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Les enfants (Extrait de Emori nolo)

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 Article publié le 13 novembre 2005.

oOo

En même temps, il recevait le message qui lui annonçait que son ex-épouse avait eu un grave accident et qu’on attendait qu’il prît une décision au sujet des enfants qui demeuraient sous sa responsabilité. La pluie avait cessé de tomber et la rue s’animait de nouveau. S’il descendait, à cette heure, on ne refuserait pas de lui réchauffer une viennoiserie au jambon. Mais il devait attendre. Il ne bougerait pas avant d’avoir reçu un signal. Il avait connecté tout ce qu’il était possible de connecter. Les messages lui proposaient des produits commerciaux dont il n’avait pas l’utilité. Un jour, il laisserait cette vie de guetteur et il se mettrait à réfléchir à la place de ceux qui analysaient ses émissions photoniques dans le Réseau Intercontinental Personnalisé.
- Vous avez un message, dit quelqu’un. Je crains que ce ne soit une mauvaise nouvelle. Vous voulez le lire maintenant ?
Il recevait des tas de mauvaises nouvelles. Quelqu’un les analysait avant de les lui transmettre. Cette fois, c’était un message d’un Organisme Social Agrée Par Le Gouvernement. On ne lui demandait pas d’argent, une bonne nouvelle.
- Vos enfants ne souhaitent pas vous voir, était-il écrit, mais vous avez le droit de vous expliquer avec eux.
- Comment ça se passe, ce genre de rencontre ? demanda-t-il.
- Mal, en principe. Vous ne devriez pas y aller.
- Ce sont mes enfants ! Il faut que je fasse quelque chose pour eux.
- Ils ont une autre idée de ce qu’il vous reste à faire. Si vous voulez, je vais demander qu’on vous prépare un San Giacomo. Ceux qui vous comprennent savent exactement comment avoir une bonne idée quand vous en avez une mauvaise.
Il se résigna.
- J’en ai pour un quart d’heure, pas plus.
- Ne vous mouillez pas.
Il aurait pu se passer de dire ça. Il ne pleuvait plus. Il était de nouveau seul. Quelles étaient les circonstances de l’accident et devait-il conclure qu’elle était morte ? On voulait lui confier les enfants, mais ceux-ci ne le souhaitaient pas. Il y avait des années qu’il ne les avait pas vus. Il ne les avait jamais tenus dans ses bras. Paul occupait toute sa pensée.
- C’est chaud, dit quelqu’un. J’ai pensé à un petit dessert.
Il pouvait s’accorder ce petit abus, étant donné qu’il avait sauté le repas de midi vous vous souvenez ?. Il découpa le San Giacomo et l’arrosa de sauce tomate. Exactement comme il avait toujours fait.
- Si je pars ce soir, dit-il, j’y serai demain matin. À quel endroit a eu lieu l’accident ?
On n’avait pas encore ce genre de détail. L’essentiel était que les enfants fussent accueillis dans un bon établissement.
- Ça se passe comment ? demanda-t-il. On va les chercher à l’école et on les emmène sans explications claires. Ils doivent se douter que quelque chose de grave s’est passé...
- N’y pensez plus, Frank. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée d’aller les voir maintenant. Demain, c’est dimanche et...
- Vous seriez bien incapable de m’expliquer pourquoi c’est une mauvaise idée ! Vous me conseillez toujours la prudence.
- Pas cette fois, Frank. La prudence n’a rien à voir. Je pense qu’il est trop tôt pour espérer quelque chose. Attendons.
- Il faut savoir attendre. Et je ne fais que ça. Qu’en pense le chirurgien ? demandez-lui ce qu’il en pense.
- On vous a retiré tout ce qu’il était possible de retirer sans endommager les organes.
- Je ne reçois plus de message. Avez-vous encore coupé la communication RIP ?
- Je n’ai rien coupé, Frank. Buvez votre café.
Il ne pleuvait vraiment plus. La lumière augmentait. Il s’attendait à un peu de bleu dans le ciel.
- Ce n’est pas rare au printemps, dit-il sans parvenir à dissimuler l’émotion qui l’étreignait.
- En effet. Regardez. Le soleil !
Un rayon descendait sur une façade, illuminant des carreaux de fenêtre. On l’observait. Ils attendraient la nuit pour s’approcher avec l’assurance qu’il ne pourrait plus fournir des réponses parfaitement cohérentes à leur questionnaire préétabli depuis qu’il était la cible de leurs sarcasmes. Ils finiraient bien par ne plus se moquer de lui.
