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Les Huniers - [in ’’Mazette & Cantgetno’’]
Chapitre III - Gonzo ou sirventès écrit dans la fosse d’aisance dite du Petit Robert à Foix

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 Article publié le 15 décembre 2013.

oOo

Raisons de cet intermède. — De l’interruption dont fut Marette la cible. — Des conséquences de cette interruption sur le comportement de Marette lequel se perd dans la nuit qui s’ensuit. — Où Rogerius explique au lecteur pourquoi il sait ce qu’en toute logique personne ne devrait savoir compte tenu que Marette était seul dans la nuit et que sa petite voiture ne l’était pas moins. — Arrivée de Marette à Foix en présence de témoins que personne de sensé ne songerait sérieusement à interroger en cas de dispositions judiciaires. — Où commence le rêve de Louis Marette et où s’explique en partie son pouvoir de voler à l’intérieur du rêve des autres, comme on le verra au chapitre suivant qui sera le quatrième. — Dans la fosse d’aisance du Tribunal de Grande Instance de Foix. — Où se conclut le présent chapitre, par l’énigme non encore résolue du pipeau et de l’âne.

 

Raisons de cet intermède.

Il est d’usage, dans les bons romans auxquels notre éducation bourgeoise nous a abonnés comme espèce sonnante d’une souscription peut-être déjà passée de mode, mais dont nous ne cessons de porter haut le flambeau sans toutefois cesser de nous interroger sur la nature exacte de ces réquisitions orphiques, d’interrompre de temps en temps le cours du récit, surtout quand on en attend une immédiate continuation sous peine d’en perdre le fil et surtout d’avoir à patienter pour le raccommoder selon les règles d’un art dont nous ne saisissons pas toutes les arguties, ce qui propage l’idée pas toujours judicieuse, comme le prouve toutes ces tentatives d’être clair au moins avec soi-même, que l’obscurité vient non pas de la complexité mise en jeu par les hypothèses prémonitoires d’un premier épisode, mais bien plutôt, et c’est une erreur de le penser alors qu’on n’en connaît que les reflets de vitre derrière les rideaux d’un moralisme empreint de convictions et d’analyses dépassées par les évènements mêmes dont il est question depuis le début, du défaut d’articulations didactiques entre les moments donnés un peu vite comme fragments d’une réalité qui n’en est pas une. Nous en étions au cri d’un âne ou plus exactement exprimé du cri qui est le sien quand il le pousse nous sachant qu’il a raison de le pousser et ignorant encore, au moment où on décide de s’en informer, pourquoi il n’aurait pas mieux fait de se taire, s’il est possible d’évoquer sans ridicule un mutisme ainsi attaché à un être qui n’est pas doué de la parole. Questions qui, si nous acceptons de nous reporter à un temps antérieur à celui-ci, n’était point d’actualité.

 

De l’interruption dont fut Marette la cible.

Louis Marette, maire de Mazères, venait, suite à l’ingurgitation exagérée de liqueurs incompatibles avec ce que l’esprit attend en général de la clarté, de se poser non pas plusieurs mais une unique question qui le turlupinait maintenant qu’il était à bord de son véhicule et se rendait à son domicile par le chemin qui lui semblait le plus cours. Pris d’une espèce de vertige des sens qui n’avait qu’un lointain rapport avec un dérèglement raisonné, car il avait perdu jusqu’au sens de l’orientation et errait à présent dans une contrée qui lui paraissait étrangère, il se souvenait qu’on venait de lui donner tort à propos non pas du sens, mais du genre d’un mot qui n’était autre que le sien, autrement dit son nom, celui que sa famille portait fièrement comme s’il était à ce point propre que personne n’eût pu y trouver un sens figuré. Il revenait d’une visite « chez les vieux », organe de gestion municipale dans lequel il trouvait des voix pour le porter au siège qu’il occupait depuis de bien longues années déjà. Là, il avait été pris à partie par une voix manifestement encline à exprimer son opposition par tous les moyens à sa portée, y compris les plus à même de faire remonter à la surface les troubles requêtes dont l’édile s’était fait le héraut à son corps défendant, selon ce qu’il prétextait pour couper cours à une conversation qui n’annonçait rien de folichon du point de vue du gain électoral qu’il était venu augmenter dans un esprit parfaitement univoque, dans le sens mathématique du terme entendait-il. Cela s’était passé il n’y avait pas une heure et pourtant Marette s’en souvenait comme d’une lointaine ambigüité, d’un sale moment de polysémie qui lui avait interdit toute réplique en rapport avec ce qu’il était venu chercher, qu’il avait commencé à trouver avec son habituelle facilité de démagogue goûtant à la soupe populaire avec la même grimace que le général Pétain s’humectant de mauvais vin pour confirmer ce que la troupe savait déjà, et qui soudain, à cause d’une interruption étrangère à son discours couru d’avance, prend le chemin par lequel il n’est plus possible de reconnaître les bornes ni même les ornières. Un être long et osseux, doué d’une voix portant au double de ce que la vieillesse octroie, quand elle ne les a pas déjà tués, aux vieillards fatigués de répéter la rengaine de leurs souffrances face aux murs infranchissables dressés en toute hâte par une jeunesse qui n’est pas pressée de mourir et qui, dans cette optique, met tout en œuvre pour tuer le temps. Être sans nom, sans qu’aucune déclaration ne vînt en dire d’avantage que ce qu’il était en train de débiter pour prendre la parole à celui qui pensait qu’une pareille situation était inimaginable, en tous cas en cette saison. Détruit en l’espace de moins d’une minute, le maire ne prit pas le temps d’écouter jusqu’à la fin et commit l’erreur de tourner le dos à celui qu’il devait dès lors considérer comme un adversaire à l’intérieur même d’un établissement où il n’était pas habituel de fausser les bulletins de vote.

— Monsieur, avait déclaré le dissident, vous êtes une marette !

 

Des conséquences de cette interruption sur le comportement de Marette lequel se perd dans la nuit qui s’ensuit.

Ce qui étonna, alors que les jours avaient aidé à accumuler les commentaires les plus pertinents comme les moins susceptibles d’apporter de l’eau au moulin de la cause municipale, c’était que personne, dans cette assemblée d’esprits en déclin terminal, ne savait ce que c’était qu’ « une » marette. Mais tout le monde avait apprécié la tournure que ce simple et anodin événement avait prise alors qu’on n’attendait rien de la visite du maire, pas même une boîte de chocolat qui eût au moins la saveur des fragrances qu’il répandait autour de lui tant il était engagé dans son sujet de campagne. Ce « Monsieur vous êtes une marette » était le coup de génie d’un esprit qui avait simplement pris le contrepied d’une affirmation jugée par trop péremptoire tombée comme un cheveu dans la soupe de la bouche de l’édile lequel avait cru que cette aimable et orgueilleuse sortie ne prêterait pas à conséquences, ce en quoi il se trompait lourdement car, pour pallier son interminable fatuité, quelqu’un avait féminisé son nom et, sans que cela fût explicable autrement que par les dessous d’une ambiance fortement marquée par le départ définitif des âmes mortes dans la semaine, pas un seul des habitants de cette enceinte fortifiée n’avait eu la présence d’esprit de rétorquer, ce que Louis Marette ne pouvait raisonnablement tenter pour se sortir de ce guêpier, qu’une marette n’avait pas plus de sens lexical que son pendant masculin. Appliquée à la descendance féminine du maire, ce nouvel attribut de l’opposition à toute forme de pétainisme eût passé inaperçu et n’eût provoqué aucune réaction en chaîne susceptible d’ébranler l’édifice politico-religieux mis en place depuis des années par cet élu habitué aux pratiques du cuissage dans ses formes supposées symboliques comme moins emblématiques. Il était indubitable, et il ne vint à l’esprit de personne qu’on pût en douter, que l’inversion voulue par cet interlocuteur inattendu s’appliquait à Louis Marette et prenait un sens auquel personne n’avait songé avant qu’il fût frappé d’un mutisme qui laissa l’assistance aussi désemparée que lui. Il en avait même oublié de sourire et avait avalé le contenu d’une bouchée au chocolat brisée en deux entre ses dents tremblantes, laissant ensuite tomber les coquilles du contenant sur sa cravate marquée dès lors à jamais du saut de l’impossible. Certes, on peut considérer, si l’on a l’esprit orienté vers de plus louables intentions vis-à-vis de ce maire porté plus que de raison à s’embuer l’esprit au moyen de substances dont l’État fait un commerce réputé équitable, que la condition physique, pour parler franc, qui le déterminait alors à se taire y était pour beaucoup. Mais il était loin de s’imaginer que quelqu’un eût eu même le temps d’y songer tant il s’était empressé de quitter les lieux comme quelqu’un qui a la nette intention de n’y remettre jamais plus les pieds. Et c’était cette question de pieds qui le turlupinait maintenant, alors qu’il errait dans la nuit à bord de son auto sur des routes qu’il n’avait jamais empruntées, du moins pas avec tant de désespoir. Les pieds, cet édile bouffi de suffisance et de cupidité ne pouvait pas accepter de ne pas les rejouer comme il avait toujours fait même au pire moment de ses campagnes passées.

