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Essais de Pascal Leray
Un sérialisme sans contrainte ?

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 Article publié le 14 juin 2010.

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Une communication à la Journée d’étude « Contraintes, innovation, rénovation » organisée par le programme Jeunes chercheurs de LISAA (Littérature, savoirs et arts – EA 4120) de l’université Paris-Est.

Qu’une journée entière soit consacrée au thème de la contrainte, il y avait sans doute de quoi faire fantasmer plus d’un. La question de la contrainte dans la créa­tion – littéraire, artistique, musicale – est en effet une question majeure et qui néces­site une approche émancipée du « pour » et du « contre ». En posant la contrainte non comme un mode de régulation mé­trique mais comme une question ouverte, le programme Jeunes chercheurs de LISAA (Littératures, savoirs et arts) de l’université Paris-Est a permis à des chercheurs d’horizons très divers de se rencontrer et d’échanger dans une ambiance des plus conviviales pour traiter des « multiples facettes » de la notion de contrainte. Qu’on en juge par le menu.

Le classicisme était forcément à l’honneur. A-t-on jamais tant révéré la contrainte qu’au XVIIe siècle ? Céline Paringaux a ainsi montré toute l’ambiguïté du rapport à la règle dans le théâtre comique du XVIIe siècle, tandis que Marc Douguet montrait de son côté le contrôle croissant sur l’entrée en scène des personnages dans le théâtre classique. De son côté, Lise Forment a donné une belle lecture de ce qu’elle appelle le « classicisme moderne » d’André Gide, où elle voit bien autre chose qu’un conservatisme. Ces approches ont en commun le regard qu’elles portent sur la règle : évolutive, historique, dirait-on contingente ?

En poésie, la contrainte est l’objet d’une guerre perpétuelle. Qui dit poésie à contrainte dit Oulipo. Mais en fait d’Oulipo, il fut moins question du groupe et de son arsenal potentiel que de deux de ses figures majeures : Raymond Queneau, dont Anne-Sophie Bories a effectué une analyse statistique de l’œuvre versifiée, dont elle a constitué une base de donnée remarquable de précision. Jacques Roubaud également, évoqué cette fois par Nathalie Riou et mis en regard avec René Char, en un point où « le poème à contrainte et le poète lyrique se touchent en disant la disparition ». Peut-être, en effet, la contrainte dit-elle tout autre chose que la contrainte.

L’un des mérites de cette journée d’étude a résidé dans son ouverture à des champs extrêmement variés, à des ordres de contrainte distincts de la règle énoncée. Maja Saraczynska a ainsi examiné le pacte autobiographique sous cet angle. La nature de la « contrainte autobiographique » est bien différente de ce qu’imposent des formes régulières, elle implique une dimension extérieure au texte, la réalité. De même, le regard porté par Sybille Lesourd sur l’enfant personnage dans le théâtre contemporain pour la jeunesse combine-t-il deux ordres de contraintes : le choix d’un acteur adulte ou enfant d’un côté, de l’autre la nécessité de s’adresser à un public spécifique, les enfants. A ce point, les contraintes qui pèsent sur la création sont celles de la réa­lité qui pèse sur l’œuvre. C’est ce qu’a exa­miné Cécile Vergez, notamment à travers le travail d’Olivier Douzou qui a tiré parti au maximum des contraintes de la collection (dans le domaine de l’édition) pour produire de petits livres carrés qui n’ont pas laissé insensibles nos chercheurs.

S’il est des « contraintes externes » qui pèsent sur le texte, cependant, le domaine juridique est sans doute le premier concer­né. Sur cette question, Pascal Mbongo a proposé une analyse des scandales récents (en littérature comme en art) et de leur traitement devant les tribunaux, s’interro­geant sur la revendication des écrivains d’être exonérés du droit commun en ma­tière d’expression.

La journée s’est achevée avec une étude comparée des démarches « informelles » de Tapies et de Saura par Martine Here­dia. Une « lutte contre l’image » qui avait le mérite de rappeler que la création artis­tique est tout entière contrainte mais non au sens où elle suivrait un programme de règles préétablies : parce qu’il est combat, à la fois contre le réel et contre l’art, contre les autres et contre soi.