- Ils ne se moquent pas de vous. Ils essaient de comprendre. Ce n’est pas facile. Vous avez le sommeil léger, léger...
C’était vrai. Il avait une conscience claire de cette légèreté. Mais ils ne pouvaient pas s’opposer au voyage que son devoir de père et d’ex-époux lui inspirait comme la meilleure solution à tous les problèmes qu’il avait accumulés...
- Nous passerons la journée ensemble, dit-il comme s’il y était déjà. Tout peut changer si je trouve les mots.
- Ce n’est pas une question de mots, Frank. Il est trop tard. Ils ont trop imaginé ce que vous êtes et ils ne sont pas loin de la réalité.
- Vous n’avez pas dû vous priver de les y aider !
- Calmez-vous, Frank !
Chaque fois qu’il s’énervait un peu, ils lui envoyaient une dose personnalisée de colocaïne correspondant à l’excitation nerveuse mesurée par les capteurs dont ils avaient truffé son corps. Il était relié à leurs cerveaux.
- N’exagérez pas, Frank. Nous ne savons pas ce que vous pensez. Si nous le savions...
- Par exemple : qu’est-ce que vous savez en ce moment précis ?
S’il avait pu voir à qui il s’adressait, il aurait sans doute eu à supporter l’esquisse d’un sourire et l’éclat de verre du regard. Les bouches pouvaient ressembler à des coups de crayon et les yeux à des verres cassés sur des visages qui s’efforçaient d’échapper à sa perception.
- Est-elle encore vivante ?
- Quelle importance, Frank ? Ne vous agitez pas...
Il ne se souvenait pas non plus de son visage. Comme il l’avait aimée et qu’elle lui avait arraché trois enfants, il ne supporterait pas longtemps de se demander comment il avait pu oublier à la fois l’ensemble et les détails. Il ne se souvenait pas des scènes, bonnes ou mauvaises, ni des mots détachés de leur contexte.
- Est-ce qu’ils préviennent tout de suite quand c’est arrivé ? Elle est peut-être morte depuis longtemps.
- Frank ! Vous vous faites mal. Encore un peu de café ?
Ce n’était pas du café. En Italie, le café est primordial, comme l’art du portrait. Il buvait des consistances logiques. Il eût aimé un peu de... diversion.
- Il y a peut-être des jours qu’ils attendent ce que je vais décider pour eux, dit-il comme quelqu’un qui vient tout juste de retrouver son calme et qui veut le prouver. Des jours qu’ils se demandent si je vais faire quelque chose pour eux.
- Ça s’est passé aujourd’hui, Frank.
- Qu’est-ce que je faisais à ce moment-là ?
Ils l’utilisaient pour des opérations secrètes dont il ne connaissait lui-même que les surfaces volumétriques. Il ne cherchait pas à comprendre parce qu’il ne voulait pas pénétrer dans leur mental. Ils avaient des moyens neurologiques alors qu’il devait se contenter des palliatifs du raisonnement. Mais il était satisfait, pour ne pas dire heureux, de travailler avec eux malgré les dangers que leurs manipulations faisaient courir à son intégrité existentielle, comme ils appelaient cette partie de sa vie qu’il consacrait à leurs activités occultes.
- Si vous voulez dormir, Frank, servez-vous de la pompette.
C’était drôle qu’ils eussent pensé à ce mot pour désigner cet accessoire. C’était peut-être une marque déposée.
- Je n’ai pas sommeil, dit-il. Si je pars ce soir, il faut que je commence à réfléchir à ce que je vais leur dire.
- Vous ne partez pas ce soir, Frank.
- J’aurais ensuite toute la nuit pour arrondir les angles. Il faudra que je dorme un peu pour avoir bonne mine. C’est fou ce que ça compte, un visage, quand ça fait si longtemps qu’on ne s’en est pas servi pour ce genre de chose !
Il souffrait. Il avait besoin d’un miroir maintenant.
- Ce n’est pas une bonne idée, Frank.
- Je ne veux pas leur jouer la comédie ! Je souhaite seulement me voir leur dire quelque chose. Je ne saurai pas quoi leur dire tant que je ne me serai pas vu leur dire quelque chose !
- Servez-vous de la pompette au moindre signal psy.
