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Chanson d’Omero - [in "Cancionero español"]
II - Gisèle (drame en trois actes)
ACTE PREMIER

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 Article publié le 14 septembre 2004.

oOo

ACTE premier

Hier



Scène unique
Gisèle, Omero, l’Auteur, Fabrice, Ochoa, Néron, Aliz



Premier temps




(La terrasse de la maison d’Ochoa, sous la vigne. Des tables comme dans un café. Au fond, la roche et côté jardin, le paysage montagneux. Côté cour, la maison, la cuisine.)

GISÈLE - Vous autres ! Mais si j’en crois l’évolution des sciences, ce sera vous ou nous. Nous ne pouvons pas perdre tout ce temps passé à reproduire. Le spectacle de vos compensations ! Le plaisir vous agresse à notre place, moment favorable aux disparitions. Je ne veux plus souffrir. Pas même une pensée. Nous avons beau aimer avec sincérité, vous n’allez jamais au bout de cette voie tracée entre la chair et sa durée. Jamais plus loin qu’un cri. Entre nous, l’enfance pourrait devenir l’unité véritable mais la trilogie fatale vous sert de roman et nous nous retrouvons seules avec ce qui reste de l’enfant conçu avec vous. Nous sommes l’avenir des peuples primitifs ! À quel moment devient-il inévitable de nous séparer en laissant toute trace d’histoire en marge de la nécessité ?

OMERO -
Hay un camino,
sin piedras
para decir
a los pies :
Yo existo

Hay un camino,
el horizonte
no es el futuro
el polvo
no es el pasado
De presente
quizás una mujer
quizás nada

El camino
de la espera

L’AUTEUR -
L’été
à Polopos
les oiseaux
produisent des cigales
sur les troncs
des eucalyptus
et des oliviers
Je dors
à l’abri
de ton feu
universel
sous les pentes
des toitures
où vivent
des oiseaux

Le matin
à Polopos
les oiseaux
réveillent les cigales
et les troncs
des eucalyptus
deviennent rouges
comme les turgescences
du printemps

Les oiseaux
se réveillent
au-dessus de moi
dans les branches
qui touchent
le toit
de ma maison.

Il y a un chemin
et pas de pierres
pour dire
J’existe
Horizon
Poussière
et Femme
sont les maîtres mots
de cette existence.

La guitare
d’Omero
remplace le pipeau
des bergers
Et les chants d’oiseaux
mes rêves
les plus récents
ceux qui ont encore
des ressemblances
avec la réalité.

Puis les oiseaux
s’identifient
un à un
puis par couple
par volées
géométriques
et faciles
hirondelles des fils
tourterelles des cimes
des poteaux
moineaux des feuilles
d’ombre
la chouette demeure
invisible
et le merle
croise les geais
bavards

Puis les insectes
me visitent
tous plus ou moins
menaçants
L’air change
la terre se peuple
en surface
et en profondeur
la terre aimée
comme la vie
et le ciel
et toute la matière
qui fonde
les théories
de l’infini
et du néant.

Ayant perdu
la place
qui me revenait
parmi les penseurs
de ce monde à genou
je tisse des toiles
au lieu de les peindre
j’enfile des mots
et je ne les dis pas
au passant
à la passante
qui peut être
un enfant

Perdu
le fil
et invisible
l’autre côté des carreaux,
cet intérieur
de bois
et de terre
ne m’appartient plus
comme il a reproduit
toutes les existences
qui m’expliquent
Écrivant
au lever
de ce corps
maintenant
moitié vivant
moitié mort
avec la poésie
qui me mord les lèvres
et les anecdotes
et les pensées
qui reviennent
avec leur charge d’enfance
et d’adolescence
je croîs
dans les statues
et leur présence
projette des ombres
de personnages

OMERO -
Il y a un rythme
et ici
je différencie
la prose
du vers
la prose est féminine
et le vers est l’homme
en proie
au vertige
Je reconnais
la femme
comme si elle était mienne
et l’homme je le crée
comme la boue
existe déjà

Je les ai perdus de vue après que les enfants eurent jeté les coquilles de grenades. Je suis allé jusqu’au barrage mais cette fois je ne suis pas monté pour contempler l’eau. Trop miroir, l’eau et le ciel pas assez reflet et moi comme une existence générique. Les bêtes ne m’ont pas suivi. Pas assez d’herbe ou trop de cailloux et de terre craquelée. En revenant, j’ai sucé les sucs des berges et mâché le coeur des chardons. Je faisais le chien avec les oiseaux et l’oiseau avec l’ombre. De quoi avions-nous parlé ? Qu’avions-nous évoqué qui impliquât une suite ? D’habitude, les touristes passent et nous les réduisons facilement à cet éphémère. Comment expliquer qu’un homme tombe amoureux d’une femme s’il n’est pas dans le besoin ? Voici l’auteur qui cueille des trouvailles comme dans le lit du Lot. Nous montons pour notre vin. Il ne boit pas le vin. Il en fait ce qu’il veut. Rien n’est perdu qui a été payé. Rien à regretter en cas de commerce. Il marche comme un soldat. Il marche sur les fleurs et trouve des objets du regard à fleur de la terre. Il me donne à observer des pertinences compliquées de géologie et de croissances superficielles. Ses mains caressent tout ce qu’elles trouvent. Avec des mains pareilles, ma chanson s’éterniserait. On n’écrit pas quand on possède des mains capables d’une telle exigence rétinienne. Et c’est moi qui joue ! Sous la tonnelle d’Ochoa, bien à l’ombre mais pas à l’abri des insectes, ils parlaient d’eux :



Deuxième temps



GISÈLE - Quelque chose ! Dis-le ! Dis ce que je veux entendre maintenant que la vie est définitivement changée par la persistance de tes obsessions. Ce temps perdu à observer. Qu’est-ce que j’attendais de ce silence ? J’étais presque obstinée ! Et j’attendais que tu me parles, attendant que ton corps me le dise puisque tu te taisais.

