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L'Amérique en prise aux amalgames et dérives
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 Article publié le 14 janvier 2005.

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(Le cas des Mesures Spéciales à l’encontre des étudiants étrangers)

 

Avertissement : le texte que vous allez lire a été écrit en 2002, un an après les attentats du 11 septembre 2001. Depuis, bien des choses ont changé - dans la mauvaise direction - et le caractère même d’escalade de la violence au Moyen Orient suite à l’occupation américaine semble renvoyer au second plan ces « brimades » à l’encontre des étudiants étrangers aux USA. Mais comme dirait M. Luther King, « la justice est indivisible ». Ce qui nous fait dire à nous qu’il y a bien un lien structurel avec ce qui se passe aujourd’hui et ce serait une erreur que d’opposer une chose à l’autre au nom d’un plus que problématique principe des priorités.

 

L’administration américaine, par le biais de son office d’immigration (Immigration and Naturalization Service), vient de mettre sur pied une série de mesures spéciales réglementant les conditions de séjour des étrangers sur le sol américain. Désormais, en plus de satisfaire aux traditionnels contrôles consulaires et douaniers, ceux parmi les étrangers qui sont porteurs d’un certain type de visa doivent faire l’objet d’un « Special Registration ». Ce sont en l’occurrence les travailleurs temporaires, les touristes et les étudiants. De cette catégorie générale ainsi définie, seuls certains étrangers sont concernés. Il s’agit en fait d’une sous-catégorie spécifique : tous les hommes de plus de 16 ans (pas les femmes) originaires ou nés dans un des pays qualifiés de « dangereux ou potentiellement dangereux ». Une liste est constituée pour nommer ces pays et les classer en groupes distincts. Ainsi, à titre d’exemple, dans le groupe 2 figurent les pays suivants : Afghanistan, Algérie, Bahrayn, Erythrée, Liban, Maroc, Corée du Nord, Oman, Qatar, Somalie, Tunisie, Émirats Arabes Unis et Yémen.

Au total, on peut dénombrer quatre groupes composés de 26 pays. Selon une dernière information visible sur le site internet de l’INS, la liste reste ouverte et un sixième groupe est en voie de constitution.

Hormis le fait par exemple que l’Iraq et l’Iran (groupe I) appartiennent à une même zone géographique ou l’Algérie, la Tunisie et le Maroc (groupe II) à une autre, les critères d’établissement de ces groupes et de ces pays semblent difficiles à comprendre.

L’enregistrement spécial implique de se présenter au plus proche bureau du gouvernement fédéral dans des délais préalablement fixés par les autorités administratives. Or, aucun courrier n’a été envoyé à titre personnel aux principaux intéressés. Aucune convocation à date et heure fixes n’a été notifiée. Il revient à chacun de se débrouiller pour accéder à l’information. Faute de quoi, la non présentation conduit automatiquement à être déclaré « out of status », autrement dit hors la loi. Le principe selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » est pris à la lettre : du simple fait que l’INS ait signalé l’obligation de se soumettre à cet enregistrement spécial sur son site internet, tous les étrangers concernés par cette mesure sont considérés à terme comme hors la loi s’il n’ont pas consulté ce site au cours de dernières semaines.

En ma double qualité de citoyen européen né dans un pays relevant d’un des groupes en cause, et d’étudiant non résidant permanent, je suis donc tenu de me rendre au plus vite aux bureaux de l’INS pour m’y faire enregistrer.

 

Voici comment, une fois sur place, nous réalisons que la mention « enregistrement spécial » recouvre en réalité un traitement que je qualifierai de non moins spécial.

D’entrée survient un malentendu : il fallait porter son nom et son pays sur une liste d’attente. Je mets naturellement sous l’indication du pays de provenance et de nationalité « le pays d’Europe dont je suis ressortissant » et ne m’attendais aucunement à être immédiatement rappelé à l’ordre. On voulait que j’inscrive le nom « du pays de naissance ». Une demie heure plus tard, on m’introduisit dans un bureau où un agent m’explique - poliment mais froidement - que je vais devoir répondre à une série de questions. Il me tend un document qui explique à la manière d’un guide de voyage, la procédure à suivre. On peut y lire, en substance, les points suivants :

- Vous allez être reçu par un agent assermenté qui vérifiera et enregistrera votre identité sur un système informatique.

- À l’issue de cet enregistrement, vous serez photographié et vos empreintes digitales seront relevées.

- Vous serez convoqué ultérieurement pour un entretien avec un de nos agents qui déterminera le degré de fiabilité à accorder à vos déclarations.

