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 Article publié le 14 septembre 2004.

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Extraits de RUE MONTE AU CIEL
224 pages éd. Desnel, 2003

- Changer de sexe ? Moi ? ! Tu n’y penses pas ? a explosé Mathildana, de ces fureurs longtemps contenues. (Pendant des siècles, peut-être ?) C’est comme si tu me demandais si je préfère dîner chez Mac Do ou chez Lasserre ! Tu vois, dans le fait d’être femme, il y a une chose plus forte que tout, qui peut faire supporter tout, c’est la qualité du plaisir... (D’où l’excision, les femmes coupées et cousues et autres mutilations sexuelles, toutes ces barbaries prétendant priver de plaisir la femme ! En vain  !...) Tu vois, Térence, le plaisir masculin, c’est comme s’envoyer un mac do, tandis que l’orgasme féminin, c’est comme dîner dans un resto gastronomique, du style Tour d’Argent, ou chez un officier de bouche, comme Beauvillier...
- Ou chez Jean-Charles Brédas, ajoute Térence, patriote. (Lui aussi est originaire du Marigot, et il ne lui déplaît pas de rappeler qu’il existe aussi des grands chefs martiniquais.)
Mais Mathildana est lancée. Négligeant toute interruption, elle continue à savourer sa métaphore du plaisir : " Bien avant de te faire introduire par une espèce de majordome...
- De major d’homme ? coupe Térence hilare.
Mathildana hausse les épaules en souriant : " Ta table a été réservée au préalable, tu es accueillie par le portier qui te salue, te gare ta voiture... En entrant, tu admires le décor et tu te fais admirer, jusqu’à ce que le maître d’hôtel t’indique courtoisement ta table, dégage délicatement ta chaise, t’aide aimablement à t’asseoir... Mises en bouche et mignardises plus délectables les unes que les autres te sont servies comme par enchantement, sans que tu aies besoin de demander quoi que ce soit, même si tu ne prends pas d’apéritif... On te donne le choix du menu sur une carte qui n’a pas de prix, parce que, quand on aime, on ne compte pas... Puis les plats se présentent un à un, lentement, voluptueusement, tu as tout ton temps pour déguster... Régulièrement on te demande si tout va bien, mais jamais à contretemps, et toujours à point nommé... On se soucie de savoir si ça te plaît, on se préoccupe de l’esthétique, de l’hygiène et de ton confort, on te gâte, t’apporte des rince-doigts... On est attentif à toi, au moindre de tes mouvements... On prévient tes moindres désirs... Et les succulences sont variées, presque à l’infini... Odeurs et saveurs se mêlent, ad libitum, s’unissent, se fondent... L’extase totale !...
- Synesthésie ! ponctue Térence, baudelairien, pour prouver qu’il est en empathie, quoiqu’il ait sur le bout de la langue un calembour plutôt graveleux sur " libitum ".
- Tu as aussi le plaisir de l’œil : dès l’entrée, tout est dans la présentation ! Et même dans les noms, dans les mots... Toutes ces délices ne s’appellent pas n’importe comment ! Tu repenses aux noms, quand tu dégustes, tu les répètes, les savoures... Tu redemandes comment cela s’appelait... Rien que pour le plaisir de redire les mots... Plus c’est bon, plus tu as envie d’en parler au moment même où tu y goûtes. Tu t’es déjà vu susurrer : " Cheeseburger !... Oh ! Cheeseburge-e-e-e-e-r ! " les yeux dans le vague, l’air chaviré, dans un fast-food, même s’ils ont ajouté " Royal " pour faire un style ? Là, au contraire, rien qu’avec les mots tu te régales, des hors-d’œuvre jusqu’au dessert, l’apothéose ! Mais quand tu crois que c’est fini, ça recommence, une autre chose exquise arrive : à peine dégusté le sublime gâteau au chocolat noir, on t’offre encore une doucine, on te propose quelque chose de fort, ou bien on te sert une fine, une décoction de citronnelle, tu suces des bonbons à la menthe... On fait durer le plaisir, et ce n’est jamais toi qui paies. Il faudrait être folle pour échanger ça contre un hamburger sur le pouce !
Je comprends pourquoi vous n’en avez pas envie tous les jours, de... manger " gastro " !

Ce n’est pas que le Big Mac soit mauvais ; c’est différent...