Sinon, ils automatiseraient les injections et ce serait pire d’un point de vue mental. Il s’envoya une pichenette qui lui arracha un sourire. À défaut de miroir, à défaut du regard pour se regarder, ils auraient pu penser à un système permettant de se faire une idée de ce qu’il était devenu.
- Je ne sais pas ! hurla-t-il. Un système de renvois. Quelque chose comme un jeu de poulies. Une simple application mécanique de la poussée.
Pompette. Deux fois. Sourires. Deux. Un troisième, volontaire, pour dire que tout va bien.
- Promettez de ne plus recommencer. Vous m’avez fait une de ces peurs !
Ne pas se voir. Ne rien voir de soi. Il avait beau loucher, son nez n’apparaissait pas. Il ne se voyait pas et ne voyait personne. Il ne voyait que la rue et son animation tout urbaine. Ils devaient projeter un film sur l’écran de la fenêtre. Idée simpliste. On était vendredi.
- Je sais, dit la voix. Demain, c’est samedi.
Encore une contradiction. Il les piégeait de temps en temps. Ils s’en apercevaient trop tard. Ils avaient besoin de l’assistance des calculateurs pour s’en apercevoir. Il n’était pas peu fier de résister à leur exigence de subordination. Idées simplistes.
- J’ai oublié leurs noms, dit-il tristement.
- Ce n’est pas possible, Frank. Ce ne sont pas des choses qu’on oublie facilement.
- Je n’ai pas dit que c’était facile !
- Réfléchissez : oublier difficilement ? Idée simpliste.
- J’ai oublié son nom à elle aussi !
- Frank ! Vous inventez des raisons de compliquer ce qui est simple ! Elle est morte et ils sont vivants. Vous êtes...
Un légume. La mission a mal tourné.
- Je partirai ce soir que vous le veuillez ou non !
- Vous ne partirez pas si nous en avons décidé autrement !
Clair. Qui était Gor Ur. Il l’avait inventé, peut-être ?
- Vous savez qui est Gor Ur et Gor Ur sait qui vous êtes.
Il n’avait même pas vu le San Giacomo. Il ne voyait rien s’il voulait voir. Il ne voyait que ce qu’ils voulaient qu’il vît. Il mangeait par habitude.
- Nous vous permettons de leur envoyer un message.
En tout cas, il écrirait le message. Il était impossible de vérifier s’ils l’avaient envoyé ou pas. Ils lui accordaient le temps d’écrire un message à deux enfants qui avaient peut-être besoin de lui et ils n’en savaient rien contrairement à ce qu’ils voulaient lui faire croire en lui interdisant de partir ce soir.
- Dites-leur que vous les aimez.
C’était donc ce qu’ils voulaient qu’il dît à des enfants qu’il avait surtout besoin de voir.
- Les a-t-on autorisés à m’envoyer un message ?
- Je suppose que oui. Dans ce cas, ils ne l’ont pas fait. Je vous ai déjà dit ce qu’ils pensent de vous en ce moment. Cela changera peut-être si Gur Ur le veut.
- Votre langue a fourché ! Ah ! Ah ! Ah !
- Qu’est-ce que j’ai dit ?
- "Si Gor Ur le veut" ! Ah ! Ah ! Ah !
- Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Ils riaient quelquefois et c’était toujours de bon coeur. Quelle était la responsabilité de Popo dans ce qu’il était obligé de supporter à sa place ? Depuis quand se posait-il cette question ? C’était ce qu’ils lui demandaient, mais la nouvelle de l’accident avait interrompu le cours inéluctable de leurs recherches, comme s’ils n’avaient pas été préparés à cette éventualité. C’était fou de le penser. Rien n’était plus logique que leurs agissements. Ils ne lui avaient pas supprimé la vue mais l’usage raisonné de la vue. Ils avaient même supprimé les reflets de la fenêtre. Quant aux scintillements des fenêtres du dehors il y avait un dehors du dedans c’était de la lumière pure comme au music-hall.
- Puis-je leur dire que vous avez apprécié leur cuisine ? Ce sont de fiers Italiens. Ils sauront que vous ne les flattez pas.
- Que savent-ils de moi ? Je peux les voir ?
- Contentez-vous de les imaginer. De purs Italiens.
Il avait envie de se lécher les doigts, mais il ignorait où les trouver dans cette complexité qui lui apparaissait comme un éparpillement alors qu’ils y introduisaient patiemment sa nouvelle cohérence.