La vérification d’identité s’avère être un véritable interrogatoire. L’agent me demande de répéter plusieurs fois mon identité. S’en suit une série de questions sur mes voyages éventuels au pays de naissance, mes rapports avec ce pays, si j’y ai encore des parents, proches ou lointains, ou des amis, le nombre de déplacements effectués dans l’année, la nature de mes déplacements en Europe et le lieu de mon séjour, etc.

Mes coordonnées aux USA ont été elles aussi sérieusement examinées allant jusqu’au relevé du numéro de ma carte bancaire, celui de mon permis de conduire. On a également procédé au relevé de mes empreintes digitales reportées sur mon visa sous forme de code numéroté. À l’aide d’un appareil placé en face de moi, on me photographie tandis que d’autres appareils à peine dissimulés donnent tout lieu de penser que l’entretien est enregistré. Toutes les informations ainsi recueillies ont été aussitôt envoyées au bureau central à Washington qui en a vérifié le contenu, s’est assuré que je ne suis pas recherché pour un quelconque crime et enfin m’a délivré un numéro d’enregistrement.

La froideur de l’accueil, le sentiment d’être un coupable sans crime rappelle étrangement l’univers kafkaien du Procès. Au sortir de là, deux heures plus tard, j’entrepris de regarder de plus près le document qu’on m’a remis lors de l’enregistrement. Je découvre alors que l’accent est particulièrement mis sur les déplacements internationaux qui se voient réglementés de la manière suivante :

- restriction d’aéroports de départ ou d’atterrissage, liste à l’appui.

- Interdiction d’effectuer un vol international depuis ma ville de résidence car elle est déclarée inadaptée pour cette procédure exceptionnelle. Conséquence immédiate, je ne peux entreprendre un vol direct pour la France. Pis, si je souhaitais me rendre au Canada par voie aérienne (à environ une heure de ma ville), je serais contraint de faire des détours interminables.

- Présentation et notification du départ international auprès des bureaux de l’INS le jour même du départ.

- Soumission à un interrogatoire d’un agent de l’INS en plus de la douane traditionnelle (à chaque voyage international, il faut se rendre aux bureaux fédéraux pour y justifier l’objet du déplacement)

- Chaque année, l’enregistrement spécial est à réactualiser. La procédure reprend depuis son origine : interview- interrogatoire, identité, empreintes, photos, etc.)

 

Deux conséquences au moins sont à tirer de ces nouvelles lois : d’une part, nous les jugeons inacceptables et absurdes. D’autre part, elles risquent de produire l’effet inverse et devenir ainsi contreproductives. Tout d’abord, voyons :

 

I) En quoi ces mesures sont-elles inacceptables ?

Si par ces mesures spéciales, l’objectif légitime poursuivi par l’administration américaine est d’assurer sa sécurité intérieure - compte tenu du précédent new-yorkais et du contexte international actuel sur la question irakienne - il n’en demeure pas moins que leur caractère particulièrement répressif et catégoriel a de quoi nous inquiéter. Selon l’expertise des enquêtes menées après les attaques sur les États-Unis le 11 septembre 2001, les exécutants du plan de détourmenent des avions utilisés ensuite comme arme offensive contre le World Trade Center et contre la maison blanche ont exploité les « graves » failles dans le système de contrôle des visas d’entrée aux USA. Tous avaient postulé pour un visa d’études qu’ils ont obtenu sans qu’aucune difficulté particulière n’eût à entraver leur admission sur le sol américain. Des témoignages de bonne foi ont été recueillis auprès de leurs logeurs, leurs voisins et les compagnies de pilotage auxquelles ils s’étaient adressés pour prendre des cours. En somme, ceux qui allaient déclencher une opération terroriste jamais perpétrée à une telle échelle sur le territoire américain se cachaient en réalité derrière une façade de respectabilité. Ils jouaient les « étudiants modèles ». De là, le sentiment de s’être fait berner commence à germer dans l’esprit des gens. La presse américaine s’était fait l’écho d’une opinion plus que réservée sur les conditions d’admission des étudiants dans le pays. Tout le monde est persuadé qu’il y a eu incontestablement dysfonctionnement en matière de sécurité.