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Chlorophyllienne création

Ce n’est pas par hasard que les bonnes gens du public (je ne dis pas le vulgum pecus) vouent un véritable culte aux maisons d’écrivains. C’est parce que l’écrivain lui-même a partie liée avec elles. (...)
Toujours du vert, et même du militantisme écologique !... Se mettre au vert... Écrire comme on pétrit son pain, à l’instar de la dame en vert, dans la paix des arbres amis. Ne dit-on pas que la sylvestre Marguerite mit sous le boisseau son patronyme de Crayencour par cette anagramme, Yourcenar, voyant dans la lettre " Y " le symbole d’un arbre ? Près de trois siècles et demi après la fondation par Richelieu de cette noble institution, jusque-là réservée aux hommes, elle connut le suprême honneur d’être la première femme élue à l’Académie Française, qui, avant d’établir son siège sous la célèbre coupole, avait bourlingué, elle aussi, tenant ses premières séances chez l’un de ses membres, Conrart, puis à la Chancellerie, et enfin au Louvre, jusqu’à la Révolution, avant que Napoléon ne l’installât finalement au Collège des Quatre-Nations, aujourd’hui Institut de France. Que de tribulations pour ces Immortels en vert !
Semblable à une " Petite-Plaisance ", une modeste chaumière de Sligo, à l’extrême ouest de l’Irlande, la verte Érin, abrita les vacances de Yeats. C’est là que tissa la trame de ses paradisiaques tapis le pacifique semeur de rêves - sur lesquels il ne faut marcher que tout doucement. Quant à cet autre grand Irlandais que fut Beckett, c’est dans la verdeur des vignes de Roussillon qu’il se réfugia, vendangeant, rédigeant En attendant Godot... De ces mêmes ocres de Provence, se nourrit la verve sulfureuse du divin marquis de Sade, en son château de Lacoste... (...)
Au demeurant, qu’elle soit donnée, achetée, louée ou prêtée, changeant dans des déménagements multipliés, comme pour Colette, en brefs baux de Trois... Six... Neuf, ou pour Baudelaire, qui naquit rue Hautefeuille, au mitan du Quartier Latin, mais déménagea à une cadence frénétique (ou maladive, ou spleenétique ?), la maison est lieu d’écriture, donc lieu sacré, lieu d’enthousiasme, au pur sens platonicien, autrement dit lieu divin.
La maison de l’écrivain n’est ni domicile légal au sens policier du terme, où l’on ne peut venir frapper qu’après six heures du matin pour expulser, faire œuvre de basse ou de haute justice, car il fait œuvre qui n’a cure de juridictions, de censures ou autres fatwas, lui, l’écrivain. La maison de l’écrivain n’est ni une adresse sur une carte de visite, d’identité ou de séjour ou de travail ou de crédit ni carte bleue ni Green Card ni carte grise ou de quelque couleur que ce soit. La maison de l’écrivain n’est ni un foyer fiscal ni siège social, car ce qui s’y crée n’est chiffrable par aucun polyvalent. La maison de l’écrivain n’est ni officielle résidence administrative ni sweet home, ni cocon pour cocoune. (Puisque le Journal Officiel propose cet équivoque " cocoune ", en refusant " cocooning ", qui serait un anglicisme, va pour " cocoune ", quand bien même cela ressemblerait à " coucoune !) Elle n’a pas la prétention d’être un intérieur pour photos dans de luxueuses revues de décoration, car ce qui s’y produit n’a que faire des pages de papier glacé. La pire qualité de papier peut faire l’affaire. La maison de l’écrivain ne saurait être ni huis clos où s’asphyxie la création, ni geôle ni bagne, ni même domicile conjugal qu’un juge pourrait se permettre d’attribuer à l’un des époux en cas de divorce.
Qu’elle soit minuscule appartement mangé de livres ou manoir grandiose, ou folie à la Dumas, comme son Monte-Cristo baroque de Port-Marly, elle est le LOCUS SOLUS, antre douci de verdure.

Auteur d’un Guide des Maisons d’Écrivains, Pierre Assouline note cette constante dans les maisons d’écrivains. Se repaissent-ils de chlorophylle ?... Chlorophyllienne création : respiration !
Une chose est claire : les écrivains ont besoin d’un abri sûr pour écrire. Même si c’est un parc à cochons. Vraiment, là n’est pas la question. Quand Musset, malade et "usé par les excès " (selon l’expression consacrée, par qui, bondieu ?), eut des ennuis qui n’étaient pas du badinage, il se trouva un protecteur pour qu’il ait toujours une maison, puisqu’aussi bien il faut une porte, qu’elle soit ouverte ou fermée  !... Il faut une porte et un toit. (...)
Pour Sand il y eut jusqu’au bout un Nohant où se retirer afin d’y savourer ses pipes jusqu’à près de septante-deux ans. Il est, aux États-Unis, de ces séjours d’écriture offerts à des groupes d’auteurs, bien au calme, pour qu’ils puissent créer, dans la paix immense d’une forêt. Et s’il fuit un immonde gourbi, l’écrivain va chercher refuge au fond d’un café ou d’un square, voire dans la paix d’un cimetière, comme Sartre et Simone de Beauvoir à Montparnasse. Il y a toujours une plante verte, même poussiéreuse, même étique, dans le moindre des bistros !
Si mon préféré, Baudelaire, a déménagé autant, c’est qu’il cherchait SA maison, comme il vivait, tumultueusement, sa quête fiévreuse de l’Idéal. À Balzac, perclus de dettes, parvenu bien au-delà du seuil humain de pauvreté, à ce forçat de l’écriture, payé à la ligne, tâcheron qui connut splendeurs et misères, s’ouvrit une voie de liberté, le droit de franchir un seuil à lui, un jour, enfin, avec l’argent qu’il n’avait pas. Alors il s’acheta un palais sous les frondaisons d’un parc mais ne le paya jamais.
" Naître, vivre et mourir dans la même maison " : telle est la bizarre recette de bonheur que donna Sainte-Beuve. Si le critique de naguère peut encore faire couler des flots d’encre avec sa formule sibylline, la maison d’Arver, un immeuble d’angle de l’Île Saint-Louis, sur un quai où " coule la Seine et nos amours ", porte gravée dans sa pierre l’empreinte du sonnet qui fait de ce discret poète du temps passé un Immortel :
" Mon âme a son secret.
Ma vie a son mystère... "
Toujours protégée de feuillage, la maison de l’écrivain fait la nique à la fuite du temps, sous le pont des Arts ou sous le pont Mirabeau que franchissait Apollinaire à l’autre bout de Paris, quelques flux du fleuve plus tard. (...)

