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jeudi 18 avril 2024

Revue d'art et de littérature, musique
Directeur: Patrick CINTAS
Sommaire


Collections du Chasseur abstrait


Collection Hors série


Interviews
Questions de Valérie CONSTANTIN
à quelques auteurs de la RAL,M


Extraits des livres parus
dans les Collections du Chasseur abstrait


Galeries d’art

 
Atelier de traduction
animé par Marta CYWINSKA
avec la collaboration de Valérie CONSTANTIN


Anthologie
ou florilège



ÉDITO

Cristina CASTELLO

León FERRARI - L'Église catholique et la peur de la Beauté

Voir l’exposition des tableaux de León FERRARI

Cet éditorial est présenté, non seulement avec la galerie des tableaux que León FERRARI a exposés en janvier dernier à Buenos Aires, mais aussi en parallèle avec une entrevue de Cristina Castello et de Monseigneur Antonio José Plaza, archevêque de la Plata, en 1984. Un chef-d’oeuvre du dialogue arraché à une réalité atroce.

Lire l’entrevue avec Monseigneur Antonio José Plaza

Les raisons profondes du scandale provoqué par la hiérarchie ecclésiastique à l’occasion de la rétrospective de l’artiste plastique Léon Ferrari à Buenos Aires, trouvent leur origine dans la complicité de l’Église et de l’État lors du génocide vécu en Argentine pendant la période 1976-1983.

Les preuves sont entre les mains de la Justice et connues de tous depuis le « Jugement des Juntes militaires » de cette dictature, connu comme le « Jugement du siècle ». Cette dictature, parfaite dans la conception et l’exécution des crimes contre l’humanité, est le fil conducteur de l’œuvre de Ferrari ; mais pour communiquer cette censure à la vie, à l’art et à la mémoire, la plupart des médias du monde ont préféré l’expression -quelques mots de plus, quelques mots de moins- « ... en Argentine, le scandale du Christ à l’avion  ». Ces mots faisaient allusion à l’une des œuvres, de l’ensemble des 400 exposées, dans laquelle les souvenirs du Vietnam vivront toujours dans les viscères de l’horreur. Dans la mémoire incontournable. [1]

L’exposition a été inaugurée le 30 novembre de 2004 dans le « Centre Culturel Recoleta » qui dépend du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires, et immédiatement le cardinal primat de l’Argentine, Jorge Bergoglio, l’a considérée un «  blasphème ».

Le langage crée des mondes et Bergoglio le sait bien. Quels mondes a créé le langage de «  l’homme d’église » ? Il a créé le vandalisme des personnes qui se disaient catholiques -des néonazis, en fait- qui ont acclamé Hitler, en exhibant des svastikas et en détruisant une partie de l’exposition.

D’ailleurs [...ou peut-être en raison du message de la rétrospective], les entreprises mécènes de l’exposition, parmi lesquelles Movicom BellSouth et Sanyo -la première d’origine américaine et l’autre d’origine japonaise- ont retiré leur appui ; elles l’ont fait, curieusement, toutes les deux en même temps ; la prétendue Justice, de la main du juge Elena Liberatori -étrange nom de famille en la circonstance- , a fait fermer d’autorité la rétrospective.

Le juge, l’Église et les bandes des nostalgiques adorateurs de Hitler, ont voulu, une fois de plus, décréter la mort de l’art et revendiquer leurs crimes dans le pays de Julio Cortázar, Jorge Luis Borges, Bioy Casares, Osvaldo Soriano, Quino, Martha Argerich [!], Astor Piazzola, Roberto Juarroz, Antonio Seguí, Susana Rinaldi, et de tant d’autres artistes et scientifiques qui se sont évertués et s’évertuent encore à éclairer le monde.

Les monstres -peut-être des personnes ?- n’ont pas pu y réussir. Nous, les artistes qui avons toujours défendu la vie, l’art et la liberté -un seul concept, en fait-, en manifestations publiques, nous avons embrassé symboliquement le lieu de l’EXPO ; les « Mères de la Plaza de Mayo », le groupe « H.I.J.O.S » (les enfants des gens portés disparus), des personnes anonymes toujours innocentes et le Gouvernement de la Ville, tous y étaient avec nous. Et on a gagné la partie : la sentence du juge a été révoquée et la rétrospective a été visitée par 40.000 personnes jusqu’au 10 janvier ; elle est demeurée ouverte au public jusqu’au 27 février.