 

C’est ainsi que le lien entre visa de non résidant permanent, étudiant et terroriste potentiel pouvait se laisser établir assez aisément, d’autant que l’administration n’a pas de mal à convaincre son opinion publique évidemment traumatisée par les attentats. Mieux, c’est au nom du peuple et de sa sauvegarde que ces mesures devaient être prises. Aux lendemains de la catastrophe, tout le monde se sentait en droit de demander que les contrôles soient plus rigoureux. Renforcer les effectifs de surveillance des aéroports, c’est répondre à l’attente des citoyens américains. Cela a été fait. L’armée a été appelée à la rescousse. Dans le même temps, curieusement on n’a pas constaté de changement notable dans la politique de réglementation des visas. La guerre en Afghanistan est planifiée puis déclenchée. L’Amérique affiche résolument sa volonté de mener une politique de lutte antiterroriste à l’échelle mondiale. Quand les liens ont été établis avec Ben Laden et le réseau El-Quaida, l’urgence était de prévenir toute nouvelle attaque en remontant à la source des organisations terroristes à ramifications internationales. Sur le territoire américain, les étrangers qui pouvaient se sentir menacés par des représailles au titre de leur appartenance ethnique ou religieuse (il y en eut quand même quelques-uns dont la presse indépendante s’était faite l’écho), étaient finalement à l’abri d’une volonté politique de leur nuire. Il fallait éviter l’amalgame. Ce que toute la classe politique s’était exercée à faire avec des appels à la cohésion nationale et au respect absolu des cultes.

 

Surviennent ces nouvelles mesures promues par l’INS et qui obligent à modifier sensiblement le regard que l’on peut porter sur la position américaine face à la guerre qu’elle veut livrer au terrorisme. D’abord, le fait qu’elles soient prises plus d’un an après le 11 septembre montre précisément qu’elles ne l’ont pas été dans la précipitation. Au contraire, tout y est soigneusement réfléchi. Désormais, la relation de cause à effet entre milieu estudiantin et terrorisme tendrait à être incidemment établie. Tous les efforts entrepris pour éviter l’amalgame et la désignation d’une catégorie particulière d’étrangers à la vindicte venaient d’être torpillés par ces nouvelles lois. Certes, lors de mon passage à l’INS, personne ne s’est avisé de me traiter ouvertement de terroriste mais on a constamment fait comme si et ce au mépris de la constitution américaine qui stipule que toute personne est présumée innocente tant que la preuve de sa culpabilité n’a pas été établie. Des témoignages abondants et concordants font état de violence, d’arrestation, d’emprisonnement, d’impossibilité de se faire assister par un avocat ou de voir un membre de sa famille au seul motif, par exemple, que le visa a expiré de quelques jours. Les organisations communautaires d’étudiants et les bureaux de l’OIS (Organization of International Students) sont submergés par des plaintes pour mauvais traitements par les services fédéraux. Une antenne d’assistance juridique gratuite s’est même constituée dans l’urgence en plus d’un livre blanc ouvert pour recueillir ces différents témoignages qui ont ému une bonne partie de la communauté universitaire.

 

En cherchant à prévenir tout risque d’un deuxième World Trade Center, l’administration américaine - avec ces mesures drastiques - n’est-elle pas en train de porter atteinte aux libertés fondamentales ? Est-il acceptable qu’une démocratie qui veut à juste titre porter haut les valeurs de respect de la dignité humaine puisse user des mêmes méthodes inquisitoriales qu’elle dénonce chez les autres ? Il n’est d’ailleurs pas sûr que ce soit cela que réclame l’opinion publique américaine. Celle-ci est généralement très attachée à la notion de liberté individuelle qui constitue le fondement même de sa société.

 

La main mise de l’État sur l’information a pour conséquence que bien souvent le citoyen est obligé de se prononcer sur la seule foi des déclarations officielles souvent incomplètes et partisanes. Naturellement, il est du droit et devoir du gouvernement d’un pays touché par le terrorisme de tout faire pour décourager et déjouer toute tentative d’attentat sur son territoire. Mais, où commence et où s’arrête le droit à la légitime défense ? La garantie de sécurité ne devrait-elle pas être considérée comme un gage de protection pour tous, y compris pour les étrangers qui résident temporairement ou non sur son sol ? Force est de constater que le gouvernement américain est passé d’une autorité légitime à un autoritarisme innaceptable. Tous ceux qui hier reconnaissaient la légitimité de son combat contre la terreur ont de quoi être déçus aujourd’hui quant aux moyens mis en œuvre. Il s’agit de voir en plus :

 

II) En quoi ces mesures spéciales sont-elles aussi absurdes ?