 

Où Rogerius explique au lecteur pourquoi il sait ce qu’en toute logique personne ne devrait savoir compte tenu que Marette était seul dans la nuit et que sa petite voiture ne l’était pas moins.

Le lecteur perspicace, mais pouvait-il manquer d’acuité lui qui déroule le fil de cette aventure que le temps même de la lecture ne peut rompre sous peine d’en demeurer tout ébaubi comme sont les animaux quand on ne siffle plus leur nom mais celui de leur bourreau, dive bouteille, voulant en appeler à la logique qui est aux antipodes de la chanson (car c’en est une) comme s’il ne s’agissait ici que de s’en tenir aux froides entourloupes de l’esprit dit réaliste dans l’intention de ne pas se mettre à dos les autorités du raisonnable limité à ses apagogies circonstancielles héritées de l’expérience du nouveau en phase de reconnaissance, en vient à se demander, dans le silence infini des solitudes où croît sa volonté de pousser le texte dans les limites de sa compréhension, comment moi, Rogerius, narrateur impliqué jusque dans la construction de cet ensemble tensonné à la manière des anciens spéculateurs dont nous ne sommes que les interprètes courroucés par tant d’inexplicable disparition, dispose de ce pouvoir, pour ne pas dire faculté doublée de capacité, de reconnaître les moindres faits et gestes du personnage recomposé alors que, manifestement, je n’étais pas là pour en témoigner. Mais c’est une force qui, ne s’expliquant pas plus qu’elle ne se nomme, transporte le djinn où bon lui semble, selon les accroissements textuels et la volonté de n’y trouver plus rien à redire. Ainsi, animé peut-être par le désir qui s’ajoute toujours au phénomène (ici l’interruption causée par l’individu qui traita Marette de « marette » en insistant clairement sur la nature féminine du sens qu’il lui prêtait maintenant), je me trouvais non pas sur le siège du mort, car Marette avait mal au foie, mais en quelque sorte au-dessus de l’objet qu’il formait avec son véhicule, traversant la nuit comme si d’objet qu’elle est habituellement tant au regard qu’au sommeil qu’elle inspire, elle était devenue le sujet éminent de ses préoccupations, d’autant que la nuit n’allait pas seule dans cet accoutrement, mais au fil d’une route sans éclairage sauf les phares de la voiture dans le halo duquel le cerveau de Marette n’identifiait plus les signaux, notamment ceux qui sont utiles à la circulation et à ses règles de prudence. Animé par ce désir, que je ne cacherai pas ici sous les couverts de la syntaxe, de le voir enfin percuter de plein fouet, surtout le fouet, quelque platane disposé là par quelque obscure plan d’économie familiale motivé autant par de vieux privilèges aujourd’hui indiscutables autrement que par la contestation politiquement établie que par le jeu des recommandations qui forment le tissu même des relations sociales sur cette terre francisée jusqu’à la langue, quelle ne fut pas ma déconvenue d’entrevoir le panneau indiquant que nous étions arrivés à Foix et que ce n’était pas par hasard comme je l’eusse souhaité si le désir n’avait pas été à ce moment aboli par son contraire. En même temps, Marette lut le panneau et s’étonna d’avoir roulé si longtemps et dans cette direction alors que son esprit pensait tourner en rond en attendant d’aller se coucher. Mais, songea-t-il si je puis me permettre cette intrusion dans le courant des tourments qui affectaient moins sa raison que sa capacité à conduire un véhicule dans des conditions aussi imprévisibles qu’étonnantes de pertinence, qu’à cela ne tienne !

 

Arrivé de Marette à Foix en présence de témoins que personne de sensé ne songerait sérieusement à interroger en cas de dispositions judiciaires.

Et il engagea son équipage sur les allées où les feuilles de l’automne avaient déjà déposé les premières instances de l’hiver, atteignant le perron du commissariat de police dont le vantail était abaissé et ne laissait paraître aucune lumière qui indiquât au nécessiteux qu’il se trouvait bien à l’endroit où il est d’usage de déposer sous la contrainte et de disposer sans les inconvénients ordinaires de la libre pensée ni les conséquences tragiques de l’erreur de jugement affectant les mises en examen pour des motifs qui eussent trouvé réparation après une simple discussion de palier. Posant le pied, qu’il avait chaussé d’une pantoufle car il ne s’était pas préparé à pousser plus loin le champ de ses investigations lexicales, dans le tas de feuilles que le vent venait de former à proximité de la sortie du véhicule, il s’en remit à la chance du cocu ou du poivrot et s’élança dans ce vide, recevant l’air acide de la cité endormie sous le regard attentif de quelques dormeurs qui ne trouvaient pas le sommeil et à qui ce personnage hésitant au sortir de sa bagnole promettait de partager au moins la partie émergeante de son iceberg dipsomaniaque. Une grille s’interposait lourdement entre l’entrée pourtant conçue pour la visite impromptue et le corps bringuebalant de l’édile en proie à de provocantes éructations qui ponctuaient sa diction pour laisser le temps au sens et de l’espace à la figure.

— Ého ! Chouchou ! C’est moi Loulou ! Qu’on a la même médaille et que si je te la montre tu vas encore me dire que je la mérite pas !

L’appel de Marette demeurant sans réponse, un des dormeurs se réveilla complètement, si jamais il avait trouvé ce qu’il était venu chercher à cet endroit particulièrement bien fourni en feuilles et en emballages, et entreprit de se remettre debout, position dont il semblait avoir oublié les principes, car il ne réussit qu’à se plier, donnant l’impression qu’il ne poussait jamais le redressement de sa colonne vertébrale au-delà de cette posture qui, provisoire, eût aidé à taxer sa tentative de courageuse. Courageux il ne l’était pas, car il ne fit pas un pas et s’immobilisa comme s’il attendait que l’objet de son observation vacillante l’engageât à s’approcher pour lui donner l’explication du silence que l’ouverture borgne du commissariat opposait à des prières si bien exposées. Marette le regarda en coin et affecta un air menaçant, ce que le dormeur réveillé interpréta comme un refus de s’abreuver au même goulot. Il en conçut une haine appliquée qu’il se garda d’exagérer, non pas parce qu’il craignait un affrontement qui pouvait mal tourner si Marette n’avait pas atteint le paroxysme de la douleur éthylique, alors que lui en connaissait le fond et redoutait de le traverser sans autre forme de raisonnement, mais parce que la proximité d’agents chargés de veiller aux bonnes mœurs avait déjà éprouvé sa capacité à s’excuser de n’être point ce qu’il était ou le contraire, il ne savait plus s’il n’était pas plutôt ce qu’il n’était pas ou pas encore. Marette, tranquillisé par l’immobilité relative de son concurrent nocturne, répéta ses doléances sur les barreaux de la grille protectrice qui ne frémit pas une seule fois, donnant à désespérer alors qu’il était venu, poussé par les alizées de l’intempérance, trouver une solution auprès de son ami le commissaire de police de Foix qui lui avait déjà prodigué maints conseils en matière de sécurité publique et des petites récompenses pécuniaires qui vont avec. Mais de commissaire, point. Il avait beau l’appeler Chouchou, et évoquer l’honneur commun à leurs poitrines, rien n’y fit. Il dut se résoudre à abandonner les lieux, avec ce que cela supposait de recherches têtues, car son auto avait disparu de sa vue, laquelle avait des limites quant à sa portée.

