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Journal intime du mardi
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 Article publié le 12 mai 2010.

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J’ai remarqué que les plus grands événements de ma vie se passaient un mardi. J’ai alors commencé mon journal intime un mardi. Pour être plus précise, il s’agissait du mardi 11 septembre 2001. Je suppose que cette date vous parle.

Bienvenue dans ma vie.

 

Mardi 11 septembre 2001 :

C’est affreux, horrible, impossible. J’allume la télé quand tout à coup, mon regard est absorbé par des images d’une rare violence. Je vois les « Twin Towers » s’effondrer en direct et les gens se jeter par les fenêtres. Un cauchemar terriblement réel.

Je n’ai que 15 ans mais je sais que je ne serai plus jamais la lycéenne insouciante que j’étais.

J’ai toujours voulu croire que le monde changerait en bien grâce aux nouvelles générations porteuses d’espoir et de paix. J’avais appris en cours que l’homme était cruel, qu’il avait été à l’origine des plus grandes guerres, des explosions nucléaires, de l’extinction d’une grande partie de la faune et de la flore de notre planète. Mais je pensais vraiment que tout ça était désormais derrière nous.

Si l’humanité perd ses valeurs, le monde va disparaître très vite. Je ne veux pas ça. J’ai peur. Je jure sur ma vie que je vais m’engager à maintenir ces valeurs. Je sais que ça semble utopique, mais je sais aussi qu’il faut bien commencer quelque part.

 

Mardi 18 septembre 2001 :

Petit événement : c’est mon anniversaire. Ça faisait déjà un bon mois que j’avais prévu jusqu’au plus petit détail, son déroulement : tournée shopping avec les copines (et l’argent de mes parents bien sûr !), retour à la maison et gros gâteau que je dégusterai en famille et enfin, le bouquet final, c’est-à-dire ma première sortie en boîte de nuit !!! Seulement voilà, je n’avais plus envie de tout ça. Mes envies et mes désirs avaient changé depuis le 11 septembre. J’avais peut être mûrie, ou je m’étais sentie investie d’une plus grande mission que celle de manger un gâteau le plus rapidement possible avant d’aller rejoindre mes amies. En tous cas, avant-hier, j’ai demandé à maman d’annuler ce que j’avais prévu. Elle a été plus que surprise et m’a même demandé si je me sentais bien. J’ai mis du temps à la convaincre que j’allais bien et que oui, je jurais ne pas faire partie d’une secte. C’est fou les choses que les mères peuvent s’imaginer quand leur angoisse prend le dessus.

J’étais différente oui, elle l’avait bien vu. Mais pas dans le mauvais sens du terme. J’étais autre ; j’étais devenue celle qu’il fallait que je devienne. Alors, j’ai quand même fêté mon anniversaire. Ça a été simplement différent.

J’ai d’abord choisi un anniversaire thématique. Il s’agissait de réunir mes meilleures amies, ma famille et moi-même autour du thème « Opération anti-pollution ».Toutes mes affiches, mes recherches Internet et mes pétitions contre les usines les plus polluantes de la région étaient prêt. La surprise a été grande pour tout le monde. J’étais sûre que mes amies ne pouvaient que se rallier à ma position. J’ai été déçue. Elles ont toutes fait bonne figure une heure ou deux, le temps de manger du gâteau et me donner leur cadeau. Ensuite, mon groupe s’est réduit comme peau de chagrin. Elles n’ont même pas signé mes pétitions à part Sandra même si elle ne l’a pas fait pour de bonnes raisons à mon avis. Son anniversaire est dans trois jours et j’ai toujours été très généreuse envers elle. Il ne fallait donc surtout pas perdre mon amitié maintenant. Ce n’est pas grave. Je pense que ce sont des moments difficiles par lesquels il faut passer avant d’être réellement comprise. Je prendrai patience. Ça aussi c’est nouveau.