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Sa destinée rue Monte au ciel

" La Montagne de Feu nous vengera ! " avait hurlé le grand chef amérindien, avant de se donner la mort en se précipitant du haut de la falaise baptisée depuis lors " Tombeau des Caraïbes ", plutôt que d’accepter la servitude sous le joug des conquistadores venus de l’au-delà des mers. " Vivre libre ou mourir " ? En ce turbulent crépuscule du XV ème siècle, cet homme-là avait fait son choix.

Il n’est pas un volcan-spectacle, le Mont Pelé. Il n’est pas un " volcan rouge ", ne vomira pas de ces superbes rubescences de coulées de lave en fusion que l’on peut fuir en les contemplant. Lorsqu’elle explosera de colère, la Montagne Pelée crachera des milliers de roches incandescentes qui dévaleront ses flancs à une vitesse vertigineuse, et auxquels nul ne pourra échapper.

" Manman Pelée ne va pas les laisser faire ! " cria l’esclave révolté contre les esclavagistes, quand fut tombé le crépuscule du siècle dit " des Lumières " et qu’il vit vaguement poindre au loin une nouvelle aube révolutionnaire, sans pour autant le délivrer des sombres affres du Code Noir ni du fouet ni du " quatre piquets " ni de l’essorillement ni des flétrissures au fer chaud ni des mutilations barbares.
Loin, là-bas, sur l’Autre Bord de l’océan, un héroïque Mirabeau était allé jusqu’à mettre en doute la nécessité des colonies, affirmant prophétiquement que la France pouvait prospérer sans ce système indigne, se battant pour engager le corps révolutionnaire dans la voie de l’abolition de l’esclavage. Il mourut le 2 avril 1791.
Mais l’esclave Léonard n’en sut rien. Le décret du 16 Pluviôse an III (4 février 1794) eut beau abolir l’esclavage dans les colonies, il ne fut jamais appliqué, ni à Saint-Pierre ni ailleurs... Les membres les plus influents de la Société des Amis des Noirs, un ecclésiastique, un certain Abbé Grégoire, et une femme, une certaine Olympe de Gouges, eurent beau s’agiter de leur mieux, ce décret fut hâtivement abrogé. Il y aurait longtemps à attendre, une autre Révolution puis une seconde République, il faudrait toute la persuasion d’un Victor Schoelcher, toute la sensibilité d’un Lamartine, toute la sagesse d’un Arago, et jusqu’à la caracolante intervention d’un Alexandre Dumas, pour qu’en 1848, l’esclavage soit effectivement aboli. Et encore, difficultueusement, après des heures et des heures de délibérations houleuses, dans le souci de ménager les intérêts des colons, et en laissant des séquelles !...
Il ne vivrait pas jusque-là. Pour Léonard, le seul salut restait dans le marronnage. Il n’avait plus rien à perdre, lui, l’esclave de Saint-Pierre. Même s’il savait de quels supplices était puni le marronnage... Même si lui, Léonard, savait, pour l’avoir perçu dans sa chair, que le marron était poursuivi comme du gibier, avec les molosses, les chiens à nègres, pourchassé jusque dans les mornes, à coups de fusil, et abattu sans sommation s’il refusait de se rendre. Se rendre ! Pourquoi ? Pour que le maître ait le droit, puisque Le Code Noir l’y autorise, de lui couper le jarret, de le marquer au fer rouge sur l’autre épaule ?... Car il est récidiviste, l’esclave Léonard. La première fois, quand on l’a repris, il a eu les oreilles tranchées, on l’a marqué comme une bête d’une fleur de lys sur l’épaule gauche. Il n’y aura pas de troisième fois. Il sait que l’esclave fugitif est puni de mort. (C’est écrit. Bien qu’il ne sache pas lire, Léonard ne peut ignorer, parce qu’il a vu les pendaisons et autres " exécutions exemplaires ", et parce qu’on le lui a dit et répété, sans ménagement, qu’esclave, si tu marronnes deux fois, au troisième coup, si on te tient, tu risques la mort !)
La mort, il l’a déjà dans l’âme, son âme virtuelle et contestée de nègre esclave. La mort, il l’appelle de ses vœux, depuis que la femme qu’il aime a été vendue dans le Sud, au fin fond du Vauclin, à un monsieur de Souci. Le maître les a séparés. Leur " accouplement " déplaisait. Les enfants qu’ils faisaient ensemble étaient trop noirs, trop rebelles. De la graine de marrons, pour le béké. Rien que des filles, pourtant !... Rien que des filles, par-dessus le marché ! Cela se vendait beaucoup moins cher qu’un négrillon, une négrillonne. Surtout de la graine de marron au sombre regard féroce comme leur propre mère, Himitée, haute négresse debout qui jamais n’acceptait de baisser les yeux, mais brûlait de son œil de braise les yeux de n’importe quel béké.
Avait-elle tenté de le rejoindre ? La rumeur publique a grondé, traversant la Martinique du Sud au Nord, enflant de l’habitation Massy-Massy jusqu’à Saint-Pierre, rapportant que, dans la matinée du treize, Himitée a été flagellée de vingt-neuf coups de fouet, garrottée sur une échelle, aux pieds et aux mains, après avoir reçu du géreur plusieurs coups de poing à la figure qui lui ont cassé trois dents, l’ont rendue sourde d’une oreille et éborgnée de l’œil droit. Pour que les coups portent plus, le commandeur avait ajouté sous son ventre un billot gros et court, sur ordre exprès de Dispagne, géreur de l’habitation. Elle était enceinte de quatre mois. Le lendemain, elle a fait une fausse-couche. (" Pas une grande perte ! Maudite engeance !... " commenta ce diable de géreur, en guise d’oraison funèbre pour ce " sale bâtard de nègre ".)
Avait-on voulu la punir d’avoir choisi son compagnon, de n’avoir pas accepté l’étalon qu’imposait le maître ? Himitée aurait-elle repoussé les avances du commandeur, du géreur ou, qui sait, peut-être du maître lui-même, désireux de lui faire des petits mulâtres, réputés plus dociles, plus souples à " éduquer ", plus décoratifs pour servir à la table des Blancs ? Traduit simplement en police correctionnelle, le sieur Jules Dispagne a été condamné à quinze jours de prison, messieurs et dames !
