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 Article publié le 3 octobre 2011.

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C’est à partir de la chaussée, de la voie que tout se passe.

Il suffit au regard de suivre les mouvements en cours, ou les mouvements à l’arrêt autrement dit la statique, il suffit au regard d’être attentif aux bruits.

La route, donc, la chaussée, l’asphalte, des bandes blanches tracées, réglementaires, qui indiquent déjà la largeur approximative du véhicule, la lumière de chaque côté de l’avenue, les façades blanches, les trottoirs ... et parmi toute cette matière façonnée, une matière aux formes précises, une longue carrosserie annonce son passage, par la progression de sa masse, par l’augmentation en surface de sa ligne - une ligne plutôt profilée - par le bruit typique et unique - un bruit progressif lui aussi - de son coeur, de son moteur. Maintenant, c’est la superficie entière de cette berline qui atteint puis dépasse le même point, à partir du sol, ce sont le capot, les portes doublées ainsi que le coffre qui glissent comme dans une même masse, dans une forme indistincte, faisant à peine apparaître les caractéristiques de leurs structures respectives.

Maintenant, les gommes accomplissent une rotation qui accentue la brillance de leurs jantes, de leurs rosaces métalliques sur lesquelles s’écrase le soleil, avant de rebondir. Le volant a donc été légèrement tourné, obligeant le véhicule à se conformer à l’axe choisi, un axe qui conduit dans une autre, une nouvelle direction.

La voiture s’éloigne, et sa ligne aussi, tout comme le bruit de son coeur, un bruit de plus en plus lointain, un bruit désormais évanoui.

 

C’est la même automobile que l’on retrouve un peu plus tard, à l’intérieur d’une file de stationnement, à l’intérieur d’autres voitures garées de façon identique. A l’ombre, à l’abri de la chaleur, donc, même si la surface solaire gagne du terrain et ne tardera pas, d’ici quelque temps, à se plaquer sur la carrosserie. Les arcades, le trottoir, la voie... la ligne, les gommes, le capot, le pare-brise absolument net qui laisse totalement traverser la lumière, le toit, le coffre... A mesure que le temps passe, le soleil se rapproche de la voiture, une voiture toujours statique et silencieuse, une voiture toujours à l’arrêt.

Puis, la portière est ouverte, ainsi que son bruit caractéristique, la silhouette du conducteur s’installe à sa place l’ensemble du véhicule amortissant la masse humaine dans un léger mouvement descendant, la portière est refermée, la ceinture de sécurité devenue élastique est enroulée autour du tronc avant d’être fixée à son support - provoquant un léger cliquetis -, le moteur est allumé, le frein à main est desserré jusqu’à rejoindre l’horizontalité du sol, le clignotant droit est actionné, le rétroviseur est brièvement utilisé afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’autres véhicules sur la voie, la boîte de vitesses est enclenchée vers l’avant à gauche, la pédale de l’accélérateur est comprimée tandis que le volant est tourné vers la droite, l’automobile se désaxe, s’extrait de son stationnement, et l’aspect net de sa peinture mate devient alors, au contact du soleil, réfléchissante.

 

La brillance de la peinture mate défile maintenant à toute allure, à grande vitesse sur une autoroute particulièrement dégagée. Le système électrique, le système électronique, le système hydraulique fonctionnent de concert, leurs bruits respectifs étant contenus pour ne pas dire étouffés par l’assemblage hermétique des différents matériaux. Dans l’habitacle, donc, il n’y a pas le moindre bruit, le moindre son, hormis le souffle ténu de la ventilation qui permet à l’air d’être renouvelé. Il n’y a pas non plus de poussière sur le sol, sur le plancher sombre, non plus que sur le revêtement des sièges, accoudoirs, appuis-tête, tableau de bord, boîte de vitesses, volant... Quant aux vitres et au pare-brise : ils sont exempts de toute trace, et leur matière en verre ne fait que jouer son rôle, celui de laisser la lumière naturelle pénétrer dans l’espace intérieur. Par intermittence, le clignotant arrière est actionné, la voiture se décale sur la gauche, les gommes prennent une direction légèrement oblique - après avoir franchi les bandes blanches - puis se remettent dans l’axe central, le dépassement du long convoi rectangulaire ayant été effectué, avec une marge de sécurité de surcroît amplement suffisante. L’aiguille a dépassé un chiffre élevé, avant de revenir en arrière, avant de se stabiliser, à nouveau, pointée vers le milieu de l’angle supérieur, celui de droite.

Transmission, essieux, direction, tout cela se meut en silence, tout cela avance à vive allure, sur une voie désormais dégagée, une voie qui voit s’éloigner cette berline et sa ligne, une ligne qui diminue jusqu’à rejoindre, jusqu’à se fondre dans le paysage.

 

Plus tard, lorsque le jour s’apprête à céder la place, à céder l’espace à la nuit, la même automobile, la même berline épouse le revêtement d’une chaussée dont l’étirement se poursuit dans cette cartographie différente, rectiligne, en damier, à nouveau rectiligne, dans cette zone urbaine qu’il faudrait plus justement qualifier de zone pavillonnaire - les rectangles blancs ou habitables entourés de pelouses carrées se multipliant dans un parallélisme quelque peu décalé - dans cette zone résidentielle où un certain nombre de réserves ou locaux destinés à ranger les véhicules se signalent de loin, de par leur forme géométrique ouverte ou hermétique. Lentement, le moteur avance, et l’on n’entend plus que le faible ronronnement de l’ensemble du circuit dont les différentes structures, dont les différentes parties poursuivent encore leur interaction, alimentées continuellement par les différents liquides élémentaires et indispensables que sont le liquide de refroidissement, l’eau, le carburant, etc.

 

La tôle accomplit une rotation qui permet aux jantes de briller dans tout leur éclat, puis elle monte un léger dénivelé, dans une allure encore ralentie, jusqu’à l’espace de stationnement domestique dont l’unique porte d’entrée - un battant vertical - est en train de se relever, sans le moindre bruit.
Tandis que la nuit commence à recouvrir le ciel de sa plaque sombre, opaque, la tôle effectue une ultime rotation, sur le côté, avant que la marche arrière ne la ramène dans l’axe initial, un axe qu’elle suit jusqu’à l’encadrement du garage.

Celui-ci, maintenant, vient d’être franchi. La totalité du véhicule a regagné sa place, le moteur peut alors redevenir muet.

Les phares... les codes...

Puis... la nuit.

 

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