FABRICE - Il n’y avait que le silence et ta paresse.

GISÈLE - Le lit et la fenêtre ! La lumière du matin est si différente de celle qui nous abandonne la veille ! Je n’avais pas dormi.

FABRICE - C’est ce que prétendent tous les paresseux.

GISÈLE - Je n’avais pas dormi ! Et le rêve dans les gouttes de ta sueur. Je haïssais cette caresse mais je te la donnais. Le temps arrive à s’apaiser comme la rivière de mon enfance après les bois de nos contes.

FABRICE - Les vieilles racontent n’importe quoi.

GISÈLE - Ta facilité à revenir des plus longs voyages. Je n’attendais plus. Mon corps devenait envahissant. Nous ne parlions jamais de tes découvertes. J’imaginais ta patience et les dédales d’une ville inconnue. Parfois la forêt s’interposait et ses animaux s’avançaient. L’hiver, nous fermions les volets et l’attente s’ajoutait à la croissance. Je te suppliais de ne plus t’en aller aussi loin.

FABRICE - Tu aurais dû épouser un employé de la préfecture.

GISÈLE - Mais ne m’a-t-on pas donnée plutôt ? J’avais ce désir intense de choisir. Leur influence s’annulait dans mon désir. Le matin devenait transparent comme le carreau des fenêtres. J’agitais les rideaux pour noyer mon regard. Tu passais sur le chemin. Tu me désirais. Et j’interrogeais mon corps au lieu de le soumettre à tes exigences. Ils m’ont trahie !

FABRICE - Nous trahissons avec une telle facilité à l’heure de remettre de l’ordre dans le monde qui nous appartient ! Je ne me souviens pas de ton visage derrière le rideau. Je te voyais plutôt juchée sur une échelle pour cueillir les cerises de ces beaux mois de juillet qui promettaient tous les recommencements. Tu n’étais pas à la vitrine de tes pensées ! Tu agissais comme toutes les filles en âge d’être dépossédées. Tu te donnais en spectacle sur les échelles !

GISÈLE - Ne parlons plus !

FABRICE - Ils ne comprennent pas.

GISÈLE - Il comprend, lui.

FABRICE (à Ochoa) - Vous comprenez, vous ?

GISÈLE - Tu deviens inconvenant. (à Ochoa) Excusez-le s’il vous a offensé.

FABRICE (à Ochoa) - Excusez-la si elle vous a promis de vous revoir.

GISÈLE - Il n’est question que de ton obscénité !

FABRICE - Appelle cela comme tu voudras. Je suis détruit. Je ne recommencerai que dans mes rêves.

GISÈLE - C’est bien ce qu’ils en pensent : pas de regret. Ils condamnent cette absence de repentir.

FABRICE - Tu en sais des choses sur ce sujet !

GISÈLE - Il y a longtemps que je me renseigne.

FABRICE - Il y a longtemps que je souffre. Je ne sais même pas ce que je cherche dans cette pratique douloureuse.

GISÈLE - Et tu te plains ! Quelle honte sur nous !

FABRICE - Passage de la confidence aux reproches. Elle arrivera au seuil du tribunal avec ce qu’il faut pour exagérer la portée de mon geste.

GISÈLE - Nous n’en sommes pas là.

FABRICE - Tu ne lui as encore rien demandé ? On dirait qu’il attend. (à Ochoa) Nous ne sommes pas venus pour notre vin. Je veux dire que ce n’est plus la raison. Nous venons de changer nos habitudes pour cet instant qui ne se reproduira plus dans la prison à quoi elle veut me condamner. Oublions plutôt.

GISÈLE - Ils ne regrettent jamais. Jamais un regard, ce regard qu’on s’attend à rencontrer finalement comme s’il était encore possible sinon d’oublier du moins de... raisonner.

FABRICE - Elle parle comme si je ne souffrais pas moi-même. Je me défendrais. J’irai au bout de ma confession.

OMERO (jeu) - Nous arrivions. Moi avec ma gourde gonflée d’air et l’auteur avec sa petite poterie de vermeil qui ressemble à un objet du culte. Je n’ai jamais rien pu savoir de ce culte. Il ne boit pas le vin. Ochoa alourdissait l’ombre de son immobilité patiente. L’homme était assis au fond de la terrasse, contre la roche. La femme côtoyait la petite Aliz qui me souriait comme si rien ne venait de se passer. Nous avions rencontré Néron dans le chemin où il chassait des insectes plus rapides que sa lenteur de petit paresseux. Un jour, nous haïrons les enfants que nous n’avons pas été, prédisait l’auteur. Il parlait de Jephté et de sa fille, de Vigny qu’il relisait. Il avait une idée pour expliquer aux autres ce que c’est la poésie et pas seulement en commençant par montrer ce qu’elle n’est pas. Je suivais le fil de sa conversation et il me sembla que Gisèle s’apprêtait à le rompre. Ochoa parut soulagé par notre arrivée inattendue. L’auteur comme moi-même, pour des prémisses différentes et peut-être contradictoires, avions prévu cette visite pour le lendemain. Ochoa imposa sa carrure blanche aux sourdines qui le dérangeait depuis au moins une heure.

OCHOA - J’ai un Gálvez-Cintas de quatre ans d’âge. Ce matin ils me l’ont livré. Je ne l’attendais plus.

L’AUTEUR - Pas bon le vin qu’on vient de transvaser.