" Ce ne sont pas des milans, hélas ! " se lamentait, dans sa fuite, sous une bienfaisante pluie lustrale, l’infortuné Léonard : la nouvelle, il la tenait de la bouche même des gendarmes ! Ces mêmes gendarmes à cheval que l’on avait envoyés " rétablir l’ordre " à Saint-Pierre lors des soulèvements d’esclaves qui sans cesse se multipliaient, incendiant les habitations et mettant à mal les colons qui avaient maltraité " leurs nègres ". Il ne croyait plus aux révoltes, qui n’étaient jamais que des émeutes, jamais des révolutions, d’où l’on ne tirait que des coups, si toutefois on s’en sortait, puis étaient matées dans le sang. Il en avait assez des souffrances. Assez de donner son sang pour rien, assez de subir des supplices, pour finalement s’en retourner verser sa sueur et son sang à fabriquer ce maudit sucre. De la sueur, du sucre et du sang... Assez de ce perpétuel recommencement, de cette malédiction sans fin pesant sur sa tête de nègre ! Et maintenant, Himitée !... C’en était trop. Quitte à être repris, tant pis !
Il marcherait, se cachant le jour, cheminant nocturnement à travers traces et halliers, avec pour uniques compagnons manicous ou lamantins. Il irait seul dans la noirceur, - celle de son corps amputé, celle de ses ténébreux souvenirs et l’ombre protectrice de la nuit -, éclairé, comme par des clins d’œil, par les fugitives lueurs des bêtes-à-feu. Les étoiles au ciel le guideraient. Léonard se dirigerait vers un lieu inconnu de lui, un endroit mythique, symbole de liberté pour le Nègre : les mornes du Nord. Un havre de paix sauvage, inaccessible aux mauvais, où il n’était jamais allé, mais que chantait clandestinement le bel air au son du tambour gros ka, dont on parlait à demi-mot lors de la veillée manioc, la nuit du samedi au dimanche. Le lendemain, c’était le Jour du Seigneur : les esclaves pouvaient se fatiguer à purger et grager le manioc, ils pouvaient y passer la nuit blanche : le lendemain, ils ne travaillaient pas. C’était la volonté de Dieu. Léonard en profiterait pour s’éclipser. Le dimanche matin, la messe ferait diversion ; l’alerte serait donnée plus tard. Cela lui donnerait quelque avance pour distancer ses poursuivants. Cette fois, il réussirait. Ce coup-ci, il n’omettrait pas de chaparder un lot de poivre, à parsemer sur ses talons, avec l’espoir que cela perturberait le flair des chiens à nègres lâchés à sa poursuite. Ah, ces sales bêtes ! S’il en tenait un, il l’égorgerait. Les cicatrices de morsures boursouflaient encore sa chair. Les traces de crocs s’étaient incrustées à jamais dans son corps comme dans sa mémoire. Il n’oublierait pas son coutelas ! Il était prêt à tuer pour vivre. Ce n’était peut-être pas leur faute, à ces molosses, s’ils avaient cette férocité. Elle n’était pas naturelle, leur rage à déchiqueter la chair noire : le blanc la leur avait donnée, en nourrissant ces braves bêtes de chair de nègre. Ce n’était pas une légende contée à la veillée manioc. Il l’avait vu, lui, Léonard.
En ce temps-là, on ne l’appelait pas " Léonard " : ils ne l’avaient pas encore baptisé. L’homme portait son nom de Guinée, son titre d’être libre : Noh-La-Har. Ils l’ont piétiné, Noh-La-Har. Ils l’ont dénigré, estropié. Défiguré. Mutilé. Foulé aux pieds, le fringant guerrier africain, dépossédé de lui-même. Noh-La-Har ou Léonard, l’homme en avait vraiment trop vu.
Il avait vu de ses propres yeux, sur le bateau négrier qui l’emportait loin de l’Afrique, le commencement de l’horreur. On avait laissé Gorée depuis des lunes et des lunes, essuyé de terribles tempêtes, mais le pire restait à venir. Faute d’avoir pu faire escale à temps pour le ravitaillement, le navire négrier dérivait, ballotté par des vents mauvais, en proie à la famine et aux fièvres. La disette décimait l’équipage. Les nègres mouraient comme des mouches. Certains se précipitaient au-devant d’une mort certaine en avalant leur propre langue. Noh-La-Har avait encore le goût de vivre.
Seuls les plus robustes des hommes et les femmes jeunes survivaient. Perdu en mer, à bout de ressources, le maître à bord ordonna de nourrir coûte que coûte les dogues dont un colon des Antilles attendait la livraison, et qui n’étaient pas encore payés. Mais avec quelle viande nourrir ces animaux-là ? Comment les maintenir en vie ? Le client ne les paierait qu’à réception. Certes, la cargaison de " bois d’ébène " vivant était éminemment précieuse, mais à peine autant que ces chiens " de race ", commande onéreuse d’un marquis, un de ces " Messieurs de la Martinique ". Il fallait à tout prix leur donner à manger, à ces chères bêtes ! Morts, ces chiens ne vaudraient plus rien. Par contre, les corps des nègres, même privés de vie, pouvaient s’avérer de quelque utilité...
Pourquoi ne pas habituer ces dogues à goûter de leur futur gibier ? Après tout, ces chiens-là n’étaient-ils pas destinés à la chasse au nègre ? Ce ne serait qu’une forme d’apprentissage ! L’industrieux capitaine eut donc la maligne idée de nourrir les chiens avec les cadavres de nègres qui s’entassaient dans l’entrepont au risque de provoquer des épidémies, au lieu de les jeter à la mer. Il avait plus urgent à faire que d’alimenter les requins ! Tant pis pour eux ! Les chiens d’abord. Ainsi l’heureux homme se congratulait-il lui-même, car il s’offrait en l’occurrence une double satisfaction, dans la joie de bien faire son métier : non seulement il assurait " l’hygiène " à bord, mais il remplissait son contrat en donnant à manger aux dogues. Beau bénéfice en perspective ! Pour avoir la conscience tranquille et " être en règle ", le capitaine consigna scrupuleusement dans le très officiel Livre de Bord les quantités et " portions " de nègres morts servis crus aux chiens. Pourquoi le choix de cette crudité ? Pour exciter leur cruauté et parfaire sa belle entreprise d’éducation canine. Il poussa jusque-là le zèle, escomptant bien en être richement récompensé.
