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III - serena
L’enquête de Frank Chercos - chapitre XXIII - 1

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 Article publié le 15 janvier 2023.

oOo

Il y avait du monde dans le hall d’entrée du château de Vermort. La nuit n’en finissait pas de tomber. La lumière semblait s’attarder, vaguement mélangée par la ligne des cyprès qui allongeaient leurs ombres parallèles dans l’allée principale, celle que venait d’emprunter Roger Russel, tout couvert de son pyjama d’inspiration japonaise et la torche promenant dans les feuillages bruissants des ibiscus qui venaient de perdre leurs couleurs. Cigarette au bec, planté devant la baie vitrée éclatante de lueurs dansantes, Frank Chercos voyait le maître avancer sur le gravier, levant haut le genou comme s’il était pieds nus. Il attendrait la première parole avant de s’expliquer. Il le laissa venir sans s’opposer. Sa présence ne relevait d’aucune autorité, ce qui expliquait qu’il se déplaçait en marge de la scène qui faisait l’objet d’un début d’analyse après avoir été figée. Des crânes bien coiffés courts et dégagés se reflétaient entre les meneaux au mastic craquelé. Roger Russel voyait un tas de choses qu’il décrivait sans cesser d’avancer et ses lèvres prononçaient ces paroles confuses qui pour l’instant ne contenaient aucune question. Frank Chercos écrasa son mégot avec le talon de sa chaussure droite, comme d’habitude, jamais la pointe ni le pied gauche. Vieillit il avait. Années pas vu depuis.

— Je n’ai pas eu le temps d’enfiler un costume, dit Roger Russel en gravissant les marches qui bordaient en arc de cercle la terrasse qui avait connu de meilleurs partenaires.

— Je vois, fit Frank.

Roger ajusta le col empesé et se gratta la glotte d’un air pensif. Savait-il ce qui venait d’arriver ?

— Je crains que non, dit-il en frottant sa lèvre inférieure avec le dos de son index.

— Vous ne devinerez jamais.

De là, on pouvait voir le cadavre. Ça flashait, projetant des ombres géantes sur les tapisseries et les miroirs en jouaient.

— On n’entre pas, indiqua Frank. On regarde de là. Ni vous ni moi ne sommes

— Je sais, je sais ! Mais qui… ?

— Vous ne devinerez j

On voyait les jambes croisées. Pas de sang. Deux types s’étaient agenouillés. On aurait dit des prieurs chargés de. Puis la comtesse apparut, en sa robe de chambre aux armes des Vermort, dans le dos il y a. Puis elle se retourna et il vit qu’elle ne pleurait pas. Elle aurait pleuré son fils. Pleurer son comte je sais pas. Je ne sais plus. Tellement de temps a passé. Cette histoire. Pas achevée. Ben Balada est-il sorti ?

— Non, dit Frank. Une histoire de papiers. Cérastin n’en dit pas plus…

— Pas lui alors… Mais qui… ?

— L’extraterrestre.

Roger parut soulagé. Il n’aurait pas aimé que. Ni souhaité. Il ne paraissait même pas intrigué par la mort de cet extraterrestre qui. Il s’avança autant qu’il était permis et Frank était sur le point de le retenir par la manche.

— Il ne saigne pas, constata-t-il. Les extraterrestres ne saignent-ils pas si…

— Il a été étranglé.

— Pourtant… le coup de feu… J’ai entendu un

— Le comte a tiré sur l’intrus.

— C’était un intrus… ?

— Faut croire.

Il avait dû se battre pour ne pas. Un corps d’athlète. Souvent mis à l’épreuve. Samedis soir. Les gens ne savent plus ce qu’ils. Quel jour sommes-nous ?

— Lundi, grogna Frank.

Il fumait de nouveau. Sa fumée était irrésistiblement attirée à l’intérieur. Roger mesura instinctivement l’incidence de la brise du soir chargée des ahans des animaux en attente.

— Je ne comprends pas, dit-il comme s’il prenait l’affaire.