— Ého ! Chouchou ! C’est moi Loulou ! Qu’on a la même médaille et que si je te la montre tu vas encore me dire que je la mérite pas ! répéta-t-il une dernière fois, avec moins de conviction que la première et plus de désespoir que la précédente.

Sur ce, le SDF, maintenant la distance et reluquant les habits du maire de Mazères comme s’il s’y voyait dedans, lança un « Ya personne ! » qui étonna Marette à ce point qu’il répondit du tac au tac un « Je me trompe pas de porte au moins ? » auquel le chemineau répondit que tout le monde se trompait depuis qu’il n’y avait plus personne à l’intérieur, raison pour laquelle on le trouvait où il se trouvait, sinon il eût évité de prêter le flanc aux critiques des cerbères dont l’esprit n’a pas été formé pour les formuler, mais pour leur donner une application.

Marette était trop décontenancé pour répondre à cette injure au représentant de l’État que Chouchou était comme il l’était lui-même en tant que maire. Il frappa du pied dans un tas de feuilles mortes, pied chaussé d’une pantoufle dont l’incohérence troubla l’esprit du SDF au point qu’il procéda inconsciemment à une approche de ce nouvel objet perçu comme différent de Marette lui-même et attaché pourtant à ce personnage par une explication qui ne pouvait pas satisfaire sans s’expliquer elle-même par un enchaînement d’autres désambiguïsations dont on pouvait raisonnablement attendre le sommeil tant désiré.

— Ils ont pas coupé le chauffage, dit le SDF. Ça chauffe tellement qu’on le sent jusqu’ici.

Il montra jusqu’où le chauffage exerçait son influence, pointant son orteil dénudé sur l’asphalte où tournoyaient plusieurs feuilles. Marette en perdit sa pantoufle.

— Vous avez une belle pantoufle, dit le SDF avec une nuance d’humour qui n’annonçait rien de plaisant. Vous avez pas l’autre ?

Marette jeta un œil poussif sur l’autre pied. Celui-ci était chaussé d’un soulier au lacet gris dont le nœud tombait sur le côté du coup de pied en signe d’une probable lassitude qui n’échappa point au SDF, lequel était depuis longtemps un fin connaisseur en matière de signes rédhibitoires, et celui-là lui sembla l’être particulièrement, au point qu’il se baissa pour le défaire et tirer dessus. Marette, déséquilibré alors qu’il avait jusque-là tenu un équilibre à la limite de la stabilité, s’enfonça dans les feuilles et, contre toute attente, ne se réveilla pas. Un autre SDF lança un « Tu l’as tué ! » auquel le prétendu tueur répondit un « Ça n’a jamais tué personne ! », profitant de ce moment de vacance pour emporter le soulier sous son bras, conseillant à l’autre SDF de s’emparer de la pantoufle et de ne pas demander son reste. Ils disparurent dans la nuit en direction de Saint-Girons.

 

Où commence le rêve de Louis Marette et où s’explique en partie son pouvoir de voler à l’intérieur du rêve des autres, comme on le verra au chapitre suivant qui sera le quatrième.

Marette eut donc froid aux pieds. Par un phénomène physiologique dont moi, Rogerius, homme de bonne foi et rédacteur attentif à l’emploi rassis des ressources données comme hypothèses plus que probables par la rencontre inopinée d’évènements autrement dits anodins et sans prérogatives sur le tas, ai eu connaissance avant même d’en trouver l’application au texte et à son possible remontage par l’amateur de véridiques preuves, lequel, vu à travers les reflets changeants d’une vitrine aperçue dans une autre moins éclairée, sinon elle n’eût rien reflété du tout, s’avise de ne pas en rester à la première impression causée par l’incipit et se résout à poursuivre la même chimère inspirée au personnage couché dans les feuilles d’un automne prémonitoire par le froid qui atteint ses pieds déchaussés dont l’un est couvert d’un bas de laine à carreaux blancs et noirs et l’autre, ayant été plongé dans les abîmes d’une pantoufle prévue à cet effet déjà hivernal, offrant sa peau parfaitement nue d’un côté au sol parsemé de gouttes d’eau gelée, comme s’il s’agissait d’éphélides en croissance soutenue, et de l’autre cédant les recours de sa surface à peine pileuse à un air que, comme témoin privilégié d’une magie dont j’ai le secret, je respirais moi aussi avec la même sensation d’apnée. Haletant, car je pensais tenir un sujet pour une prochaine extase verbatim, à l’heure où se couchent les oiseaux de mauvais augure ameutés par d’autres foules moins dispensées de vol, et glissant du toit de la voiture qui me portait dans l’instant passé, je m’approchais du corps immobile de Louis Marette, soulevant les feuilles sans intention particulière, et voyant encore les deux larrons disparaître sous les lampes d’une veillée nocturne qui n’accueillait que nous, quatre personnages en quête de leur ambigüité. Bientôt, nous fûmes deux et je me sentis seul. Marette semblait dormir, le visage visité par les débris de feuilles que je venais de provoquer par mon approche lente, et me penchant comme si j’étais le laborantin de cette scène somme toute banale (un passant se heurte au corps d’un ivrogne endormi et, voyant alentour, ne trouve pas âme qui vive susceptible d’en élucider le sens caché) je le soupçonnais d’être en train de rêver, ce phénomène courant chez les abstèmes ne nécessitant pas d’autre condition que le sommeil et un cerveau pour lui servir de parangon, mais étant donné que son contraire n’y entre de plain-pied que s’il est proposé au froid, circonstance ici acquise par inadvertance, ce dont je me félicitais pour ne pas avoir l’air de m’y être préparé, le point de contact bénéficiant de toute la surface d’au moins un pied qui était nu sans conteste, l’autre laissant au tricotage de sa laine le calcul d’une sensation qui ne tarderait pas à faire elle aussi son effet. Mais un pied suffisait à Marette.

Comme je l’ai dit plus haut, moi, Rogerius, possédé par je ne sais quelle disposition de la nature dont on me dit qu’elle n’est pas étrangère au désir, me soumis aux transparences du crâne que le dipsomane offrait à ma perception tranquille de chroniqueur des faits et gestes de la vie politique et, vissant en quelque sorte les instruments de ma recherche dans cette profondeur à la surface inerte, je pus m’intégrer au travail cérébral en cours et visionner l’intégralité, tant en long qu’en large, de ce qui s’y passait, méthode en définitive fort éloignée de la freudienne dictée automatique qui de toute manière eût échappé à mon application obstinée peu faite pour prendre note parallèlement au progrès du phénomène observé. Des pieds à la tête, c’était le cas de penser à le dire le moment venu d’en commenter les aspects révélateurs, le corps de Marette, sans frémir un seul instant, était parcouru d’un rêve qui, je ne le savais pas encore, le conduirait tout droit dans un autre rêve, ce dernier ne lui appartenant pas, s’il est possible de parler de propriété ou de possession à propos d’un prodige aussi ordinaire que le rêve en soi. Je suivis donc ce fil, prenant soin de me tenir un peu en retrait sur l’avancement de ses travaux et craignant, comme il est facile de le comprendre si l’on m’a suivi jusqu’ici, de précéder même de peu ce qui relevait à mon avis d’une intention malveillante, exploit qu’il m’eût été douloureux de prévenir autrement qu’en me préparant à le dénoncer. Et ce que je vis et entendis, mes autres sens ne laissant rien paraître de leur activité souterraine pour l’instant, est exactement ce que je retranscris ci-après, m’en tenant aux faits visuels et sonores, bien que, on le verra, mes dispositions olfactives faillirent perdre toute contenance à cause d’une circonstance sur laquelle je ne tarderai pas à m’expliquer :