OMERO - Pas bon en France. Bon ici !

L’AUTEUR -
Je lui dois une hostie
o ma fille
et c’est vous !

OMERO -
Qui
ne voyant arriver
l’ombre d’une promesse
se soucie
du temps qui passe ?

GISÈLE - Je voudrais téléphoner. C’est possible ?

OCHOA - Je vais vous composer le numéro. Le cadran est un peu encrassé.

GISÈLE - Vous parlerez aussi. Je ne sais pas cette langue.

FABRICE - Elle veut dire qu’elle l’a oubliée.

GISÈLE - Il faudra leur expliquer...

OCHOA - Leur expliquer quoi ?

GISÈLE - C’est si difficile ! Je ne sais plus !

FABRICE - Elle sait depuis le début.

OMERO - Nous, on est toujours dans l’embarras quand le temps nous mêle à ses circonstances. Nous préférons les marges de l’attente. Nous évitons les impératifs des voix qui n’appartiennent pas à notre patience. Fais ceci ! Fais cela ! Cela finit par ressembler à une conversation mais nous ne sommes jamais sûrs d’en être les dépositaires attendus. Laisser Ochoa chez lui ! Il cracherait demain dans notre vin !

L’AUTEUR -
Les choses
les pays
l’infini
ce qu’on en pense
comment on résout
la division par zéro
pourquoi on ne part pas
et le plaisir
qu’on trouve
au gré
du temps
seul chemin
reconnaissable
Je ne suis plus seul
quand je suis seul
je suis infini
quand vous cessez d’exister
Ce que nous ajoutons
peut durer
comme durent
les choses
les nations
et cette idée
que nous avons
de la création
quelle que soit cette idée
ce que nous ajoutons
par division
infinitésimale
ou nulle
si la mort
devient obsédante
comme le pain
quand on a faim
et que personne
n’a ce désir
de sauver le corps
de sa détresse
Ce que nous ajoutons
a quelque chance
d’exister
si la langue conserve
ses adjectifs.



Troisième temps



FABRICE - Faites ce qu’elle vous dit.

OCHOA - Bonjour Omero.

OMERO - (Ode au vin - épure)
Le vin
n’a pas raison
mais il n’a pas tort non plus
Pas de verre
pour le boire
juste le soleil
et l’attente
sous un chêne
où la pierre
est le seuil
de moi-même
Pierre creusée
par dix générations
de bergers
Leurs fesses
ont modelé l’idéal
de la position assise
face à la distance
qui nous sépare
de la civilisation
Le vin attend lui aussi
le moment vient toujours
la nuit encercle le jour
qui ne meurt pas
sinon il renaîtrait
et nous aurions le temps
de tout recommencer
au lieu de remplacer l’attente
par le jeu
Le vin a ses raisons
Il n’explique rien
Ne donne rien
Ne remplace pas
ce qui manque
ce qui finit
dans l’oubli
La terre du vin est un chef-d’oeuvre
des lieux consacrés
à l’attente
La vigne se répand
sur les mottes dures
et nous traversons l’invisible
sans trouver les mots
pour le dire
La terre
en pentes
douces
les ravinements
des pluies
l’herbe folle
et les chemins
calculés
dans la trajectoire
des pierres
qui descendent
des parois
de marbre
et de calcaire
Le vin revenait
au premier jour
à la première fermentation
à l’alchimie
de l’instant
que personne
n’a encore exprimé
Le vin et la terre
se croisaient
comme des oiseaux
dans le ciel
et je cherchais le sommeil
comme s’il n’existait pas
comme si je devais
l’inventer
Nous écrivons
sur les arbres
à la pointe du couteau
comme le couteau témoigne
des moments de désespoir
dans la chair des femmes
ou de l’homme
qui n’a pas attendu son heure
Le vin des garrots
a donné sa place de vainqueur
au vin des perpétuités
relatives
Ce n’est pas plus mal
On se sent moins haï
On tue plus facilement
que la maladie
Vin des enfants
nés du plaisir
si ce n’est pas mentir
de le croire
Une femme s’interpose
belle comme l’avoine des talus
ou mauvaise comme l’eau des agaves
une femme arrive à point nommé
pour achever
l’oeuvre du vin
lui donner un sens
une raison
de plus
Le vin n’a pas raison
à la place de la femme
que le hasard a mis sur votre route
mais si ce n’est pas le hasard
et que la femme s’en est allée
sans vous
parce que vous ne partiez pas
aussi facilement
alors l’attente
est pire
que la rotation infâme
de l’étau
pire qu’un lit
refait chaque jour
par habitude
de l’ordre
Le vin sortait de ma bouche
comme les mots
de tes mains
sur ma chair
endormie
créature de ma facilité
à recréer les circonstances
prévues
par la communauté
créature née du croisement
de la transparence
et de l’invisible
plans sécants
des cassures
peut-être plis
de mes draps
Le vin
et la terre
La terre
et nos errances
Nos errances
et l’attente
de ceux qui voyagent
au lieu de tenir leurs promesses
Nos fenêtres sans carreaux
Nos chambres sans fenêtres
Les dalles de nos toitures
Le rayon oblique du matin
que répercute un miroir
placé avec justesse
Viendra l’automne
et sa coulée de marbre blanc
qui fit couler l’encre
des journaux locaux
L’hiver à point nommé
cristallisera infiniment
les surfaces
Puis le printemps
et ses calculs
de rentabilité
Au vin
il ne reste guère
que l’été
et encore
à condition
de le boire
et d’en attendre
ce qui lui revient
de droit
d’aînesse :
le rêve
et ses petits animaux
de peinture
et de murs
langage du désert
et langue de l’appui
au sol
Voici le vin
chanté par l’homme
qui le connaît
Vin des matins et des soirs
Fil d’Ariane des récits
Mémoire de nos chemins
et des ruelles
aux seuils inspirés
par les caprices de la roche
Mémoire et oubli partiel
des meilleurs moments
de cette croissance de l’homme
à la fois en marge et au coeur
de la civilisation
Vin des rideaux tirés
et des chaises des seuils
Vin de la sagacité
et du désespoir
Vin de l’entente
et des voyages
Les chats traversent l’air
comme des chauves-souris
et le chien
s’endort
sur la murette
désertée
Plus d’hommes pour jacasser
plus de femmes pour occuper les fenêtres
plus d’enfants pour la rapidité des seuils
et plus de vieux pour la patience des murs
Voilà où nous en sommes
ce que nous quittons
ce que rien ne remplacera
Il n’y a pas de vin sans raison
mais le vin n’a pas raison
et pour ce que je viens d’évoquer
on ne peut pas dire non plus
qu’il a tort
D’ailleurs
est-ce bien un personnage
si nous en sommes les buveurs ?
La poésie aurait-elle un corps
si nous nous en nourrissions ?



