–alors à ce moment, la
ville était effondrée sur elle-même, comme un
sac affaissé, alourdi par moi et mon bonheur.
Walter Benjamin
Au « chasseur »
- Mon affaire, mon immeuble, la métropole
[…] c’est là que j’avais établi
ma vie, vie intensifiée, provoquée-tensions, extraits ! Rester près des
choses, les reconnaître avec exactitude et les faire éclater. Fontaine
jaillissante de faits notés, de détails étudiés, que je catapultais.
C’était ça la vie. Et ici sur le terrain, dans la dureté de l’espace. -
Gottfried Benn - Le Ptoléméen.
I
L’hiver est la saison infirme, nous avions
Plein nos poches des billets d’entrée pour nos mains
Et le vin des regards dans les yeux. Nous roulions
Sans corset ni abri pour briser l’abandon ;
Toute neige est lisible comme dit Plotin.
–« Je cherche en
ce moment ce qui nous amusait
Dans la conversation pendant que nous glissions
Sur un printemps probable » Et
voilà que déjà
Les gens dépêchaient leurs vies vers les bureaux
Et les estaminets, comme on disait hier. Une foule
Se presse vers les gares –« On
va l’rater chérie,
Fais fissa » –« Nous
songions à cela afin que s’en exprime
Un éclatant prodige » On en entend
de belles !!
Et les encombrements sans pensées, les vitrines,
Le mot pour la ville. La chaussée s’émeut
De pas qui disparaissent pour laisser des traces.
Noël est en route, le ciel est un renne –Dis
moi quel cadeau
Faire à un escargot, alors qu’il a tout ça et sans
contrepartie ?
Le pavé est immense dans la mare obscure
Des pensées qu’on dit vraiment insignifiantes.
–Comme je venais de m’asseoir un
moment
Dans le métro pour t’écrire : j’ai
dit ma chérie,
Parlant tout seul et fort et m’en suis aperçu
Bien après, et à cause des regards des gens.
Qu’ai-je bien pu te faire que tu me tortures
De ne pas m’écrire ?
Je prends à la lettre
Même tes silences. La neige recouvre de son blanc
profond
La raie du jour qui court et va s’amenuisant.
Tout seul disais-je, et contre moi, parmi ces gens,
Tout le langage humain. L’hiver prend ses béquilles
Ce sont nos pensées plus noires que de l’encre
Sur la feuille dilapidée du sycomore.
La foule, de ses pas, fabrique des fantômes,
Des ponts mortaisés à des chutes d’élans :
Des vagues incapables de hennissement.
Les terribles loisirs
que ton amour me crée
Paul Eluard
II
Ne dégoisons jamais sur ces inconvénients
De ne pas nous comprendre. Les toits de la neige
Recouvrent le sol de la chaussée luisante
Même de la chambre. Le parquet ciré
Est un chant de sirène : l’envers
du mourir.
Des femmes s’apprêtent pour la nuit, musique
De pas travestis en flocons efflanqués
De minces hauts-talons noircis de profondeur
Qu’on pourrait qualifier avec un grand bonheur
Comme le fait Boccace pour la description
De son Demogorgon(dont parle
Coleridge) :
De vestitod’unapallidezzaaffumicato.
Je vous dis
Que tout hiver claudique comme un ours en cage,
C’est un baiser froid sur le museau d’un phoque.
–(Il décrit
un poème assis sur sa banquise)
Une image et rien d’autre.
Le lit n’est pas fait, la chambre s’est vautrée
Sur son confort de ruines, ses draps encombrés
Par de sales pensées. Un ventre de commode
Est plein de manuscrits comme de vieux jupons :
« Ces feuilles de Printemps ».
Quelle odeur rôde encore
De ce blond vénitien qui bouclait dans le bas ?
Et de ce souvenir qui tache la blancheur
Ombreuse d’un prénom de derrière un miroir
Où ronronne une chatte ?
(Où se mirer
de dos, est la bibliothèque gonflée de volumes).
La lampe d’Aladin fourrée au frottement
De l’imagination, reluit sur le papier.
–On dit que dans la ville rôde des
renards
aux pattes d’incendie :
« –C’est façon de parler
des filles
des quartiers où l’urine parade,
et où
la boue des rues leur salit les chevilles
qu’elles font
flotter les soirs de « faut bien
vivre ».
Les landaus font la manche dans les corridors.
III
–« Si
ton corps remplissait la page de mes jours
Comme une boite de Conserve-Danaïde
Je l’ouvrirais avec un vicieux ouvre-boîte
Et je dévorerais le contenu, léchant
Comme un chien ta peau brune et musquée de
gitane
Qui part sur les routes. Mais je ne lèche que
Les routes t’écrivant dans le métro des mots
Que tu mets à sécher sur le fil de la ligne. »
C’est ce qu’on entendrait aux heures d’affluence
Après avoir un peu gaffé la secrétaire
Du bureau des douanes.
