Réveil. Qui chante en sonnant !

Ton enterrement est pour bientôt

Et dans le seigle tu fais l’idiot

Les résultats du labo sont sur la table de nuit. Posés à côté du verre. Vert pituite, sourit-il bêtement. Ils disent qu’il a le foie pourri…

Tralalalalère

Il jette un œil sur le dehors qu’il aperçoit de son lit. La rue Vilin dans le XXème arrondissement. Paris. Ou ce qu’il en reste. Paris disparu ! Paris foutu comme l’as de pique !

— L’as de pique ! Ça m’a réveillé en plein milieu de la nuit. Après j’ai rêvé. Rêvé vert et bleu, dit-il à part lui, en se regardant dans le miroir.

La rue Vilin apparaît dans un film signé Pierre Chenal. Les jeux dangereux, en 1958. Il y a 70 ans ! Avec Jean Servais. Il voit la gueule de Servais dans le miroir. Il a la même voix de nez. Le désabusement. L’ennui qui chérit l’ennui. Le regard qui accueille la noirceur des ténèbres sur le vert. Le vert atrabilaire inexorable comme la mort.

En revanche, le quartier n’est plus. L’as de pique ! Foutu ! Bien qu’il ait un passé. La rue Vilin en particulier. Un je me souviens de Georges Perec où sa mère tenait un salon de coiffure.

Jeudi 27 février 1969, écrit-il, au 27, un magasin fermé, « La Maison du Taleth », avec, encore visibles, des signes hébreux et les mots « Mohel, Chohet, Librairie, Papeterie, Articles de culte, Jouets » sur une façade d’un bleu délavé. Bleu du ciel de rêve.

Il ferme les yeux. Repasse quelques images de sa nuit ; l’entrée du port de Bonifacio encadré par le nez tranchant des falaises. La réalité le rappelle à lui. Un coup d’œil par la fenêtre. Dans ce Paris massacré, il aperçoit celui qui le suit depuis trois jours. Un flic vert de la Mairie qui ne se gêne pas pour faire savoir qu’il est là. Quel con ! dit-il à son miroir. Parle-t-il de lui ou du flic vert ? Qui sait ? poursuit-il face à lui-même. Je suis un désert qui monologue… Il aime cette phrase de Violette Leduc qui le résume assez bien.

Il habite au n°17 de la rue Vilin un ancien café « Novo Orvoren Jugoslovenski Cafe-restoran Kod Milene », café-restaurant serbo-croate qu’il a converti en atelier. Son domaine. Le roc de son énergie. Son abri anatomique ! Le tout (car c’est une entité) au beau milieu d’une ville perdue. Paris n’est plus. Tas d’ordures, décharges à ciel fermé, pelouses mortes, herbes brûlées, vélos haineux, rats princes du bitume, flics vert-de-gris !

Après les Jeux Olympiques foutus comme l’as de pique, jeux de la catastrophe et de la merde globale, Paris, déjà fort abimé, nivelé, réduit, avili, par la maire Ubu-Hidalgo, a muté désastre, terre de désolation, val de la tuerie ! Notre-Dame a brûlé une seconde fois pour toute ! Plus d’âme ! Plus rien ! Paris vidé de son sang, de ses entrailles, de sa renommée, de son salut, de son immortalité et de son éternité.

Le temps des malheurs contaminants est venu ! Charognes en chaînes pour seules nourritures ! Nuées de morpions ! Concours de cancers ! Étrons ! La ville est passée aux mains d’un groupe horrible, parti de la mouche et de l’araignée !

— Réjouissez-vous, exultez, spoliateurs de ma possession !

Il hausse les épaules. Engouffre un CD dans la machine. Miles Davis, Kind of Blue, la lumière bleue du blues… ciels de traîne, nuages, averses, éclaircies : bleu bonifacien des profondeurs du temps à retrouver ! Il respire. Bande quasi. Un dernier coup d’œil sur le con d’en face. Avant de coller un dessin sur la vitre à son attention ! Des traits aussi fins que les balais caressants de Jimmy Cobb qui est aux drums ! Magie bleue venue en surenchère de Bill Evans au piano, riffs indigo, voicings outre-mer ! Le con d’en face les yeux gros résume vite fait pour sa hiérarchie :

Nom : Thy

Prénom : Paul-Mario

Adresse : 17 rue Vilin, Paris XX

Né le : 9 juillet 1985 (43 ans)

À : Paris XX (Hôpital Tenon)

Profession : peintre artiste

Religion : catholique

Pronostic vital engagé !

Jacques Cauda (extrait de Pronostic vital engagé à paraître chez Sans Crispation éditions en 2024)