N’ayant pas réussi à contacter le commissaire de police de Foix et dépité par ce qu’il considérait comme un abandon intolérable, Louis Marette aborda le haut portail de la Préfecture dans un état d’excitation proche de la colère. Le portail était fermé. Il le poussa sans résultat. Personne ne venait. Il s’adressa à une fenêtre, se ravisa car il se souvenait que c’était celle d’un bureau déserté à cette heure de la nuit et enfin poussa un soupir de soulagement en reconnaissant la fenêtre derrière laquelle son ami le préfet, Salvador, avait l’habitude de piquer un somme quand il n’avait rien d’autre à faire. Avec un peu de chance, il s’était oublié, parvenu alors dans les confins d’un autre rêve dont nous n’analyserons pas ici les contenus, et la fébrile activité de l’administration dont il avait la garde s’était refermée sur son repos sans l’avoir réveillé ni prévenu par un autre moyen, pensa Marette qui jeta adroitement le petit caillou qu’il avait dans la main, si c’était un caillou, pensa-t-il encore une fois qu’il l’avait jeté et qu’il l’entendit heurter discrètement le volet fermé qui abritait les rêves les plus tenaces de Salvador.

— Salvador ! Mon ami ! Tu en as, de la chance ! Personne ne s’avisera de te traiter d’ « une » salvador. Mais sais-tu ce que c’est qu’une marette si c’est pas moi ?

Aucune réponse ne traversant l’épais volet conçu à une époque où les cris des suppliciés risquaient de déranger le voisinage, Marette lança encore quelque chose, si c’était une chose cette chose qui ne pouvait être un caillou, il en était parfaitement conscient maintenant, bien qu’il fût loin, très loin d’être dégrisé par sa déconvenue et sa colère rentrée. Bien lui en prit, car le volet chut, dans un silence qui pesa fort lourd sur les épaules de l’édile de Mazères lequel s’attendait à une interruption volontaire de l’ogresse qui le dévorait de l’intérieur. La tête hirsute de Salvador apparut, chaussée de lunettes et grattée par des ongles qui avaient connu de meilleurs exercices du point de vue de l’arrachement.

— Salvador ! C’est moi ! Loulou !

— Ah tu fais chier espèce de merde domestiquée par les salauds qui possèdent notre petit monde ! J’étais en train de me farcir une gonzesse de douze ans d’âge qui portait un nom de whiskey ! Juste au moment où j’arrivais ! Manquait pas grand-chose pour que ça arrive ! Ah quel monstre d’égoïsme tu fais, vieille salope qui a tout donné pour recevoir ! Si j’étais pas contraint à fermer ma gueule, tu s’rais pas en train de me bouffer dans la main ! Et ça f’rait trois plombes que j’aurais joui ! Le temps qu’y m’faut pour me recharger ! Trois plombes et tu respectes pas ça, hé faussaire en idées reçues !

Salvador avait chuchoté, tellement que Marette n’entrava que dalle au discours pontifiant de son ami de toujours. Il entreprit d’enjamber la grille et posa son pied nu sur le métal refroidi, acte qui l’eût réveillé de son rêve si une chute opportune ne l’avait entraîné, par choc frontal et renversement latéral, dans le ruisseau où il se trempa d’une eau qui n’avait pas gelé à cause de ses contenus exogènes.

— Ah ! On me tue ! hurla-t-il car il avait vu la mort de près.

— Chuuuuut ! fit Salvador en refermant le volet.

Quelques secondes plus tard, il relevait Marette avec des pincettes, car l’élu avait communiqué ses odeurs à l’eau de la rigole.

— Vas-tu te taire, petite salope de droite ! Tu veux qu’on me voie en chemise de nuit ! En compagnie d’un mec déchaussé ! Ah en voilà du pain pour les affamés de bonnes nouvelles ! Tire-toi, rince-doigts ! Et remets plus les pieds ici, avec ou sans godasses !

— Mais enfin Salva !

— Salva dort ! lança le préfet qui n’y entendait aucune malice.

Presque nu dans sa chemise et sans culotte, il avait froid, mais cette sensation ne le plongeait jamais dans le rêve, habitué qu’il était à rêver avec ses propres moyens.

— Toi, bien sûr, dit-il en poussant Marette sous la halle, tu penses qu’à toi et t’as pas d’amis !

— Mais t’es mon ami, Salva !

— Dors !

Et Marette replongea aussitôt dans le sommeil qui l’avait mené dans cet endroit insalubre. Tout s’éteignit, y compris le regard de Salvador qui se perdit dans une obscurité inquiétante. Marette marcha. Je le suivais en rêve, car telle est ma volonté, laquelle répond point par point à un arsenal technique qui appartient depuis longtemps à la légende. Nous traversions la nuit. J’eus alors la sensation que Marette ne rêvait plus, mais qu’il savait où il allait.

 

Dans la fosse d’aisance du Tribunal de Grande Instance de Foix.

Il fallait, ô lecteur impatient, que j’entrasse le premier dans cet endroit que rien n’annonçait tandis que les pieds déchaussés de Marette martelaient l’avenue, à la limite d’un rêve qu’il n’alimentait plus du toxique dont j’étais dépourvu car je n’en consommais pas, imprévoyant que j’étais de cette manière inattendue qui me donnait à réfléchir sur mon comportement social en présence des habitudes de mes concitoyens, passants exigus entre moi-même et l’autre bord de la réalité qui est construit sur le sable des spectacles donnés pour entretenir l’esprit hors des champs ouverts à la conscience quand elle ne s’y prend pas de bec avec ses propres inconnues. J’avisais la vitrine grillagée d’une boutique dédiée aux liqueurs de ce monde, ne m’y arrêtant que pour rêver à mon tour, non pas de m’y abreuver mais d’y pénétrer par la porte étroite pour honnêtement acquérir un de ces flacons cotonneux à quoi les rêves accrochent des étoiles captives de l’existence quand leur principe est de s’en extraire en ne laissant pour preuve de leur passage que les queues cueillies aussi sec par l’imagination en panne de procès. Marette prit de l’avance. J’eusse pu l’interpeler du haut de ma voix et l’astreindre à une immobilité mesurée à l’avance que je pouvais prendre sur lui dans ces conditions favorables, mais de rêve à rêve, la voix subit de tels changements qu’on n’est jamais sûr qu’elle sera comprise ou même qu’elle sera prise pour ce qu’elle est. Aussi je pris un raccourci, enjambant les dormeurs des soupiraux et des porches, volant presque comme l’oiseau que je rêvais de posséder pour ne plus en être un, et le palais de Justice m’apparut alors dans toute sa splendeur relative, encaissé dans une nuit tachée par ce qu’elle montrait de cette réalité tremblante à la tangente de laquelle j’évoluais, seulement porté par les racines des mots et les suffixes de leurs conjugaisons exemplaires. Loin derrière, Marette gravissait péniblement la côte, suivi par les dormeurs éveillés qui lui ravirent encore maints objets de son apparence, tant et si bien qu’il était presque nu quand il arriva devant la grille du Palais, coiffé d’une culotte peu amène qu’une garce échevelée avait échangée, sans lui demander son avis, contre des boutons de manchette plus en accord avec son charme désuet qui me rappela que la nuit n’est au fond que le témoignage du jour.