— Personne ne comprend. L’histoire que raconte le comte est sujette à caution, si vous voyez ce que je veux dire…

— N… non, je ne vois pas, je

— Il a pu tirer après l’avoir étranglé.

— Anaïs… Un amant… extraterrestre…

— En tout cas ce n’est pas Ben Balada. Le gendarme a tout de suite pensé que. Mais Ben Balada n’est pas encore sorti de prison. Peut-être demain. Les papiers.

— Qui alors si ce n’est pas le comte qui… ?

— La comtesse. (écrasantmégot selon rituel) Je l’aime bien. Nous avons passé la soirée avec elle.

— Qui ça donc nous

— Hélène. Vous vous souvenez d’Hélène… ? Les promenades sur l’Aulnier. Fonds plat des marins d’eau douce. Ah ! Ah !

Un gendarme s’imposa dans un rayon de lumière qui tombait sur ses épaulettes.

— Alors… ? fit Frank.

— On a un premier scénar, répondit le pandore qui humait la fumée bondissante. Mais vous savez ce que c’est…

— Je sais.

Roger risqua un petit salut du bout des doigts auquel le roussin ne répondit pas. Il ne me voit pas. Je n’appartiens pas à ce chapitre. Il jette un œil morne dans l’allée, voit la fourgonnette, l’éclairage de l’entrée donnant sur la route, un margis en faction. Le soleil est tombé, là, derrière le bois jouxtant le gazon où deux chiens sont couchés, pattes croisées, oreilles en pointe.

— Je ne peux pas vous autoriser à entrer, dit le gendarme. On attend le. Té ! Il arrive !

Etc. Roger Russel croisa la voiture du. Elle était éclairée à l’intérieur. Reconnut les personnages. Passa son chemin. Frank trottina un bon moment avant de le rejoindre sur la route. Il allait d’un bon pas. Son pyjama flottait autour de ses jambes rapides. Il se retourna en entendant les pas pesants du flic qui haletait, mégot sur la langue, éteint si j’en juge par. Il ralentit et se laissa rattraper. On pourrait discuter sur la terrasse, devant le jardin. Il possédait une terrasse lui aussi. Pas aussi élégante que celle de Vermort, mais on y dansait autrefois. Entre petits bourgeois du coin. Avec vue sur les toitures du château. Guirlandes en hiver d’un frêne à l’autre. Les jeux du vent et des mains sous les jupes.

— Il est un peu tard pour, commença Frank.

— Ma mère ne dort pas. Le coup de feu. Attend au balcon. Elle sera. Moi aussi je le suis. Ça m’aurait em. Mais grâce à d. Nous arrivons.

— Je sais.

Il savait. Qu’est-ce qu’il ne savait pas, Frank ? Il aimait savoir. Il n’inventait rien. Pas comme ces. Ne sauront peut-être jamais qui. Où étiez-vous quand… ?

— Alors… ? fit la vieille de là-haut.

— On va s’envoyer un petit remontant.

— C’est si grave que ça ?

— Personne n’est mort, maman.

— Grâce à D.

En même temps voit Frank qui gratte des allumettes, voit les allumettes sur les marches, un mégot écrasé. Il lâche une bouffée qui monte.

— Vous êtes là vous aussi ? Je croyais que.

— Vous croyez bien, madame Russel. Je passais. Depuis hier. Vous savez : le concours

— Ah ça !

— Hé bé té ! (Roger)

Ils s’installèrent, chaises grinçant sur la tomette. Les verres devant. Elle prit place elle aussi, mais sans s’approcher de trop près, elle voulait voir l’ensemble guéridon-personnages comme si de cette manière elle pouvait mieux entendre ce qu’ils. Mais pour l’instant ils vantaient les qualités de l’anisette du docteur Vincent. Anéthol espagnol. Acheté chez le marchand de couleurs. Des mouches se posaient sur les morceaux de jambons. Frank les chassait de son index. Une seule fois il avait plié cet index en action et l’homme était mort sur le coup. Il savait ce que c’était un coup de feu professionnel. Celui-là ne l’était pas, professionnel. Fusil de chasse. Superposés. Mais Roger n’avait entendu qu’un seul coup. Pourquoi le comte n’avait-il pas tiré le second alors que l’intrus détalait vers la grille ?