C’est dans ce cadre généreux et prospec­tif que j’ai pu présenter, de mon côté, l’au­jourd’hui d’une recherche sur le mot « série » et, par la même occasion, le Cahier de la Ral,m n°9, « Ceci n’est pas une série », publié voici déjà deux ans chez le Chasseur abstrait à l’occasion du tricentenaire du signifiant. Voici le texte intégral de cette communication.

Je tiens à remercier les organisateurs de cette journée pour leur travail, leur amabilité et leur hospitalité. Nous savons désormais qu’il existe un groupe de recherche, à Marne la Vallée, qui traite des problèmes de la littérature dans une perspective des plus fécondes. Et donc, transdisciplinaire.

 

Un sérialisme sans contrainte ?

 

- L’anniversaire (3)

- Le sérialisme (5)

- Le langage (7)

- le signifiant (10)

- l’absence (14)

 

L’anniversaire

Initialement, le signifiant « série » devait avoir trois siècles d’âge en 2015. L’année d’apparition du mot est établie en 1715 par tous les dictionnaires étymologiques que j’ai consultés. 2015 était donc l’échéance suprême, l’année d’un sacre.

Si les choses se sont précipitées, c’est par un effet de la technologie. Car il y avait bien peu de probabilté qu’on revienne un jour sur cette année de naissance ! Mais en expérimentant la recherche avancée de Google Books, j’ai dû me rendre à l’évidence. Le mot « série » a bel et bien été créé par Pierre Varignon en 1708 et non en 1715. Le mathématicien distinguait ainsi les suites du type de celle qui régit le paradoxe de Zénon d’Elée : le mouvement est impossible puisque pour aller d’un point A vers un point B, il faut que j’accomplisse la moitié du trajet, puis la moitié de la moitié, puis la moitié de la moitié de la moitié, ainsi de suite. Ce qui donne une série du type ½ + ¼ + 1/8 + 1/16 + 1/32 etc. A l’infini. Le tireur n’atteint jamais sa cible, dans le monde des séries.

Ce vocable spécialisé, appartenant au champ des mathématiques, est forgé à partir du latin « series ». Le mot latin ressort du langage commun. Il signifie « suite, succession, entrelacs », désigne la lignée et encore l’enchaînement des idées dans un discours. Horace écrivait : « Tantum series juncturacque pollet / Tantum de medio sumptis accedit honoris. – Plus l’enchaînement et les liens sont puissants, plus le vocable moyen acquiert d’honneur ». Vaugelas, puis Diderot reprendront à leur compte cette sentence.

Assez vite, le mot français « série » est employé à son tour comme simple synonyme du français « suite »,. Le lexicographe Jean-Baptiste Féraud s’irritera d’ailleurs de voir employé en ce sens un mot « inconnu au commun des lecteurs ». Dès 1767, pourtant, « série » est attesté avec cette valeur générique. C’est l’évocation, par Diderot, d’« une série de vieilles impressions ». Mais le sens mathématique, synonyme d’échelle graduée, restera longtemps premier dans la lexicographie.

Comme Pierre Varignon a fait entrer le mot « série » dans la langue en 1708 et non en 1715, il a fallu précipiter tout le projet de « tricentenaire du signifiant série ». Heureusement, il y avait la Ral,m – la Revue d’art et de littérature, musique, créée par Patrick Cintas et Valérie Constantin. Le projet d’un cahier consacré à la série était déjà lancé. Ce cahier est devenu un « cadeau offert à la série ». Offert par des artistes (George Ayvayan, Julien Gasco, Valérie Constantin), des auteurs (Patrick Cintas, Robert Vitton, Jean-Claude Cintas, Jean-Luc Vertut, Guillaume Balzarini, Kwizera), un musicien et musicologue (Jean-Yves Bosseur), une linguiste (Jacqueline Picoche)... Tous ont répondu, chacun à sa façon et dans son domaine, à la question de la série.

Le sérialisme

Comment en est-on venu à fêter l’anniversaire d’un mot ? Pourquoi le mot « série » ? L’explication ne remonte pas tant à Varignon, il est vrai, qu’au sérialisme musical dont René Leibowitz a introduit la notion en français, dès 1946. Une école musicale dont les grandes figures sont à la fois bien connues et mal perçues, qu’il s’agisse de la première génération (Schoenberg, Berg, Webern) ou de celle qui a suivi, la fameuse « école de Darmstadt » : Boulez, Stockhausen, Berio, Nono ou encore Maderna...

