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L'automédon
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 Article publié le 20 décembre 2020.

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Je torchonne à plaisir la graisse et le cambouis

Du moulin à café de mon automobile.

Je conduis mon coucou, des œufs sous les ribouis.

Les miens n’ont pas de quoi se faire de la bile.

 

Sachez que j’avalais des forêts en haillons,

Des pierres, des pavés, des tonnes de bitume,

D’asphalte, de goudron, des masses de bouillon,

Des lames de brouillard, des vagues d’amertume.

 

Si vous êtes pressés, plein pot, passez devant.

Vous ne me semblez pas avoir les nerfs solides.

Que voulez-vous lancer plus vite que le vent,

Les chevaux agressifs de vos fumeux bolides ?

 

Que choisir ? La peste ou le choléra-morbus ?

L’arme à feu ? Le poison ? Le grand saut de Leucade ?

L’étang ? Le gaz ? Le fer ? Les roues d’un autobus ?

Les flammes ? Je meurs cent fois sur mes barricades.

 

A l’aurore, à mon dail dans un champ de méteil

Ou sous mon olivier, déparlant d’abondance,

Qu’un croque-mort me morde au sang le gros orteil,

Je me refuserai sans doute à l’évidence.

 

Ne suis-je qu’un suppôt de maître Lucifer ?

Le restant bienheureux d’une trôlée d’apôtres ?

Suis-je devant Dieu ? Dans les tourments de l’enfer ?

Je suis dans les draps mûrs de mon rigide peautre.

 

Piron, Gallet, tous les chansonniers du caveau,

Ceux des accordéons, des airs à manivelle,

Novalis, Richepin, Carco, Prévert, Nouveau,

Ne sont pas revenus nous dire des nouvelles.

 

Je ne raffole pas des cadavres exquis ;

La plume avant les bœufs, je sue d’ahan, je saigne,

Je laboure mes chants, je reprends mes maquis,

Je bataille, je vis, je me mens, je m’enseigne.

 

Je me mets au hasard de n’être plus bon à

Mijoter, à bouillir, à rôtir, ni à frire,

De me faire traiter de marchands d’almanachs.

Mam’selle, un curaçao ! Double et de quoi écrire.

 

 

Je fume du gros-cul, du foin, du caporal,

Je me rince les crocs, la dalle à l’ambroisie,

Ma tire me remonte en douce le moral

Et m’entraîne pour un temps à sa fantaisie.

 

Elle n’est pas du genre à s’en laisser conter.

J’en suis féru comme un gueusard de sa musette.

Pour elle, je pense et dépense sans compter.

Dire qu’elle n’était jadis qu’une amusette.

 

Salut, salut l’aïeul, mon ancre de salut !

Salut, braves soldats à la corvée de pluches,

Salut, damnés du globe endurcis de calus,

Salut, mes revenants, salut, mes camerluches !

 

Il est bien loin, s’il court toujours, le galopin,

L’éphèbe, le dadais, bien loin le mirliflore,

Le gaillard que je fus, mais tout près le clampin

Qui questionne Pasquin : Ai-je bien fait d’éclore ?

 

Ecrit en prose qui veut, mais en vers qui peut.

J’écris de mon donjon et de mon fond de cale.

Ces baveux rimés ont des baragouins pompeux,

Ce torche-cul s’en tient à la couleur locale.

 

 

On m’emporte au martyre à cor et à décris,

Au poteau, au bûcher, aux mêmes litanies ;

On me traîne au barathre, au pal, au pilori,

A l’estrapade, à la potence, aux gémonies.

 

On naît toujours trop tard, on meurt toujours trop tôt.

On se pointe, on besogne, on s’entête, on calanche.

On arrive en fanfare, en deux ou trois bateaux ;

On repart sans éclat entre nos quatre planches.

 

Souventefois, la Mort se rapplique trop tard.

Souffrir, plutôt souffrir que mourir ? La Fontaine,

Ta devise, à mon sens, ne vaut pas un patard.

Je te le dis, ô Jean, sans prendre des mitaines !

 

La Mort, j’en ai bien peur, se moque d’ici-bas

Pourvu qu’elle ait toujours des gueux à mettre en boîte.

Je crie : Arrachez-moi, Dame, de mon grabat !