 

Mardi 9 octobre 2001 :

Cours d’histoire de 9h à 11h. Avant, je n’aimais pas trop ça. Je préférais le cours de dessin : plus créatif et moins cadré. Un cours où la liberté d’expression était à son maximum. J’étais dans l’erreur là aussi. Aujourd’hui, le professeur a abordé le thème de la traite des noirs. C’était documenté, imagé et poignant. J’ai eu honte d’être blanche à ce moment précis. L’injustice est trop grande et ma douleur réelle. J’ai été ainsi vraiment confortée dans mon nouveau choix de vie. Il fallait agir maintenant pour que les générations futures n’aient pas honte de nous et qu’elles puissent apprécier chaque moment de la vie.

Je suis désormais libre de penser et d’agir pour défendre les mille et une causes importantes de ce monde. Il faut juste que je m’organise autour d’une idée centrale, fédératrice. Le web sera mon ami dans cette lutte. Je vais créer mon site où toutes les valeurs auxquelles je tiens seront réunies. Pour la première fois, j’ai vraiment l’impression d’exister.

 

Mardi 11 décembre 2001 :

Mon site s’appelle « Aidons la nature, elle nous remerciera ».

Je sais, le titre paraît très naïf mais il a un double sens auquel je tiens. Il s’agit d’aider aussi bien la nature végétale et animale que la nature humaine. En retour, on peut vivre dans un monde plus harmonieux aussi bien visuellement que moralement. En tous cas, le site marche super bien depuis que je l’ai crée au mois d’octobre dernier. Il y a eu plus de 100 000 visiteurs et 1 500 ont déjà adhéré à plusieurs de mes associations. Ce sont des gens de toutes les nationalités qui se croyaient seuls aussi dans ce combat. À travers mes activités sur ce site, j’ai petit à petit eu plus d’affinités pour un adhérent en particulier. Il est sénégalais, s’appelle Diao et milite contre la guerre, la famine et le commerce de l’ivoire. Il a 17 ans et compte devenir vétérinaire plus tard. Il aimerait d’ailleurs beaucoup faire ses études en France où se trouve l’école dont il rêve.

Tout nous sépare : le pays, les coutumes, la langue, l’alimentation… Pourtant, c’est la personne dont je me sens le plus proche intellectuellement. On échange nos pensées très souvent par MSN. On se félicite à tour de rôle, quand on a chacun de notre côté réussi à faire progresser notre action. Je l’admire et je crois bien qu’il m’admire aussi.

Quand je n’arrive pas à le contacter, je ressens comme un vide. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’il n’y a vraiment qu’avec lui que je peux partager mes pensées…C’est un ami très cher.

23h30 : Diao m’a contacté par e-mail. Le sourire aux lèvres, je lis attentivement son courrier. Il m’annonce qu’on lui a accordé une bourse pour l’année prochaine… Il va donc pouvoir faire son école de vétérinaire ! Quel bonheur pour lui ! Je me sens troublée. Je suis à la fois très heureuse et paniquée. Pourquoi ? Je crois bien que Diao est en fait plus qu’un ami pour moi.

Pas le temps de penser à ça, il faut que je lui réponde avec le plus d’enthousiasme possible pour qu’il voit à quel point je suis heureuse que ces rêves s’accomplissent. Diao bientôt en France ! Ça n’a pas été difficile de lui répondre avec enthousiasme à cette heureuse nouvelle. Mes mots défilaient sous mes doigts avant même que mon esprit ne les ait approuvés. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que le métier de vétérinaire m’intéresse de plus en plus. Oh bien sûr, j’ai encore le temps moi. Il me reste encore deux ans au lycée mais ça ne coûte rien de se renseigner ! La vie est vraiment pleine de surprises.

 

Mardi 8 octobre 2002 :

Diao arrive à l’aéroport à 16h. Je n’en peux plus d’attendre. Nous allons le chercher mes parents et moi. Il va passer quelques heures en notre compagnie. Ensuite, on l’amènera à l’internat de son école de vétérinaire à seulement quelques kilomètres de chez nous.