Tout part de la méthode dodécaphonique d’Arnold Schoenberg, dont le principe est aussi redoutable que mécanique : la base d’une composition dodécaphonique ne réside plus dans le libre choix des notes à l’intérieur d’une gamme mais dans la consécution obligée des mêmes intervalles selon un ordre déterminé a priori.

La méthode dodécaphonique a attiré sur elle autant de rejet que de fascination. Et l’expérience, après-guerre, de la « série généralisée », a accentué cette fracture. Terme privilégié d’une tabula rasa qui devait tranformer en profondeur notre sens de l’écoute, le mot « série » a été un élément actif de cette refondation. Du coup, la notion de série a concentré sur elle toutes les critiques qu’on a pu faire à la musique moderne. Très tôt, Claude Levi-Strauss ou le linguiste Nicolas Ruwet ont prétendu démontrer en théorie l’inanité du sérialisme. Reste que, comme le reconnaît d’ailleurs Ruwet, la réfutation du sérialisme se heurte à la réalité des oeuvres.

La dimension combinatoire du sérialisme a dominé toute la polémique. Son abstraction coneptuelle le rend très proche du structuralisme qui lui est contemporain. Cette parenté est évidente dans l’Oulipo, chez George Pérec en particulier, ou encore chez Michel Butor. George Pérec, dans La Vie mode d’emploi, établit un réseau de contraintes, organisé sériellement et qui charpente toute l’oeuvre. Dans des poèmes rassemblés sous le titre d’Alphabets, Pérec va jusqu’à adapter la technique dodécaphonique au graphème pour engendrer des textes qui répondent à une loi de non-répétition calquée sur la composition avec douze sons.

La réduction du sérialisme a son aspect combinatoire est pourtant problématique. Pierre Boulez, quand il écrit Penser la musique aujourd’hui, insiste sur ce point : la série n’est pas la permutation de données numériques restrictives. Il la décrit plutôt comme le « germe d’une hiérarchisation fondée sur des propriétés psycho-physiologiques acoustiques ». La série est un élément germinatif. Dans l’écriture même de Pierre Boulez, le mot ne cesse de prolifèrer en « séries défectives » et « séries restreintes », « séries isomorphes », « structures sérielles », « organisation sérielle », « déduction sérielle »... Le maître mot du sérialisme, c’est la prolifération.

C’est pourquoi l’analogie entre le sérialisme musical et l’espace littéraire devrait impliquer de tout autres dimensions de la pensée. La question de la non-réversibilité. La remise en cause des principes d’unité ou de complétude. Le décentrement. Le sérialisme, dans ses oeuvres, véhicule des questions de langage qui ne sauraient rester étrangères à qui se pose la question du sens de ce qu’il fait.

 

Le langage

Dans le Cahier de la Ral,m que nous avons offert à la série, la lexicologue Jacqueline Picoche a eu l’amabilité de dresser un tableau général de la notion de série en linguistique. Il y aurait en effet une difficulté et une gêne particulière à penser la « série » dans l’espace littéraire sans avoir une vue globale de ce qui est, ou serait, ou au contraire ne serait pas, « série », dans le langage. Il faut d’abord tenir compte de la multiplicité des niveaux d’analyse. La série se retrouve aussi bien en phonologie qu’en morphologie, elle est au principe du paradigme... Jacqueline Picoche l’affirme : « s’il n’y avait pas de séries linguistiques, il n’y aurait pas de langage. » Dès lors, la question des limites de la série est cruciale :

En examinant les différents types de telles ʺsériesʺ (lexicales, morphologiques, phonologiques), nous devons garder à l’esprit deux questions : celles de leurs limites et celles du degré de conscience des choix opérés par le locuteur au sein de ces séries ».

C’est que la conscience de la série est inversement proportionnelle à la contrainte elle-même :

A mesure qu’on descend vers des strates du langage moins chargées de sens, on verra que les listes se ferment et que les choix deviennent de moins en moins conscients.

On ne rencontre guère dans le langage d’entités simples qui puissent se ramener à une série linéaire dont les éléments seraient régis, comme dans la dodécaphonie, par un principe d’égalité que rien ne viendrait contredire. Les systèmes peuvent être d’une grande généralité, comme sont les conjugaisons ou la génération de certains affixes. Ils sont presque toujours défectifs. Si la série est omniprésente dans la langue, elle est toujours marquée par l’inégalité, l’asymétrie, la discontinuité et la réduction. Et si l’on peut la considérer comme un principe commun à toutes sortes de phénomènes, il faut envisager chacun d’eux sous l’angle de sa complexité propre.