Mais je l’envoie quérir par un maufait qui boite.

 

Dis, d’elle que sait-on ? Quasi rien, pas des tas ;

Deux, trois choses, gus, c’est comme pour l’Arlésienne

De Bizet, comme pour les croix du Golgotha.

Pour sûr, c’est comme pour les fables milésiennes !

 

 

Muses, masques, gueusards, chats, chiens sont du convoi.

Ni couronnes, ni fleurs, ni requiem, ni poêle…

Je vous pose un peu là, ma guitare et ma voix,

La Poésie me suce encore jusqu’aux moelles !

 

Quand nous nous en donnons de la bonne façon,

La Carline est tôt ivre au bras de son métrique.

Elle en oublie parfois sa faux dans la moisson,

Son linge dans les bois, son sac dans une crique.

 

J’ai ranci, j’ai blanchi, je meurs dans mon harnois.

En trois coups de cuiller à pot, la Mort me trousse.

J’en ai briqué des mers sur ma coque de noix ;

Se peut-il qu’à la fin plus rien ne me courrouce ?

 

Suis-je un de ces barbons à l’âme de travers,

Pas tout à fait perclus, pleins de plaies et de bosses,

Qui n’en finissent pas de passer des hivers,

De faire leurs adieux et de creuser leur fosse ?

 

Que me réserves-tu, ma vie, pour le bouquet,

Pétard mouillé, bluette ou grand feu d’artifice ?

Un, deux tours de cadran pour boucler mes paquets ?

Pour ne faire de moi qu’un simple sacrifice ?

 

 

J’aurai rimé, ramé, mais souvent par dépit,

Sautant de l’aigre au doux, du cocasse au sévère.

N’en ai-je pas assez remis sur vos tapis,

Sur vos sales métiers, au pied de vos calvaires ?

 

Ma claque et mes écots, je les règle en chansons.

Je n’ai plus une ardoise à Saint-Ger, à Pigalle,

A Montmertre, à la Mouffe… Ah ! ce que les gens sont

Hargneux comme le croup, méchants comme la gale !

 

Une garçonne en noir me hèle au carrefour.

Où allez-vous ? Au diable où l’on mord la poussière.

Très viande rouge, édam, champagne, petits fours,

Je goûte l’air du temps. Madame est romancière ?

 

Heureux celui qui croit choisir son au-delà ;

Ses œuvres de surcroît feront qu‘il le mérite.

Quant à moi, je m’en tiens à chanter le lilas,

La rose, à effeuiller des champs de marguerites.

 

Choisir… Se plumarder ou sortir humer l’air ?

Choisir ? Presque toujours, toujours prendre le pire,

Choisir, choisir, ai-je eu de la chance ou du flair ?

Ai-je, tout bien pesé, cédé pour un empire ?

 

 

Mais obéissez, point tant de raisonnements,

On vous bouche le cul d’un noyau de cerise,

On vous lâche, on vous tient comme dans les romans,

On vous bat ventre et dos, on vous brime, on vous brise !

 

On dirait que je sors du moulin de Daudet,

Les os mis en poudre et la carne en marmelade.

Faites votre chemin et guidez vos bidets,

Pour l’heure, je ne suis pas à la rigolade !

 

Ceux-là me traitent comme un valet de carreau

-Je décanille avant qu’un caillou ne m’atteigne-,

Ceux-là se piètent contre un soi-disant héraut

De la paix et ceux-là, leur casquette a la teigne.

 

J’en aurai savonné du chignon au croupion

-A toiletter les morts, on perd temps et lessive.

T’as l’bonjour d’Roberto, d’sa gueuse et d’ses morpions.

Tiens, figure d’anchois, prends ça dans les gencives !

 

Je suis plus qu’à mon tour dans de rudes charrois,

Mais dois-je pour autant sans cesse y chanter pouilles ?

Coraillez mes corbeaux et sonne mon beffroi,

Pour faire rappliquer les chipeurs de dépouilles.

 

 

Je n’en suis pas encore aux regrets, aux remords :

Mes fringales, mes soifs ne sont pas assouvies.

Qu’on me serre la bride et me hoche le mors,

J’étrangle ma souffrance avec de l’eau-de-vie.

 

Qu’est-ce qui coule sous les vieux ponts du Léthé ?

