L’on peut dégager plusieurs paramètres afin de cerner ce que j’entends par épaisseur narrative, une expression qui m’est venue récemment, songeant à quelques bons livres absorbés, en contraste avec l’industrie contemporaine du livre.
Le travail puissant de la langue, l’originalité de l’architecture formelle, le caractère hybride de la matière narrative, constituée d’Histoire, de politique ou encore de philosophie ... qui requièrent une grande et constante concentration, inhérente, finalement, à l’approche de ce que l’on appelle la grande littérature.
L’épaisseur narrative est le contraire de l’écriture à plat, de ses innombrables récits fermés qui brillent, de surcroît, par l’absence de style. Elle est énergie, qui demande un total engagement de la part du lecteur.
L’oeuvre de Richard Millet, par exemple, mobilise de nombreuses zones du cortex, tout en provoquant la réaction. Oui, il est obligatoire de dire ce que l’on pense ou ressent de cet auteur. Son style ou phrasé nécessite une attention singulière qui se retrouve d’un livre l’autre.
Oui, l’épaisseur narrative, c’est aussi le retour vers un domaine littéraire qui ne déçoit pas et qui en appelle à la noblesse de soi. A la grandeur d’âme.
Elle est donc un défi ...
Elle est aussi, et surtout, une réconciliation avec le monde, par un détour métaphysique qui met aux prises la concentration du lecteur et l’oeuvre de l’auteur.
A l’expression grand écrivain ou grand auteur, j’accolerais celle de grand lecteur, peut-être plus difficile à définir.
Un grand lecteur serait donc un lecteur qui très tôt acquiert la gymnastique de la lecture et le goût de l’épaisseur narrative.
Le goût de cette aspérité unique qui est sans doute le vrai monde ...