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Dessin de Patrick Lalande
Ta vague me conte à miracle Des histoires de matelots Et sans trop rechigner me racle Les rengaines du caboulot
Je roule et tangue dans les rues J’ai mon grappin et mon falot C’est le temps des coquecigrues Je chaloupe entre les ballots
Je laisse dans mes longs sillages Des boniments de camelots Les gabians de mes voyages Et l’âcre odeur de mon perlot
J’ai dans mes nuits ma lavandière Ta voix tes cris et tes sanglots Prends mon hamac ma civadière Me blanchir est ton triste lot
Prends mon paquet de linge sale Là-bas autour des noirs îlots Les harengères se dessalent Celles-là savent troubler l’eau
Là-bas à quelques encablures Du port entre deux grands galops Des chevaux de belle encolure Semblent tirer de lourds rouleaux
Je vois quand je sonne la diane Un monde fou par le goulot De ma divine dame-jeanne Et je riboule des calots
Quand la lune est dans ma caboche Je ne manque pas de culot Tu le connais comme ta poche Ton féal cousu de grelots
Vois ma barcasse fantomale Je n’ai pas sitôt les yeux clos Qu’elle émerge chargée de malles Du silence pesant des flots
Glisse dans mon vieux sac de toile Quelques oignons un pain boulot Je suis de quart dans les étoiles Sans timbale ni gamelot
Es-tu dans la bouteille à l’encre Est-ce Toulon ou Saint-Malo Qu’une ville joue sur son ancre Et je déclame cent fableaux
Ta vague me conte à merveille Des histoires de matelots Et déferle à longueur de veille Sur mes pages de trémolos
Robert VITTON |
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Commentaires :
Ta vague me conte à merveille... https://youtube.com/shorts/fHI0x6I_41E?si=9aKSZwWYFjr9sVIC
Ce poème tangue comme un vieux loup de mer, ivre d’embruns et de mélancolie. On y entend le roulis des mots, la rumeur du port et le froissement des voiles fatiguées. Il y a quelque chose d’un chant de marin, éraillé par l’alcool et la solitude, quelque chose qui vacille entre la gouaille et la poésie des épaves.
Les images sont riches d’un sel ancien, celui des récits de caboulot où se mêlent l’odeur du perlot et la rumeur des vagues. Chaque strophe est une bourrasque, une échappée entre l’illusion et la mer, entre les gabians et les fableaux. On ne sait plus trop si l’on vogue ou si l’on divague, si la barcasse fantomale est un vaisseau ou une hallucination.
Et puis il y a cette voix, cette lavandière du poème, qui semble hanter les nuits du narrateur, lui arracher son linge sale comme on dépouille un marin de ses errances. Est-elle amante, conscience, fantôme ? Une présence qui le blanchit malgré lui, qui le ramène à une humanité qu’il fuit sur les flots de l’ivresse et des songes.
C’est un texte qui chante, un texte qui tangue, où la bouteille n’est jamais bien loin – bouteille de rhum ou bouteille à l’encre, peut-être les deux. C’est un voyage immobile, l’épopée d’un homme qui ne sait plus s’il tient encore la barre ou s’il dérive dans le silence des flots. Une poésie de roulis et de brumes, un chant de marin perdu dans l’éternel ressac des souvenirs.