- Ça ne pouvait pas arriver un autre jour ! s’écria-t-il.
Pompette. Il y avait des choses qu’ils ne contrôlaient pas. On pouvait être victime d’un accident sans qu’ils pussent rien pour l’empêcher.
- À quelle heure le premier train de nuit ? Réservez-moi une couchette de première classe.
Il lui sembla qu’il avait la force de se dresser dans ce qui était peut-être un lit.
- Que vous le veuillez ou non !
- Vous l’aurez cherché, Frank !
Le sang devenait vert. Ils éteignaient tout. Vous n’existiez plus.
- Maintenant urinez et ne pensez plus à rien.
Est-ce qu’il urinait ? On n’imagine jamais assez ce qui peut arriver quand ça arrive. On est pris au dépourvu. Alors ils interdisent l’usage du miroir et le sang devient vert, ce qui est une absurdité. Encore heureux de s’en rendre compte ! Est-ce qu’il avait encore des dents dans la bouche ?
- Elle est morte, Frank ! Le dernier message...
Ainsi, tout était fini cette fois parce qu’il n’y avait aucune chance que ça recommence. Que penseraient les enfants de cette situation tout aussi nouvelle pour eux qu’elle l’était pour lui ? Il leur dirait d’abord qu’il avait pensé à eux toute la nuit.
- Dites-leur que vous les aimez, Frank.
- Je le leur dirai si on va au bout de la conversation. Ce sera ma conclusion. Je n’aurai pas voyagé pour rien. On serait samedi ou dimanche ? Pourquoi cette incertitude relative ?
- Relative à quoi, Frank. Approfondissez votre pensée.
Maintenant, la sensation de rotation était plus nette. S’il avait pu fixer son regard ne fût-ce qu’une fraction de seconde sur un de ces innombrables objets qui envahissaient ce qui était peut-être son champ de vision, alors il aurait su qu’il était en suspension comme tous ceux à qui il arrivait quelque chose. Il n’avait plus le choix. Ils avaient réussi à le faire entrer tout entier en lui-même. Il se sentait ridicule.
- Ne pleurez pas, Frank. Nous savons pourquoi vous pleurez. Vous comprenez maintenant qu’on ne peut pas autoriser ce voyage insensé. Ni en réalité, ni en imagination.
En soi, voulaient-ils dire. Mais en soi, il n’y a que soi. Il n’y a pas les autres. Il faut sortir pour les voir, les toucher, les...
- Les aimer, Frank. Votre problème, c’est ce manque de...
Chaque fois qu’il leur demandait d’expliquer clairement ce qui lui était arrivé, ce qui était arrivé à Jean de Vermort, à Pulchérie même, ils s’arrangeaient pour parler d’autre chose, il se passait autre chose, et ils s’activaient en dehors de sa zone d’influence. Il était alors seul au monde et c’était peut-être ce qu’ils voulaient.
- Si je suis un objet d’expérience, dit-il, je veux le savoir.
- Vous ne faites l’objet d’aucune expérience.
Voix mécanique, sans âme. Ils calculaient leurs effets.
- L’ont-ils récupérée ou est-ce trop tôt ?
Étaient-ils encore là pour répondre ? Il s’efforçait de reconnaître sa verticalité. Il est toujours important de connaître votre position dans l’espace qui vous est attribué.
- Pourquoi est-ce important, Frank ?
- Vous êtes là ! Je croyais que vous...
- C’est important par rapport à quelque chose. Vous revenez à cette sensation de relativité...
- Incertitude. Impossibilité de décider. Mort prochaine.
Maintenant, c’était sa voix qui était mécanique, sans âme, mais il ne calculait aucun effet. Il n’avait pas l’intention de les influencer. Il souhaitait seulement reconnaître quelque chose, n’importe quoi, un fragment de lui-même, des autres, de l’animalité, de...
- De quel animal parlez-vous, Frank ?
Coupez. Pas de plans maintenant. L’attente. Ils s’appliquaient à animer l’écran de la fenêtre idée simpliste mais la nuit tombait malgré leurs efforts. Les gens rentraient chez eux.
- Je pourrais être avec eux.
- Mais vous ne l’êtes pas.
- Je pourrais si c’est la nuit !
Il n’y avait pas d’autres phénomènes lumineux à observer. L’éclairage public imposa sa parfaite géométrie circulatoire. Il jubilait, mais l’axe lui interdisait toute déviation sentimentale.