Quelles images celles de Ferrari ! Un cri pour garder en mémoire l’horreur vécue en Argentine durant le génocide de 1976-1983 ; bilan : 30.000 personnes portées disparues. Un génocide commis par des militaires dictateurs dont le visage occulte et organisé par les Etats-Unis était ce qu’on appelait à l’époque la « Doctrine de Sécurité Nationale » pour chaque pays de l’Amérique Noire ; pour l’Amérique Latine tout entière, on parlait de la « Doctrine de Sécurité Continentale ».

Le scandale n’a pas eu lieu seulement à cause du « Christ à l’avion ». « ...En cas de guerre, les arguments et les limites éthiques entrent dans un coin d’ombre et d’obscurité... », avait dit Monseigneur Antonio Quarracino en 1979. Sur les verres des lunettes du « ministre de Dieu » on voit reflété, précisément dans une œuvre de Ferrari, le visage de Jorge Rafael Videla.

Le lieutenant Général Jorge Rafael Videla , « en tant que Commandant en Chef de l’Armée, a fait partie de la Junte Militaire [triumvirat constitué par les commandants en chef des armées] entre 1976 et 1982. Imputé de privation de la liberté et homicide en trois occasions, de privation illégale de la liberté réitérée en seize occasions, de privation illégale de la liberté et tortures réitérées suivies d`homicides en neuf occasions et tout cela avec participation effective ».

Mais Videla n’a pas été le pire. Tous l’ont été et surtout l’indifférence de la majorité de la société argentine, toujours lente lorsqu’il s’agit de réagir en faveur de la vie. La documentation concernant cette galerie de l’effroi abonde.

C’est ainsi que les images de Ferrari sont une espèce de conscience critique du pays le plus « blond » et le plus « européen » de l’Amérique Noire.

Les images de Ferrari [2] sont un hymne dont le chœur est constitué par les hurlements des mères, pères, enfants, époux et amants des gens portés disparus. Des sépultures sans nom. L’horreur, ce sont les assassins et non pas les œuvres de l’artiste qui cherche la vie au-delà de la mort.

Il est vrai que la beauté, comme synthèse renfermant l’éthique et l’esthétique, représente la lumière pour les innocents. Il est aussi vrai que la beauté, comme synonyme de liberté et de révélation, fait peur aux exilés des aurores ; donc elle fait peur à la hiérarchie ecclésiastique, celle qui nous menace avec des enfers et des démons en même temps qu’elle met en œuvre ses propres enfers et démons. Ainsi s’est-il passé avec Monseigneur Antonio José Plaza, le personnage que je vous présente dans l’entrevue publié ici dans la RAL,M [3], aussi ancienne qu’actuelle car elle témoigne que l’Église Catholique Argentine n’a malheureusement pas changé.

Cristina CASTELLO





Patrick CINTAS

À propos de Dérives ancestrales - roman de Nacer KHELOUZ

On me pardonnera d’insister avec tant de maladresse sur quelques vérités premières, où je ne sais que trop qu’il est de mauvais ton, pour qui du moins se mêle d’écrire, de paraître s’attarder. Un esprit délicat peut bien les débattre en lui-même, comme malgré lui et parce qu’il y est forcé ; il se gardera avec soin de s’en occuper publiquement. Les questions qu’elles soulèvent étant sans réponse, il est enfantin de se les poser. Elles ne peuvent guère servir qu’à des développements poétiques, et d’une poésie d’ailleurs bien usée : la poésie du pourquoi, à quoi il convient sans doute de préférer la science du comment.
Ramuz - Taille de l’homme

À la mesure de l’homme, de ce qu’il est instantanément et de ce qu’il devient pour peu de temps, c’est l’arpentage qui prévaut contre la géométrie. Personnellement, je n’ai jamais vu ni connu l’espace et ma notion du temps s’apparente plutôt à la vue courte et aux hâtes désespérées du quidam. Mes personnages témoignent de cette mise à niveau. Notre vision du monde est arrêtée par les vitrines de nos usages et les portillons de nos attentes. Les personnages suivent les mêmes fils sans risquer de ne plus ressembler à rien. On a beau se creuser, comme pratiquants de l’apnée, il faut une certaine dose de croyance ou de jeu (mais qu’est-ce qui inspire le jeu plutôt que la croyance ?) pour se plonger dans la réflexion jusqu’à une certaine obscurité qui témoigne à la fois de la complexité de la situation et du peu d’importance que peuvent avoir sur nous les raisonnements appartenant au passé de notre propre raisonnement, ce que nous prenons pour des racines, exactement comme s’il était clair que nous sommes cultivés et produits de la culture et que l’obscurité est une affaire de temps.