(Celui de ce
poulet qui fait le coq en pâte sur toute la ligne)
–« C’est pas
bien, pas nature, ces perversités. »
La ville retentit de ce mea culpa qu’on veut
légiférer.
Il y a des guirlandes plus que fallacieuses
Pour la noche du nouveau-né qu’a
fait son temps.
Le commerce a des mocassins en peau de rennes
avec des certitudes-coton
hydrophile
Pour singer la neige et feindre le Saint-Sperme.
que de
suie, de fumée, se donne la lumière
Un mendiant prend des poses comme un régiment
des fantassins d’la dèche, dans
« le flot des
clients ».
–Notre nuit qui déferle nous
achèvera– chante papa Noël.
–« Allez
laisse-toi faire tu en meurs d’envie !!
Comble-moi ma chimère prends-moi dans ta grotte,
Imprime tes deux mains sur ma paroi rupestre !!!
Le dur laborat de mes résurrections
Est plein d’initiatives »
Passent les véhicules des âmes sans âmes
Et sur les étagères des dictions de spectres
Aux yeux de mimosas en fleurs, des scènes de
Pastorales risibles, des chemins de fer
Qui passent des abîmes de papier mâché
Avec un chef de gare et des femmes à barbe
Sous des capelines de l’ancien régime. Vont des
voyageurs
Des faux et d’autres vrais qui sont tout aussi faux ;
Et les stations service puissance de l’art
Du paysage urbain, sérieux comme un pape,
Guettent le client : tu la craches
ta« Valda ? ».
Autour de Dieu tout devient quoi ?
Peut-être « Monde »
C’est le
nihilisme seul qui est constructif. Car le nihilisme est le seul chemin
qui mène son homme à s’installer dans la chimère.
Jean Dubuffet
IV
–« Seul
filant ma chimère dans ce lieu de pierres
Où retentit l’orage aux jambes de déesse
(J’entends
mes paroles).
Un monstre fait de roses
Construit ses épines selon sa méthode
Et se fait de l’abime un ciel à sa mesure :
Un petit raclement d’échos dans la montagne
(« Ce
mot me sourit pour accoucher d’un lieu »).
Voilà ce qu’on entend : un petit
monologue
Un rien, lézard de phrase sur le sol failli,
Et sec comme la soif d’un os parmi les herbes.
–« On
ne peut estimer que celui qui jamais
ne se
cherche lui-même »–
dit Goethe à Schlosser.
Une voix prend sa faille à témoin qui s’écoute
Interpréter la partition du dangereux.
Quel torrent cet exil de soi dans le rugueux
Et la gaie solitude aussi bourrue que l’air
Qui circule, et les arbres minces et la lune ;
Le réel entier dans le rêve et le rêve
De ne pas rêver. Le torrent prend visage
Entre les noirs rochers, de quelque colporteur
D’un message sans injonction, que ce bruit blanc
Qui contient tous les sons. Le corps se désaltère
À la soif de ses pas. La machine à écrire
Au sommet de midi clave des doigts aux mots.
–« Seul
filant ma chimère dans ce lieu de pierres »
–(On voit
beaucoup de beaux hameaux sur Mytilène ;
Avons mouillé dans la petite baie de Mytilène–).
–« Je danserai
le tant à telle heure sur le thème
« À chacun sa chimère »
avec la compagnie
« Langage desviscères »,
nous a-t-elle écrit,
–et j’espère en votre présence–
Cassandra ».
La réponse fut telle : –« bien
sûr nous viendrons.
–Notre
chimère est cet évier avec des ailes
et aussi
en métal où pousse le noly
elle est
le grand siphon du sourire et le plâtre
tombé du
plafond. Voilà notre chimère :
les dents
du bonheur et le bandage antique
au visage
du rêve ; est rouge comme un roc,
est ombre
sous le roc ; est parapet de soi
et couteau
sous la gorge pour que soit le chant,
pour que
l’os de la mort
y morde
à belles dents la roseraie du sang. »
« Les portes mauresques sculptaient
des prodiges
Noirs et le fond sombre se creusait d’étoiles. »
Le lieu vibre de grâces lourdes, de senteurs
De bas fonds. Quelque part quelqu’un s’est arrêté
Pour humer sa présence qui est d’impudeur :
Son sexe prend la mouche et se drogue de vie,
Dans le sang de l’étalagiste, sur les baies
Qui rougeoient dans les détritus, les doux gravats
Sur leurs grabats défaits. La communication
D’un esprit solitaire avec lui-même,
Hawthorne
Cite ici le lieu où coule son propos.
