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Maman
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 Article publié le 14 avril 2024.

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J’ai un temps habité la campagne. Une maison isolée au milieu des champs. Des herbes et des animaux qui puent. J’étais là pour brouiller les pistes et je m’emmerdais même la nuit. Dans le noir fluent des cris des bêtes qui me consumaient peu à peu. Un jour, je me suis ordonné de sortir, d’aller en ville montrer ma face aux indigènes, peuple d’épouvante. De leur découvrir mes yeux trop longtemps embusqués. Il y avait bal ce jour-là, des filles dansaient dans la gloire de leur germination, des filles grasses comme des oies de gavage, rondes avec des seins en terrasse. Des filles de la glèbe, des putains, des œillades. Des filles sans être. Pourtant, j’ai dansé. Avec une folle qui riait et qui sentait le maïs, une railleuse (je dansais comme un parisien), citerne au cul saillant et allumé qui suintait comme un vase sort des mains du potier, un vase d’argile et d’abomination. Je l’ai abandonnée vite au milieu de la danse, plantée là comme une grosse épine dans le vignoble. De loin, c’était une flaque de boue et de honte confondues. Je me suis détourné : ma vie de misère me valait mieux à l’ombre de moi-même, seul. Avant de rentrer, j’ai joué à la tombola. Je ne savais même pas quoi gagner. Des poupées, de la viande, du vin, un canard ? J’ai gagné. J’ai gagné le lot de tête, j’ai gagné un cochon ! Le gars qui m’a aidé à le ramener m’a dit que c’était une truie. Je l’ai appelée maman. Au début, j’avais dans l’idée de lui assouplir les reins, de la faire grincer en démence jusqu’au dernier emportement. De la crever lentement aux confins de la terre. Mais il n’y a pas eu de début, comme si c’était déjà décidé pour moi, tracé telle une ligne en pérennité dans la main du ciel. Maman a grossi, rosi et prospéré. Mieux : elle est devenue le lieu de mes mains fertiles.

La première que j’ai donnée à maman n’avait guère plus de vingt ans. C’était une touriste étrangère, qui hurlait dans une langue que je n’avais jamais avisée. Une langue de détresse. Quelques kilomètres plus loin, dans les hauteurs, il y avait un gîte où dormaient des randonneurs. J’en voyais souvent, perdus, cherchant appui chez moi, l’homme utile, qui, parfois, leur montrait la route. Celle-là était seule, un sac à dos, le ventre nu, il faisait chaud, un foulard noué sur les seins et un short qui privait de force celui qui la regardait. Elle était dans la cour et lorgnait sur maman que j’avais attachée au piquet. De plus en plus vaillante, maman, belle comme un torrent d’os tumultueux et tohu-bohu. Avec la main, je lui fis signe de rentrer, un signe de chérissement, d’aide et de douceur. Un geste d’existant pour un autre existant. Elle m’a entendu, sans une parole, et elle est venue dans la cuisine. Blondeur (elle l’était) et conversation secrète, de moi à moi : je me suis ordonné de combler, vif, une carence. J’ai frappé en toute connaissance de ce qui allait advenir. J’ai frappé plusieurs fois sur le haut du crâne afin de ne pas l’abîmer, de l’avoir en trésor entre mes mains de délices enfin nourries. J’ai défait son short, le cœur gonflé, rempli, et combattant de ce que j’avais. Bientôt les seins et son sexe ouvert à mon œil, elle était nue. Je l’ai traînée dans le garage qui sentait encore les sardines que j’avais grillées la veille. Quand elle s’est réveillée, elle a compris que j’étais un ami de la peur et que ma parole venait d’une langue de désirs et de spasmes. De jouissance et d’œil à la voir ainsi, nue, ligotée à même la cuisinière où je faisais frire le poisson, ligotée de façon à présenter son sexe à ma passion, les cuisses ballant de chaque côté du fourneau, le haut du ventre et les seins collés aux feux et les mains dans le vide liées au sol, serrées en discipline autour d’un anneau. Il faisait nuit. J’avais attendu le silence, le temps sans œil alentour pour commencer de pouvoir sur la vie et la mort. D’ouvrir à la destruction et à la malice cette chair blonde, ce don de tripes roses et blanches offertes à mon acte. J’avais attendu pour qu’elle fût seule non seulement pour moi, le fauteur, mais aussi seule face à elle, nouée à son cri, sans bâillon, que j’ôtais, seule, loin de toute oreille verrouillée par la nuit. Entrailles, douleurs et convulsions, la victime sans honte, abandonnée, jetait des mots fiévreux, des mots criminels, des mots d’excréments qui m’enflammaient. J’étais nu et noble, dressé à l’éprouver. Mon sexe, ma charpente, en elle, s’ébrouait, gros, lourd de sa démence qu’elle amplifiait de ses hurlements, de ses cris vivants, fleuris, chancelants et martyrs. Le chant d’un ange pris dans le cycle de la chair, du sang et du feu, la fièvre étincelle, que j’allumais. Elle allait cuire, rôtir, frire comme un poisson aliéné à mon jouir. Les seins collés aux feux de la cuisinière, pendant que ma possession devenait plus rude, plus suave, plus haute, ses seins dans la fournaise, l’odeur du gras brûlé, du lard, des kilos de couenne grillant dans la clameur, le cri, le beau, l’or du cri, je changeais d’orifice, de détresse en détresse, bouillonnant et bénissant son cul. Énorme, solaire, un exemple, telle était sa grandeur, un cul couronné, tendu, roc, splendeur, perle, secret, boyau, conduit, j’étais son servant. Un homme-chien au comble ! Au faîte ! Irrité ! Au tumulte ! Je jouis, ivre de grâce, seul entre tous parce que séparé de moi-même, renversé, intense et innocent, je dis : ordonne-toi et frémis !