En effet, il nous apparaît qu’en plus d’être inacceptables, ces mesures ont toutes les chances d’être aussi absurdes. Si on écartrait d’emblée l’idée incongrue qu’un candidat à un acte terroriste puisse venir se faire interroger puis photographier par les services fédéraux, il reste à démontrer que ceux qui répondent à cet enregistrement spécial soient dans le même temps animés par un sentiment belliqueux envers l’Amérique. Certes, on peut argumenter que c’est là une mesure préventive qui ne part pas d’un préjugé défavorable sur l’enregistré en tant que tel mais que cela lui enlève toute possibilité de le devenir jamais. Or, il est malheureusement prouvé par ce qui s’est passé le 11 septembre à New-York (ou à d’autres dates et en d’autres lieux) que la détermination des terroristes - une fois sur le territoire - ne peut être sérieusement et objectivement mesurable au degré d’opposition qu’on leur fait. Ceux-là ont décidé de payer de leurs vies et ont vu assurément dans ce sacrifice suprême la forme la plus exaltante de leur libération. Qui les empêcherait demain d’être ainsi déguisés en hommes d’affaires ou en sportifs ? Deviendrait-il alors nécessaire de jeter le discrédit ou de suspecter tous les hommes d’affaires et tous les sportifs qui viendraient à avoir affaire avec ce pays ? En procédant ainsi, il y a de notre point de vue un risque réel d’évacuer - et c’est dommageable pour qui veut comprendre les sources du mal - du même coup toute possibilité de questionnement. Si on éliminait l’idée irrecevable que certains parmi les humains naissent barbares, alors la vraie question est de savoir ce qui fait qu’ils peuvent à un moment donné de leur vie être considérés comme tels et c’est le cas aujourd’hui. Oser se demander sans faux semblant : qu’est-ce qui peut faire qu’un individu puisse basculer dans le terrorisme ? Tenter d’expliquer et de comprendre ne veut pas dire - loin s’en faut - excuser. Nous dénonçons sans aucune ambiguïté toute forme de terrorisme de quelque individu, groupe, pays qu’elle vienne. Or, il y a à s’interroger sur les motivations qui poussent des individus à recourrir à de telles extrémités. Au-delà du fait que leurs actes sont condamnables - et il faut les condamner fermement - il y a sans doute urgence à ne pas systématiquement éluder la question des origines du mal. S’il faut légitimement dissuader et punir sévérement des actes de terreur sanglante, il faut aussi en amont mener une réflexion pour trouver les moyens de tarir la source du mal et prévenir toute récidive. En agissant de la sorte, le terrorisme risque fort de s’avérer un faux problème. À défaut d’un tel travail, on serait enclin à penser que les objectifs réels à ces mesures sont à chercher ailleurs. On aimerait accorder aux initiateurs de telles lois le bénéfice du doute quant à l’arrière-pensée raciste qu’ils pourraient éventuellement nourrir : il n’empêche qu’il s’agit bien ici d’une mise à l’index de certaines appartenances ethniques et religieuses. L’absurdité tient également au fait qu’entre les questions posées et les soupçons de terrorisme, le lien reste quasi nul. Quelle est la relation sérieuse à établir entre le nombre de voyages effectués à l’étranger - toutes destinations confondues - et le terrorisme ? Être né ici plutôt que là prédispose-t-il une prédestination à ceci plutôt qu’à cela ?

 

Voilà que toutes les précautions prises pour éviter le dérapage et l’amalgame tendent plutôt à participer d’une mise en situation, d’un travestissement des intentions réelles. Tous ces pays ainsi visés ont au moins une caractéristique commune qu’ils paient durement : ils souffrent ou ont tous souffert d’une instabilité politique cyclique et appartiennent tous à cette catégorie de pays dits « sous-développés ». C’est le Tiers-monde dans toute sa dure réalité. Qu’est-ce que le tiers-monde ? Pourquoi seuls les individus isolés et vulnérables paient-ils ? Aujourd’hui comme hier ce qui prévaut dans les relations avec les dirigeants de ces pays, ce sont de sombres calculs de pouvoir où tout est ramené à une question d’intérêts économiques pour ne pas dire de basse politique. Du fait même de s’aliéner des pouvoirs corrompus et/ou corruptibles, de faire la sourde oreille aux aspirations populaires, les Etats-Unis, au travers de ces mesures engagent en réalité une politique qui risquerait de s’avérer conntreproductive. Voyons dans le détail :

III) En quoi ces mesures sont-elles géopolitiquement contreproductives ?