— Moi j’en ai entendu deux, dit la vieille.

— Tu n’en sais rien, fit Roger en avalant la première gorgée.

— Une anisette à cette heure-ci… murmura Frank.

— Que dit le comte ? Un ou deux ?

— C’est le fusil qu’il faut interroger.

— Mais les mains, nom de d ! Les mains ! À qui

— On finira par le savoir.

— A-t-on idée de tuer un extraterrestre ! fit la vieille qui tapotait ses genoux avec une aiguille à tricoter. Ça n’est même jamais arrivé, de tuer ce genre de personnage… En tout cas pas ici… Vous êtes au courant, vous, monsieur Chercos…

— C’est en effet le premier. Ici.

— Et ailleurs ?

— Je n’en sais rien. Je n’ai jamais.

La vieille revenait avec de l’eau fraîche.

— Il a été étranglé, ce qui prend un certain temps…

— Peut-être pas autant que ça avec les extra…

— Ils ne meurent pas plus vite que nous. Ils y mettent le même temps. Mais ça dépend de chacun. Comme nous.

— Qu’est-ce que tu en sais ?

— Ainsi Hélène… commença Roger.

— Quoi Hélène ! s’écria la vieille.

Frank observait les mouches maintenant.

— Elle est venue avec ce… ce journaliste. De La Méridienne. Vous savez ? Avec cette idée de prendre Ben Balada sur le fait !

(rires)

— Comme vous y allez, vous !

Maintenant elle le voussoyait. Jadis elle l’appelait Frankie et elle lui appliquait des frites sur les fesses, sans jamais le manquer. Il lui en voulait encore. On n’humilie pas les enfants sans en payer le prix. Mais finalement il avait quitté les lieux pour exercer son métier ailleurs. Il revenait pour jouer. Vaincre le comte sur son propre terrain. Elle avait entendu parler de ce jeu. Elle ne savait plus ou ni qui. Roger ne jouait jamais. Même enfant il.

— Si ce n’est pas Ben Balada alors qui

— Pourquoi voulez-vous que Ben Balada s’en prenne à un extraterrestre dont il ne connaît même pas l’existence puisqu’il était déjà enfermé quand…

— Ah pardon… fit Roger avec un petit geste de la main en signe d’excuse.

— Qu’est-ce que tu en sais ? fit la vieille assise mais pliée sur ses cuisses croisées.

Frank chassa les mouches d’un revers de la main.

— Si vous savez quelque chose… bredouilla-t-il.

— Des fois que ça lui serve à gagner ! s’écria la vieille comme si elle venait de comprendre ce qui se jouait autour de cette table qui semblait émerger de la nuit.

Frank se laissa rire, mais sans céder à la douleur qui l’étreignait comme chaque fois qu’il lui semblait tenir le bon bout. Surtout s’il y avait une relation entre Ben Balada et cet extraterrestre. N’avait-on pas pensé à lui tout de suite alors que le cadavre était encore ? Pourquoi avoir pensé à lui ? Parce que c’était dans l’ordre des choses ? Parce qu’un assassin qui sort de prison n’a qu’une idée en tête et je vous laisse deviner laquelle. Mais quel rapport avec l’alien qui était, avec l’anisette du docteur Vincent, une des particularités remarquables du coin ?

— Ça vous met pas les idées en place, dit la vieille en remplissant les verres.

— Le moins qu’on puisse dire, fit Frank.

Il était temps de rentrer à l’hôtel. Hélène avait prévu une soirée série. Il la retrouva devant l’écran. Endormie et des personnages se battaient avec d’autres personnages. Il coupa le son, mais ne s’en prit pas à l’image. Elle éclairait la chambre comme si. Qui suis-je si je ne suis pas ce que je suis ?

 

 

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