

*

 

Le rire

 

Depuis que l’automne a commencé son œuvre

de destruction

et en attendant que l’hiver confirme la nécessité

de l’ouvrage

je n’ai pas connu un seul instant de joie

simple

je dis simple parce que la compliquée

est compliquée

Je ne sais pas ce que peut valoir ce temps

dans la balance

Je n’aurai d’ailleurs pas le temps

de le savoir

Le temps va tellement vite quand il prend

le chemin

de l’infini et de tous ces concepts obscurs

qui occasionnent

bien des encombrements aux croisées

en vigueur

Non je ne me souviens pas d’avoir ri

pour rire

car telle est ma définition de la joie

simple

parce que la compliquée est compliquée

et qu’alors

rire n’est plus du domaine des saisons

 

*

 

Ab intestat

 

Non mes amis je n’ai pas passé ma vie

à tenter de résoudre le problème des dés

qu’on a jetés parce qu’il fallait les jeter

ou qu’en tous cas le temps en était venu

et qu’alors qu’ils étaient en l’air

il s’agissait de les empêcher de toucher le tapis

qui dans mon cas était de la terre ordinaire

très glissante en toutes saisons

avec ou sans feuilles mais en glissant

on ne fait plus attention aux feuilles

 

Par contre le problème des feuilles

qui n’a rien à voir avec celui des dés

a retenu une partie de mon temps

lequel n’était précieux que de mon point de vue

ce qui explique que les feuilles ont attiré

mon attention sans prévenir ma prudence

comme le font quelquefois les feuilles

quand on joue aux dés sans elles

si jouer c’est avec les dés qu’on le fait le mieux

 

Je sens qu’il va manquer une conclusion

à cette métaphore du tapis avec ou sans dés

mais l’automne vient à peine de commencer

les vacances ont encore un goût de vacances

et je ne veux pas achever ce poème

sans avoir fait tout ce que je n’ai pas encore fait

car j’ai une petite idée de ma mort figurez-vous

Je compte bien mourir en faisant quelque chose

et non pas bêtement en ne faisant rien

 

*

 

Poésie et roman

 

La Poésie n’est pas autre chose

que ce qui manque au roman

mais bien sûr si vous n’écrivez pas de romans

vous ne pouvez pas comprendre

ce que je dis de la Poésie

 

Imaginez le roman que je n’écris pas

tout en écrivant ce que j’écris

et que vous êtes en train de lire

 

C’est un bon exercice à notre âge

qui est celui de l’automne

que d’imaginer l’imaginable

en se servant d’une réalité

que je vous apporte dans un plateau

 

Le printemps est une histoire

L’été en est la suite

et l’automne je n’en sais rien

parce que j’y suis

et que je n’ai pas envie de savoir

 

Je ne saurais donc jamais

Voilà le roman à écrire

si je n’écris pas la Poésie

 

*

 

La voisine du voisin

 

Mon voisin est satisfait de sa retraite

Quand il se lève le matin tout est fait

Il ne lui reste plus qu’à continuer de se lever

ce qui lui prend la journée

et une partie de la nuit

 

Ma voisine a encore de beaux restes

Elle les a montrés tout l’été

et maintenant l’été indien

l’encourage à continuer

 

Cet arbre a deux fois mon âge

Il connaît l’hiver comme sa poche

Il en a de la chance

Je serai peut-être un arbre un de ces jours

mais en quel endroit de ce vaste monde

 

Ce café est meilleur dans l’après-midi

surtout à cette époque avec les feuilles

qui commencent à mourir sur les chemins

Le café des feuilles mortes

 

Ce bois brûlera cet hiver

mais il brûlera sans moi

car je serai mort avant la saint Martin

 

Bonjour Voisin

(je ne dis pas ça pour vous)

comment va notre Voisine

 

*

 

Bois et chiffons

 

L’automne découd les conversations

comme si nos vieux habits

pouvait servir à autre chose

 

chiffons voués à la mécanique

chemises du tout petit

tapis du chien en grâce

ou torchons des cires

 

Que sommes-nous devenus

si nous ne sommes rien

 

Les fils de l’automne

se recousent ailleurs

 

*

 

Chez moi

 

Rien n’est moins précieux qu’un poème

Voici le bas de l’échelle du langage

l’explication de tout ce qui va suivre

et qui n’aura pas de fin

 

Il m’arrive de fredonner

l’air d’un poème qui respire

ou de souffler dans le pipeau

d’un cadavre de vers sans poème

 

Mais je ne suis pas à l’article du poème

J’ai encore de beaux jours devant moi

et demain n’est pas le moindre

car je m’y sens déjà chez moi

 

*

 

Parole d’enfant

 