Cependant, j’avais une bonne minute d’avance et comptais bien en profiter pour me faire une idée de ce que l’avenir réservait au processus engagé dans je ne savais quel sens qui n’apparaissait plus aussi clairement que j’en avais naguère deviné les nuances de gris, agité que j’étais plus par la déroutante profusion de sentiments que par ce que j’eusse pu espérer de l’esprit et particulièrement de celui dont je me sentais sinon le maître du moins le mentor, comme il arrive lorsque le temps ralentit sa course têtue vers un horizon d’appréhensions et de témoignages annoncés par les voix qui les fondent autant en raison que par l’entremise de l’inquiétude à laquelle nous continuons de consacrer cet autre temps qui est celui, indifférent et sans solution, qu’on perd à le retrouver. Avant même que Marette atteignisse la dernière marche d’un escalier finissant la rue où s’ébattaient encore ses poursuivants, j’avais franchi la grille par magie ou par tout autre moyen qui me parut formidable tellement j’étais rempli de mon rôle, celui que je n’avais pas encore joué dans son intégrité et dont les prémisses contenaient l’essentiel de leurs conséquences, miroir aux alouettes virevoltant dans la nuit noire et ne lançant que les reflets de la nuit, celle-ci étant habitée par mes imaginaires et les bestiaires dont ils naissaient tourmentés, voire harassés, peuples sans cesse croissant dans le partage des immondices et le glissement itératif des courtoisies accordées au destinataire final de ce lent et muet renoncement à toute forme de procès au cadavre. Progressant de cette manière dans le gravier bavard que les préteurs locaux avaient animé de leurs erreurs et de ce qu’elles contiennent inévitablement de mauvaise foi et d’intrigues, du moins m’imaginais-je qu’aucune préture ne va sans défaut, déjà enclin à défendre la part de soupçon que je tenais d’une trop longue investigation de mon héritage culturel, sur lequel on me pardonnera de ne rien dire pour l’instant afin de ne pas ajouter à la complexité des impressions formées en vue d’une interprétation ou, selon d’autres l’improvisation que je finirais par produire, comme on le lit ici, dans la composition d’un texte dressé comme une table en attente de convives avant même qu’elle ait trouvé les moyens de les concevoir dans le seul but d’exister elle-même, je n’écoutais plus que les battements de mon cœur à l’approche de la première porte, rectangle noir occupant le sommet d’un perron de quelques marches, sans indication de lieu ni de service, ce qui m’inspira illico un ralentissement tempéré toutefois par ce que je savais, à l’écoute, de l’approche de Marette, lequel haletait en s’arrachant ses derniers oripeaux, ceux que les impécunieux condamnés à vivre leur vie dehors sans autre protection que leurs illusions en berne venaient d’échanger contre les éléments composite de sa tenue de sortie électorale. Je gravis les trois marches, prévoyant de frapper ou de sonner si quelque lumière apparaissait sur le paillasson que j’observais comme un objet de mon attente alors que je possédais tous les recours de l’excuse mélangée d’explication qu’il est d’usage de fournir à l’interlocuteur chargé d’ouvrir ou de demander qui est à la porte, et tandis que mes poumons s’emplissaient automatiquement de ce nouvel air saturé de présomptions, presque tragique au haut de cette scène improvisé pour les besoins d’une cause dont les hypothèses échappaient à la nécessité de pertinence qui prévaut en cas d’intervention musclée, je vis que la porte n’était pas fermée et qu’un jour forcément artificiel à cette heure de la nuit se verticalisait du côté dont je m’étais apprêté à explorer la surface pour y trouver une poignée, avec ou sans la clé qui l’accompagne, car ces lieux publics sont le plus souvent ouverts à tous, à moins que les incommodités qui découlent d’un usage abusif de leurs appareils engagent ses fonctionnaires à veiller et à surveiller, tenant la clé d’une main, pour la donner ou au contraire l’ayant reçue en retour, mais l’œil toujours posté à l’endroit qui surplombe le siège ou théâtre en question par le moyen moderne d’une caméra ou encore, si les budgets ne le permettent pas, tout simplement en interdisant toute fermeture complète, et dans ce cas un interstice suffit à identifier l’acte qu’on est venu ici commettre. Or, ce ne fut point ce que je vis, en vérité ne voyant rien d’autre que ce que l’interstice laissait apparaître du mur éclairé d’en haut si je ne me trompais pas ou si je n’étais pas induit en erreur par la perspective évidemment faussée à la fois par ma situation, un pied sur le perron et l’autre en attente du pas qui lui eût permis d’atteindre à son tour cette surface préparatoire, et par l’inclinaison perspicace de ma tête, laquelle engageait mon regard dans une oblique fallacieuse, car à peine avais-je introduis mon nez, organe toujours en avance au moment de pénétrer quelque part, à moins d’y entrer à reculons, dans cette brèche prometteuse d’une résolution ataraxique de ma curiosité légitime comme je viens de le démontrer, l’odeur caractéristique des produits de la déjection fécale, au lieu de se proposer comme il en est des odeurs inattendues dont l’existence s’emploie à borner nos attentes, s’imposa avec un tel impératif que mon corps bascula inexorablement d’où je venais avec l’intention de m’introduire sans plus de tergiversations. Ainsi refoulé au bas du perron et agenouillé dans le gravier qui me perçait les genoux, je constatais que malgré l’échec de ma tentative la porte s’était ouverte toute grande, sans ce bruit que j’attendais d’elle pour confirmation de la nature réelle de ce que je vivais en djinn certes, mais sans contestation possible en deçà du niveau requis pour comprendre le traître mot de mes victoires. Et, n’attendant toutefois rien de cette péripétie somme toute aussi banale que la chute d’un mégot dans la rigole, je me frottai les yeux de mes poings fermés, ne cessant cet acte involontaire causé par l’incrédulité et l’inattendu de la situation qui lui est lié que pour examiner ce qui me paraît mériter le nom de scène mais dans laquelle on verra plutôt une séquence qu’il est maintenant nécessaire de décrire par le menu tant j’étais loin de m’y attendre et surtout de lui donner suite :

Michou, la Présidente, était assise sur la cuvette et chiait ! La robe relevée sous les aisselles, elle transpirait à grosses gouttes et n’était point occupée à lire un de ces magazines qu’on emporte avec soi en quittant le bureau pour se livrer à ce besoin naturel dans un endroit qui ne l’était pas moins et qu’elle avait peuplé d’une puanteur si épouvantable que je pensais qu’elle s’était matérialisée à ce point qu’elle m’avait repoussé et envoyé au-delà du perron dans l’incalculable complexité d’un gravier non prévu pour qu’on s’y prosternât comme je le faisais bien involontairement.

— Espèce de vil voyeur célinien ! Scoptophile à la mords-moi-l’neu ! Non mais qui c’est ce mec qui ressemble à rien et qui prétend reluquer mes odeurs à une heure si avancée de la nuit ! Que je te le condamne sans procès et sans contradiction, ce délinquant liberticide ! Ah j’étais pas venue pour vivre une aventure avec un homme ! Que même le papier me manque ! Et j’ai de quoi écrire hé pisse-copie à la noix ! Que je vais te forcer au nom du peuple à tremper ton doigt dedans pour t’apprendre l’alphabet des palais, hé parnassien sans moyens ! Non mais regardez-le trembler dans sa nuit ! Il me regarde comme si c’était tout vu ! Ah je sais pas ce qui me retient d’y mettre la main pour lui en balancer plein la tronche ! Mais il ressemble à rien ! Y sait même pas c’que c’est une dame ! Que même des fois y m’prendrait pour un mec ! Ce que je ne suis pas ! J’ai peut-être des façons de faire que chier ça n’a pas d’sexe, hé morfale des chiens écrasés ! Si tu crois que tu peux écrire après ça, tu te mets le doigt dans les hémos, fils de rien qu’a pas encore tout vu ! Que j’ai pas fini de dire ! Où que tu cours comme ça ? Tu vas laisser Tata en attente ? Me désespérer avant qu’on ait causé ? Ah quand j’aurais fini j’irais voir les gendarmes ! Et que je te leur dirai tout, béjaune, faquin, et que je sais pas tout le Petit Robert sinon tu en prendrais plein les miches, tarlouse à son papa qu’a pas fait la guerre ! Et que tu crois que je me torche avec ces dignes pages ? Que nenni ! J’amène mon papier et je soigne mes références comme si que j’en étais l’auteure ! Malpoli ! Baveux ! Arrogant ! Que si je savais faire de la poésie personne n’en voudrais même pour aller se vider ! Reviens, arsouille, morbaque efflanqué ! Ah le traîne-potence ! Le faquin ! Y sait même pas ce que ça fait l’amour quand ça fait rien ! Que moi je sais ! Que je l’ai vécu ! Rends-moi ma médaille bien méritée !

