Jean-Michel GUYOT

Jean-Michel GUYOT publie chez Le chasseur abstrait "À voix presque nue" précédé de "Un cri dans la nuit", récit - collection L’imaginable.

L’impuissance de toute littérature, le dégoût qu’elle inspire, et dans le même temps la nécessité d’écrire et de travailler, voilà l’arc bandé par Georges Bataille et quelques autres.

Entre tous, Bataille aura permis de décocher quelques flèches vénéneuses qui ont volé loin.

Elles n’ont pas encore touché leur cible. Elles vibrent dans la solitude des œuvres.

Mais les œuvres, qui s’en soucie ?

J’aurai écrit pour rejoindre les autres, avec souvent l’espoir de changer un peu la donne, avec l’ambition de dévier le malheur vers des eaux plus claires.

Je n’y suis pas entièrement parvenu.

Le malheur est coriace. Il est vrai qu’il a de nombreux alliés et qu’il sait trouver des appuis jusque chez ceux et celles qu’il tourmente…

Restent - subsistent ? - alors des textes, nombreux, très nombreux, comme des graines de bonheur pas encore germées que je dissémine au hasard de ma vie.

Pas seulement.

Mes textes - c’est tout ce que je leur souhaite - ne sont pas que des traces laissées dans la neige ou la boue, ce sont avant tout des signes d’amitié lancé à l’inconnu sans ami, mais - c’est pure merveille - de signe en signe, ce n’est pas un nouvel amour qui est né dans l’écheveau du temps, mais un amour nouveau, et c’est bien ainsi.

Jean-Michel GUYOT publie chez Le chasseur abstrait :

En ligne dans la RAL,M :

Dans T&P 67

La communauté invisible.

Entre divers lecteurs qui ne se connaissent pas peut s’ébaucher au fil des pages une communauté invisible, quand la chance veut que l’auteur fasse vibrer une corde sensible commune à l’auteur et au lecteur, corde dont on peut légitimement supposer qu’elle est commune à de très nombreux lecteurs qui ne se connaissent ni d’Eve ni d’Adam et ne se rencontreront jamais.

En quelque sorte, l’auteur a su trouver la fréquence propre au lecteur qui entre alors longuement en résonance avec la pensée de l’auteur. Tous les harmoniques d’un accord parfait résonnent alors en aparté dans l’esprit du lecteur littéralement conquis…

Ce n’est pas un phénomène harmonique de consonance, mais bien une résonance : deux pensées sympathisent en vibrant à l’unisson, pour un temps au moins.

Ainsi, un auteur et un lecteur, deux êtres séparés, et deux êtres que peut-être tout sépare - les époques ou bien la distance géographique - concordent et s’accordent, le temps d’une lecture qui retentira longuement dans l’esprit et le cœur du lecteur ému jusqu’aux larmes parfois.

Il s’émeut, il réfléchit. Il réfléchit aux émotions qu’il ressent, mais peu à peu sa pensée navigue entre deux eaux dont il ne peut plus faire le partage : la part de l’émotion et la part de la pensée participent toutes deux du même tiers phénomène : l’œuvre a fait son œuvre : elle a révélé à lui-même une personne qui lui est nécessairement extérieure, mais qui a accepté, pour son plaisir, de lui prêter ses yeux et ses oreilles et sa pensée flottante ou aux aguets.

Mais la pensée de l’auteur excède toujours celle du lecteur même le plus perspicace, aussi est-ce pour déjouer cette impression persistante que le lecteur avisé peut se répandre en commentaires qui peuvent être d’une extraordinaire profondeur de vue.

Le lecteur emprunte en quelque sorte à l’auteur la hauteur de vue nécessaire qui lui permettra insensiblement de descendre en lui-même profondément, à mesure même qu’il explorera l’inquiétante étrangeté de cette pensée étrangère qui lui vient de l’auteur et qu’il lui faut d’abord accueillir, faire sienne, puis rejeter.

Cette infidélité, l’auteur l’exige, car il est celui qui d’emblée, en écrivant, ne se complaît pas en lui-même, mais écrit au nom des autres.

La lecture est parfois si jubilatoire, si puissante, si prenante, qu’incontinent le lecteur l’abandonne pour écrire à son tour. Les grands modèles ne paralysent que les pensées immobiles.

A qui a su s’abandonner au vertige d’une pensée, sans jamais perdre de vue la puissance d’énigme qu’elle recèle pour elle-même, il ne peut qu’arriver ceci : pour répondre à l’énigme puissante qu’est toute œuvre pour celui qui l’élabore en étant comme pensé par elle, on redouble l’énigme, mais en la déplaçant de l’auteur vers soi-même : on devient pour soi-même une énigme qui écrit.

Michel Leiris nous fait remarquer dans Le ruban au cou d’Olympia que l’on peut aussi être tenté de s’activer en écrivant pour échapper à la torpeur d’une lecture passive, pour échapper à l’assoupissement. On ne s’endort pas sur sa propre écriture, alors qu’on s’endort facilement sur un livre…

Il faut être bien fatigué pour s’endormir sur ses propres mots. A vrai dire, ce sont alors plutôt les mots qui s’endorment en nous en nous invitant à les suivre dans le sommeil…

Combien de fois n’ai-je pas lâché mon livre dans un mélange d’enthousiasme et d’agacement à la lecture d’une œuvre stimulante et irritante à la fois ! Ah ça non, je n’avais pas envie de dormir, bien au contraire, j’avais envie d’en découdre en plaçant mon mot.[...]