 

Ces mesures exceptionnelles participent aussi d’un dispositif sécuritaire en liaison sinon directe avec les probabilités d’un nouveau conflit avec l’Irak du moins en sont-elles l’un des aspects de sa préparation. Elles constituent un des lieux forts où un pouvoir en mal de politique internationale crédible mène sa guerre contre un ennemi désigné d’office.

Les démocraties occidentales ont beaucoup à perdre en s’appuyant sur des régimes corrompus et antidémocratiques à travers le monde. Rien ne serait moins fondé en termes de civilisation de progrès et de paix que de mener des politiques étrangères qui feraient systématiquement l’économie des droits de l’homme et ne s’intéresseraient in fine qu’aux seuls intérêts économiques. À l’heure actuelle, comment ne pas constater combien nombreux sont les régimes qui ne brillent pas particulièrement par leur respect du droit des gens et qui ne continuent pas moins d’avoir le soutien des puissances occidentales ? Viendra bien un moment où il faudra arrêter de croire que les peuples qui souffrent à travers la planète - du fait de l’oppression dont ils sont victimes à l’intérieur - ne voient pas le double jeu mené par les puissances occidentales et qui consiste à en appeler pour la paix mondiale tout en soutenant par ailleurs des pouvoirs militaires et totalitaires.

 

Quand l’administration américaine - pour ne prendre que cet exemple - soutient l’idée que la reconstruction de l’Afghanistan sera l’une de ses priorités majeures de l’immédiat après guerre, on ne peut qu’applaudir pour cette décision qui pouvait offrir de réelles perspectives pour un développement durable non seulement en Afghanistan mais aussi élargi à toute la région. Débarrasser l’Afghanistan du joug fondamentaliste Taliban et s’atteler à sa reconstruction en en faisant le garant de la réussite de la solution américaine dans la région est assurément un grand défi à relever. Or, que constate-t-on ? Les efforts financiers à consentir - après destruction du fait de la guerre - pour qu’un tel projet puisse être mené à bien sont tellement insuffisants qu’il est difficile aujourd’hui de parier sur les chances de succés de l’entreprise américaine dans la région. L’argent débloqué est réparti entre des ONG qui font essentiellement un travail nécessaire mais celui-ci n’offre que la solution d’une intubation provisoire. Le malade risque de souffrir pour longtemps. De toute évidence, le pouvoir afghan ne peut pas s’en tenir à de pures déclarations d’intention, à des promesses (si louables soient-elles) et il commence déjà à regretter à juste titre de ne pas avoir les moyens de cette politique ambitieuse. À terme, la crédibilité de la voie initiée par l’Amérique aura forcément à pâtir d’une telle situation.

On ne peut indéfiniment promettre sans passer à une action concrète qui apporte des résultats tangibles. On assiste chaque jour à des déclarations d’intention et on saupoudre tout cela d’un engagement à élargir d’un million par ci par là ce qui devrait au contraire relever d’une politique volontariste. Tout récemment Mme Dobriansky, sous-secrétaire d’État américaine pour les affaires mondiales, déclare au conseil américano-afghan des femmes tenu à Kaboul l’octroi de 3.5 millions USD pour les afghanes. C’est naturellement une bonne chose en soi, mais cela sent l’entreprise de charme. En procédant de la sorte, cela revient à faire des Afghans des mendiants auxquels il faudra faire indéfiniment la charité. D’ailleurs, on parle volontiers des « donateurs » pour la reconstruction de l’Afghanistan. Or, plus que de générosité, il faudra faire preuve d’une réelle volonté politique de coopération. Aujourd’hui, l’Afghanistan peut sans nul doute devenir un véritable test grandeur nature pour la possibilité d’un développement aux plans politique et économique. Mieux, si celui-ci était mené résolument - c’est à dire sans une politique d’injection financière parcimonieuse - il aiderait à créer un pôle naturel d’opposition au terrorisme. On ne coupe guère la branche sur laquelle on est assis. Parions que la pax americana aurait alors aux yeux des opposants et des sceptiques un réel crédit puisqu’elle aura convaincu de sa crédibilité sur le terrain de l’engagement concret. À l’heure actuelle, à défaut d’une avancée notable vers la résolution de la crise internationale par une nouvelle conception de l’économie et de l’équilibre mondial, ces mesures demeurent contreproductives compte tenu du fait qu’elles posent le problème en termes de répression et non en termes de solutions d’un développement concerté.

