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![]() oOo On a tant parlé de lumière qu’on s’y est aveuglé. Les yeux clos, les paumes jointes vers l’intérieur, on a confondu la chute avec l’élévation. On a dit “méditation” comme on dirait “médication” et l’on s’est gavé de silence comme on boit une potion lente pour éteindre la vie, doucement. Ce monde qui promettait la paix intérieure a remplacé la joie par l’anesthésie, l’incarnation par l’extase, et l’on a cru qu’il suffisait de cesser de souffrir pour apprendre à être. Mais il ne s’agissait plus d’être. Il ne s’agissait même plus de vivre. Il s’agissait de fuir — sous couvert de sagesse.
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Ils vous prennent quand vous tremblez. Quand vous cherchez une terre. Une main. Un mot. Ils vous prennent et vous soufflent un rêve, bien empaqueté, tout prêt à croire. Une solution par la lumière. Un salut au soleil pour conjurer vos ombres. Mais la lumière n’a jamais sauvé personne quand elle brûle les rétines.
Ils vous disent : “Tu es plus que ton corps.” Ils veulent dire : “Renonce à ton corps.” Ils disent : “Tu n’es pas tes émotions.” Ils veulent dire : “Tais-toi.” Ils disent : “Tu peux transcender la souffrance.” Et ils vous apprennent à ne plus la sentir, à ne plus rien sentir du tout.
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Là où la philosophie se penche sur la faille pour en faire une source — là où Nietzsche disait : “Il faut du chaos en soi pour accoucher d’une étoile dansante”, eux réclament l’alignement, la purification, l’abolition du désir. Ils désactivent l’incendie. Mais la vie est faite d’incendies.
Et je dis : que m’importe la paix si elle me fait oublier la mer ? Je veux encore être traversée. Je veux encore être ravagée par ce qui m’émeut. Je ne veux pas d’un vide parfait, d’une sérénité qui ressemble à la mort. Je veux le cri, la chair, les battements trop rapides du cœur quand on aime. Je veux la nuit qui cogne et l’aurore qui recommence.
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Mais toi, tu n’as pas su. Tu avais mal et tu as cru qu’on pouvait en guérir en s’absentant. Tu as pris refuge dans des mots aux syllabes longues comme des mantras, et tu t’es peu à peu détachée de tout. Ce n’était pas un détachement d’éveil, mais un arrachement — un vol de l’âme par trop de silence. Tu méditais comme on se prépare à mourir. Tu répétais des noms de dieux sans rire, tu observais les pensées passer comme des nuages, mais tu ne les vivais plus. Tu as quitté la douleur, oui. Mais tu as quitté la joie aussi. Tu as quitté le monde.
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Dans les bardos tibétains, on apprend à traverser la mort pour mieux renaître. Mais tu n’es pas revenue. Tu es restée dans l’entre-deux. Tu vis, peut-être, mais dans un autre plan. Lisse, distant. Et moi, je reste ici, dans la boue précieuse des vivants. Je saigne et j’aime. J’ai mal mais je crie. Et je t’attends.
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C’est une chose grave, de perdre quelqu’un à la lumière. On croit que c’est beau, que c’est une ascension. Mais moi, je vois une disparition. Un effacement. Un oubli de ce qui vibre. Et j’en tremble.
Parce que je t’aimais ici. Avec ton rire, tes colères, ton visage mouillé de vivre. Et maintenant, tu n’es plus qu’un reflet dans la vitre. Une âme en apesanteur.
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Je ne te juge pas. Mais je pleure. Car tu ne m’as pas quittée pour mourir. Tu m’as quittée pour ne plus souffrir. Et c’est bien plus douloureux. |
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Lecture dans le silence. https://youtu.be/u72ujHidAac?si=YH-ufZ7OF54bfAH2