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![]() oOo Jamais ne t’incline Encline que tu es A poser les yeux Sur ce qui est
A genoux parfois dans les mousses Afin d’y voir de plus près Ou les mains frôlant les lichens Dans la lumière douce du goure Qui chante non loin
Ce qui est Tu le sens Est bien trop vaste Pour ce petit verbe De rien du tout
A cet être chétif Il faut tous les autres verbes de la Terre Dans toutes les langues anciennes et modernes Des plus rares aux plus envahissantes
Je connais une langue proliférante comme mauvais lierre Qui tend à étouffer tout ce qu’elle enserre
N’était cette pauvreté qui la mine N’était sa malheureuse expansion Je l’aimerais
Jean-Michel Guyot 8 mars 2025
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Ce poème danse sur un fil ténu entre humilité et immensité. Il y a, en son cœur, cette idée d’une posture—ne jamais s’incliner—qui semble paradoxalement s’accorder avec l’attitude du regard baissé, des genoux dans la mousse, des mains frôlant les lichens. Comme si la véritable droiture était celle qui sait s’incliner sans se soumettre, qui sait toucher sans posséder, qui sait voir sans réduire.
Et puis il y a cette tension entre “ce qui est” et la langue qui tente d’en rendre compte. Le poème pointe du doigt l’insuffisance du langage, ce petit verbe minuscule face à l’incommensurable, et pourtant, il ne cesse d’invoquer d’autres verbes, d’autres langues, comme une quête inlassable d’une justesse impossible.
L’image du lierre qui prolifère, étranglant tout sur son passage, vient dire le danger des mots qui s’étendent sans retenue, jusqu’à perdre leur substance, leur ancrage dans l’authentique. La langue moderne, envahissante et appauvrie, étouffe ce qu’elle touche, et pourtant, il y a, dans le dernier souffle du poème, une tendresse contenue : “Je l’aimerais”. Comme si, malgré sa ruine, sa démesure, il restait un espoir, une beauté fragile dans cet élan vers l’expression, vers la vérité du monde.
C’est un poème qui interroge, qui marche pieds nus sur le sol de la langue, dans un mélange de douceur et de lucidité.