Je vous le donne en dix, en vingt, en cent, en mille.

Du rhum ? Du népenthès ? De l’hypocras ? Du thé ?

Sur ses grèves de grès, la Mort nous assimile.

 

L’air de rien, ce piot tape à la nuque et au front.

Gens rassis, ce n’est pas, pardi, pour me déplaire.

Encore une Bacbuc, ensuite nous verrons,

Déjà, nous n’avons plus vergogne, ni colère.

 

La nuit d’avant, j’étais au bord de l’Achéron,

Maupiteux, sans un quart d’écu, sans une pite,

Sans un sol, un pied dans la barcasse à Caron…

Halte-là, borgne à l’ail, crache au bol tes pépites !

 

Qu’entendons-nous autour et alentour de nous ?

On ne voit qu’une fois l’anthracite rivage.

Que de fois l’ai-je vu, ravis à deux genoux ?

Que de fois je me dis : Si je n’y suis, qu’y vas-je ?

 

 

Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs...

Parle, Charles. J’étais au bout de mon délire,

Je peine, cahoté dans ma Provence en pleurs,

Mon style troubadour se mesure à la lyre.

 

Garnements et clébards cortègent mon teuf-teuf,

Mon rauque avertisseur s’efforce à rendre l’âme.

C’est dimanche aujourd’hui, les cagots sont tout neufs.

Dubonnet ! Dubonnet ! On peignait la réclame.

 

Midi. Le clocher teinte. Il est midi passé.

Le chien m’a reconnu… La table est généreuse.

Une passade, un lieu… Je ne suis plus pressé.

La patronne ? Un chagrin d’amour, la malheureuse…

 

Je lèguerai ma biasse et tout mon saint-frusquin,

Mon rabot, mes pinceaux, ma truelle et ma râpe,

Mon manteau de Noë, mon manteau d’Arlequin,

Avant que la Camuse au tournant ne m’attrape.

 

Je laisse à quelques uns ma parole et mon chant,

Mon masque à domino, mes dés, mes noms de guerre…

Lorsque j’aurai passé comme l’herbe des champs,

De ce qu’ils en feront, je ne m’en soucie guère.

 

 

Glisse, c’est du velours, ô ma guimbarde d’or,

C’est le pays de Tendre aux routes délébiles.

A la radio, j’ai eu la Suzy Solidor,

La Damia, la Fréhel, la voix d’une sibylle.

 

Je retape ma caisse à la froide saison ;

Je me paie des marrons, des frites et des toiles ;

Je raconte au papier toutes mes déraisons…

J’ai encore à Paris mes nuits claires d’étoiles.

 

Je n’aurai pas toujours été cette morte-eau,

Ni ce mauvais coucheur sombre et mélancolique,

Ni ce gras Cabotin de pièces de tréteaux

Friand d’auteurs scabreux, de vers ithyphalliques.

 

Arrête un peu, Thespis ! Arrête un peu ton char !

Avec mes figurants, avec mes marionnettes,

Avec mes pions peaucés en cabots cabochards,

J’ai dans l’idée, l’ancien, d’allonger des binettes.

 

Ma muse, n’ai-je été qu’un lourd mécanicien ?

Qu’un bec de zinc zinzin qui carbure au benzène ?

Qu’un versificateur plus ou moins parnassien ?

Comme mézigue, en vois-tu treize à la douzaine ?

 

 

Je ne suis pas venu pour ramasser des clous,

Pour demeurer capot, pour rouler sur les jantes ;

Je ne suis pas venu pour filer les filous,

Pour démarrer en trombe et tracer des tangentes.

 

Je suis venu. Je pars de plus en plus souvent ;

Je traverse des cris, des babils, des murmures ;

Les vers, les vers m’auront rongé de mon vivant.

Je reviens dans mes murs, à mon vieux mur de mûres.

 

Je sais ce que je suis et ce que je me dois.

Le tout est de savoir se risquer ou attendre,

Remuer ciel et terre ou souffler sur ses doigts,

Etre un jour dur à cuire, un autre large et tendre.

 

Je ne suis ni coulant, ni crâne en cramoisi,

Pour se désennuyer mon calame escarmouche.

J’entame des retours et des revenez-y,

Si je suis en retard, c’est à cause des mouches.