Un horrible bruit de ventouse ponctua ce discours. Elle était sur le seuil, le cul à l’air et les doigts dedans, ne menaçant ma fuite que du menton au-dessus duquel ses lèvres cherchaient les mots, ne trouvant que le borborygme en réponse aux flatulences humides qui dégoulinaient le long de ses jambes où le bas glissait comme dans un abîme. Je trébuchais plusieurs fois, rencontrant Marette qui haletait en se masturbant car le spectacle lui inspirait de l’amour, chose si particulière à ceux qui n’en connaissent pas les courtoisies. Acculé contre la roche descendant du château, je n’entendais plus les institutes que je venais d’inspirer au premier phylarque de l’Ariège et Marette n’était plus qu’une ombre agitée de soubresauts qu’un interminable gémissement accompagnait de son rayonnement euphorique, la nuit ensevelissant cette trouble réalité dans l’amalgame des sommeils. Je tentais de m’exprimer à mon tour, car il me semblait que, comme dans tout procès équitable, j’avais mon mot à dire, même si aucune distinction ne confirmait ma dignité comme c’était le cas de ces deux incontestables modèles de la servitude au service d’une grandeur dont la véridicité ne me paraissait pas aussi évidente que ce que je venais d’apercevoir des dessous de la Justice, mais comme je m’épuisais littéralement à m’époumoner sans perdre pour autant mon intelligibilité dans cette contraction exorbitante, étant alors sous l’influence des fécales instances qui jaillissaient encore de ces cuisses molles et dans les pages du dictionnaire élémentaire qui en inspirait les cisaillements nutritifs de l’extase, ayant d’abord construit, avec la courtoisie et la mesure qui sont le propre de mes racines ancestrales, les premières propositions de ma défense, soucieux de culture et même d’intelligence, voilà-t-y pas que je me mets à m’exprimer comme un branque, comme si mon esprit me conseillait de me mettre au niveau de ce que la Justice de France impose à nos survivances et c’est un flot d’invectives sans doute fort éloignées de l’esprit de nos joutes et de nos satires mêmes qui sort comme autant d’excréments de ma propre bouche et j’ai beau la fermer de toutes mes mains, ne mesurant en rien la douleur et la blessure, je deviens l’égal de cette sournoise messagère d’une suzeraineté qu’en aucun cas mon éducation ne lui aurait accordée même au paroxysme de la contrainte et de la menace :

— Fille de pute et pute toi-même ! Comment oses-tu parler ainsi sur cette terre condamnée au silence parce que nous avons perdu notre profondeur Dieu sait où ! Limace immonde que tu es ! Avec ta merde au cul et ton dictionnaire à la con ! Ah tu te crois supérieure et définitive ! Avec dans les mains des définitions que tu trouves pas dans tes lois de merde et que même les gosses trouvent ça désobligeant que des adultes se servent de leur faiblesse pour faire passer les vessies pour des lanternes ! Où c’est que t’as appris à lire, pétasse ! Ou devrais-je demander, à qui je te le demande, dans quel endroit crasseux on t’a octroyé le droit d’insulter l’intelligence et la culture ! Non mais tu t’imagines que je vais te laisser faire, hé bagasse courtisane ! Tu crois vraiment qu’on est con à ce point dans le Midi ? Me traiter comme un voleur ! Moi qui me laisse voler pour pas toucher à tes enfants ! C’est pas de la merde que je vais te foutre au cul, moi ! Mais un beau discours que même tes petits-enfants en auront une honte que je leur souhaite pas ! Ah tu vas respecter nos usages, pouffiasse ! Chabraque ! Gueuse femme de trouvère ! Je vais t’en raconter, moi, des trucs que si c’est pas salé c’est que t’as un problème avec la langue, cocotte en papier tue-mouche ! Gigolette ! Rouleuse ! Toupie ! Et que ça se fait prendre en photo à peine arrivée ! Et que ça reçoit des médailles qu’on se demande où est l’honneur en question ! Non mais tu peux pas être plus discrète, hé traînée ! Tu t’crois sur l’trottoir ? J’vais t’montrer, moi, comment que je fais l’apologie des vendeurs de salade, hé toi trou-de-balle des croisés ! Va tricoter ailleurs avec ton colon, sale garce !

Ayant entendu, ô lecteur, ces paroles de circonstances, ne vas pas t’imaginer que c’est là ma manière habituelle de m’exprimer, et qu’ici je déguise la supposée vulgarité de mes sentiments et la non moins hypothétique profondeur de ma pensée dans la langue que tu me connais depuis le début de ce récit pour finalement, alors que rien n’est encore joué dans cette comédie, donner à voir les dessous d’un pareil effort d’éloquence et d’exposition et les livrer à la contemption qui, si j’en crois l’expérience du Bien que je partage avec toi, réduit toujours le temps et ses chronologiques instances, sans parler des cristallisations circulaires de la mémoire et de ses personnages sans nom, à la durée dont l’Histoire est une parodie de l’échec personnel face aux défis des sociétés. Si j’ai, ne pouvant faire autrement, prononcé de pareilles insanités sans une seule fois me repentir de connaître ce vocabulaire insane et ces tournures empruntées aux voix les moins expertes ou les plus captieuses, la raison en est que ça sentait la merde et que je ne peux pas penser et dire en même temps si cette merde n’est pas la mienne, en quoi je ne diffère guère de mes contradicteurs et y ressemble même opportunément, car je dois te confesser que j’ai éprouvé un grand plaisir à user de la même matière pour répondre à d’aussi sournoises attaques. Cependant, je dois te priver du récit de la bataille qui aurait pu s’ensuivre si j’en avais accepté le principe, ces projections mutuelles n’ayant pas de sens pour moi et cet abaissement de ma condition au niveau de ces salauds n’étant pas même envisagé dans les pires moments de ma déroute. Afin d’éviter toute équivoque, et non point pour ne pas me faire couvrir d’une merde qui ne fût pas la mienne, je m’élevais dans les airs comme j’en ai le pouvoir et abandonnai ces tristes cabots de la comédie humaine à la chronique de leur routine et aux misérables œuvres de leur fantaisie mécanique. La nuit fut mon témoin.

Dépitée car elle ne me voyait plus et était en proie au doute, à savoir si elle m’avait jamais vu, la Présidente se rassit, plongea son cul immonde dans les immondices de son travail interne et attendit que quelqu’un frappât à la porte pour lui demander de se presser car l’endroit est en partage, petite scène ordinaire de la vie de palais qu’elle jouait à merveille, sachant adapter sa réponse à ce qu’elle devinait de la personnalité du quémandeur dont la voix était reconnaissable alors que la sienne pouvait imiter tous les personnages de son avancement. Aussi reconnut-elle la voix de Marette.

— Michou ! C’est moi Loulou ! Qu’on a la même médaille et que si je te la montre tu vas encore me dire que je la mérite pas !

— Tu apportes du papier ? Sinon, tire-toi d’ici, hé branleur de bulletin ! J’ai l’intention de passer la nuit dans cet endroit réservé au personnel.

— Mais c’est à titre personnel que je viens, Michou !

— Je ne rendrai pas ma médaille ! On me l’a donnée pour toujours ! Que même mes descendants pourront s’en vanter sous la protection des Hautes Autorités ! Tire-toi avant que je me remette à rêver !