En attendant sa venue, je me suis investie plus que jamais dans mes actions écologiques, et plus particulièrement en faveur des causes qui touchent Diao (et moi bien sûr !).

J’ai réussi à obtenir une pétition géante qui est remontée jusqu’au gouvernement sénégalais ; une pétition contre le commerce de l’ivoire et le massacre des éléphants. Diao va être surpris et content je pense. J’ai hâte de découvrir sa réaction. De quoi ai-je l’air ? Vais-je lui plaire ? Pourquoi est-ce que je me pose ces questions. Diao est mon ami seulement et mon aspect n’a donc pas d’importance. Je ressens quand même le besoin de me mettre un peu en valeur. Et puis, j’en ai envie. On peut se faire belle pour soi-même, non ?

Il est 14h30, je me suis maquillée avec discrétion de sorte qu’on remarque mon regard sans savoir pourquoi. Je me suis habillée de ma plus jolie tenue sexy baba-cool comme tout le monde l’appelle. Elle me correspond bien. C’est parti pour la découverte de Diao.

19h30 : Je me suis isolée quelques minutes dans les toilettes. Il fallait absolument que j’écrive ce que je ressens. Diao est là, auprès de ma famille et moi. Il est beau, grand et charismatique. Je le sens investi dans chacun de ses mots. Il parle avec passion de son futur métier, de son engagement au quotidien et de sa vie au Sénégal.

Je l’écoute avec attention et admiration. Je ne sais pas ce qu’il pense de moi. Est-il déçu ? Est-ce que je corresponds à l’image qu’il s’était fait de moi ? Bon, je vous laisse. Si je reste plus longtemps aux toilettes, on va me demander si je ne suis pas malade.

Minuit 20 : Nous avons amené Diao à son internat. Il nous a souhaité à tous une bonne nuit, et nous sommes rentrés. Mes parents l’ont trouvé très sympathique. Moi, j’ai trouvé que le temps était passé trop vite.

Je rentre dans ma chambre lorsque je vois que j’ai un message sur MSN. C’est Diao ; il n’est plus connecté. Il me dit qu’avant son départ, sa famille s’est cotisée pour lui offrir un ordinateur portable, qu’il était ravi car il pourrait ainsi faire ses recherches dessus la journée et chatter avec moi le soir. Il a aussi ajouté qu’il m’avait trouvé vraiment très belle.

Mon cœur s’est mis alors à battre très fort sans réellement savoir ce qui m’arrivait. Il me trouve belle ! Je n’arrive pas à me calmer. Il faut que j’écrive ce que je ressens : « Je t’aime ». Je n’osais pas me l’avouer à moi–même mais je l’ai inscrit là, sur le papier, devant moi et ça me comble de joie.

 

Mardi 22 octobre 2002 :

C’est l’anniversaire de Diao. J’y pense depuis une éternité je crois. J’avais prévu une super fête surprise chez mes parents. Un imprévu de dernière minute est venu déranger mes plans. Mes parents devaient absolument se rendre au chevet de ma tante Corina. Ils sont partis hier et ne reviendront qu’après-demain. Ma mère, me voyant très déçue, me dit que si Diao peut trouver un moyen de transport pour l’amener et le ramener de son internat à la maison, je pouvais quand même faire la fête ici. C’est génial ! Elle a confiance en moi ma mère et ne supporte surtout pas de me faire de la peine. Un peu à la dernière minute, je contacte Diao et lui expose la situation. Il me dit : « Pas de problème, j’ai un nouvel ami d’internat qui a une voiture. Il veut bien me servir de chauffeur à condition qu’il ait le droit à un bout de gâteau. Lol. Bien négocié, non ? ». Oh oui, c’était très bien négocié. La journée s’annonçait longue dans l’attente de cette soirée. J’avais hâte. En tous cas, son cadeau est prêt : c’est un très bel ouvrage sur la faune et la flore mondiale. Je sais qu’il adore ce type de livres et qu’il s’en servira pour ses futurs exposés. Les invités sont également prévenus. Il s’agit de nouveaux amis que je me suis fait via mes associations ou de quelques filles qui ne m’ont pas tourné le dos quand je me suis engagée dans ces différentes actions. Ma mère a fait appel à un traiteur qui est venu livrer des plaques entières de pizza, de quiches et autres mets façon pique-nique. Boissons fruitées à volonté ! Ma mère a beau me faire confiance, elle a planqué les bouteilles d’alcool lol.