 

Notre vision

 

Notre propos vise, avant tout, à dire ici notre indignation en tant que personne. Au nom du principe d’inviolabilité de la personne humaine (ceci paraît si dérisoire de nos jours), je voudrais m’inscrire en faux contre ce que je considère comme une mauvaise réponse à un problème qui gagnerait à être présenté de la façon la plus claire. Notre souhait par cette présente réflexion est d’aider à cette clarification. Mais seuls, nous ne pourrons rien. C’est pourquoi, nous en appelons également à l’opinion publique américaine. Nous lui demandons de prendre position. Il ne s’agit pas tant d’inviter les citoyens américains à un bras de fer avec leur gouvernement - surtout que celui-ci a tôt fait d’invoquer les menaces qui pèsent sur le pays et les raisons impérieuses de la défense nationale - mais précisément d’initier une contestation citoyenne qui pose comme postulat rien de moins que la préservation de ce même État en le prévenant du risque de dérive anti-démocratique. En laissant s’exercer sous mes yeux l’oppression de l’autre, qui de surcroît vit sur le même sol que moi, ne dois-je pas considérer que c’est moi-même qui suis opprimé au nom de la solidarité humaine qui me lie à lui ? Est-ce que mon gouvernement me protège quand il érige des lois qui portent atteinte à la dignité humaine ? À moins de mettre un policier derrière chaque personne, on sait d’expérience que ce n’est pas en terrorisant des catégories de gens définies selon des critères suspects qu’on combattra le terrorisme dont les sources sont à chercher dans une redéfinition des rapports Nord/Sud. Tant que les uns auront toutes les richesses et tant que les autres continueront à hériter des troubles et misères nés du rien dont est constituée leur existence, il sera difficile de parier sur des chances de paix durable dans le monde. Aux citoyens américains de nous apporter la preuve, par leur mobilisation active, qu’une alternative est toujours possible et qu’ils nous invitent eux-mêmes à y prendre part. En luttant aujourd’hui aux côtés de ces catégories d’étrangers ainsi mises à l’index, c’est un service qu’ils rendront à leur pays et aux idéaux dans lesquels ils se reconnaissent. Les débats et les témoignages d’indignation qui surgissent ça et là prouvent bien que les Américains sont fortement divisés. Il serait tout aussi absurde de laisser croire que tout le monde soutient une politique guerrière. Il s’agit de faire porter sa voix au plus loin et de compter sur la solidarité des autres. Les combats peuvent sans doute commencer dans la solitude mais se gagnent toujours collectivement.

 

Il ne faut donc pas perdre de vue le sens de ces mesures qui consistent précisément à pousser la plupart des gens ainsi visés - venus aux USA pour les valeurs de liberté et de développement individuel que ce pays représente à leurs yeux - vers des sentiments ambivalents : amour puis rejet. L’Amérique fait rêver par « son insolente » réussite économique et par les chancesqu’elle peutoffriràceux qui souhaitent se réaliser pleinement. Une fois sur place, chacun est prêt à lui témoigner sa reconnaissance pour les services rendus. Beaucoup lui reconnaissent une réelle capacité d’intégration des nouveaux arrivants sans forcément les pousser à se renier ou à l’ingratitude vis-à-vis de leurs pays d’origine. Sans aller jusqu’à imaginer un modèle de développement à l’américaine pour son pays, bien des étudiants étrangers rencontrés disent leur admiration pour ce pays qui fait sauter tant de barrières face à la réussite individuelle. Je n’ai pas, pour ma part, vu tant de pays que cela offrir de vraies bourses d’études à des gens de tous horizons sans jamais les pousser idéologiquement à souscrire au moindre prosélytisme. Ceci est une bonne chose que les Américains devrait protéger au-delà des gouvernements dont la particularité est d’être appelés à quitter les affaires un jour ou l’autre.

Pour l’heure, une bonne partie de ces étudiants sont déçus par cette stigmatisation systématique qui frise l’humiliation. Ainsi l’Amérique humilie ceux qui ne demandent qu’à être reconnaissants à leur tour à ses très nombreux citoyens (beaucoup plus qu’on ne croit vu de l’extérieur) qui font montre de réelles valeurs de respect de l’Autre. Mais pour combien de temps perdurera l’admiration pour les succès de l’Amérique au plan de sa politique d’immigration si les choses demeuraient en (mauvais) l’état ? Déçus et déclarés indésirables, une fois aux affaires chez eux, - à quelque niveau que ce soit - les actuels étudiants frappés ainsi par ces mesures coercitives, ne seraient-ils pas tentés de la bouder au profit d’autres partenaires et de poursuivre ailleurs d’autres rêves de réelle émancipation humaine ?

Les questions restent posées.

 

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