Ma voisine m’a prévenu

— Cet enfant demande des sous

à ceux qui en ont

C’est qu’il n’est pas bête

 

Elle le croit donc intelligent

Il ne m’a rien demandé

Il est donc bête

car des sous j’en ai

 

Mais je n’ai pas d’enfant

Je n’ai pas d’enfants non plus

Je n’en ai jamais revendiqué

la stricte propriété

J’ai des sous

mais pas à ce point

 

Finalement l’enfant est venu

me demander des sous

 

Qui te dit que j’en ai

 

— La voisine me l’a dit

mais je fais pas

le même métier qu’elle

 

*

 

Ah chapeau

 

Journée de pluie ou de soleil

les feuilles meurent de la même mort

sang versé par l’automne

 

Derrière le carreau ou sur le banc

mon chapeau est un chapeau

qui n’aime pas la pluie

 

Je ne change pas avec la pluie

et le soleil ne me transforme pas

en enfant des bois

 

Noir ou gris je me promène

en dedans ou en dehors

sans changer de chapeau

 

*

 

Le rayon de soleil

 

Couper le rideau ne me dit rien qui vaille

J’aime cette lumière sans faille

Peu m’importe que les petites bêtes

en profitent pour habiter dedans

 

Dans mon enfance on ne coupait

les rideaux que si la lumière

ne s’y trouvait pas à l’aise

On se fichait des petites bêtes

 

Mais quand l’une d’entre elles

te trotte dans la tête

il faut couper sans discuter

et tant pis pour la lumière

 

Le soleil en profitera je le connais

pour fendre le sol d’un rayon jaune

juste à l’endroit où je pose mes pieds

quand je te regarde et que je me souviens

 

*

 

La liberté

 

Mais d’où sort cette Poésie

qui n’y était pas

 

J’ai passé ma vieille main

sur cette vieille surface

usée par le travail du temps

et par le temps du travail

 

Comme elle était lisse la surface

lisse comme s’il n’y avait rien dessus

et il n’y avait rien sinon je l’aurais senti

 

Mais quand j’ai pris du recul

comme un enfant qui va sauter

le ruisseau qui le sépare de ses rêves

le lisse s’est plissé comme une peau

qui a vécu trop longtemps

et c’est sorti comme ça

poétique comme la Poésie

avec de la salive sur la langue

et le pouvoir ce grand pouvoir

le pouvoir de sortir

sans demander la permission

 

*

 

L’addition

 

Nous vivons seulement neuf mois

car l’hiver ne compte pas

Nous n’aurions pas assez de doigts

 

Douze mois c’est deux de trop

mais si l’hiver ne dure qu’un mois

comme dans les contes à dormir debout

 

Hélas trois c’est trois

On ne fait pas un un avec un trois

 

*

 

Gouttes d’or

 

Petit à petit l’enfance revient

Ce n’est pas la jeunesse

C’est la pluie de novembre

avec des gouttes d’or

si on regarde bien entre les gouttes

 

Justement j’y regardais

Le hasard fait bien les gouttes

et les gouttes font bien le regard

 

Tout va bien tout va bien

le cœur l’estomac les jambes

Tout va pour le mieux du bien

Je ne vais pas me plaindre maintenant

 

Il serait trop tard pensez

 

Se plaindre maintenant

alors que la pluie de novembre

ne cesse de tomber

au hasard des gouttes d’or

qu’on ne compte plus

 

*

 

Vitesse d’exécution

 

Dans un champ de bruyères

les abeilles ne piquent pas

Pareil pour la pluie

qui ne tombe que du ciel

 

Une feuille d’automne

a le temps de mourir

La terre ne demande rien

à la mort des feuilles

 

Cette eau qui ruisselle

personne ne la pousse

Pareil pour l’homme

qui a le droit de reculer

 

Un arbre est tombé

alors que les arbres

n’ont pas la force

de se relever

 

Traverser une vitre

c’est la casser

mais les miroirs

ont d’autres tours

dans leur sac à miroir

 

à condition de ne pas les casser

en les regardant trop vite

 

*

 

Raison de plus

 

Qu’est-ce qui tue le mieux

La douleur ou le hasard

Question des carreaux

à la transparence

 

Plus de feuilles

dans les arbres

Horizon retrouvé

Style hivernal

 

Il y a belle lurette

que nous ne trempons plus

nos plumes d’oiseaux

dans les encriers de la vie

et pourtant nous écrivons

avec la même mort

pour compagne de temps

 

Plus de feuilles

sans les arbres

chemin sans fin

écrit d’hiver

 

Raison de plus

de ne pas s’aventurer

au-delà de la raison

Fermer une fenêtre

installe la transparence

et la question se pose

de la douleur ou du hasard

 

Plus de feuilles

Rouille sang

L’hiver saque

les sacs à malice

 

