C’est un frisson d’eau, une poussée d’âme, une coulée où l’homme s’interroge au fil des oscillations liquides. Reynald Devanlay, dans ce poème, nous ouvre un passage où le ressac devient parole, où chaque vague, indomptée et souple, nous rappelle notre propre entêtement à vouloir comprendre ce qui n’a pas d’autre raison d’être qu’un glissement, une cadence, une vibration.
Dans cet univers de « vagues à la queue leu leu », le poète ne cherche pas à domestiquer les forces : il les observe, il s’y frotte, il s’y mesure. Et l’homme-nageur, « à rebours de lui-même », nous fascine, écartelé entre le désir de durer et l’évidence de l’éphémère. La mer, ici, n’est pas seulement décor, elle est mémoire. Lourde, fondatrice, presque charnelle. Car éviscérer la mémoire des eaux, nous dit Devanlay, serait « renoncer à ce qui nous naturhumanise » — mot splendide, hybride, qui saisit le trait d’union ténu, fragile, entre nature et humanité. Sans mémoire, il ne resterait que l’errance, le vide, l’oubli de l’imaginaire, ce souffle premier qui nous anime.
Puis surgit ce « Qui ch’uis » espiègle, rieur, presque enfantin : une voix qui s’épanouit dans le jeu, dans l’énigme, dans le refus des définitions figées. Oiseau, moinelle, sterne, faucon… figures ailées qui désarçonnent et se dérobent à toute emprise. Ici, le poème défend une identité libre, mouvante, insaisissable, portée par la joie simple d’exister : « Chuis / La goutte d’eau qui justifie la mer / Et la miette de musique qui miracule l’offensée ». Quelle grâce dans cet abandon ! Quel art de dire l’essentiel en un battement léger, sans arrogance, sans démonstration, comme si l’évidence ne pouvait naître que d’un éclat discret.
Avec « Insomnie », le poète élève le regard : le ciel, personnage fatigué, porte sur ses épaules les sorts que les humains s’infligent. Sous le drapé des nuages, sous la chemise triste et le pantalon tirebouchonné du ciel, on devine une immense lassitude cosmique, un besoin de se taire, de renoncer au fracas, pour ne pas céder « au charme de la désintégration pure et simple ». Le poème murmure ici un appel à la patience, à la retenue, à cette mince frontière qui nous empêche de sombrer, de disparaître dans les éclats d’une lumière trop vive.
Enfin, avec « Un peu plus d’air », c’est l’espace du quotidien qui s’ouvre : une fenêtre, une lumière sur le parquet, un chien qui brame, des géraniums ivres de soleil, et l’humanité, enfermée en elle-même, errant sans retrouver sa géométrie sacrée. Ce dernier mouvement touche, car il ramène la grande aventure poétique dans la chambre, sur les planches du réel, au milieu des « grognements de moteurs » et des « grincements d’âmes ». Devanlay n’enferme jamais son chant dans une seule tonalité : il conjugue le vaste et l’infime, l’océanique et le domestique, le vertige et le quotidien, toujours avec une pointe d’ironie tendre, toujours avec cette fenêtre grande ouverte sur l’inconnu.
Dans « De vague en vague », le lecteur avance comme on avance dans un rêve conscient : bercé, étonné, transpercé parfois, mais toujours ramené à cette question, fondamentale, que le poète glisse sous chaque mot : comment rester vivant dans ce qui nous traverse, nous dépasse, nous déchire ? Et comment, surtout, rester léger, rieur, émerveillé — de vague en vague ?
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Lecture dans le silence. https://youtu.be/1Dot6hluZK0?si=de9d7GI2s3w_iuXW
C’est un frisson d’eau, une poussée d’âme, une coulée où l’homme s’interroge au fil des oscillations liquides. Reynald Devanlay, dans ce poème, nous ouvre un passage où le ressac devient parole, où chaque vague, indomptée et souple, nous rappelle notre propre entêtement à vouloir comprendre ce qui n’a pas d’autre raison d’être qu’un glissement, une cadence, une vibration.
Dans cet univers de « vagues à la queue leu leu », le poète ne cherche pas à domestiquer les forces : il les observe, il s’y frotte, il s’y mesure. Et l’homme-nageur, « à rebours de lui-même », nous fascine, écartelé entre le désir de durer et l’évidence de l’éphémère. La mer, ici, n’est pas seulement décor, elle est mémoire. Lourde, fondatrice, presque charnelle. Car éviscérer la mémoire des eaux, nous dit Devanlay, serait « renoncer à ce qui nous naturhumanise » — mot splendide, hybride, qui saisit le trait d’union ténu, fragile, entre nature et humanité. Sans mémoire, il ne resterait que l’errance, le vide, l’oubli de l’imaginaire, ce souffle premier qui nous anime.
Puis surgit ce « Qui ch’uis » espiègle, rieur, presque enfantin : une voix qui s’épanouit dans le jeu, dans l’énigme, dans le refus des définitions figées. Oiseau, moinelle, sterne, faucon… figures ailées qui désarçonnent et se dérobent à toute emprise. Ici, le poème défend une identité libre, mouvante, insaisissable, portée par la joie simple d’exister : « Chuis / La goutte d’eau qui justifie la mer / Et la miette de musique qui miracule l’offensée ». Quelle grâce dans cet abandon ! Quel art de dire l’essentiel en un battement léger, sans arrogance, sans démonstration, comme si l’évidence ne pouvait naître que d’un éclat discret.
Avec « Insomnie », le poète élève le regard : le ciel, personnage fatigué, porte sur ses épaules les sorts que les humains s’infligent. Sous le drapé des nuages, sous la chemise triste et le pantalon tirebouchonné du ciel, on devine une immense lassitude cosmique, un besoin de se taire, de renoncer au fracas, pour ne pas céder « au charme de la désintégration pure et simple ». Le poème murmure ici un appel à la patience, à la retenue, à cette mince frontière qui nous empêche de sombrer, de disparaître dans les éclats d’une lumière trop vive.
Enfin, avec « Un peu plus d’air », c’est l’espace du quotidien qui s’ouvre : une fenêtre, une lumière sur le parquet, un chien qui brame, des géraniums ivres de soleil, et l’humanité, enfermée en elle-même, errant sans retrouver sa géométrie sacrée. Ce dernier mouvement touche, car il ramène la grande aventure poétique dans la chambre, sur les planches du réel, au milieu des « grognements de moteurs » et des « grincements d’âmes ». Devanlay n’enferme jamais son chant dans une seule tonalité : il conjugue le vaste et l’infime, l’océanique et le domestique, le vertige et le quotidien, toujours avec une pointe d’ironie tendre, toujours avec cette fenêtre grande ouverte sur l’inconnu.
Dans « De vague en vague », le lecteur avance comme on avance dans un rêve conscient : bercé, étonné, transpercé parfois, mais toujours ramené à cette question, fondamentale, que le poète glisse sous chaque mot : comment rester vivant dans ce qui nous traverse, nous dépasse, nous déchire ? Et comment, surtout, rester léger, rieur, émerveillé — de vague en vague ?