Les poèmes d’hiver n’ont pas besoin de marcher. Ils glissent. Comme la buée d’une âme sur la vitre d’un matin d’exil. Dans ce bref frisson qu’exhale le souffle humain face à l’opaque du monde, Mirela Leka Xhava grave des figures éphémères, des « hiéroglyphes indéchiffrés sur le mur fragile », que nul ne saurait traduire mais que chacun, secrètement, reconnaît. Car c’est de notre propre mémoire qu’il s’agit – non pas celle que l’on archive, mais celle que le givre révèle à la surface d’un silence, dans le secret d’un battement de cœur retenu.
Dans cette saison ralentie, la poésie ne se dérobe pas : elle se condense. Elle se recueille dans une mer solitaire, vaste, sans témoin, dont les flots en colère ne hurlent pas vers les Dieux, mais contre eux. Un cri contenu dans le roulis des vagues intérieures, où l’amer et le sacré s’affrontent dans le reflux du sens. L’hiver ici n’est pas simplement climat : il est la chambre d’écho d’un monde trop plein, qui se vide pour mieux se dire. La colère du poème devient alors un refus doux : refus d’oublier, refus d’effacer ce qui s’est formé dans l’instant du souffle.
Il y a, chez Xhava, une tendresse obstinée pour ce qui résiste au passage. Une flamme minuscule dans l’âtre du langage. Elle suspend ses vers, un à un, comme on suspend des vêtements mouillés près de la cheminée : pour qu’ils sèchent, certes, mais aussi pour qu’ils parlent encore un peu de la pluie, du corps, de l’épreuve. L’année y est lourde, oui, mais pas plus que toute une vie – comme si le poème condensait la durée humaine dans un seul moment d’hiver.
Et pourtant, dans cette rudesse blanche, ce que le poème noue, c’est une écharpe immense, une « énorme écharpe d’amour » pour les absents-présents, ceux qui vibrent encore « dans le rythme de nos cœurs ». Ce fil rouge, chaud et pudique, retient ce que le temps voudrait délier. Il y a là un geste d’hospitalité envers les vivants de l’intérieur, ceux que le poème garde près du feu.
Poèmes d’hiver est une offrande discrète et essentielle : elle enseigne à lire sur la buée, à écouter dans le gel, à porter l’autre dans la chaleur ténue du mot. Une écriture de la condensation et de la survivance. Une poésie où le cœur bat à bas bruit, mais obstinément.
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Le souffle invisible des poèmes d’hiver
Les poèmes d’hiver n’ont pas besoin de marcher. Ils glissent. Comme la buée d’une âme sur la vitre d’un matin d’exil. Dans ce bref frisson qu’exhale le souffle humain face à l’opaque du monde, Mirela Leka Xhava grave des figures éphémères, des « hiéroglyphes indéchiffrés sur le mur fragile », que nul ne saurait traduire mais que chacun, secrètement, reconnaît. Car c’est de notre propre mémoire qu’il s’agit – non pas celle que l’on archive, mais celle que le givre révèle à la surface d’un silence, dans le secret d’un battement de cœur retenu.
Dans cette saison ralentie, la poésie ne se dérobe pas : elle se condense. Elle se recueille dans une mer solitaire, vaste, sans témoin, dont les flots en colère ne hurlent pas vers les Dieux, mais contre eux. Un cri contenu dans le roulis des vagues intérieures, où l’amer et le sacré s’affrontent dans le reflux du sens. L’hiver ici n’est pas simplement climat : il est la chambre d’écho d’un monde trop plein, qui se vide pour mieux se dire. La colère du poème devient alors un refus doux : refus d’oublier, refus d’effacer ce qui s’est formé dans l’instant du souffle.
Il y a, chez Xhava, une tendresse obstinée pour ce qui résiste au passage. Une flamme minuscule dans l’âtre du langage. Elle suspend ses vers, un à un, comme on suspend des vêtements mouillés près de la cheminée : pour qu’ils sèchent, certes, mais aussi pour qu’ils parlent encore un peu de la pluie, du corps, de l’épreuve. L’année y est lourde, oui, mais pas plus que toute une vie – comme si le poème condensait la durée humaine dans un seul moment d’hiver.
Et pourtant, dans cette rudesse blanche, ce que le poème noue, c’est une écharpe immense, une « énorme écharpe d’amour » pour les absents-présents, ceux qui vibrent encore « dans le rythme de nos cœurs ». Ce fil rouge, chaud et pudique, retient ce que le temps voudrait délier. Il y a là un geste d’hospitalité envers les vivants de l’intérieur, ceux que le poème garde près du feu.
Poèmes d’hiver est une offrande discrète et essentielle : elle enseigne à lire sur la buée, à écouter dans le gel, à porter l’autre dans la chaleur ténue du mot. Une écriture de la condensation et de la survivance. Une poésie où le cœur bat à bas bruit, mais obstinément.