Quatrième temps



FABRICE - Bravo !

GISÈLE - Il s’amuse !

OMERO - Ma gourde et un verre plein !

OCHOA (embêté) - Je ne sais pas trop, pour le téléphone... Vous devriez retourner à l’hôtel et en parler avec quelqu’un. C’est délicat.

GISÈLE - Vous ne me croyez pas ?

OCHOA - Si, je vous crois ! Je n’ai pas de raison de douter mais il me semble...

GISÈLE - ... que ce n’est pas votre affaire. Nous ne pouvons tout de même pas rentrer ensemble après ce qui s’est passé.

OCHOA - Il restera ici. Il a l’air... comment dire ?

GISÈLE - Ne dites rien si vous craignez de lui trouver des excuses.

OMERO - La gourde pas trop pleine à cause du bouchon qui ne visse plus à fond et le verre à ras bord pour je ne sais plus quelle raison. (à l’auteur) Allons nous asseoir à l’écart. Nous parlerons. Mes chiens savent attendre.

GISÈLE - Je vous laisse le garçon.

OCHOA - Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Il ne me connaît pas. Qui sait ce qui se passera si...

GISÈLE - Téléphonez, s’il vous plaît ! Vous leur expliquerez.

OCHOA - Ils ne comprendront peut-être pas aussi vite que vous croyez. Ce sont des hommes. Moi non plus je n’ai pas compris tout de suite. J’imaginais autrechose puis j’ai pensé...

GISÈLE - Je ne vous en veux pas. Téléphonez ou bien gardez le garçon, je vous en prie.

FABRICE - Tu devrais cesser d’ennuyer cet homme.

OCHOA - Je vais remplir la gourde et le verre servir.

OMERO -
Ce n’est pas que nous soyons discrets
ni indifférents
mais la femme
nous amène
l’orage
en pleine sécheresse
Nous préférons trouver de l’eau
plutôt que de la suivre
sur ces chemins
jamais empruntés
sauf pour retourner
chez soi
sous l’averse orange
qui nous a surpris
en plein sommeil
l’après-midi de son arrivée
parmi nous.

L’AUTEUR - De quoi parlez-vous ? Vous avez encore omis de me raconter le début.

OMERO -
Il n’y a pas
de commencement
à ce qui ne s’achève pas
La femme traverse
la vie
en ligne droite
La femme segmente
notre temps passé
à chercher le bonheur
Elle nous reproche
de perdre du temps
Qui la suivra demain
quand la nuit
nous aura inspiré
la chanson de la séparation ?

OCHOA (servant) - La gourde, pas trop pleine et le verre puisque monsieur ne boit pas. Quelque chose vous mangerez ?

L’AUTEUR (intervenant) - Je goûterai aux olives au fenouil.

FABRICE - Tu peux partir tranquille. Je ne m’enfuierai pas. D’ailleurs où irai-je ? Je ne veux pas renoncer avant d’être convaincu par leur jugement. Personne ne me convaincra avant que ce soit écrit. J’ai peur.

GISÈLE - Néron, mon amour, tu ne peux pas comprendre mais maman doit te laisser un moment ici. Tu comprends ?

NÉRON - Je peux jouer malgré ce qui s’est passé ? Aliz part avec toi ? Où l’emmènes-tu ?

GISÈLE - Ces hommes ne peuvent pas m’aider...

NÉRON - Ils me croiront. Je suis un homme.

FABRICE - Cesse, veux-tu, de harceler cet enfant !

NÉRON - Oui, c’est vrai : si je dois rester, donne-moi la raison.

GISÈLE (presque suppliante) - Je ne vous demande pas grand-chose. Vous parlerez à ma place sans donner tous les détails.

OCHOA - Mais je ne les connais pas, les détails, moi ! Dites-leur que c’est grave, que vous êtes menacée, qu’il est dangereux, que moi-même je ne peux rien tenter ! Ce n’est pas si difficile de téléphoner soi-même !

GISÈLE (à Aliz) - Tu comprends pourquoi tu ne peux pas rester ? Néron nous fera perdre du temps. C’est sa fragilité, là, quelque part je ne sais où dans sa poitrine, le coeur et autre chose.

ALIZ - Nous courrirons ?

NÉRON - Je ne parle jamais de vos fragilités devant les autres ! Au moins, quand je joue, les insectes me font oublier que j’ai toujours un peu mal et si je ne souffre pas plus, c’est grâce aux médicaments. Tu n’es pas obligée de comprendre, Aliz. Ce n’est pas la première fois que ça arrive. Maintenant elle veut mettre fin à tout ce que nous connaissons. Elle a décidé de tout casser avant que ça arrive encore. Elle savait peut-être que ça arriverait aujourd’hui, peut-être exactement comme c’est arrivé.