Minuit et demie : Je me retire un peu dans ma chambre. Je ne sais pas comment le prendre. Diao passe la plus grosse partie de la soirée à plaisanter avec mes amis. Je ne m’attendais pas vraiment à ça. Je croyais qu’il allait être à mes côtés. J’espérais qu’il ne verrait que moi. Je ne sais pas pourquoi je réagis de façon si exclusive. Il vient d’arriver en France ; il a le droit de se faire des amis, de parler, de s’amuser avec d’autres personnes que moi. Je vais arrêter d’écrire. C’est l’heure de la remise des cadeaux. Espérons au moins que le mien va lui plaire.

 

Mardi 29 octobre 2002 :

Cher journal, j’ai soudain besoin de chaleur humaine, de réconfort. Alors, j’écris. Cela fait une semaine tout juste qu’a eu lieu l’anniversaire de Diao chez moi. Le point positif, c’est qu’il a apprécié mon cadeau, les points négatifs : le reste de la soirée ! J’espérais plus. Ma déception est donc à la hauteur de mes attentes. Je sais aussi qu’il faut que j’arrête de faire une fixation sur cette histoire. Je suis une lycéenne moderne, impliquée dans la société, et bien dans sa peau. Alors, qui est cette fille soudain timide, renfermée, déçue qui attend désespérément le regard d’un garçon pour se sentir bien ?

C’est décidé, je redeviens la fille forte que je suis réellement. En plus, ça montrera à Diao que je suis toujours celle qu’il a connu à travers ses missions engagée sur le net. J’ai besoin d’une phrase forte qui va me guider vers mes bonnes résolutions. Celle-ci me semble pas mal : « Ni la richesse ni le savoir ne permettent de lutter efficacement contre les excès humains (extrait de Les dieux de l’écologie, René Dubos. » L’argent et la connaissance investis dans les plus beaux combats pour l’humanité ne sont rien sans l’engagement. C’est cette ferveur de l’engagement dont j’ai besoin, dont nous avons tous besoin pour faire bouger les choses.

 

« Quelle que soit la chose que vous pouvez faire ou que vous rêver de faire, faites-la. L’audace a du génie, de la puissance et de la magie. »

Extrait de : « L’expédition écossaise dans l’Himalaya, 1951 », W.H. Murray (1913 – 1996).

 

Cette phrase sera désormais celle qui me fera avancer, mon Leitmotiv comme dit ma prof de français. Justement, j’ai besoin d’audace pour faire ce que je m’apprête à faire. J’ai su il y a quelques jours qu’une grande opération contre la vivisection allait avoir lieu. C’est un sujet qui m’a toujours tenu à cœur et qui laisse complètement indifférent l’État, puisqu’il ne fait rien de constructif contre ces horreurs. C’est un trop gros business, au même titre que le commerce de drogue ou d’organes, pour que les autorités s’en mêlent vraiment.

De nombreuses tentatives de sensibilisation de la population ont déjà eu lieu : campagnes publicitaires chocs, stationnement bien en évidence de la camionnette anti-vivisection, tentatives de boycottage des défilés hautes coutures impliquant le port de vraies fourrures, distribution de tracts d’information, circulation de pétitions… Bref, tout a été tenté sans résultats probants. Les gens sont surpris, voire choqués puis oublient. Ils retournent dans leur réalité quotidienne et se contentent de fermer les yeux.

Puisqu’il n’y a que l’audace qui paye, à moi de jouer.

