Il y a des architectures qui ne tiennent qu’à l’effondrement. Des cathédrales de suie, des cargos ensablés, des gibets dressés comme des prières muettes. Dans l’univers suspendu de Patrick Lalande, le béton rêve encore, le bois pourrit mais chante, les miradors ne surveillent plus que l’absence. C’est un monde en ruines, mais ce sont les ruines du dedans.
Rien ici ne se dresse sans trembler. Les bâtisses sont des tombeaux pour des songes inachevés. Il ne reste des hommes que les échardes : un escalier de pierre qui ne mène nulle part, une voile oubliée sur un champ de limons, une corde pendue à une muraille. L’exploration est un acte fossile. Tout est déjà passé, déjà englouti, et pourtant encore là, contre toute attente, debout. Comme si la fin du monde avait été manquée d’un cheveu, comme si la matière elle-même refusait de mourir sans témoigner.
La mer s’est retirée, laissant le jusant figer dans la vase les cargos sans cap. Le reflux a tout emporté, sauf l’empreinte, l’ossature des choses, leur toison dure et râpeuse. Le vent, lui, continue de souffler dans ces carcasses de silence. Il creuse les murs, il sculpte les angles, il parle une langue ancienne, faite de craquements et de soupirs de pierres. C’est le vent des exils, le vent des fins de tout.
Dans cette géographie de l’abandon, rien n’est innocent : les murs ont des yeux clos, les sentinelles sont retournées à la terre, et les tours, ces tours impossibles, montent vers le ciel comme on se venge. Le regard cherche une présence, un vestige humain, un visage. Mais non. L’humain est hors champ. Dissous. Et c’est cela qui étreint : la trace seule, la marque de l’avoir été. L’humain ici est une faille, une béance, une désertion magnifique.
Chaque tableau est une lamentation. Non pas une plainte sonore, mais un murmure enfoui, la mélopée des choses trop longtemps tues. Il y a du sacré dans cette décrépitude. Quelque chose de l’ordre du deuil sans objet. De l’icône retournée. Une spiritualité nue, sans autel, sans clergé, mais pas sans croyance : car il faut croire pour tenir autant dans le vent.
Patrick Lalande peint le silence après le cri. Il peint ce qui reste quand tout est tombé. Et dans ce reste, il y a la beauté. Une beauté âpre, rugueuse, une beauté qui se mérite. Une beauté qu’on n’oublie pas.
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Les peintures de Patrick Lalande
Ce qui demeure après le vent
Il y a des architectures qui ne tiennent qu’à l’effondrement. Des cathédrales de suie, des cargos ensablés, des gibets dressés comme des prières muettes. Dans l’univers suspendu de Patrick Lalande, le béton rêve encore, le bois pourrit mais chante, les miradors ne surveillent plus que l’absence. C’est un monde en ruines, mais ce sont les ruines du dedans.
Rien ici ne se dresse sans trembler. Les bâtisses sont des tombeaux pour des songes inachevés. Il ne reste des hommes que les échardes : un escalier de pierre qui ne mène nulle part, une voile oubliée sur un champ de limons, une corde pendue à une muraille. L’exploration est un acte fossile. Tout est déjà passé, déjà englouti, et pourtant encore là, contre toute attente, debout. Comme si la fin du monde avait été manquée d’un cheveu, comme si la matière elle-même refusait de mourir sans témoigner.
La mer s’est retirée, laissant le jusant figer dans la vase les cargos sans cap. Le reflux a tout emporté, sauf l’empreinte, l’ossature des choses, leur toison dure et râpeuse. Le vent, lui, continue de souffler dans ces carcasses de silence. Il creuse les murs, il sculpte les angles, il parle une langue ancienne, faite de craquements et de soupirs de pierres. C’est le vent des exils, le vent des fins de tout.
Dans cette géographie de l’abandon, rien n’est innocent : les murs ont des yeux clos, les sentinelles sont retournées à la terre, et les tours, ces tours impossibles, montent vers le ciel comme on se venge. Le regard cherche une présence, un vestige humain, un visage. Mais non. L’humain est hors champ. Dissous. Et c’est cela qui étreint : la trace seule, la marque de l’avoir été. L’humain ici est une faille, une béance, une désertion magnifique.
Chaque tableau est une lamentation. Non pas une plainte sonore, mais un murmure enfoui, la mélopée des choses trop longtemps tues. Il y a du sacré dans cette décrépitude. Quelque chose de l’ordre du deuil sans objet. De l’icône retournée. Une spiritualité nue, sans autel, sans clergé, mais pas sans croyance : car il faut croire pour tenir autant dans le vent.
Patrick Lalande peint le silence après le cri. Il peint ce qui reste quand tout est tombé. Et dans ce reste, il y a la beauté. Une beauté âpre, rugueuse, une beauté qui se mérite. Une beauté qu’on n’oublie pas.
Lecture et musique électro acoustique. https://youtu.be/LVLcTDCS3s4?si=ZbteO7ejzwKg2Ooo