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Son Sud à elle
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 Article publié le 20 mai 2005.

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Elle arrivera avec le beau temps. Elle reviendra en pèlerinage à la Méditerranée de son enfance : le soleil, les promenades en liberté dans la garrigue ou le long du petit canal, dans la fraîcheur des roseaux.

Oui, elle reviendra.

Dans la voiture déjà, elle s’enivrera des parfums et des paysages : son Sud à elle commence à Carcassonne, elle l’a assez répété. Là, le sol de calcaire sec et blanc s’élève et s’arrondit en coteaux recouverts de vignes puis, de plus en plus tourmenté, se déchire et se découpe, ses oliviers et ses pins torturés par le vent furieux.

Elle arrivera dans cette lumière floue, lorsque l’horizon s’assombrit et que les arbres au loin deviennent bleus, à l’heure du loup où tout se confond, la ligne du ciel et celle des collines dans un dégradé outremer virant à l’indigo.

Elle arrivera au moment où la terre encore chaude exhale les odeurs de soleil accumulées dans la journée, où les cigales, dans une ultime ardeur, se déchaînent, où les oiseaux sortent de leur torpeur.

Elle prendra tout son temps. J’entendrai le bruit de ses pas sur le gravier du raidillon. Elle respirera à pleins poumons, m’offrira son large sourire des jours heureux.

Et moi, vieux fou, je serai là, à l’attendre sous la tonnelle.

Elle me cajolera un peu, suppliera : « Oh ! Marius, juste cinq minutes ! Prépare l’apéro, je vais refaire connaissance ! »

Sûre de mon indulgence, elle n’écoutera que son plaisir. Moi, bien sûr, je sourirai et elle, amoureuse fébrile, partira en courant vers la colline.

Je sortirai l’anisette et les olives. Je mettrai le rosé au frais. Je téléphonerai vite au gros Luigi dans son camion et lui commanderai une grande pizza aux anchois, celle qu’elle préfère, et puis une au fromage aussi, pour faire bonne mesure. Le petit Bruno les livrera avec sa mobylette.

Ensuite je monterai sur le vieux banc au fond du jardin, près du figuier, et je la regarderai gambader au loin. Elle grimpera sur le promontoire escarpé où le vent en rafales souffle si fort qu’il rend fou. De là, on aperçoit les sillons mauves des champs de lavande, les vergers et les plantations d’oliviers bien alignés de la vallée. Déjà, l’étoile du berger aura pointé, annonçant une nuit transparente comme un saphir pailleté d’or.

Elle se penchera un peu en avant, écartera les bras, laissera le vent fouetter son visage, siffler dans ses oreilles, envahir sa tête. Elle ouvrira la bouche, en avalera une goulée, puis se retournera, lui offrira son dos légèrement courbé. Ses vêtements légers claqueront comme des voiles claires dans le crépuscule. Je devinerai son rire quand notre mistral la poussera, l’obligeant à courir, offerte et désarticulée. Prête à s’envoler, elle hurlera avec lui, lui promettant de le suivre où il va.

Elle dévalera la pente, me reviendra rouge, haletante, radieuse. Elle trouvera normal que tout soit prêt, s’assiéra à la petite table de fer forgé blanc, avalera d’un trait son pastaga, se léchera les babines comme un chat, se pâmera à l’odeur des pizzas. Elle me dira que les pizzas du camion de Luigi, cuites au feu de bois, elle n’en a jamais mangé de meilleures, même en Italie.

Nous parlerons tard dans la nuit en buvant le rosé, veillés par les bougies à la citronnelle. L’air sera tiède. Elle me racontera ses dérives latines, ses toquades exotiques  : savanes africaines, salsas caraïbes, nuits sahariennes, santals, sampans, saris safran... autres et lointains midis qui l’ont toujours envoûtée. A la fin elle m’avouera que nulle part elle ne s’est sentie aussi bien que dans notre petit coin perdu de Provence.

Moi, je l’écouterai sans rien dire. Il n’y aura plus de vin, les bougies auront fondu. Le ciel se déchirera en lambeaux rosés. Les rayons tango d’un soleil nouveau nous apporteront des senteurs de thym, de basilic et d’aiguilles de pins. La nature nous offrira la fraîcheur de ses premiers pépiements, de ses premiers chants, comme une berceuse apaisante. Le vent lui-même se fera tendre et caressant. Alors je lui prendrai la main et lui murmurerai dans un clin d’œil complice : « N’oublie pas pitchounette, CE Sud est le tien. »

Oui c’est certain, elle ne tardera plus à revenir rôder sur les lieux de ses vacances enfantines. Je la connais bien, ma princesse nomade, je sais que pour elle le temps est venu. Elle ne me laissera plus languir longtemps, moi son vieil ami, son grand-père d’adoption.

Bientôt, je le sais, elle reviendra.

 

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