 

Mardi 10 décembre 2002 :

Diao est en France depuis 3 mois à peine. Il va découvrir que je suis quelqu’un.

Je vais bluffer Diao et faire bouger les choses. Cela fait deux mois que certains adhérents d’association pour la défense des animaux et moi, avons mis au point une opération commando dans un laboratoire où se déroulent des expériences cruelles sur des rats, des chats, des chiens et des singes. J’ai dit à mes parents que je dormais chez une amie. J’ai dit à Diao que je ne pourrais pas chatter avec lui ce soir car je suis invitée à dormir chez ma grand-mère et que, comme il l’avait déjà compris, elle n’était pas équipée en informatique. J’ai ajouté pour le faire sourire : « Elle vient à peine de découvrir que la télé est en couleur. Alors, on va attendre un peu pour l’ordinateur. Lol »

Mes alibis pour la nuit sont prêts. Mes parents me déposeront devant chez mon amie et s’éloigneront. Comme prévu, je me dirigerai discrètement vers la fourgonnette qui m’attendra, trois pâtés plus loin. Nous serons tous prêts. Les tenues de camouflage seront là. Mon cœur s’accélère déjà un peu à l’idée de ce que je vais faire. Alors je me répète mon Leitmotiv : « Quelle que soit la chose que vous pouvez faire ou que vous rêver de faire, faites-la. L’audace a du génie, de la puissance et de la magie. »

 

Mardi 24 décembre 2002 :

Veille de Noël et de mon arrestation. Je vous écris de prison où je suis en garde à vue depuis 4 heures. Les policiers m’ont laissé mon carnet alors j’écris. L’opération commando dans le laboratoire ne s’est pas tout à fait déroulée comme prévu. Nous avions réussi à infiltrer le labo en toute discrétion et à libérer les animaux. Cela ne suffisait pas pour la plupart des membres de notre équipe. Ils se sont alors mis à briser tous les appareils du labo, un par un.

Je leur ai dit d’arrêter, de se calmer, qu’on allait se faire repérer. Ils ont continué et je me suis enfuie. J’ai couru jusqu’à ce que je n’en puisse plus. J’ai atterri devant l’internat de Diao, qui était à environ 3 kilomètres du labo. J’avais besoin d’aide. J’étais effrayée. Diao m’a aidée sans me forcer à répondre à ses questions. Il m’a hébergée pour la nuit et je lui ai tout raconté.

Aujourd’hui, je suis en garde à vue non pas à cause de mes compagnons de commando qui ont été arrêtés, mais à cause d’une délation extérieure.

Mes parents étaient bouleversés et en colère. C’est drôle mais même en prison, je ne pense encore qu’à Diao. Il m’avait fait passer un message disant : « Je suis inquiet pour toi. J’espère que tu vas bien et que les policiers mettront très vite fin à ta garde à vue. Je sais qui t’a dénoncé. C’est mon voisin d’internat. Il a tout entendu la nuit où tu es arrivée en catastrophe ici. Il trouvait ça totalement injuste qu’on ait brisé tout le matériel que nous devions utiliser pour les TP. Courage. Je suis avec toi. »

Diao est avec moi. Il me soutient. Je n’ai plus peur.

 

Mardi 7 janvier 2003 :

Les fêtes sont passées. Moi, ce que je retiens le plus, c’est ma garde à vue de 12 heures et le réconfort que m’a apporté Diao. Je savais qu’on pouvait accomplir de grandes choses ensemble maintenant. Le risque de me faire arrêter m’effraie toujours un peu mais, à deux, on est plus forts. Nous avons décidé, Diao et moi, de mener nos actions en duo. Il m’a d’abord prévenue que toute action nécessitant une grande audace présentait de grands dangers. Je lui ai répondu en souriant que j’en avais fait l’expérience mais que j’étais prête à aller encore plus loin avec son soutien. Ma phrase l’a touché, nous nous sommes embrassés et avons conclu un pacte : « Que l’audace soit notre puissance, la défense des opprimés notre mot d’ordre et ceci, par tous les moyens. »