À la longue, la famine durant sans que l’on entendît crier " Terre  !", le capitaine se rembrunit : c’était à peine si le médecin de bord avait le temps de vérifier que les Africains morts de faim ou suicidés n’étaient pas atteints du scorbut (si leurs dents ne se déchaussaient pas), pour ne pas courir le risque de contaminer ces chers molosses. Cette négligence le tracassa ; ce fut son seul sujet d’inquiétude. Pour le reste, il était convaincu de n’avoir pas eu le moindre manquement.
Lorsque l’on arriva en vue des côtes de la Martinique, le capitaine du négrier pouvait tout compte fait se féliciter : grâce à sa brillante politique de rationnement, il restait encore assez de tafia pour pratiquer la pariade. C’était la tradition, la règle. C’était la loi des gens de mer, sur les vaisseaux négriers. Ouragan ou pas ouragan, rationnement ou pas rationnement, on n’y dérogerait pas. Décidément, grâce à Dieu, le consciencieux capitaine aurait rempli sa mission jusqu’au bout, jusque dans les moindres détails. L’armateur lui en saurait gré. Il était dans ses attributions de faire engrosser les négresses par les hommes d’équipage blancs, afin de fabriquer à l’avance, avant les ventes, des métis à peu de frais. L’opération, là aussi, s’avérait doublement fructueuse : elle relevait le moral des marins et permettait des " croisements " qui rapportaient gros à la vente. Enceinte, une négresse valait le double. Grosse d’un blanc, une négritte se vendait encore plus cher. Cela compenserait les pertes. Son patron serait content de lui.
Avec une hâte jubilatoire, le capitaine fit mettre en perce tonneaux et négresses. Quoique affaiblis et à moitié morts de faim, les matelots trouvèrent alors dans la boisson la force de s’accoupler, ivres d’épuisement et de rhum, avec les négresses survivantes, à demi mortes de dénutrition et de honte. Enchaînés, pétrifiés d’horreur, les quelques Africains vivants ne pouvaient leur porter secours. Le capitaine était aux anges. Le brave homme se frottait les mains. Pour un peu, il eût applaudi. Les membres d’équipage semblaient se déchaîner plus bestialement encore qu’à l’accoutumée. L’alcool, dans leurs corps affamés, produisait encore plus d’effet que d’ordinaire.
Voilà ce qu’ils faisaient de ses femmes. Voilà ce que les blancs firent et continuèrent à faire des femmes de sa race. Noh-La-Har en a trop vu. Il a vu redescendre dans la pénombre de l’entrepont la splendide négrillonne bleue qui troublait son cœur et son corps. Celle-là même qu’il aimait voir, mais que lui avait respectée, tout au long de la traversée, l’Africain l’a vue redescendre, du sang entre ses deux beaux quartiers de cuisses, lorsqu’elle enjamba les corps pour retourner se coucher, avachie, vieillie de dix ans, méconnaissable. Il était à parier que, dans l’abomination de la pariade, c’était celle-là qui avait eu le plus de succès... Elle était la plus désirable. Mal lui en prit ! Elle restait sublime, cependant ; elle sortait plus femme et plus ferme de l’opprobre de la pariade.
L’héroïsme était de survivre. Par on ne sait quel miracle, Noh-La-Har fut l’un des rares rescapés de ce vaisseau négrier.
Noh-La-Har ou Léonard, l’Africain en avait trop vu, trop souffert, dans la noirceur de son grand corps et sa candide âme de " bon nègre ", de " belle pièce d’Inde " valant cher, de magnifique " bois d’ébène " faisant l’émerveillement de ses maîtres, et leur fortune, lorsqu’on le vendit à l’encan sur le marché aux esclaves de Saint-Pierre de la Martinique. On ne lui mettrait plus de carcan. Il ne serait plus un " bon nègre ". Il serait un nègre marron.
Même s’il a faim, même s’il a mal, il n’aura jamais aussi faim ni aussi mal que durant sa captivité.
Comme s’il en était besoin pour justifier sa cruauté, le géreur psalmodiait le Code Noir pendant qu’on lui administrait les châtiments. La voix éraillée d’alcoolique flagellait ses oreilles coupées. " Article 36 : Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, cannes de sucre, pois, mil, manioc ou autres légumes faits par les esclaves, seront punis selon la qualité du vol, par les juges, qui pourront s’il y échet les condamner à être battus de verges par l’exécuteur de la haute justice, et marqués d’une fleur de lis ", ânonnait la voix de rogomme, butant sur les mots compliqués que, de toute manière, Léonard ne comprenait qu’à moitié, des mots que, de mémoire de nègre, aucun esclave n’avait compris et ne comprendrait jamais.
" Article 42 : Pourront seulement les maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs esclaves l’ont mérité, les faire enchaîner et les faire battre de verges ou de cordes... " s’acharnait la voix rocailleuse, écorchant les mots de plus de trois lettres et la peau de l’esclave surpris à manger un peu de sucre pendantsontravail.Lesucre,ilfallaitenproduire, mais interdiction d’en manger. On lui a mis une muselière, à l’affamé voleur de sucre !
Alors, allez donc lui faire entendre que ce soi-disant Code Noir est signé de la main même du roi de France, Louis XIV, le Roi Soleil, rédigé par l’illustrissime sieur Colbert, ô ministre intègre ! Allez prétendre lui expliquer que ce Code Noir lui veut du bien, Léonard refuserait d’y croire. Cette pourriture de code réglementait et légitimait son supplice, donnait une allure policée aux manœuvres de basse police et autres polissonneries du commandeur, voilà tout ce qu’il y avait à comprendre. Si on reparlait à Noh-La-Har de ce Code Noir, il voyait rouge. On pouvait le traiter comme une bête, mais pas le prendre pour plus bête qu’il ne l’est ! Le seul roi soleil qu’il connaisse, c’est celui qui monte au ciel, très haut, au mitan de chaque jour, et qui lui mangeait la tête, lui étrillait les épaules et puis lui rongeait la peau, dans la fournaise du champ de cannes, quand il suait la sueur de son corps pour engraisser le colon.