— Mais tu rêves pas, Michou ! C’est moi, Loulou de Mazères ! Tu veux qu’on se parle à travers la porte ? Je comprendrai…

— Tu comprendras rien du tout, mon salaud ! Je me suis pas introduite dans cet endroit pour en sortir parce qu’on me le demande ! Laissez-moi tous ! Sinon je sors mon dictionnaire de rimes !

— Hé bé, justement, Michou, puisque tu parles de dictionnaire, je veux bien en parler avec toi. Tu l’as sous la main, le Petit Robert ?

— Je l’ai sous les fesses quand je suis pas en train de chier !

Se croyant autorisé à ouvrir la porte alors que rien dans le contenu de la dernière réplique de la Présidente ne le laissait présager, Marette commença par insérer son museau de petit chien de compagnie dans ce qui ne pouvait pas être considéré comme une ouverture mais qui en était, selon ce qu’il méditait, le commencement prometteur. Une poignée de merde l’atteignit en pleine tronche, pénétrant dans la bouche qu’il avait ouverte car il s’apprêtait à parler pour demander la permission d’entrer comme cela se pratique encore dans la chanson. L’émanation le dessoula.

— Deux bonnes bouteilles rayées de ma surface ! s’écria-t-il.

— T’avais qu’à pas commencer ! gueula la Présidente. Je veux plus te voir ! Je veux plus être sur la photo ! C’est toi qui sens la merde et je sors jamais bien sur ta photo !

— Mais j’ai encore besoin de ton Petit Robert, ma Michou !

— Je suis plus ta Michou ! Avant de te connaître, je faisais des petites crottes, tellement petites que j’avançais pas vite. Mais maintenant, je m’époumone du cul et je recule dedans ! Tu peux pas savoir comme c’est affligeant ! Et tout ça à cause de toi, mou de la bite !

— Ah m’insulte pas à cet endroit de ma personnalité honorable, Michou ! Ça ressemble à une crotte parce que l’as vue de loin ! Mais si t’approches…

— Tiens prends !

Et une autre poignée s’étala sur le visage en cours de récupération de Marette qui avait de nouveau soif.

— Tu as tort d’être jalouse de ton dico, Michou ! Si tu veux pas le prêter, je demanderai à Olivier de me montrer comment on se sert de Wikipédia.

— Il te montrera rien du tout ! On t’a rayé de la liste !

— De la liste… ? fit Marette en s’agenouillant dans la merde.

La Présidente péta.

— J’ai une liste comme ça, alors… !

Marette ne vit pas à quel point elle était longue, la liste en question. Il tenait fermement la porte pour s’en servir de bouclier et la merde continuait de frapper son visage il se demandait comment. Il songea aux ricochets de son enfance, mais ces petits galets lancés dans l’eau de l’Hers n’avaient plus de sens. Qui viole un œuf viole un bœuf, lui avait dit son père après l’avoir sermonné. Mais il n’avait pas violé de bœuf depuis. Son père s’était trompé, sans doute emporté par cette vérité exemplaire dont son fils était l’exception, mais il était trop tôt pour le savoir.

— En parlant de liste, risqua-t-il dans l’entrebâillement qui giclait toutes les huit secondes, tu pourrais pas regarder si « marette » y est ?

 — Je viens de te le dire, jésuite ! Tu es sourd maintenant ?

— Je te parle pas de cette liste que je m’en fous ! grogna Marette qui commençait à perdre patience. Tu l’as sur toi, le Petit Robert ?

— Tu vas encore me faire faire une connerie que je vais devenir la star de Google !

— Une fois encore, ma Michou ! S’il te plaît…

La Présidente attendit d’éjecter sa diarrhée et se mit enfin à feuilleter le Petit Robert, un peu dans l’insouciance que lui causait l’état d’impérieuse nécessité où se trouvait Marette. Elle espérait que l’édile entendait le bruit des pages, signe qu’elle n’était pas opposée à une petite recherche, mais à la condition que le mot recherché fût parfaitement étranger à toute possibilité de développement médiatique.

— Une marette est une petite mare, dit-elle savamment. J’ai pas besoin de Robert pour le savoir comme ça sans rien ouvrir. Tu veux savoir comment on dit « grosse mare » en français ?

— C’est pas ce que je veux savoir. Pour la marette, je savais aussi.

La Présidente péta plus fort en signe d’impatience.

— Si tu savais, pourquoi tu es venu me faire chier ? dit-elle sur un ton philosophique.

Elle se mit à feuilleter plus précisément. Marette écoutait religieusement.

— Une marette, dit enfin la Présidente, c’est un truc que les américains mettent sur les fils électriques…

— Ça je le savais aussi !

— Mais puisque tu sais tout, pourquoi tu es venu me faire chier ?

Les fesses de la Présidente se mirent à vibrer dans l’embouchure de la cuvette, rumeur interminable que Marette ne trouva pas le moyen d’interrompre. Enfin, le silence s’imposa. Il se mit à l’écoute.

— Tu as trouvé quelque chose, Michou ? osa-t-il couiner.

— Non, rien !

La gorge de Marette se noua.

— Mais alors qu’est-ce que tu fais, ma mie ?

— Tu es venu pour me faire chier, non ?

La voix de la Présidente grondait un peu, comme l’eau des torrents qui grossit.

— Tu viens plus pour déconner ? dit-elle avec la même retenue.

Marette se racla la gorge.

— Je suis pas venu pour te faire chier, Michou, mais si tu veux déconner…

— Qu’est-ce que tu as amené pour déconner ?

Marette gloussa. Il était dépouillé de ses vêtements, pour ne pas dire nu. D’ailleurs il n’avait pas envie de dire nu. Il n’avait plus cette envie.

— Si tu n’as rien amené… menaça la Présidente.

Moi, Rogerius, momos, oussaille ou bateleur selon la taxinomie de Guiraut Riquier, le dernier troubadour, n’ai pas l’intention de jongler et encore moins de rimer, même au plus haut de l’expérience. Je n’avais pas perdu de vue que j’étais alors dans le rêve de Marette et que tout ceci n’avait aucune réalité. L’écrire, comme je le fais en ce moment, ne contribue guère à donner un sens à ce qui, sans être une œuvre d’imagination, n’en est pas moins le rapport fidèle d’évènements dont je suis le seul témoin, en quoi la justice des hommes me taxera de subjectivité, et je ne dirai pas non, conscient qu’à défaut de savoir jouer la comédie ou d’un autre instrument de l’interprétation des œuvres tirées du néant ou du silence, je me tiendrai durablement à distance de cette perfection dont mon ours, si j’en possède un, ou mon bagout, si j’ai quelque chose à vendre, ne sont que les ombres d’une comédie savamment traduite des épiphanies que je ne sais pas trouver mais que je sais reconnaître quand on me propose d’attirer du monde et de l’avertir qu’il n’a jamais entendu ce qu’il va enfin entendre de la voix et des instruments du jongleur. M’élevant encore au-dessus du palais, j’entendis la Présidente dire à Marette « Mais mon pauvre, bien sûr que Chouchou n’était pas là ! Et c’est pas Salvador que tu as vu ! Chaque fois que tu frappes à une porte, c’est celle d’un chiotte ! Tout ceci n’est qu’un rêve ! C’était pas le commissariat ! C’était les latrines publiques ! Et c’était pas la Préfecture ! Mais les chiottes de la Préfecture ! Et si c’était Salvador, c’était pas le moment de le déranger !

— Mais alors, bredouilla Marette, ce chiotte… ce palais… toi… !

— Va savoir ! Tu me fais tellement chier !

— Je sais même plus déconner, alors… ! »

 

Où se conclut le présent chapitre, par l’énigme non encore résolue du pipeau et de l’âne.