*

 

Le vivre

 

Tubes de toutes les couleurs

c’est-à-dire beaucoup de tubes

et dans le ciel de lit le blanc

qui ressemble à l’éternité

 

Quand on est mort

c’est pour l’éternité

alors qu’on peut vivre longtemps

avec un peu de chance

 

Liquides d’or et d’argent

Pistons millimétriques

À la fenêtre on joue

avec les rayons du soleil

 

Ne cours pas après

tes rêves inachevés

ce sont de faux rêves

on n’en vient pas à bout

 

Le masque ronronne doucement

ou roucoule je ne sais plus

si ce sont des oiseaux

qui perdent leur temps

 

Il y a les bons animaux

et ceux qu’on ne mange pas

Réfléchis avant de parler

tu n’es pas éternel

 

Flaque des lumières

On croit mourir ainsi

mais ce n’était qu’un souhait

Ils sont à l’heure les vivants

 

*

 

L’anecdote

 

Je n’ai jamais apprécié

les retours à la case départ

et pourtant c’est arrivé

plus d’une fois je crois

arrivé comme rien n’arrive

C’est là tout le secret

 

Mais je ne cache rien

sous cette armure d’or

Je reviens sans les mains

comme un enfant fou

qui ne veut rien savoir

sans payer le prix

de l’équilibre précaire

 

Le lit sera douillet

Les draps frais comme l’eau

des fontaines de l’enfance

Tes mains ne résisteront pas

longtemps aux miennes

ni ton esprit à ma joie

cette joie de savoir

dur comme fer que rien

n’est arrivé au Temps

 

*

 

Histoire simple

 

Boucle blondes à travers les cactus

 

Un doigt désigne des vols en masse

 

L’équilibriste est un enfant

privé de bicyclette pendant trois jours

 

Je sais ce que je ferais

si je n’avais pas de bicyclette

 

Le linge claque dans le désert

 

Tu ne seras jamais un enfant

si tu continues

 

Fragments de la solitude

imposée par l’écart du lit

 

Si tu continues

il n’y aura plus de bicyclette

 

plus d’oiseaux sur les fils

plus rien avec eux

la Poésie claque dans le désert

 

L’oiseau en question était un slip

emporté par le vent

 

Tu n’oublies pas ta bicyclette par hasard

 

*

 

À rebours

 

Fusée d’insecte au fil de l’eau

Une feuille m’est tombée sur le nez

J’aime ces après-midis maussades

Le soleil en chercheur d’ombres

 

Rien ne commence vraiment

et tout s’achève dans la clarté

La Poésie coupe les fils de la poupée

Il n’y a personne sur le chemin

 

Les mêmes pas à peu de chose près

L’ornière revue et corrigée par l’angle

Le temps est au rendez-vous

Il ne reste plus qu’à entrer en conversation

avec les personnages de sa croissance

 

Glisse encore sur le même fil

Il n’y a pas de temps à perdre

si tu veux arriver avant le soleil

 

*

 

Le gagnant

 

Comme si la vie consistait

à clore le bec de la jeunesse

et à tout flanquer par-dessus bord

la langue et tout le saint-frusquin

et les morts dans le sang de la terre

et les statues aux grands airs

Même le rire du bouffon y passe

Il ne reste plus rien que la critique

On y a vraiment mis du sien

 

La barque n’a jamais appartenu

au voyageur qui prétendait descendre

les fleuves du monde en jouant

à chat-perché avec de vrais chats

 

Les objets sont retournés d’où ils venaient

Il aurait fallu en payer le prix

mais on est fait comme ça patients

et même écorchés vifs de la loi

pas voraces mais l’œil aux aguets

On ne sait jamais et on n’a rien su

 

Cette voix qui revient de loin

ne parle plus la même langue

On ne peut pas changer à ce point

sans perdre au moins son âme

S’il s’agissait de cela alors on a gagné

 

*

 

Opéra

 

Est-il possible qu’un seul mot me contienne

Non pas un mot symbole ni même générique

mais un mot qui sans m’appartenir en propre

contient la cendre de mes cendres jetées au vent

 

C’est peut-être ce mot que la Poésie veut imiter

Sans même le connaître de loin ni de près

Une intuition qui l’approche de la connaissance

et qui constitue enfin son acte de bravoure

 

Mot sans références intérieures sans rien de toi

par exemple et alors il n’est pas question d’amour

et sans ces fragments d’os projetés dans l’esprit

pour expliquer que la douleur a son importance

 

Poésie bouffonne de soi-même mais avec tact

car il n’est rien de plus angoissant que de savoir

que le seul personnage est joué depuis toujours

et qu’il est temps de l’envoyer se faire voir ailleurs

 

***

 

 

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