 

Mardi 4 mars 2003 :

Diao et moi avons mis au point pendant tous ces mois notre première action de révolte en duo. Tout a été vu et revu pendant des soirées entières. Le timing, le plan d’action, les solutions de rechange éventuelles et même les risques encourus. Nous avons l’espoir secret que ce coup d’éclat médiatique fera bouger les choses. Des amis journalistes engagés seront présents suite à un simple coup de téléphone. Nos visages ne seront pas masqués. La revendication d’une cause juste doit se faire à visage découvert comme dit Diao. N’ayons pas peur de montrer au monde qu’il existe des gens du peuple, de différentes origines et conditions sociales, qui luttent ensemble pour des causes nobles.

Bien que je n’aie pas autant de courage que Diao, je suis prête à assumer ma part de responsabilité dans les tous les combats que nous allons mener.

L’opération est prévue pour mardi prochain : le 11 mars devant la gare à 22h.

Nous l’avons intitulée « Un logement et un travail pour exister ». Il s’agira de manifester en faveur des SDF, ces oubliés de la société de consommation. Notre manifestation viendra sûrement perturber le rassemblement au marché du soir qui a lieu tous les 11 mars en ville.

Ceci fait partie de notre plan bien évidemment. Les gens venus pour acheter, se promener tranquillement dans les allées du marché et se vider la tête de tous leurs petits soucis quotidiens, ne pourront pas. Ils seront rattrapés par la réalité de la rue. Réalité qui prendra toute son ampleur grâce aux caméras de télévisions.

J’ai quand même peur des conséquences pour Diao. Il risque plus que moi. Moi je risque de faire de la garde à vue, de me faire engueuler par mes parents ou même de faire des travaux d’intérêt généraux mais Diao… Il est désormais majeur et son visa d’étudiant risque de ne pas être renouvelé s’il commet la moindre erreur. Je tiens trop à lui pour ne plus le voir du tout.

Je lui ai donc parlé de toutes mes craintes. Il m’a regardé droit dans les yeux, m’a souri et m’a serrée contre lui tout en murmurant à mon oreille : « Ne t’inquiète pas princesse, ça se passera bien ».

 

Mardi 11 mars 2003 :

Le grand jour est arrivé. Je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit. J’étais à la fois excitée et apeurée. Nous avons repassé toutes les étapes de notre plan en détail avec Diao. « Si tout est prévu, le risque est moindre » me répète sans arrêt Diao pour me rassurer. En plus, si on voit que les autorités essayent d’abuser de leur pouvoir, on peut évoquer devant les caméras qui feront foi, notre droit à la liberté d’expression inscrit dans la charte des droits fondamentaux de l’homme. Nous avons aussi prévu quelques fumigènes pour avoir éventuellement le temps de fuir si les choses tournent mal. Ce dernier détail m’angoisse. C’est Diao qui a insisté pour qu’on l’ajoute dans le plan. Il m’a dit que dans son pays, il a participé à une manifestation qui a mal tourné. Les policiers avaient commencé à utiliser leur arme paralysante contre des manifestants. La douleur de ceux qui avaient été touchés était si intense que l’écho de leurs hurlements continue encore à le hanter la nuit. Les seuls manifestants qui avaient alors réussi à fuir étaient ceux qui avaient utilisé des fumigènes. Diao en faisait partie.

Je ne suis pas rassurée du tout mais j’ai confiance en Diao. Et puis, ce n’est pas comme si nous nous trouvions dans un pays dictatorial où chaque manifestation d’opinion était punie par la mort. Ici, manifester est monnaie courante. C’est un moyen d’expression et de pression relativement bien toléré et parfois même, à l’efficacité redoutable en période d’élection.