Un tel personnage, œuvre de l’imagination satirique et non pas construction élaborée avec les fragments d’une réalité perçue à travers l’écran d’une documentation forcément engagée dans le sens qui finit par lui en donner un autre tout aussi dénué d’au moins les accents d’un apophtegme tenant plus d’une pratique mnémotechnique que de l’usage indiqué du coq-à-l’âne considéré comme un excursus réfractaire à toute idée d’astreinte au temps, peut se réveiller de son rêve suite à de telles considérations narratives auxquelles la chronologie des faits, elle, n’est pas étrangère. Je mesurais, de là-haut, sciant la nuit de mes fausses ailes, le risque que courait ma flânerie critique si je ne trouvais pas le moyen d’alimenter la berlue de ce pétainiste en herbe d’un recours à ce que j’ai déjà appelé mon texte, roman somme toute fabuleux où la chronique s’est perdue pour laisser toute la place à ce qu’il convient désormais d’appeler gnosie plutôt que sens car, comme on l’a vu, contrairement aux autorités judiciaires, lesquelles ont elles-mêmes perdu leur sens de la justice et l’esprit des lois qui va avec, je ne pratique en aucun cas l’interposition du dictionnaire, aussi futé soit-il, mais, chaque fois que cela est possible ou est rendu possible par mon propre sens de la réalité, le sens des mots tel qu’il se trouve ailleurs et particulièrement ici. Irrité au plus haut point, cet espace dans l’espace où tout est possible y compris l’assassinat, je vomissais sur les toitures du palais et le vent, par bouffonnerie objective plus que sous le prétexte qu’il fallait encore me dissimuler afin de ne pas exposer ma construction aux malveillances du personnel exécutif, portait mes excrétions dans le chapeau de la tour où dormaient de paisibles tourterelles du sommeil qui était aussi le mien. Une goutte suffit. La pierre n’y entend rien, pas plus que l’herbe de ses pentes et de ses chemins. Mais sitôt qu’une d’elle eût touché l’œil de Marette, tandis qu’il commençait à y voir plus clairement, le rêve reprit son empire sur ses facultés cérébrales et, trébuchant au retour vers les allées où il savait qu’il retrouverait sa petite voiture, il croisa les dilapidateurs de son apparence, eux toujours en liesse tournoyant au rythme des essayages et des partages déchirants, demandant, sans se soucier du voisinage qu’ils disposaient ainsi à la plainte et à l’intervention de la force publique, s’il avait bien chié et si la compagnie en avait fait autant pour sa pomme, leurs cerveaux percevant mon rire coureur d’autres jupons au croisement des lits que je visitais dans l’espoir d’y trouver autant de débauche que dans le spectacle qu’ils donnaient à Marette pour en faire le sujet de leur performance. Nous arrivâmes ensemble sur la place, eux tournoyant sans cesse, Marette pris au jeu du voyage sans retour et moi dans l’air de la nuit, que je sentais complice comme si j’en étais l’auteur, mais aussi rebelle, car elle me fuyait et je ne l’en aimais que plus !

Sous les arbres, ils avaient l’air de danser parce qu’ils étaient joyeux et Marette, qui cherchait sa voiture des yeux, picolait à leurs bouteilles, lesquelles semblaient se multiplier ou bien c’était le nombre de ces oiseaux bavards qui augmentait au fur et à mesure que je m’élevais et qu’il m’était de moins en moins facile de distinguer le vrai du faux. Cette fois, un véhicule assourdissant les sépara. Ils s’égaillèrent. Et bientôt, on ne les vit plus. Entre les arbres, je pouvais voir Marette en tenue d’Adam, le cul souillé et le verbe haut, brandissant l’arme de son flacon pour déclarer qu’il manquait de munitions et que c’était la seule raison de sa reddition, procès dont les flics avaient du mal à comprendre le sens caché, si sens il y avait, ce dont leurs faces incorrigibles semblaient douter. Je descendis à la hauteur que jamais perdrix ne se risqua à jouer contre le sort qui la guette malgré l’hypertrophie consolée de son rire. Les lampes torches balayaient les feuillages et revenaient sans cesse au visage boursoufflé de Marette qui évoquait de vieux souvenirs, mais dans un langage tellement dépassé que les poulets, de récente extraction, n’y comprirent pas un mot, se doutant que l’individu avait beaucoup de choses à dire et sachant que le lieu et l’heure étaient mal choisis pour en faire le tapage. Au bout d’une minute de cette hésitation bue naguère par eux aux sources d’un mauvais emploi du temps scolaire, les trois torches immobilisèrent leurs faisceaux sur la gueule grimaçante de Marette qui, ayant l’intention de retourner ses poches, comme il retournait quelquefois sa chemise, ne rencontra que la chair boueuse de ses flancs, consistance qui provoqua en lui un éclair de perplexité, les doigts explorant la texture ainsi rencontrée à un endroit où le cerveau savait que ce n’était pas sa place et que si elle s’y trouvait néanmoins, l’explication ne tarderait pas à l’illuminer et par conséquent à animer le visage de Marette, déjà enclin à répondre sans que personne ne l’eût interrogé, d’une expression peut-être savamment, mais le mot ne pouvait avoir d’application certaine dans l’esprit de ceux à qui il se rendait, et moins encore de sens dans ce qui finirait par ressortir de ses explications verbales, élaborée aux confins du recul inspiré par la puanteur et du rictus imposé par les glissements, les capillarités, les décollements et autres physiques de la merde. Il était donc, au sens propre du terme, insaisissable.

Ils l’acculèrent. Un arbre servit de poteau, le flanc d’un véhicule parait à gauche selon leur point de vue triangulaire, et à droite les feuilles répondaient à mes tourbillons, ce qui ne manqua pas d’intriguer un de ces esprits peu faits pour en conclure, moment d’échauffement mental qui ne parvint toutefois pas à la fusion et ne communiqua donc rien de ses atermoiements aux deux autres qui lui demandaient de tenir sa torche droite ! On en était là lorsque l’âne parut.

Encore que se présentant de cul, les vaches privées des deux oreilles, ornement à eux habitué, n’y virent pas même un cul, se demandant ce qu’une queue faisait à cet endroit de leur citoyenneté, et braquant les feux de leur lumière sur cette apparition qui n’avait à leurs yeux ni sens ni autre chose, ils élevèrent la voix, tous sur le même ton, tandis que Marette sortait son pipeau de je ne sus où. Un pipeau à trois trous dont il ignorait sans doute les fonctions, car il n’en fit pas usage. S’il les boucha, ce fut pour employer tout l’air qu’il communiquait au chalumeau, n’en rien perdre une fois expiré, qu’il sortît sans perte d’énergie à l’autre bout qui était un pavillon étroit ressemblant au fruit du chêne. Je le vis alors se précipiter sur l’âne, un long ré ou mi bémol striant la nuit et me cassant les oreilles, tandis que les roussins s’écartaient comme une paire de fesses qui vient de projeter le fruit de ses entrailles (cela fait donc bien trois) et que l’âne, peut-être tout occupé à brouter dans un vase, était loin de se douter que le pipeau de Marette lui était destiné.

Ici prend fin, comme il en est toujours de ses rêves, le sommeil qui m’a inspiré ce texte transitoire venant tout juste, ne l’oublions pas, d’interrompre le cri qui ameuta toute l’auberge et en précipita le contenu alarmé hors de ses murs, nous voici courant qui dans l’escalier, qui entre les tables qu’on desservait, poussés à la fois par la curiosité et par l’angoisse, n’ayant, au moment où commence le chapitre suivant, qui sera le quatrième, aucune idée de la nature de ce cri ni de son origine qu’il eût été à ce moment-là bien prétentieux de qualifier d’animale, car nous n’en savions rien, et Marette n’avait pas fini de s’approcher de l’âne et de ce que celui-ci présentait à ses intentions pour le moins obscures, car qui, muni d’un pipeau et ne sachant s’en servir pour égayer les sens, est plus difficile à comprendre que celui qui, vraisemblablement, s’apprête à le faire à l’encontre de ce qu’il faut bien appeler un anus, car autrement tout le présent chapitre n’aurait plus aucun sens ?

 

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