OCHOA (à l’auteur) - Elle ne semble pas affectée. Regardez son visage. Croyez-vous que la femme ment ?

OMERO - L’homme mentirait-il si elle mentait ?

L’AUTEUR - Téléphonez-leur. Qu’on en finisse !

FABRICE - J’ai peur. Peur de ne jamais rien regretter. Où trouverai-je un pareil moment de sincérité dans ce corps voué aux passions de l’instant ? Quelle peur pourra leur inspirer des circonstances atténuantes ? Je ne serai même pas jugé dans mon pays mais j’y purgerai ma peine. Ma peine ! Comme le mot est inexact ! Je voudrais du vin moi aussi !

OCHOA - Oui mais alors pas trop parce que je ne sais pas moi !

OMERO - Donne-lui tout le vin qu’il veut ! Ou bien téléphone et laisse cette femme écouter par-dessus ton épaule ! Le moment est venu de choisir. (à Gisèle) Voulez-vous que je téléphone ? Je promets de ne pas avoir l’impression de trahir un homme. Je serai votre interprète.

OCHOA - De ce qui ne te regarde pas tu te mêles !

FABRICE - Le vin, demi verre et quelques olives comme monsieur.

GISÈLE (heureuse et désespérée) - C’est gentil à vous. Dites-leur que je n’en peux plus.

FABRICE (imitant Ochoa) - Peur elle n’a pas.

OCHOA - Le téléphone est dans la cuisine.

L’AUTEUR - Il faut bien faire quelque chose sans trop chercher à comprendre.

FABRICE - Mieux vaut téléphoner. Elle se perdrait en chemin, trouvant le temps d’injecter son venin dans le cerveau de cette enfant.

L’AUTEUR - Elle raconte des histoires ?

FABRICE - Non. J’ai caressé cette enfant. Ce n’est pas la première fois. Cette fois...

GISÈLE - Cesse, veux-tu ! Ce n’est pas le moment !

FABRICE - Maintenant ou dans les circonstances que tu suggères déjà ?

OMERO - Il y a la tonalité ! Qu’est-ce que je dois faire ?

OCHOA - Composer le numéro.

OMERO - Dire !

OCHOA - Ah ?

FABRICE - Dites leur, pour commencer, que je suis tranquille comme si rien ne s’était passé. Quelquefois rien ne se passe et c’est la femme qui devient l’auteur des circonstances. Rappelez-lui que ce sont les faits qu’on juge et non pas l’homme. L’homme est déclaré responsable si les faits le démontrent ou innocent si sa responsabilité n’apparaît pas aussi clairement que la haine compréhensible des victimes collatérales. Demandez à Aliz ce qu’elle pense.

NÉRON - Nous ferions mieux d’aller jouer.

ALIZ - Plus loin ? On n’entendrait que nous...

GISÈLE - Aliz je vous interdis d’aller jouer maintenant !

OMERO - "Vous" ?

OCHOA - Oui, "vous".

OMERO - Plus de tonalité.

OCHOA - Attendons.

OMERO (troubadour) -
Comme qui s’en irait
à la guerre
sur un palefroi
ou un roussin

OCHOA - Chut !



Cinquième temps



L’AUTEUR (Ode au bonheur - improvisation) -
Quel poète,
qui ne serait pas
le reflet exact
de son semblable,
est lu
ici-bas ?
Quel poète,
à défaut
de bonheur
proposant la langue,
est apprécié
ici-bas ?
Quel poète
ici-bas
trouve
le terrain
du partage
équitable
entre l’écriture
et la lecture ?
Quel poète
renonce
aux métiers
de l’Ananké ?
Et pourquoi
ne serai-je pas heureux
au contact de la nature
qui s’en va
aussi bien qu’à la surface
impénétrable
des zones industrielles ?
La question
douloureuse
de la littérature
à quoi on appartient
ou pas
selon la chance
ou le désir
se pose
en marge
des lieux
où le bonheur
est celui
du contact
du glissement
de la pénétration
du moi agissant
à la surface
du visible
de l’audible
du compréhensible
et de tout ce que l’errance
autour de soi
décrit
raconte
raisonne
Je serais simple
comme un bonjour
aux éléments
ou complexe
comme l’insomnie
Ai-je le choix ?
Entre la nuit
qui lutte
contre le sommeil
et le jour
qui se donne au soleil
est-ce le bonheur
ou la tentation de l’ivresse
ou pire de l’oubli
qui m’inspire
un instant
de lucidité
élémentaire ?
Simple ou complexe
tout ou rien
beaucoup ou pas assez
les choix sont comme la pluie

