Je commencerai par citer Guy de Maupassant, spécialiste du genre, auteur de quelque deux cents soixante dix nouvelles officiellement recensées, auprès de qui mon affinité est à la fois qualitative – c'est un nouvelliste érigeant le genre à un haut degré d'affirmation – et quantitative – sa production globale, résultat d'un labeur régulier, est synonyme d'un nombre important de nouvelles.

 Si j'en viens maintenant, à Marcel Proust, c'est pour souligner son écriture du moi, une écriture à la première personne qui met en avant un travail puissant de la mémoire et du souvenir au sein d'une subjectivité moderne annonçant le roman contemporain, plus précisément la narration continue – on peut notamment lire ses fictions à partir de n'importe quelle page. Le temps, élément dominant, est plastique, sa chronologie étant dissoute dans les incessants aller-retour qui forgent l'identité du narrateur. La mémoire proustienne est si forte et novatrice qu'elle annonce les recherches scientifiques actuelles sur la zone du cerveau dévolue à la mémoire, une zone particulièrement opaque et mystérieuse.

 La galaxie se poursuit, ensuite, avec Albert Camus. La phénoménologie ou science de l'expérience de la conscience respire à nouveau à travers la littérature, notamment « L 'Etranger » , où le narrateur tâche d'échapper à sa propre adjectivation, comme si l'on pouvait vivre chaque événement, chaque parcelle de temps pour la première fois et en toute liberté, en toute nudité. C'est l'expérience qui permet à Meursault d'appréhender le monde et non pas les conventions et les jugements.

 Avec Alain Robbe-Grillet s'opère la reprise du « je » , un « je » post-camusien qui remet en question le roman et la narration. Le souvenir et la mémoire sont des éléments importants, absorbant des données autobiographiques - « La Jalousie  » a pour cadre la Martinique où il a travaillé comme ingénieur agronome – des données elles-mêmes recouvertes d'une texture fantasmatique. C'est une écriture de fantasmes, tout comme une partie de ma prose ( « Etrange Eros  » , passages sensuels dans mes nouvelles abstraites ) .

 Qu'en est-il du Matricule six cents ? Le Matricule six cents, c'est un nouveau « je » fait de pans d'histoire, d'autobiographie, de souvenir, de mémoire, de fantasme, sans doute orienté vers une esthétique du monde. Ce qui est présent dans mes fictions, c'est l'absence de personnages aux contours définis, c'est l'absence d'histoire, d'intrigue, de meurtre, de pathos … ; ce qui est présent, c'est la notion de l'étrange, du lumineux, du questionnement, de l'abstraction, avec l'utilisation abondante du présent de narration.

 Les nouvelles de Marcel Proust annoncent ses grandes vagues narratives, les nouvelles d'Albert Camus sont conjointement précises et poétiques, les nouvelles d'Alain Robbe-Grillet reflètent la rigueur de sa prosodie nouveau-romanesque … les grands écrivains, les grands romanciers se sont tous essayé à la nouvelle.

 Tout comme le Matricule six cents, donc, qui tâche de lui donner toutes ses lettres de noblesse. Dans le XXIe siècle …