Car l’omnipotence de la série est aussi son impuissance. Si tout est série, quelle validité peut bien avoir une notion qui ne distingue rien, ne discrimine rien ? Ce qui est nécessaire pour tout objet de pensée est vital dans le cas de la série. Or, la série ne connaît plus guère de limite aujourd’hui. Aucun de ses traits n’est plus obligatoire, ni la linéarité ni la successivité ni même la régularité. Elle est proprement amorphe. Aussi, plutôt que d’entreprendre une taxinomie générale de toutes les séries possibles, ai-je voulu privilégier une autre approche posant une limite non pas conceptuelle mais lexicale au mot « série ». Aujourd’hui, quand je parle de série, je parle d’un mot qui est équivalent à son histoire, à une histoire que j’essaie de retracer le plus finement possible.

 

Le signifiant

Dans mon esprit, le mot « série » a pour pour signifié toute son histoire de mot, non de notion. Plus j’approfondirai ma connaissance du mot « série », plus le mot m’ouvrira une fenêtre sur le monde. Traversé par de vastes courants de pensée, ancré dans l’organisation sociale, dans la production industrielle et l’univers commercial, habité par une foule d’auteurs qui ont voulu penser le monde à travers lui, le mot « série » me raconte l’univers à travers trois siècles d’une langue-culture.

Un jour, j’ai cessé de rechercher des séries. J’ai commencé, plutôt, à rechercher « série », le mot. Il y a là, pour la pensée, une contrainte du même type, peut-être, que la dodécaphonie. Il y a tout ce qu’elle empêche de faire – identifier des séries là où ne serait pas énoncé le mot « série ». Et ce qu’elle rend possible : écrire le monde avec un mot, parce qu’il n’est pas une parcelle de l’univers qui n’ait été dite par la série. Dans ce que j’appelle sériographie (et qui n’est rien d’autre, peut-être, qu’une autobiographie par la série), rien ne peut être éludé qui soit marqué du sceau du signifiant « série ». A l’inverse, rien n’y entrera qui ne soit moulé dans la matière du mot et de ses dérivés.

Or, s’il est souvent énoncé, le mot « série » est régulièrement pensé pour lui-même. Ces saillies conceptuelles ont une importance particulière à mes yeux. Si je parcours le tronçon littéraire qui va du début du XVIIIe siècle à nos jours, je vois émerger, au-delà du sérialisme historique, une multitude de pensées de la série. Dès 1760, en effet, Diderot en fait le mot de la liaison :

C’est ainsi que, de toute la nature, sort en quelque sorte une voix qui annonce la multiplicité et l’enchaînure des séries contingentes. Les difficultés qu’on pourrait former contre ce principe sont faciles à lever. En remontant, dit-on, jusqu’au principe de la généalogie, jusqu’aux premiers parents, on rencontre la même personne placée dans plusieurs séries différentes. Plusieurs personnes, actuellement vivantes, ont un ancètre commun, qui se trouve par conséquent dans la généalogie de chacun. Mais cela ne nuit pas plus à la multiplicité des séries, que ne nuit à un arbre la réunion de plusieurs petites branches en une seule plus considérable, et celle des principales branches en tronc ? Au contraire, c’est de là que tire sa force l’enchaînure universelle des choses. 

Diderot ne fait pas seulement de la série le mot de la causalité. Il le rapporte à l’entendement, au passage de la sensation à l’idée. ce qu’il résume par une formule latine : « Discursus est series identificationum, Le discours est une série d’identifications ». Il revient plusieurs fois, à plus de vingt ans de distance, sur cette question. Après lui, Lamarck, Auguste Comte, Fourier vont accélérer la propagation de la série dans les premières décennies du XIXe siècle.

Chez Comte comme chez Fourier, (mais avec des implications différentes), « série » apparaît comme un mot passerelle qui permet de mathématiser le réel, quel qu’il soit. Cournot définira plus tard le hasard comme la « rencontre de deux séries causales indépendantes ». Et pendant ce temps, le mot s’installe dans les différentes sphères de la société : loterie, lois et décrets, administration, sport, commerce, industrie, marine... et donc dans la littérature.