Au sortir de tant de supplices, l’Africain ne peut plus souffrir. Ce qu’il vit n’est plus de la souffrance, c’est une épreuve qu’il s’impose. L’ultime, l’unique, la seule qui soit de son propre choix, de sa propre gouverne et de son propre mouvement. S’il en triomphe, il vivra. Il vivra libre. Sinon, il accueillera la mort comme un grand calme. Son âme retournera en Guinée.
Le fuyard respire un grand coup. Malgré les palpitations dues à l’angoisse et à sa dure course d’éclopé, Léonard parviendrait très vite à discipliner son cœur, sans s’effrayer de ses battements précipités, sans craindre ces frappements à ses tempes. Ses oreilles, ils les ont coupées, mais sans lui ôter le pouvoir qu’il a d’écouter son cœur. Il l’entendrait battre fort, non comme un signe de trouble, mais comme une présence amie qui jamais ne cessa d’être libre. Enfin, il se sentirait vivre.
Il marronnerait aussi loin que le lui permettraient ses forces et son jarret coupé. Fuyant l’habitation de Saint-Pierre, infirme mais ferme et farouche, il remonterait plus au Nord, jusque dans les mornes inaccessibles aux chiens à nègres, sur les hauteurs de la Grand Anse. Là, il attendrait Himitée. À chaque crépuscule, en soufflant dans sa corne de lambi, puis en frappant sur son tambour, assis à califourchon sur son gros-ka, relayé du Nord jusqu’au Sud, de morne en morne, par d’autres frères souffleurs de lambis et d’autres peaux de cabri tendues sur d’autres tonneaux vides de tafia, jusqu’au fond de l’habitation Massy-Massy, il ferait savoir à Himitée, négresse debout, que Léonard, nègre marron, n’espérait qu’elle sur les hauts de la Grand Anse. Elle l’y rejoindrait un jour. Ils y auraient leur descendance, délivrés de toute entrave. Des enfants à eux, pas au maître. Des enfants à eux. Libres, enfin. Sous la protection des loas. Des enfants qui s’appartiendraient. Himitée ne serait plus torturée. Pour éviter à ses enfants l’horreur de la servitude, elle n’aurait plus besoin de recourir à l’avortement en utilisant des simples qui mettaient sa vie en danger.
À moins que, las de la solitude et de la souffrance du souvenir, au fil des nuits et des jours l’image d’Himitée s’estompant, un bon matin Léonard ne s’aventure à dissiper la nostalgie d’Himitée dans les bras de cette fille enjouée aux pommettes hautes, descendante des derniers Caraïbes qui avaient fui dans le Nord à l’arrivée des premiers colons européens. (Car tous ne s’étaient pas jetés dans le vide à la suite de leur cacique, au Tombeau des Caraïbes, après s’être crevé les yeux. Certains, les yeux grand ouverts face au destin de leur peuple, préférèrent la vie au suicide collectif. Ils cherchèrent refuge plus au Nord, dans les escarpements des mornes solitaires. Optant pour une autre forme de courage que la mort volontaire, ces Amérindiens choisissaient une solution certes moins spectaculaire, mais non moins héroïque, celle de la lutte pour une survie à la fois périlleuse et rude, remise en question chaque matin, au point du jour, et à chaque tombée de la nuit.)
Au serein de chaque crépuscule, la belle gravissait en chantant l’étroite sente escarpée. Tout d’abord Léonard l’entendait, puis soudain son corps cuivré faisait son apparition, émergeant d’entre les fougères arborescentes, balançant en voltes désinvoltes son panier de cachiman regorgeant d’appétissantes victuailles, lui mettant l’eau à la bouche.
Intrépide, se jouant du danger, la jeune Caraïbe venait quotidiennement ravitailler les marrons du haut du morne en cassaves et en légumes-pays cultivés par sa communauté. Ses ancêtres faisaient partie de ces rares Amérindiens qui, préférant la fuite au suicide, échappèrent au génocide en se réfugiant dans les montagnes du Nord pour n’être pas réduits en esclavage par les envahisseurs blafards " aux longues oreilles ".
Chaque jour la pulpeuse Indienne troquait les fruits de son jardin caraïbe contre le gibier chassé par le marron Léonard ou les belles écrevisses vivantes que l’homme pêchait à mains nues dans la rivière Saint-Jacques. Tout laissait présager que, de cet assidu brocantage, naîtrait la mère de l’enfant que l’on baptiserait Léona.

