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 Article publié le 6 novembre 2011.

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Ils ne sont jamais là. Et pourtant, sans eux, rien n’est possible.

Dans ces lieux qui n’ont aucun rapport entre eux, des silhouettes évoluent selon des règles et des habitudes plus ou moins codifiées, qui laissent une certaine place, même modeste, à l’initiative. C’est en simultané, d’après des fuseaux horaires distincts, dans des régions voire des continents différents que tout se joue.

Maintenant, les mouvements et les décors se font plus précis, leurs contours gagnent en netteté. D’un côté, sur une surface rectangulaire dévolue à un sport de haut niveau qui nécessite une raquette et beaucoup de technique, une surface marquée par un jeu de lignes blanches souvent entrecroisées et en angle droit, une surface en gazon, la jupe blanche plissée à partir de laquelle deux jambes athlétiques et galbées émergent sont en mouvement constant, la plupart du temps latéral, parfois en avant, parfois en arrière, tâchant de rester, quelle que soit la position de la balle, sur les meilleurs appuis possibles. Dans ce temple de la petite balle jaune, les seuls bruits audibles sont ceux des cordages et des pas des joueuses, des pas sourds et feutrés. Pendant ce temps, dans les gradins bondés, les masses informes de gens se tiennent statiques, suivant la scène dans une silencieuse attention.

L’une des joueuses se prépare à servir. On ne sait quelle est la part d’apprentissage, on ne sait quelle est la part subjective, il est donc impossible de distinguer l’acquis du style. Ce qui est visible, en revanche, c’est le langage avec l’espace, le résultat d’un entraînement intensif et d’une expression typiquement personnelle. L’une des jupes blanches est au filet, surprise par un lob défensif qui plonge rapidement derrière la joueuse, juste avant la ligne de fond. Un peu plus tard, c’est un contre-pied qui est utilisé afin de surprendre l’adversaire, après plusieurs accélérations du fond du court. Puis, dans la foulée, la serveuse monte au filet à la suite d’une attaque en coup droit, et la course latérale de son homologue se ponctue par le blocage du poignet et la frappe tendue de la balle, une frappe synonyme de passing décroisé qui épouse la ligne extérieure tout en restant dans le court. La variété des coups s’enchaîne alors, dans un rythme qui met en relief la précision et la ténacité de jambes sublimes : coup à plat, lift, slice ou coupé ... coup à plat, slice ... amorti ... contre-amorti croisé ... et la silhouette de la perdante provisoire se retourne déjà vers la ligne de fond, vers la balle d’engagement qui va lui être donnée, et ses longues jambes galbées terminées par des chaussures de sport blanches effectuent un quart de rotation avant de se positionner derrière la ligne de fond.

Ce sont bien des mains d’hommes qui paraphent mécaniquement des contrats, leurs contrats, des documents juridiques qui stipulent de nombreuses clauses à chaque fois ou presque, synonyme de sommes d’argent importantes, très importantes, même, sous forme fiduciaire ...

La lumière, maintenant, est beaucoup moins forte, et c’est un espace totalement différent qui se distingue avec d’abord un bruit particulier qui résonne en son sein, un bruit métallique issu d’une cage et de son ouverture, les barreaux de l’entrée se désolidarisant en pivotant sur des gonds partiellement huilés, des barreaux qui agrandissent la surface de la structure dont le bas, afin d’opérer la jonction avec le sol, est constitué d’un escalier de quelques marches, un escalier sur lequel une haute silhouette verticale, à la fois charpentée et galbée, descend progressivement. Le bruit des talons - une sorte de léger cliquetis - sonne une, deux puis trois fois avant d’entrer en contact avec le sol et de marquer un bruit plus sobre, plus discret. La main longue, douce et ferme a donc quitté le barreau le plus proche de l’entrée, les jambes sculptées et dénudées ont déployé leur mouvement, le buste nu lui aussi s’est avancé dans la lumière tamisée, ainsi que cette grande chevelure noire et ses yeux noirs, également, tandis qu’une toison brune et triangulaire est apparue avec le plus grand naturel, une toison dont le revers, de généreux et circulaires fessiers se sont imposés provisoirement dans l’espace, le temps de leur passage, sous l’impulsion combinée des muscles des cuisses, des hanches, des reins.

Cette femme, cette dame de haute stature, aux épaules longues et arrondies semble suivre, dans un couloir, une direction précise, une direction qui la conduira sans doute dans une pièce où elle est attendue. Les dégradés de vert dominent les différents espaces aperçus jusqu’ici, des espaces intimes dont l’atmosphère exhale un parfum de secret, de mystère, un parfum d’inconnu. Les yeux verts de cette vestale, à partir de l’encadrement, scrutent l’intérieur d’une grande pièce occupée par un mâle, par un homme masqué. Les chaussures à talon de la dame, des chaussures noires, sont en dissymétrie, le temps d’une pause, d’une hésitation ou d’un mouvement esthétique, signifiant le léger retrait de la jambe droite. A travers le masque, les yeux de l’homme bougent, clignent, ils se sont conformés à cette créature de rêve belle et bien réelle, une créature qui avance maintenant vers lui, vers lui et ce scénario écrit d’avance, un scénario enregistré par des yeux partout dissimulés ...

Jupes, chemisettes, jambes en mouvement, chaussures à talon, nudité, galbe, cris d’effort ou de luxure, gazon ou toison coulissant sur un cylindre humain, tandis que les lanistes continuent de signer, de parapher inlassablement, loin d’ici, loin de là, au sein de bureaux silencieux et hermétiques ... cachet, contrat, sommes ... oui, sommes plancher dont le mouvement continu de la main vers la droite, un mouvement qui aligne des chiffres suivi d’un nombre pluriel de zéro semble proscrire tout plafonnement ...

Finalement, tout s’entremêle sans que la moindre faute de goût ne soit commise semble-t-il. Dans la clarté du jour, le visage légèrement brillant de la joueuse est quelque peu marqué par l’effort alors qu’elle accomplit les pas qui la conduisent à la ligne de service à partir de laquelle elle opère un demi-tour et se repositionne, les jambes à nouveau fléchies ... dans la clarté de la lumière artificielle braquée sur son visage aux pommettes haut perchées, l’actrice monte et descend sur le mâle, exprimant une certaine satisfaction à travers les yeux clos et une bouche régulièrement entrouverte, cependant que sa longue chevelure brune demeure sur l’un des côtés de sa nuque.

Athlétique, érotique ... ou bien peut-être les deux ... et la main de l’homme, calme et sûre, compile et classe méticuleusement les documents ...

 

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