Les cordes à noeuds des théories, modèles et autres règles de trois, traversées de ce que le mathématicien moderne préfère appeler des complexes plutôt que de retenir le mot qui vint d’abord à l’esprit de leurs inventeurs : des imaginaires, ne tiennent pas longtemps à l’usage. Mais un point commun remarquable de ces outils de l’arpenteur consiste en leur part de réussite, donc de vérité et de soulagement au moins partiels (allez donc savoir ce que cela peut bien vouloir dire) et il se trouve que des outils (thérapeutiques par exemple mais aussi politiques, publicitaires, éducatifs) fonctionnent assez bien, permettant l’exhibition spectaculaire des résultats pour aussitôt à la fois entrer dans la légende et devenir sujet à caution. On ne joue plus, on se met à croire, avec ou sans Dieu, croire c’est résister au néant, à sa tentation facile. S’il s’agit de donner un sens au désir, c’est-à-dire des réalités, on ne joue pas plus loin que l’enfance ni plus vite que l’âge. La mesure de l’homme ne permet pas de jouer sans un suicide au bout du jeu. L’homme croit ou n’est plus.

Dans ces sinistres conditions, l’entreprise d’un roman est une épreuve de force. Le texte, pas plus explicable qu’un caillou ou un brin d’herbe, mais pas plus prometteur de découvertes, fait florès quand le jeu semble en valoir la chandelle et là, les époques divergent tellement (en fonction me dit-on de l’état des connaissances et par conséquent de la capacité d’affronter les tenants de la conservation sans risquer d’embraser en soi les bûchers des places publiques) que la simple compréhension d’un mot ou d’une attitude finit par relever du casse-tête et de la bonne volonté. Écrire, c’est construire en dehors du temps mais lire est une activité temporaire. Ces passages de l’autre à la surface de ce qui est une profondeur déterminent la durée du texte sans jamais tenir compte du moi qui l’écrivit ou est en train de l’écrire. L’autre, en bon voisin, et selon des règles de proximité prévues par l’usage, finit par écrire ce qui n’est peut-être pas écrit et le moi devient une biographie à ajouter à l’oeuvre comme c’est l’usage en religion où les biographies et les commentaires se donnent des allures de pratiques scientifiques, rêve caressé des philosophes qui verraient bien la métaphysique comme science, au moins petit à petit, par grignotement expérimental.

Image de Valérie CONSTANTIN


Le corpus de la critique fait office, ce n’est pas peu dire, de littérature par l’exemple. Ainsi, le roman de l’humanité prendrait ses formes aux jeux de l’individu doué pour l’expression romanesque ; il serait à prendre en considération au moment d’écrire ce qui nous passe par la tête quand il pourrait plutôt ne plus rien se passer. Il ne s’agirait pas de donner aux mots tous les sens qu’ils peuvent contenir sans perdre le sens, mais de donner un sens à nos compositions via les pratiques de la langue mise à la place du langage pour faire bonne figure. Des vocations naissent parce qu’on les a semées. L’homme n’est pas à ce point opiniâtre (encore une idée jetée par impression d’avoir raison) qu’il est capable de génie. Sournoisement, Cortázar explique que le génie, c’est parier qu’on est génial, et gagner son pari. Ceci serait une simple boutade si Cortázar n’avait pas consacré dix ans de sa vie à reconstruire le roman à la mesure de l’homme et obtenu un résultat difficilement contestable avec des arguments d’écrivain. Heureusement, le marché de la littérature générale permet de distinguer les oeuvres importantes de celles qui rapportent à leurs auteurs les lauriers provisoires de la reconnaissance du ventre. Certes, la différence ne saute pas toujours aux yeux de tout le monde pour le plus grand bien des résultats d’exploitation et, cela va sans dire, toutes les oeuvres de qualité ne sont pas invitées au festin de l’immédiat et de la perspective des vacances. Le concert se limite pour demeurer musical sinon les chaises se vident dans un incessant raclement du parterre et les repliements des strapontins doués de souffle court mais intempestif. À la question du roman de l’humanité en cours (selon Sartre), s’ajouterait celle du génie à mettre en jeu sous peine ne n’être pas jugé. Un écrivain aussi secret et modeste que Paul Gadenne(gadenne.org), malgré sa ténacité d’homme et d’écrivain, restera mal connu jusqu’à ce que la voix de ses admirateurs se fassent entendre. Gare au suicide par inadvertance.

Patrick CINTAS




[1Moins célèbre, moins sujet à polémique et surtout à condamnation, en France nous avons le Christ cycliste de Jarry : Voir l’article dans ce numéro.

[2Site : León Ferrari

[3Lire l’entrevue avec Monseigneur Antonio José Plaza

 
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