Nous avons prévu avec Diao, d’autres interventions en faveur de diverses causes qui nous tiennent à cœur. Par exemple, cet été nous allons manifester devant l’Élysée contre le réchauffement de la planète. Notre dossier est en béton. Toutes les plus grosses sources de pollutions sont citées et notamment celle de la région parisienne. Chaque lieu considéré comme hautement dangereux pour la santé des habitants des alentours sera marqué d’un drapeau noir. Des photos chocs seront distribuées dans la rue et collées sur les façades. Notre combat se poursuivra par un dossier qui me tient particulièrement à cœur. C’est celui la lutte contre la violence. Je sais que ce combat paraît bien utopique. Cependant, depuis l’attentat du 11 septembre, je ne peux plus vivre en fermant les yeux sur les atrocités commises sur la terre entière. Ce combat est vaste et sans doute trop vaste pour un duo comme Diao et moi. Il faut s’attaquer à la fois aux tentations d’extrémisme religieux et politiques, à la violence conjugale, celle subie par les enfants, à la violence des images diffusées et valorisées par tous les médias…

Notre union est un symbole. Elle doit servir d’exemple pour qu’autour de nous, les gens prennent conscience qu’ils ont un combat à mener.

George Clemenceau disait : « Il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. »

Je pense que cette phrase peut aider à ne pas abandonner. C’est en agissant en adéquation avec nos idées que l’on peut être fier d’exister je pense.

 

Mardi 18 Mars 2003 :

C’est affreux, horrible ; je n’arrive pas à m’arrêter de pleurer. Diao est mort. Il est mort. Ce mot résonne dans ma tête depuis hier. Il faut que je mette noir sur blanc ce qui s’est passé.

La semaine dernière, mardi 11 mars, nous avons bien été à notre manifestation en faveur des SDF. Tout se passait comme prévu. L’effet médiatique était même plus important que prévu. En effet, à nos amis journalistes engagés, se sont ajoutés ceux de la presse locale qui étaient là pour faire un reportage sur le marché du soir.

Diao était plus heureux que jamais de pouvoir toucher un public nombreux. Moi j’étais un peu dépassée par toute celle foule mais heureuse également de l’impact médiatique générée par notre démarche. À 11h30, les forces de police sont intervenues pour faire cesser ce « désordre public » comme ils disaient. Ils ont d’abord essayé de nous intimider en nous bousculant un peu. Diao s’est alors appuyé comme prévu sur notre droit fondamental à la liberté d’expression et donc de manifestation de nos idées. La foule était en accord avec nous et applaudissait à chaque parole prononcée par Diao. Tout a dégénéré en un instant. Un policier exaspéré par notre refus d’obtempérer et par la foule qui nous soutenait, a frappé violemment Diao sur le côté de la tête avec sa matraque. La foule a crié. Diao est tombé. Il n’a plus bougé.

Du sang sortait de sa bouche. C’était affreux, insupportable… J’ai hurlé, pleuré, frappé les policiers. Ils m’ont maîtrisée puis emmenée au commissariat. Je hurlais et pleurais sans cesse. Je voulais savoir si Diao était vivant. J’ai su quelques heures plus tard par mes parents que Diao avait atterri aux urgences de l’hôpital le plus proche et qu’il était dans le coma.

J’ai prié pendant les heures et les jours qui suivirent ; j’ai prié de toutes mes forces pour que Diao vive. Prier alors qu’on est athée semble contradictoire. Mais le désespoir fait perdre toute raison.

Je viens d’apprendre que Diao ne se réveillera plus jamais de son coma. Je suis anéantie par la douleur. Je n’arrive plus à penser, à ressentir, à vivre.

Je dois très vite me reprendre. Je suis envahie d’une immense colère que je dois canaliser. C’est décidé, à partir de cet instant précis, je reprends le flambeau de Diao, mon amour perdu. Je vais continuer les luttes que l’on avait prévu de faire ensemble. Je ne vis désormais que pour ça. Diao, tu vas vivre à travers moi. La violence humaine a été cause de ta mort. Je vais en faire mon cheval de bataille jusqu’à mon dernier souffle.

JE T’AIME DIAO.

 

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