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Un grand malaise
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 Article publié le 17 mai 2014.

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Ambiance lourde, dans ce vide même.
Un désert ? Une chambre d’hôtel ? Une cabine de bateau ? Une cellule ? Un lit mal bordé ? Une foule nombreuse ? Un plateau de télévision ?
Va savoir.
Va savoir ce qu’il se passait dans cet esprit-là, ici enfermé en lui-même, dans l’ici de sa station, de sa séance ou de son alitement.
Délitement, allaitement ? Réclusion volontaire, involution ?
Le lait bleu des eaux, le lait noir de l’aube ? A quel sein se vouer ? Telle semblait être la question qui infusait dans sa prière muette.
Va savoir.
Peut-être revivait-il toutes les époques sombres et lointaines de sa vie, soudainement proches. Mais pourquoi, pour en faire quoi, et de quel point de vue ?
Cerné de peut-être étrangers, d’hypothèses hostiles, investi, envahi par l’étrange, et avec cela comme digéré par des pensées malignes insondables, inaccessibles, des pensées impersonnelles bien à lui, sui generis, impénétrables, folles en un mot.
En un mot comme en un seul.
Comme en linceul.
Un seul mot oublié, et c’est toute la chaîne du sens qui s’effondre sur elle-même, pulse sous les gravats de la masse amorphe d’un corps devenu de pierre.
Il semble bien.
Où menait donc l’enfermement de ce corps replié, ramassé sur lui-même, prostré infiniment ?
Enfermement volontaire, paranoïa, impossibilité de communiquer avec l’extérieur, avec l’étranger, avec l’étrange poussé à son paroxysme d’énigme impersonnelle ?
Comment savoir ?
Il eût fallu pour cela qu’une personne en lui fît encore signe, fît preuve de bonne volonté en accueillant sensations et sentiments et manifestât quelque chose de l’ordre de l’humain.
Délitement en lui de la préposition-phare, cet " avec " malséant, cet " avec " qui ne convenait pas, ne lui inspirait que méfiance et dédain.
" Avec ", ce phalène, cette escarbille incandescente disparue dans les airs qu’il se donnait, et qui brûla nos yeux longtemps encore après qu’il eut disparu.
On en était là.
A l’état végétatif ? Aucune floraison à l’horizon de sa mise, aucune germination visible, aucun pollen flottant dans l’air, mais une allergie certaine, une envie de vomir de tous les instants.
De pierre ? C’eût été bien commode. Mais non. Des fluides le parcouraient, des soubresauts sortaient de lui, retombaient, le secouaient à intervalles irréguliers. Un rocher ne fait pas cela. Il sait se tenir.
Un humain donc. Rien qu’un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous ?
La formule est commode, mais elle ne touche pas sa vérité propre, cette espèce d’impossibilité qu’avait sa peau d’entrer en contact avec d’autres peaux plus claires ou plus sombres.
Quand il fut donné à Dieu de parler pour s’expliquer, là, dans la chambre capitonnée, une musique se mit à résonner. Elle émanait de sa peau. Un halo entourait le corps radieux. Un sourire enfin.
Corps de Dieu en souffrance, abandonné des siens. Délié, malléable, livré à lui-même. Toujours la même vieille chanson, la même rengaine éculée prompte à tonitruer ses inepties, ses horreurs et ses mensonges éhontés.
Les personnes présentes en furent saisies. Médecins, avocats, policiers, hommes de loi, hommes de la rue et de la scène ?
Va savoir.
Quand la folie rôde, difficile d’y échapper.
Folie contagieuse, folie emboîtée, enkystée, virus en sommeil qui se réveille, noir désir catapulté dans le corps des autres.
Il se prenait pour un envoyé de Dieu, appelé à juger de tout, mais les mots lui manquaient pour dire ce qui l’animait au plus profond et qui était sans droit, aussi restait-il coi et inquiet dans le même temps, s’accrochant à sa pauvre foi, lui, l’être sans feu ni lieu, le banni, l’exilé, le nouveau converti ?
Va savoir quelle géographie intime le tenait sous sa fascination.
Il lui fallait un jargon, un modèle d’explication à suivre, une route sure, un abri, une cheminée, toute une maisonnée pour donner de l’élan à ce qui couvait en lui depuis des années.
Il brûlait. C’était un feu sournois, endormi sous la cendre des jours.
A défaut d’y comprendre grand-chose, il se faisait petit, tout petit.
Jusqu’à imploser.
Sa folie meurtrière ne se manifestait qu’en de rares moments de rage verbale. Il écumait, éructait, se laissait aller à dire l’abjection de sa condition, la retournant contre l’assistance médusée, ravie, hystérique. Les mots alors ne lui manquaient pas.
Contagion, feu rampant de la haine érigée en système d’explication.
Sous les feux de la rampe, sa folie éclatait.
Radieuse, solaire, époustouflée par sa propre audace, mais froide et glaçante, sujette à de ces écarts malsains qui plongeait l’assistance dans un bain d’abjection.
Bain de rires gras. Immondices. Entre nous soit dit. Quel bonheur !
L’assistance n’en demandait pas tant, s’essayait à y croire, y croyait enfin, interloquée, séduite, bavarde, mais réduite à l’état de voyelle muette dans le grand n’importe quoi de son délire collectif.
Mais cela n’avait lieu que de loin, de très loin, dans l’omniscience de sa pensée enfermée, dans l’absolu claquemuré de sa béance froide. En attendant, son corps restait replié sur lui-même, prostré infiniment.
Comment un être parvenait-il ainsi à se dédoubler, à mener une vie sociale et publique hérissée de scandales, tout en étant aussi enfermé en lui-même, pour ainsi dire mort aux autres, mort à lui-même ?
Nous étions peut-être les témoins de l’impossible fait homme.
Un homme mal dans sa peau que les contradictions n’étouffaient pas, en qui germait le lent projet d’en finir avec tout et avec tous, jusqu’à tuer le sens de ce petit mot " avec ", avec lequel il ne pouvait composer qu’en faisant l’unanimité sur son nom.
Un étrangleur pris de convulsion qui voyait ses mains tomber en poussière, confondant de proche en proche, pour ne pas mourir, son corps singulier avec la masse joyeuse de ses fidèles de la première heure, eux-mêmes hostiles aux autres, étrangers à eux-mêmes, unanimement haineux.
Lente asphyxie du sens, érosion des sens, perte de la raison au cœur même de la raison raisonnante.
Indécence.Apocalypse de la raison apocalyptique. L’esprit qui plane sur les eaux.
Pas de plongée en apnée dans le divers, le louche, l’abscons et le retors, mais au contraire des poumons de corail, des élégances d’algues vertes et rouges ondulant au gré des courants, des floraisons visqueuses et urticantes en guise de seconde peau, des bras et des jambes de poulpe, un torse et une tête perdus dans le grand vide ultramarin.
Guerre intestine, incestueuse.
En vouloir à ce point à sa mère de l’avoir mis au monde, refuser avec l’énergie du désespoir de ne pas être le seul et l’unique dans les eaux chaudes de son ventre, pour cela faire de la terre-mère un enfer.
Et tuer le père, se prendre pour l’envoyé de Dieu, le serviteur zélé d’une cause imaginaire, enrôler des apôtres, partir en croisade, exploser de haine et finir seul au milieu denulle part.
Mais qui parle, qui parle encore ?

Jean-Michel Guyot
26 janvier 2014

 

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