MON AMAUROSE

Je me suis crevé les yeux.

Une douce douleur m’envahissait comme si je pouvais voir pour la première fois.

Des larmes de sang coulaient le long de mes joues et le goût du sang dans ma bouche régalait mes papilles. J’étalais lentement ce sang sur ma peau : je me rappelais de cette couleur si violente mais ce n’était plus qu’un lointain souvenir.

Je m’étais résignée : je ne verrai plus jamais.

Longtemps j’avais fermé les yeux pour ne plus voir, aujourd’hui, ils étaient bien ouverts et à mon grand bonheur, ils restaient éteints.

La souffrance de voir l’extériorité, l’autre, m’avait quittée, désormais je resterai aveugle.

À terre, prostrée dans un coin, je ne pouvais plus pleurer et je ne pleurerai plus jamais.

Je restais ainsi, immobile, comme si j’attendais la mort.

Cette mutilation, pour moins de souffrances, m’apparaissait salutaire : plus jamais je ne me verrai dans ce maudit miroir, plus jamais je ne me plaindrai d’avoir un visage bizarre et étranger à moi- même, plus jamais je ne verrai ces objets difformes autour de moi, et surtout, plus jamais je ne vous verrai, vous, l’altérité.

Ne plus voir mais par dessus tout : ne plus se voir !

La souffrance du reflet, de cette image si destructrice, enfin elle s’effondre. Mon regard était sombre et noir, aujourd’hui il est mort.