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Péniblement Léona réussit à se redresser, pantelante, chair palpitante comme un être qu’on vient de tuer. Toute dolente, elle tendit une main pour récupérer son Totor.
Lusinia n’attendait que cela : elle mordit dedans. La suite s’enchaîna d’elle-même. Riposte : hurle, griffe, déchiquette. Lacère. Triture au hasard, écrabouille du plat de sa main valide. " L " tire les cheveux, swit ! les oreilles, le nez, tire tout ce qui dépasse... Secoue comme un manguier, étrangle. " L " injurie, bombarde, boudoum ! Décapite. " Prends garde, je te tue ! "
Coups de poing, coups de pied, coups de tête, po ! Crève les yeux, " Isalope ! " Massacre. L’autre " L " l’écartèle. Catapulte. Décime, extermine, " Sale vermine !... " Tape, wabap ! Aveugle, éblouit : couteau jailli d’on ne sait où, éclair de lame éblouissante perforant l’air. Saigne, frappe, égorge. " Elles " roulent à terre, bloukoutoum, blo ! Rougeoie une pléiade d’étoiles en plein soleil. Tournoient les innombrables vaisseaux, à quai dans le mouillage de Saint-Pierre, - jamais si nombreux qu’aujourd’hui, ce jour-là n’est pas comme les autres, a le temps de présager Léona, en un éclair. Tourbillonnent les hauts mats, les vergues, les grands corps qui chargent et déchargent, dans un jaillissement d’odeurs fortes, de sueur, de sucre et de sang, de rhum, de bois de teinture, de cacao, de vin d’orange, en une tornade d’indigo, de manioc et de peaux mêlées. De l’amitié meurt tout souvenir. De la félonne se consomme le crime ; de l’ananas en conserve, Léona a le cœur révulsé. La nausée la déstabilise, elle vomit sur la noirceur de l’ex-amie. Une gerbe de senteurs plus piquantes lui fait reprendre ses esprits, puis une agression cauchemardesque de pieds nus et de souliers, un étourdissement de mollets, de criailleries : " Isalé ! " Les gens aiment voir deux filles se battre. Un attroupement s’est formé : " Un combat ! Dé L ka goumen  ! " Les deux L se volent dans les plumes. Nul ne tente de les séparer ; au contraire, les cris les excitent. L’orgueil galvanise Léona.
Se dégager, se relever, mim ! " Ha, tu vas voir ! Yich manbans ! Je vais t’apprendre, enfant de garce ! "... Frapper aussi ; frapper plus fort : pim  ! Plim ! Bo !... Perd le souffle, titube, chwa ! S’écroule.
Couronnant Lusinia, altière, sa longue silhouette se découpant sur l’azur d’un bleu intense, un haut panache de vapeur s’élève tout droit, triomphal.
Sa " meilleure amie " la piétine, la désarticule, l’assomme... Léona se relève, puis perd pied. Elle s’affaisse. L’autre " L " l’achève presque.