- nécessaires -
Nous qui avons le génie
des déséquilibres
et l’infinie patience
de la cohérence
sommes-nous à ce point
solitaires
que le bonheur
devienne une fin ?
Le bonheur
est une goutte
parmi les autres gouttes
de bonheur
occasion d’écrire
pour être lu
par n’importe qui
mais la langue n’est pas
aussi légère
reconnaissons-le !
La langue
façonne
elle n’explique pas -
Nous étions mille
un seul a survécu
à ce qui n’est
ni usure
ni complot
ni paresse
C’était quelque chose
de mesurable
mais nous avons pensé
à des institutions
à des idées appliquées
à la nécessité du repos
à l’angoisse
aux morts qui témoignent
sans arrêt
de la mort
Nous avons pensé
au lieu de pratiquer
ce qui donne une existence
commune
à la langue
Nous étions loin
de toute appréciation
tranquille
loin d’un simple bonjour
peut-être même
de l’autre côté
des lieux de réunions
J’achèterai une maison
si le temps m’était aussi précieux
que la langue
Les chemins reconnaîtraient mon pas
et les arbres ma présence immobile
La toiture métallique
des anciens ateliers de sculpture
me donnerait l’idée
d’un espace
à conquérir
Nous étions quelquefois
sur le point
de nous toucher
mais le vent ou l’averse
intervenait
et nous nous quittions sur un adieu
Nous n’étions pas
importants
à ce point
J’imagine qu’autrement
ni le vent
ni la pluie
n’eussent imposé
ces petites fuites parallèles
qui rejoignent les maisons
louées grâce à des revenus annexes
ou achetées avec une part d’héritage
Sinon nous n’avons pas vu
ceux qui dorment dehors
et tiennent l’éveil
à bout de bras
comme une lampe
au-dessus de l’écritoire
Qui sont-ils
ceux que nous ne voyons pas
mais qui résistent à nos effacements ?



Sixième temps



OMERO - Tonalité !

GISÈLE - J’arrive.

OMERO - Je compose [...] J’espère que vous avez de bonnes raisons [...] Oui ? [...] Omero [...] de Polopos [...] le berger oui [...] Je vous salue [...] Non, ce n’est pas pour vous saluer que je téléphone [...] Il semble que ce soit, disons, sérieux [...] sérieux, grave peut-être, vous en jugerez vous-même (à Gisèle, bouchant le combiné avec sa joue) Je ne suis pas en bons termes avec eux à cause des lièvres (la voix d’Ochoa : ce n’est pas le moment, les lièvres !) [...] Alors voilà [...] elle aurait [...] non, c’est moi qui dit elle aurait [...] je dis elle aurait parce que [...] elle dit qu’il l’a fait [...] Qu’est-ce que j’en sais, moi ! On vient crier secours dans ma maison et [...] non, dans la maison d’Ochoa [...] Nous sommes chez Ochoa [...] le vin ? [...] nous sommes à peine entrés et [...] l’auteur [...] il ne boit pas, non [...] mais je n’ai pas bu moi non plus (à Gisèle) Je ne sais pas si j’ai bien fait, il y a tellement d’histoires entre eux et moi ! [...] une petite fille [...] il l’a [...] je n’y étais pas [...] des détails ? Elle vous parlera [...] Elle ne connaît pas notre langue [...] l’auteur traduira [...] par signes ! [...] quels signes ? (la voix d’Ochoa : au grain !) [...] Ochoa [...] Il disait au grain, nous y voilà [...] elle dit qu’il aurait [...] oui la fillette [...] parenté ? degré ? [...] elle le dit et moi je dis elle aurait, c’est cohérent non ? [...] Mais c’est vous qui manquez de jugeotte ! Je vous téléphone parce que (grognement d’Ochoa)

L’AUTEUR - Vous n’en finirez jamais !

GISÈLE - Dites que vous êtes témoin.

OMERO (qui a oublié de boucher le combiné) - Mais je n’ai rien vu ! [...] Si j’avais vu [...] on intervient, oui, même si on n’est qu’un berger crasseux [...] je n’ai pas dit que vous étiez [...] Je parlais de moi [...] Ne raccrochez pas !

GISÈLE - Mais que faites-vous donc !

OMERO - On parle de nouveau [...] oui, Omero [...] non, je ne suis pas aveugle [...] je n’ai rien vu, c’est elle qui [...] elle aurait [...] il aurait si vous préférez ! je ne suis pas responsable de [...] de rien, chef [...] il aurait, d’après elle, mais je n’étais pas là pour vous le confirmer maintenant [...] oui, c’est mieux (à Gisèle) Il vaut toujours mieux parler à un chef (la voix d’Ochoa : tu ne l’as pas fait exprès !) Je sais bien que c’est grave [...] Mais je n’accuse personne ! [...] Venez lui expliquer [...] Comment voulez-vous que j’explique à une femme que [...] Son état ? (à Gisèle) il me demande si vous vous sentez bien [...] Comment se sent à votre avis une mère qui surprend son homme en train de caresser leur fille ? [...] sa fille à elle en tout cas [...] Vous devinez [...] je ne vous donne pas d’ordre (la voix d’Ochoa : Il n’y a pas de chef au-dessus de celui-là) [...] elle joue [...] avec son frère [...] plus jeune, je crois [...] ils jouent sous les eucalyptus [...] oui, le cimetière [...] nous aimions nous poursuivre [...] je franchissais les murs [...] si j’étais resté, je serais devenu facteur [...] place promise, oui [...] si vous avez du temps [...] peut-être pas autant qu’elle voudrait [...] difficile ! difficile ! [...] Personne, nous vous attendons (à Gisèle) Ils arrivent.

OCHOA - Caltons !

OMERO - Pas question ! Il veut nous voir tous.

OCHOA - Tu es flic à présent ?

OMERO - À qui abandonnerais-tu ta maison ?

OCHOA - Tu as oublié de raccrocher.

OMERO - J’espère que je vous ai rendu service. (en aparté) J’ai presque envie de m’excuser auprès de cet homme. Comment peut-on souhaiter qu’elle mente ? (à Ochoa) Mieux vaut débarrasser les tables. Quelques gouttes de vin suffiront. Et les noyaux d’olives avant que le chat s’en accapare. Vraisemblable. (en aparté) Quelle angoisse, ces situations qu’on n’attendait pas et qui ne vous concernent que de loin !

FABRICE - Laissez mon verre. Ils ne verront pas d’inconvénient à ce que je boive un peu de vin après ce que j’ai fait.

GISÈLE - Combien de temps ?...

