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Seriatim 3 - in progress
Seriatim 3 - Avoir été aimé et ne plus l’être (Patrick Cintas)
![]() oOo Avoir été aimé et ne plus l’être / l’homme Arpentait une rue du matin avec le silence Des premiers rayons / « vous aimez le théâtre ? Je vous pose la question parce que je l’aime. J’en reviens comme si j’avais toujours été seul. Mais si vous ne voulez pas répondre… imitons le même silence. Nous sommes loin des cafés, des trottoirs, des retours à Ithaque, du rêve qui remet en cause la réalité des tractations quotidiennes. Lorsque la doña s’est effondrée vous avez poussé un cri. Puis j’ai compris que vous l’interprétiez avec une seconde d’avance. Maintenant je peux me laisser distancer. Allez ! » RÍO Quelque peu irrité Le voilà qui recommence ! BLANCO Il est vrai que nous ne l’avons pas invité. RÍO Ni personnage ni interprète ! BLANCO Pas même apparu ! RÍO Des mots ! Des mots ! Des mots ! BLANCO Qu’est-ce que c’est que cette histoire de… théâtre ? RÍO Il se laisse emporter par le vent :
Je revenais seul, sauf que je venais d’assister (de mon plein gré) à la représentation d’un jeu Que je n’avais pas joué parce qu’il y avait longtemps Que je n’habitais plus avec eux. BLANCO Que veut-il dire ? Que devons-nous comprendre ? RÍO Ah ! si nous l’avions invité… BLANCO Mais ce n’est pas le cas. RÍO Le texte est sacré ! Toute la musique l’est ! Et il revient du théâtre ! Comme si la nuit s’achevait ! Les cafés sont fermés Comme les maisons. Les jardins obscurs Comme le silence Des rues mouillées. BLANCO Ce n’est pas revivre qu’il veut. Il tente l’impossible. Moi, j’ai sommeil. Je reconnais ce chemin… RÍO Il nous ressemble tellement ! Ni dieu ni hypothèse. Mais le rideau est tombé. J’ai sommeil moi aussi. (il baille) Il y avait longtemps Que je n’avais pas souhaité Avec autant d’envie Dormir dans un bon lit, À Nantucket ou ailleurs. « La porte sera ouverte » Pas besoin de clé cette fois. BLANCO Encore heureux ! Ils s’arrêtent pour écouter. Une fontaine s’accroit de leur silence. L’autre reprend :
« J’ai été aimé puisqu’elle le dit. Froissement d’un journal. Puis de nouveau le silence. Ils se regardent, renonçant à quitter les lieux.
S’il y avait une fontaine, Ça se saurait, mais le vent Ne sait pas d’où il vient… RÍO et BLANCO Il recommence !
(s’assoit sur la margelle) C’était un théâtre de choses. J’avais l’impression de lire un roman. Il y avait du monde et on me parlait (continuez !) Vous ne saurez jamais qui je suis ! Je ne serai jamais ce que j’ai été. (voyant une vitrine s’éclairer) Je boirais bien un verre, mais seul… Est-il possible que je m’en sois sorti ? Je n’ai vu personne à la sortie. Pas même une ouvreuse pour me saluer. « bonne nuit monsieur qui revenez » (frissonnant) Le texte devient philosophique. Et alors c’en est fini de la poésie ! Le type ne s’aventure même plus. Il sait où il va alors qu’on l’attendait À l’endroit même de sa solitude. J’ai perdu mon temps avec l’autre. Il jette un œil critique sur les deux « autres ». Un jour peut-être ils vous aimeront… Je ne dis pas qu’ils comprendront. Nous sommes venus en vacances. En famille et en été, budgétisés En prisme, l’œil sur l’ivresse et La chair aux jeunes corps que le sable Mélange à l’écume :: : parlons aux crabes Du rivage, immisçons notre regard Dans les interstices de la roche offerte Avec les particularités locales :: : nus Ces corps vus de la terrasse, verre De gouttelettes / « avez-vous été aimé ? » / « je ne vous connais pas assez (réfléchissant) mais je me sens tellement seule, abandonnée, inutile ! » Les deux autres se taisent obstinément, L’air de penser : « Il se répète » Quel théâtre ! J’en vis encore ! (soucieux, doigt dans la joue) Il y avait du monde. Il y a toujours Du monde s’il est question De savoir qui a été aimé Et qui ne l’est plus. Un monde fou ! Un temps d’hésitation avant la fin, Puis le « tonnerre » des applaudissements. « comprenne qui pourra » dit mon voisin De siège en se levant avant moi / puis « Vous y étiez ! Ne dites pas le contraire… — Encore un café d’ouvert à cette heure, Propose quelqu’un en secouant ses miettes. — Je ne sais pas si je suis disposée… — Elle veut parler de la conversation Qu’elle nous invite à remettre à plus tard. — Nous avons tous envie de nous coucher. — J’ai bien vu que vous étiez concerné Par cette réplique à propos d’avoir été Aimé ou pas… » / Comment le nier Maintenant que la nuit menace De laisser toute la place au jour ?