Au matin, je donnais les restes de ma fiancée à manger. Je les donnais à maman. C’était la première. Maman, ô lieu de mes mains fertiles. Bientôt une multitude.

 

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Commentaires :

  Maman par Lalande patrick


  Maman par Catherine Andrieu

Ce texte est une plongée abyssale dans l’horreur et la monstruosité, un récit qui, par sa langue maîtrisée et son rythme implacable, nous enferme dans la psyché d’un narrateur possédé par la barbarie et la toute-puissance de son propre désir. Il ne s’agit pas seulement d’une description clinique de l’atrocité, mais d’une élévation esthétique du crime, où la langue se fait complice du déchaînement des pulsions.

Dès les premières lignes, une atmosphère de déréliction et de solitude s’installe : l’isolement géographique devient un isolement existentiel. Ce narrateur, étranger aux hommes et aux bêtes, exilé du monde, construit son propre royaume du vide et de la mort. La description du bal, avec ses figures féminines réduites à des morceaux de chair, à des fonctions biologiques et sociales méprisées, est une première esquisse du regard brutal porté sur l’autre, regard qui ne voit que des objets de rejet ou de consommation.

Là où la violence du texte dépasse le simple récit de l’horreur, c’est dans l’inexorable logique qui le structure : la “mère”, la truie, devient le centre d’un culte noir, une entité totémique qui avale les dépouilles comme une divinité cannibale. Le narrateur ne se contente pas d’être un bourreau, il s’institue en prêtre d’un rituel de destruction et de jouissance absolue. Le choix du lexique – qui mêle le religieux (“bénissant”, “charpente”, “chant d’un ange”) à la bestialité – fait basculer la scène dans une perversion quasi-mystique où le crime devient sacrement.

Le texte tire sa puissance de cette ambiguïté : il ne cherche pas à provoquer l’effroi par un réalisme froid, mais par une exaltation poétique de l’horreur. C’est là son caractère insoutenable. La musicalité du texte, avec ses accumulations, ses ruptures de rythme, ses envolées lyriques, enferme le lecteur dans un cauchemar hypnotique où l’abject devient sublime. La dernière phrase, “bientôt une multitude”, scelle le texte dans une fatalité où la mort ne cesse de se reproduire, où l’horreur n’a pas de fin mais se régénère perpétuellement.

Si le texte choque et révulse, c’est aussi parce qu’il refuse toute distance morale. Il ne nous offre aucun recul, aucun point de fuite hors de cette conscience saturée de destruction et de désir. La lecture en devient éprouvante, et c’est peut-être là l’intention première : nous faire ressentir, dans le corps du texte et dans notre propre chair, l’inéluctabilité du mal.


  Maman par Lalande patrick


 

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