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VENTRE DE FEU

Blottie sur le dur banc de bois, à bord du " Rubis ", qui quitte en fendant l’écume la rade de Saint-Pierre, Léona n’a pas un regard pour ces lieux qu’elle laisse sans regret.
Le vent salé de la mer fouette et guérit à la fois plaies et cicatrices sur son corps. Une paume en coupe sur son ventre, l’autre agrippée au bastingage, elle tourne quiètement le dos à la Montagne assoupie, pour quelques instants encore, et aux mauvais souvenirs. Le feu du soleil cautérise plaies et cicatrices, sur son corps.
Ses yeux se baissent vers les flots. Cette fois, c’est elle qui est à bord ; pour l’heure, elle ne plongera pas dans les entrailles de la mer. Elle n’est l’amusement de personne. Fini le temps où les touristes argentés se divertissaient à la voir plonger, au péril de sa vie, pour repêcher des Totors ! Fini le temps où l’on s’amusait de son corps. Elle n’est plus le jouet de personne. C’est elle qui, dorénavant, a pris en main son destin. Elle fuit les flétrissures, les viols. Elle fuit la rue Monte au Ciel. Elle s’est embarquée, elle part.
Elle n’a même plus mal au cœur. Salutaires, les embruns pansent plaies et blessures dans son corps.

Comme tout s’est précipité ! Léona a eu juste le temps d’attraper le " Rubis " pour ainsi dire au vol, sa course, d’ordinaire si rapide, ralentie par ses traumatismes, ses ecchymoses et son état. Ce fut l’un des derniers bateaux à quitter la baie de Saint-Pierre, à six heures trente, ce 8 mai 1902, mais Léona l’ignorait. La jeune femme était simplement pressée de partir. S’estimant protégée par sa dévotion mariale, elle ne craignait rien ni personne, ni Montagne de feu ni diable. L’enfer, elle lui tournait le dos.




Du même auteur


Aux Éditions Desnel
Lumina Sophie dite Surprise
Fabulodrame (Texte français et version créole)
Théâtre (à paraître)


Chez d’autres éditeurs
L’Autre qui danse
Roman. Éd. Seghers, Robert Laffont, 1989

De sueur, de sucre et de sang
(Version abrégée) N° 15, " Le grand cri caraïbe "
Nouvelle. Éd. Le Serpent à Plumes, 1992
Réédition au format de poche, 1995

Habitation Anse Latouche
(En collaboration avec Pierre Pinalie)
Essai. Éd. la Vallée des Papillons, 1994

Negzagonal et Moun le Sid
(En créole avec traduction française)
Poèmes. Éd. MicRomania (Belgique), 1992 et 1993

La Virago
Nouvelle. (Diversité) Éd. Houghton-Mifflin (USA), 1995

Montagne de feu
Nouvelle. (Diversité tome II) Éd. Houghton Mifflin (USA), 2000






 

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