RÍO Voilà qui est parlé ! BLANCO Mais c’est toi qui parles, mon vieux ! Jamais tu n’as parlé autant ! RÍO Parle pour toi ! Ils se taisent, attendant. Ils n’allument pas leurs cigarettes. La fontaine demeure muette. La pluie tombe, glaciale.
Un jour quelqu’un lira cela.
BLANCO Que dis-tu ? RÍO Moi ? (se ravisant) Rien. BLANCO Je croyais… RÍO Nous avons tort d’aller au théâtre… BLANCO Tu veux dire : quand il pleut. Quel grésil ! J’en frissonne ! RÍO Riant Marre de ton cultisme ! BLANCO Quel théâtre n’est pas baroque ? RÍO Demain à la page des spectacles. (circonspect) Bientôt l’heure… L’employé viendra chercher sa goutte. BLANCO Pour moi ce sera un café… bien serré ! RÍO Chut ! BLANCO Il recommence ? Ils se rejoignent pour écouter : Non… C’est la fontaine. Ou le premier oiseau tombé du nid. (soupir) Qui n’est pas rentré chez soi ? BLANCO J’aime la trivialité des dialogues. On devait aller plus souvent au théâtre. RÍO Mais tu dis le contraire de… ! BLANCO Je dis ce que je pense ! Tu ferais bien de t’y mettre toi aussi ! (docte) Qui sommes-nous quand nous ne sommes pas au théâtre ? RÍO Tragique Il n’y a qu’à nous regarder… BLANCO Main en visière Personne pour filmer la scène… (brusquement) Il revient ! Marre d’être hanté Alors que j’ai été un enfant ! RÍO Mais tiens-toi donc ! Nous ne sommes pas seuls ! Nous avons été aimés !
Puisque vous le dites… aimés L’un et l’autre par l’autre qui N’est plus là pour aimer…
BLANCO Tu as entendu… ? RÍO Rien… (réfléchit) Tu veux dire : comprendre ? BLANCO Je dis ce que je dis ! RÍO Étirant les pavillons de ses oreilles Nous ne tenions pas ce genre de conversation… BLANCO Nous ne revenions pas du théâtre… RÍO Nous n’y allions pas non plus… BLANCO Nous attendons le premier employé. Signe que le rideau ne va pas tarder À s’ouvrir. Le percolateur chuinte Déjà. La pluie tombe verticale, signe Que le vent n’est plus ce qu’il était. Forêt de signes et non pas de symboles. Bois joli des hypothèses qui font le matin. Qui n’a pas été aimé au moins une fois ? À part lui. N’en frisonnes-tu pas, Río ? Río se pelotonne contre la muraille. J’avais oublié de préciser Qu’il y a une muraille. Dans leur dos, une muraille. Et le jour se lève Avec l’arrivée d’un premier employé.
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