OMERO - S’ils ne s’arrêtent pas chez Ovidio pour jeter un oeil par la fenêtre du salon, une heure.

FABRICE - Une heure à tuer le temps.

OMERO - Il n’a tué personne, juste caressée. Un instant qu’elle a trouvé long pour la première fois. Elle l’a dit. Ce n’était pas la première fois. Et là, aujourd’hui, avec cette chaleur et ce manque de conversation, elle atteint le point de non-retour. Je ne comprends pas.

L’AUTEUR - Vous étiez le personnage de la situation.

OCHOA - Vrai il dit.

OMERO - Qu’est-ce que tu sais, toi, des situations où la femme est maîtresse du jeu ? T’es-tu jamais marié avec l’une d’entre elles ?

OCHOA - Chez Ovidio, oui, une fois par semaine, l’argent que je me gagne en sept jours.

L’AUTEUR - Triste comptabilité !

OMERO (à Gisèle) - Nous verrons leur 4x4 quand ils atteindront l’Hermitage.

GISÈLE (aux enfants) - Ne joue plus ! Ce n’est pas le moment. Néron ! Tu...

NÉRON - Je ?

OMERO - La dernière tempête a emporté nos offrandes. C’est ce jour-là que nous sommes tombés sur la dalle. Même le curé n’en connaissait pas l’existence. Nous nous sommes dit : reliques ou trésor. Et nous avons creusé.

L’AUTEUR - Je ne connaissais pas cette anecdote. Qu’avez-vous trouvé ?

OMERO - Une autre dalle, avec des inscriptions et sous cette autre dalle, encore une dalle !

L’AUTEUR - C’était un escalier !

OMERO - Personne n’est descendu. Après tout, l’Enfer n’est pas si loin. Nous avons les pieds sur une poudrière et nous appelons cela l’Enfer. La dernière dalle était...

OCHOA (en riant) - ... brûlante !

OMERO - ... la dernière. En tout cas, nous n’en avons pas trouvé d’autres. Le tas de terre...

L’AUTEUR - Je vois le tas de terre.

OMERO - Et l’état de nos mains pourtant habituées à creuser.

OCHOA - Qui t’accompagnait ?

L’AUTEUR - Vous n’y étiez pas ?

OCHOA - Je ne vais jamais à l’Hermitage depuis...

L’AUTEUR - Ne me dites rien si vous craigniez...

OCHOA - Je ne crains rien.

OMERO - Il n’est pas le bienvenu.

L’AUTEUR - Si ça ne me regarde pas...

OCHOA - Je n’ai pas dit ça !

OMERO - Les enfants ne jouent plus.

L’AUTEUR - Je ne les vois pas.

OMERO - Ils parlent et elle les écoutent.

L’AUTEUR - Et lui, que fait-il ?

OMERO - Il se regarde dans le verre. Il aura un besoin intense de miroir maitenant.

OCHOA - Qu’est-ce que tu en sais ? Par-là tu es passé ?

OMERO - Au Diable si j’ai jamais !...

OCHOA - Non, autrechose... je ne sais pas... tu étais si loin, si indifférent. Tes lettres disaient que tu allais bien mais que tu manquais d’argent. Nous disions : Pourvu qu’il ne se mette pas à voler !

OMERO - Non. Le miroir...

L’AUTEUR - Chut ! C’est la voix d’Aliz qui...

OCHOA - Vous l’entendez ? Comment...

OMERO - Comme s’il savait ce qu’elle était en train de dire. Miroir.

OCHOA (en même temps que la sonnerie) - Téléphone !

OMERO (fasciné par l’immobilité d’Ochoa) - Peut-être rien à voir avec nous. Décroche !

OCHOA - [...] Oui ? [...] Je confirme [...] Qu’est-ce que je confirme ? [...] Et bien, c’est ce qu’elle dit [...] Il le dit aussi mais [...] Mais quoi ? [...] ce n’est pas la même chose [...] Et bien ce que peut en dire une femme blessée et ce qu’un homme confie à un autre homme [...] Trois hommes [...] pas de femme [...] je n’y avais pas pensé (à Omero) pourquoi je n’ai pas appelé moi-même ? [...] Omero a voulu aider cette femme [...] moi aussi mais [...] mais quoi ? [...] je ne suis pas qualifié [...] Omero non plus [...] personne ici n’est qualifié, c’est la raison pour laquelle [...] oui, c’est Ochoa [...] ma voix [...] quelles inversions ? [...] chez moi je suis ! Où voulez-vous ? [...] de quelques jours, pas plus.

GISÈLE (souffle) - Nous venons depuis dix ans. Elle n’était pas née quand...

OCHOA - La voix de la femme [...] Si vous faites votre métier comme elle parle notre langue, alors nous sommes jolis ! [...] Mais non je n’offense personne ! [...] On se fait bien assez d’offenses soi-même [...] pas vous ? [...] Il a raccroché, le chef.

GISÈLE - Une heure...

OMERO - Peut-être moins.

OCHOA - La maison d’Ovidio.

L’AUTEUR - Chut ! Les enfants...



Septième temps



NÉRON -
La grenouille connaissait
Un coin de terre et de gazon
Mais le soleil l’envahissait
Elle perdait la raison

L’AUTEUR - Ce n’est pas tout à fait ça.

OMERO - Chut ! Le refrain.

ALIZ -
Grenouille ! Grenouille !
Pourquoi deviens-tu folle ?
Les fous c’est la nuit
Pom pom
Qu’on les rencontre.

NÉRON -
La grenouille pataugeait
Dans un carré de verdure.
Le soleil n’écoutait mais
La grenouille à l’aventure
De l’ombre et de ses secrets.
Ne franchis pas la clôture !
Le soleil interdit les
Les visites importunes.