- Vous oubliez les enfants, Frank. Ils ont déclaré ne rien ressentir à votre égard, pas même de la haine. Ils vont avoir besoin d’une sacrée thérapie.
- Foutez-moi la paix avec vos intrigues !
Pendant tout ce temps, la nuit lui échappait. Les gens se raréfiaient. Les vitrines s’éteignaient.
- Je sors ! cria-t-il. Il faut que je sorte ! Je vous en supplie !
Il n’avait pas voulu supplier. Il savait qu’il finirait par les supplier, la nuit venue. Ils ne pouvaient rien sans la nuit, mais ils conservaient leurs pouvoirs sur l’image. Ils lui montrèrent comment elle se décomposait. L’unité est l’hallucination.
- Il y a des gens qui voient de toutes petites images parce qu’ils n’ont pas beaucoup d’hallucinations, expliquaient-ils.
La vue. Le seul art véritable. Tout le reste est approximatif. Ils contrôlaient la cécité.
- Si vous sortez, ils vous prendront pour un fou et ils appelleront téléphoniquement nos services.
Petit arrêt respiratoire, puis :
- C’est ce que vous voulez ? Tout recommencer ?
- Recommençons avant l’accident.
- Nous recommençons toujours après.
- À quoi bon recommencer alors ?
- Qu’est-ce que nous vous disions il n’y a pas deux secondes ? Vous voyez, quand vous réfléchissez.
- Non ! J’ai beau réfléchir, je ne vois pas ! Je ne vois rien.
- Vous voyez la nuit. La rue est plongée dans l’obscurité chaque fois que nous éteignons l’éclairage public. Vous avancez dans un espace qui vous rapproche des autres mais ils ne vous reconnaissent pas. Vous avez beau leur expliquer que vous avez agi dans leur existence et qu’ils ont agi dans la vôtre réciprocité animale ils ne vous reconnaissent pas. Vous êtes seul et la rue est déserte. On vous a confié la mission de descendre Hautetour sans vous nous poser de questions sur cette condamnation suprême. Hautetour vous cherche. Vous savez qu’il vous tuera si vous ne le tuez pas. Vous ne le tuez pas parce que c’est ce qu’on vous demande de faire. Vous le tuez pour ne pas être tué. Pourtant, c’est à nous que vous obéissez et non pas, comme vous pourriez le croire par erreur logique, à votre instinct de conservation. La rue semble infinie. Il suffit d’avancer. Hautetour apparaît dans l’image. Ce n’est pas l’image qui est une hallucination, ce sont les hallucinations qui composent l’image. Ne vous laissez pas distraire par les conversations qui se tiennent à voix basse et rapide dans l’ombre des porches. Hautetour est l’un d’eux. Il vous surprendra et vous serez plus rapide que lui. Vous nous reviendrez avec le sentiment de n’avoir fait que votre devoir. Vous vous coucherez en pensant au voyage que nous vous avons interdit parce que vous n’êtes pas prêt à revoir les enfants que vous abandonnâtes en des temps qu’il n’est pas souhaitable d’évoquer maintenant que...
- Maintenant que QUOI ?
Silence.
- Parlez ! Mais parlez ! Vous ne parlez plus ! Je ne suis plus rien sans votre voix ! Vous n’êtes plus rien sans la mienne !
Il était huit heures. La sirène retentit. Aussitôt, les véhicules du SSE s’éparpillèrent en étoile autour du Centre Expérimental de la Firme pour la Colocaïne. Un cortège officiel, formé de berlines aux intérieurs éclairés, détruisit la géométrie de cette belle organisation sécuritaire et pénétra dans le Centre en ouvrant d’autres brèches. On reconnut le Président à sa casquette irlandaise. Ses gardes du corps formèrent un double cordon mobile jusqu’à l’entrée du laboratoire, dans le frais gazon que Rog Russel arpentait dans une attente fébrile.
- C’est grave ! dit-il. La situation...
Le Président n’attendit pas ses explications pour pénétrer dans le bureau où le comte Fabrice de Vermort, assis dans le fauteuil des visiteurs, pleurnichait en se tenant la tête.
- Qui est ce Frank Chercos ? mugit le Président avant de claquer la porte qui n’aurait pas dû claquer parce que Omar Lobster avait prévu un système électropneumatique capable d’empêcher les portes de claquer.
Mais Omar Lobster , concepteur et maître d’oeuvre du CEFC, n’avait pas tout prévu.
 

 

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