 

Pour ne rien vous cacher, j’ai des jours de bonté.

Les ci-devant, rangez-vous contre la muraille !

Mes freins geignants ne sont plus ce qu’ils ont été

Et ma bagnole sent gargouiller ses entrailles.

 

 

Chanterelle au plancher, feux et phares éteints,

Que m’importe à présent les longues et les brèves,

Borodine à tue-tête, à cent ans de Pantin,

Je fonce dans la nuit et je sors de mon rêve.

 

Je vais dehors la ville une semaine ou deux,

Je vais me mettre au vert dans la cambrouse en friche,

Une cure d’oignons, d’ail, de pissenlits, d’œufs,

Chaque fois, j’en ramène une pleine bourriche.

 

Encore un peu plus outre, et nous sommes rendus

A la carre du bois. De côté les cocagnes,

Les méchefs, les enjeux… C’est notre coin perdu.

Tu jappes, tu gémis, tu renifles, ma cagne.

 

Tu es en panne sèche, en rade mon tacot.

Quatre lieues, guère plus, mais il faut que tu ailles

Par cette tortillère à dos de bourricot.

On m’accroche un bidon, un sac de victuailles.

 

Les mots doux à ma lèvre, à mon cœur sont amers.

Elle est belle à croquer, la frimousse du monde !

D’où reviennent ces vents qui triment sur la mer ?

Nous, nous n’aurons été que des flambées d’émondes.

 

 

On m’enterre à Toulon -un fifre, un tambourin-,

On m’enterre à Paris -un orphéon funèbre- ;

A trois pas de la Seine ou des remous marins,

On m’enterre à patron minette ou à ténèbre.

 

Mes épitaphes : Ci-gît un gars tout de go,

Un ferrailleur envers et contre tous en prose

Et en vers qui ne sut s’en donner à gogo

De sa bercelonnette à sa couche morose.

 

Ci-gît, sous six empans de chaux, un vrai gaulois

Que le soleil réchauffe et que la pluie pénètre.

-Il fendit de ses poings les tables de la loi-,

Un mâle du pays qui ne fit pas qu’y naître.

 

Ci-gît, ci-gîte un pitre, un faiseur de bons mots,

Un retors retourneur d’antiques ritournelles,

Un redresseur de torts guéri de tous les maux,

Héritier d’une mer, d’une mère éternelle.

 

Passant, ci-dessous gît, orteils en éventail,

Mains derrière la tête, un de la Canebière,

De la Boule joyeuse, un braque épouvantail

A chènevière, au frais dans sa mousseuse bière.

 

 

Ci-gît -prénom et nom-, à l’ombre d’un cyprès.

Crieur de quotidiens, vendeur de mithridate,

Je suis né, j’ai vécu, je suis mort ici près,

Mort seul, sans un, flapi, malade et laid. Deux dates.

 

Ma pioche, ma pelle et mes clefs au bord du trou,

Mes rondes, ne comptez plus que je reverdisse.

Le nectar, le nanan ne me font plus bon prou,

Vos thrénodies, ni vos versets pleins de blandices.

 

On dit que nous faisons de dangereux crochets.

Que nos trucs, nos machins ne sont plus efficaces.

C’est ainsi, la rumeur me vient par ricochet,

Ma patraque brelingue, on nous pousse à la casse.

 

On frappe. Est-ce ma garde ? Est-ce mon vieux mentor ?

Qui est là ? Qui est là ? C’est nous, c’est nous les Moires !

Ouvre ! Ouvre ! La pluie nous sangle et le vent nous tord !

Palsambleu, j’étais à écrire mes mémoires !

 

 

Robert VITTON, 2016

 

 

 

 

Automédon : conducteur du char d’Achille. Ici, au sens figuré, conducteur de voiture.

Ecrit en prose qui veut, mais en vers qui peut. Voltaire

Barathre : précipice où l’on jetait les condamnés dans l’antiquité à Athènes.

Métrique : métricien.

Bacbuc : chez Rabelais, la dive Bacbuc, la bienheureuse bouteille. Hébreu, baqbouq, bouteille, flacon.

Ravi : en Provençal, simple d’esprit.

Méchef : terme vieilli, fâcheuse aventure.

Prou : profit.

 

 

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