Costumbres del alcaucil/ Mœurs de l’artichaut par Catherine Andrieu
La chlorophylle carnivore
Ce n’est pas une histoire, c’est un balancement, une montée de sève dans les nerfs, une rumeur verte dans les angles d’un balcon. Cela commence par un mot — alcaucil, petite tête — comme un secret venu de loin, mozarabe et latin enlacés, et cela finit par une apocalypse végétale, domestique, lente et méthodique comme la faim.
Un homme seul, professeur, trop savant pour s’attacher, trop las pour se défendre, reçoit en cadeau — en remerciement d’un échec scolaire — un artichaut. Il le pose là, sur son balcon, à l’endroit même où le monde peut s’oublier. Ce n’est qu’un pot rouge et blanc, une anecdote verte. Il ne sait pas encore que cette tête offerte est le germe d’un empire.
Car l’artichaut pousse. Il prolifère. Il devient machine de guerre et tapisserie vivante. Il se dresse, il rampe, il chasse. Il mange les fourmis. Puis il mange les autres plantes. Puis le silence. Puis les murs. Et il ne s’arrête plus.
Dans la langue déliée et exacte du narrateur, l’horreur s’égrène avec un calme inquiétant. Chaque phrase est une observation, chaque observation un pas vers le délire logique, celui des catastrophes douces, botaniques, inexorables. Ce n’est pas un rêve, c’est une digestion. Le monde, en croquant du pain et en sirotant du maté, découvre que les légumes ont des dents. Et qu’ils savent attendre.
Le style, à la fois ironique et tragique, tient sur le fil fragile de la lucidité. Un fil qui se tend, se dérobe, se ramifie comme les tiges du monstre, comme les tentacules de ce poulpe terrestre épineux. Le professeur regarde, nomme, raisonne — et perd. Il est mangé par ses propres déductions. Comme ses livres sont rongés, comme sa mémoire est mâchée.
Le texte est d’une perfection calme, presque feutrée, jusqu’à la panique finale : le porteur de légumes se fait dévorer, la salle de bain devient dernier bastion, la barre du porte-serviettes un sceptre de fin du monde. C’est Kafka qui rencontre les Monty Python dans un Buenos Aires minéral, un monde clos où les mœurs des végétaux nous révèlent nos propres faiblesses.
C’est une chronique douce-amère d’un effondrement intime, une allégorie végétale qui touche à l’essentiel : que reste-t-il de nous quand les meubles, les murs, les livres, les idées mêmes deviennent comestibles ?? Et si, au fond, l’artichaut était la plus lucide des créatures ??
Un commentaire, une critique...?
Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs
FORUM
Pour participer, voir en bas de page>>
Commentaires :
La chlorophylle carnivore
Ce n’est pas une histoire, c’est un balancement, une montée de sève dans les nerfs, une rumeur verte dans les angles d’un balcon. Cela commence par un mot — alcaucil, petite tête — comme un secret venu de loin, mozarabe et latin enlacés, et cela finit par une apocalypse végétale, domestique, lente et méthodique comme la faim.
Un homme seul, professeur, trop savant pour s’attacher, trop las pour se défendre, reçoit en cadeau — en remerciement d’un échec scolaire — un artichaut. Il le pose là, sur son balcon, à l’endroit même où le monde peut s’oublier. Ce n’est qu’un pot rouge et blanc, une anecdote verte. Il ne sait pas encore que cette tête offerte est le germe d’un empire.
Car l’artichaut pousse. Il prolifère. Il devient machine de guerre et tapisserie vivante. Il se dresse, il rampe, il chasse. Il mange les fourmis. Puis il mange les autres plantes. Puis le silence. Puis les murs. Et il ne s’arrête plus.
Dans la langue déliée et exacte du narrateur, l’horreur s’égrène avec un calme inquiétant. Chaque phrase est une observation, chaque observation un pas vers le délire logique, celui des catastrophes douces, botaniques, inexorables. Ce n’est pas un rêve, c’est une digestion. Le monde, en croquant du pain et en sirotant du maté, découvre que les légumes ont des dents. Et qu’ils savent attendre.
Le style, à la fois ironique et tragique, tient sur le fil fragile de la lucidité. Un fil qui se tend, se dérobe, se ramifie comme les tiges du monstre, comme les tentacules de ce poulpe terrestre épineux. Le professeur regarde, nomme, raisonne — et perd. Il est mangé par ses propres déductions. Comme ses livres sont rongés, comme sa mémoire est mâchée.
Le texte est d’une perfection calme, presque feutrée, jusqu’à la panique finale : le porteur de légumes se fait dévorer, la salle de bain devient dernier bastion, la barre du porte-serviettes un sceptre de fin du monde. C’est Kafka qui rencontre les Monty Python dans un Buenos Aires minéral, un monde clos où les mœurs des végétaux nous révèlent nos propres faiblesses.
C’est une chronique douce-amère d’un effondrement intime, une allégorie végétale qui touche à l’essentiel : que reste-t-il de nous quand les meubles, les murs, les livres, les idées mêmes deviennent comestibles ?? Et si, au fond, l’artichaut était la plus lucide des créatures ??