ALIZ -
Grenouille ! Grenouille !
Pourquoi n’écoutes-tu pas
Ce qu’on te dit,
Pom pom
Petite folle !

L’AUTEUR -
Le soleil a mis le feu
Au jardin, aux herbes folles.
Toutes les fleurs caracolent
(charme de la cheville dans la chanson)
Dans la cendre chaude.
La grenouille s’abandonne
Sans un cri, sans un reproche.
Le ciel devient couleur d’automne.
Il fait froid dans la chaleur.
C’est la mort
Qui s’approche
Pour annoncer l’hiver.

OCHOA - Pas mal !

OMERO -
Grenouille ! Grenouille !
Tu vas trop vite avec l’été.
Ne sais-tu pas
Que l’été appartient au soleil ?
Que l’automne n’est pas une saison
Et que l’hiver est la fin de tout ?
C’est le printemps qui te le dit
Et le printemps ne ment jamais
Aux grenouilles.

OCHOA -
Grenouille ! Grenouille !
N’oublie pas tes amants...



Huitième temps



GISÈLE - Ça suffit !

OMERO - Dommage.

OCHOA - Pom-pom-pom pom-pom-pom...

FABRICE - On ne joue pas avec les mots comme on s’inspire des petits corps qui s’accrochent à notre imagination comme les gouttes de pluie aux carreaux de nos fenêtres.

OMERO - Il travaille sa défense.

OCHOA - Indéfendable.

FABRICE -
On ne joue pas
avec les mots
comme on s’inspire
des petits corps
qui s’accrochent
à notre imagination
comme les gouttes
de pluie
aux carreaux
de nos fenêtres.

OMERO - Facile !

GISÈLE - Tu...

FABRICE - Continue, mon amour. Qui sont ces gens ? Je leur ressemble, d’après toi ? Je t’ai toujours trouvée un peu masculine. Dans l’acte d’amour et dans son expression verbale réduite à l’onomatopée et aux mots convenus d’avance par je ne sais quelle autorité.

GISÈLE - Promets-moi de ne pas te défendre, de demeurer...

FABRICE - Digne ?

GISÈLE - Tu n’as jamais eu...

FABRICE - De dignité ? N’as-tu pas manqué toi-même d’imagination ?

GISÈLE - La vie n’est pas...

FABRICE - ... ce que tu voudrais quelle soit...

GISÈLE- ... aussi...

FABRICE - ... simple...

GISÈLE-...lesenfants...

FABRICE - ... vivront avec cette mémoire : deux leçons si différentes qu’ils en perdront leur chemin. Nous aurions dû nous mettre d’accord avec la même fermeté que l’acte authentique qui nous unit. On ne fait pas des enfants...

GISÈLE - Vous ne faites pas les enfants !

FABRICE - Nous participons tout de même un peu !

OMERO - Vaste débat !

OCHOA - Chut !

FABRICE - Je regrette pour vous, messieurs, que nous ne sachions nous exprimer en vers. Nous ne savons pas non plus improviser. Nous répétons depuis quinze ans.

GISÈLE - Seize.

FABRICE - Le premier est mort-né.

GISÈLE - Que veux-tu que ça leur fasse ?

FABRICE - Il faut bien que j’explique les six années qui précèdent la naissance de Néron. Les attentes, les déceptions. On a l’impression de faire son jardin dans une mauvaise terre.

GISÈLE - Mauvaise graine !

FABRICE - La poésie naît plus facilement du vin, messieurs. Sur ce point, vous serez d’accord avec moi.

OMERO - Un vin à peine bu. Il faut préciser.

OCHOA - La chair chez Ovidio. Un peu aussi avec tous ces cuirs et ces miroirs qui donnent le tournis.

L’AUTEUR - Ne vous mêlez pas d’une conversation dont vous ne connaissez pas les hypothèses.

FABRICE - Nous parlons poésie !

NÉRON -
N’oublie pas tes amants...

GISÈLE - Néron ! Je vous interdis...

OCHOA - "Vous" ?

OMERO - "Vous". Dans ces familles... je voussoyais ma mère. Le père supportait le tutoiement. Comment expliquer ces petites différences qui finissent par vous obséder à un âge où on ferait mieux de penser à l’avenir ? Je franchissais les murs. Le chef s’en souvient comme si c’était hier. Ma facilité, due à un poids négligeable, à sauter les reliefs de notre architecture rurale. Se souvenir d’Omero en plein saut au-dessus de ce qui pouvait bien représenter la limite à ne pas dépasser sous peine de ne plus revenir. Il voulait le poste de facteur. Évidemment, comme tous ceux qui ne l’obtiennent pas, il est devenu gendarme. C’est une femme qui occupe le poste aujourd’hui, la fille de...

OCHOA - La fille de... le fils de... voilà à quoi nous en sommes réduits à notre âge. Quant à l’avenir qui ne te brûle pas les lèvres...

OMERO -
Le lendemain
est si proche
que j’ai l’impression
de toucher
son duvet
de petit oiseau
tombé du nid
- Demain
en commençant par le matin -
Le lendemain est si probable
que ma chair
le connaît
par surprise
Le lendemain est une mesure
de contenu
et de distance
cube et unité
Que me dirais-tu
si je risquais
une allégorie
qui donnerait la surface
à la nuit
qui nous sépare
du lendemain ?
Cherchons encore
oiseaux en moi
cherchons le mot
qui convient
à tant d’insomnie
et à si peu
de repos
Cherchons le moyen
de ne pas nécessiter
le repos exigé
par ce qui n’est plus
et qui deviendra
hier



Rideau


 

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