A la fois notion et mot, la série prend une intensité et une densité particulières chez Gérard de Nerval. Dans Aurélia, elle est d’une présence constante. Liée à l’appréhension de la réalité (comme du rêve), elle porte en germe toute une métaphysique et draîne des échos d’une richesse infinie. Ainsi :

(...) les jeux de la lumière, les combinaisons de couleurs se décomposaient, de manière à m’entretenir dans une série constante d’impressions qui se liaient entre elles, et dont le rêve, plus dégagé des éléments extérieurs, continuait la probabilité.

Dans Aurélia, « série » se voit pratiquement grammaticalisé. Le mot a une forme intensive : « chaîne » qui se substitue à « série » en plusieurs occasions. Et il a une réduction, tragique, qui se déclare dans un moment de détresse du narrateur : c’est « le grain de chapelet », la série seule.

Chez Baudelaire, chez Verlaine, chez Zola, chez Proust, la série véhicule à divers degrés son histoire avec elle. Aussi, j’essaie d’interroger les conditions qui déterminent l’apparition du mot. Il semble en effet qu’il y ait des facteurs qui permettent à un mot d’exister et d’autres qui l’en empêchent et l’interdisent. Ce dont témoigne, à mon avis, le problème du langage versifié.

 

L’absence

Le vers français est longtemps resté inaccessible à la série. Dans l’état actuel de mes recherches, je ne possède pas un vers de langue française qui, au XIXe siècle, comporte en son sein le mot « série ». J’ai bien une chanson fantaisiste, à la fin du XVIIIe siècle, qui évoque la loterie (en vogue à cette époque). La chose est d’autant plus frappante que certains auteurs, comme Baudelaire, ont employé avec prédilection le mot « série » dans leur prose. Tout se passe comme si une pression inconsciente s’était exercée sur des générations de poètes, interdisant à un mot l’accès au vers.

Cette absence de la série me trouble profondément. Je ne doute pas que des contre-exemples existent (je ne les ai pas trouvés). Ils n’occulteront pas l’extrême rareté du mot, alors que dans le langage courant comme dans le domaine des idées, il prolifère, hégémonique. Le mot était-il trop récent, trop marqué par le positivisme et l’industrie ? Ce sont les pistes qui me paraissent les plus vraisemblables. Mais ce cas d’absence, ainsi que quelques autres, m’oblige à considérer que, dans une approche qui se fonde sur l’occurrence avérée du mot « série », il faut également compter avec l’absence de ce mot, comme fait positif.

Si le sens de « série » tient dans sa propre histoire, les épisodes de cette histoire sont autant de notes que porterait un clavier conceptuel. – Il aura, c’est vrai, la figure d’un piano non préparé. Mais les touches sont nombreuses et s’organisent entre elles en régions sémantiques, On tiendra simplement compte de ce que le mot, d’un point à un autre de son histoire, est doté d’une densité et d’une intensité variables.

La densité, c’est-à-dire la richesse des éléments qui entrent en corrélation avec « série » dans l’environnement du mot. L’intensité, liée à la fréquence et de la position du mot dans le discours, qui lui confèrent sa force de frappe. Si le mot « série » est un véritable mot-valeur chez Nerval ou Breton, il n’est qu’un terme de faible intensité chez un poète comme René Char par exemple. Je ne connais que deux cas de « série » chez René Char. Dans une prose du Marteau sans maître, il évoque « une série de conflits mortels d’origine minérale mystérieuse ». L’apparition du mot « série », motivée par le pastiche scientique, n’exerce guère d’influence sur le sémantisme du poème. Il est contraint, plutôt que contraignant.

Ca il y a une contrainte mutuelle des éléments en jeu dans le discours qui va bien au-delà de la conscience qu’on peut en avoir.. L’usage conscient de la contrainte – de la rime, comme de toute combinatoire – n’est rien d’autre à mes yeux qu’une modalité d’exploration de cette contrainte primordiale et inconsciente qui rend possible l’existence d’un texte. Une force opaque, aux limites indiscernables, qui doit gésir au tréfond de l’abîme que je scrute désormais : l’absence du mot « série » de toute forme versifiée pendant quelque cent cinquante ans.

Je vous remercie de votre attention.

Pascal Leray.

 

 

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