–« Seul
filant ma chimère dans ce lieu de pierres »
La ville a oublié dans l’herbe sa capote et le
Cagliostro
D’une publicité.
Accoudé à la poussière des mots, un poète
Se repait des graisses de Byzance, tout
entier
absorbé dans
l’artifice éternité, il écrit
Sur la nappe : voir ton
pli secret ;
Sa bouche frappe sur son verre qui se fane
Dans sa transparence, comme sur un mort.
Une consommatrice, au bar, boit son vermouth,
En décroisant les cuisses pour que les mots passent
–« Mis à ma
hauteur », pense l’Orphée du bar
« que mon
corps se raidisse dans ta loge à bail »,
S’affame la plume accoudée à ce nu
Féminin de la ville :
quelqu’un lève un glaive,
Pour porter un toast au tableau de Beckmann.
La chimeuse du bar, haussée, chaussée de chair,
Décroise et croise un ciel potelé, fait crisser,
Deviner la venelle étroite, fait tinter
D’étranges cuivres grimaçants, un singe roux.
Il écrit en piquant dans les pickles. Au bar,
Le barman louche un peu sur ce client qui,sûr,
Reluque Irma et lui écrit un mot cochon :
–Portez ce p’tit poulet
d’papier à mad’moiselle.
Mais l’écrit déchiré met les voiles du bar.
Le barman est déçu qui est un peu poète :
Le sens qu’il voyait poindre, a foiré s’est tiré.
– « Le génie s’est levé pour
s’bigler dans un’ glace »
–« Une occasion
perdue ? m’en allant par
les rues,
Marche et déboule et va, m’y range comme un chien,
Et cris et voix des Ophélie, de porte en porte,
L’idée était fragile comme un vase étrusque ;
Et son parfum vulgaire et chaud, un corridor ?
L’idée qui s’est cassée a roulé sous la table
En confetti sans fête, ce qu’on voulait dire,
L’écriture et moi, étrusquement qui foire ;
Une occasion perdue ?
La poésie qui rame
Entre ceci, cela, l’idée qui se raidit
Devant ce que l’œil voit ;la
poésie c’est du
Poulet comme mon cul,
en rythme s’il vous plaît.
Ses jambes écartées studieusement, la ville :
Un parfum d’occasion. »
Un sac au pied d’un arbre, on dirait les contours
Embrouillés d’un visage ou bien ceux d’un nuage.
Une personne ouvre le sac, sort un visage,
C’est toujours un arbre, un poignet qui se plonge
Dans le contenu invisible du sac,
Une chanson pas loin qui met la ville à sac
En passant par les portes pleines de moteurs
Que l’on a peints en rouge et collés sur les murs
Avec un point final, mais pas définitif.
Un homme est essoufflé qui a des mots pressés
De rentrer dans le sac de sa biographie,
Il marche lourdement, il va parmi la foule
Dans ce lieu commun. Le sac est lourd, serait-ce
Buridan qui bouge à l’intérieur du sac ?
Est-ce un colis suspect ?
Pense-t-il : c’est l’époque.
Un music-hall s’affiche lavé par la pluie
Qui tombe comme un arbre, et le plan de la ville
Tout le plan du ciel tricoté au crochet,
–Merde c’était l’idée !!
Quelqu’un s’est approché
Du sac au pied de l’arbre pour fouiller dedans
Et chercher quelque chose qui soit la rosée
D’une aube, une autre nuit, un autre accouplement,
Une barrière blanche une ligne où aller :
Car se mettre le sens à dos le rajeunit.
–Merde c’était l’idée !!
et je l’ai déchirée
« Cette feuil’ de papier
est un’ propriété »
A écrit William Gass.Les pigeons sont le thé
De l’hiver qui piétine et poudre le commerce
D’un alléluia qui montre ses béquilles.
Des épouses superbes les bras encombrés
De ne plus en avoir que pour cacher leurs seins
Ressemblent aux vitrines. Une propriété.
–Sois en accord avec des chevreaux
qui seraient
Les feuillesmétissées, bronzées, des marronniers ;
Déguste le ciel bas de ta couche flûtée
Des plis de l’Eurotas.
Le jardin au moment des roses de la pluie
Se remplit de salaces odeurs d’héliotrope
Et monte en échalas où le verbe suppure
En preuves de la chair –« Enfuis-toi
à Carthage
Où chantent les chaudrons, rentre dans le bouillon
Car c’est là que boue l’âme, le champ du
possible
–Et toi l’prêcheur d’Hippone !
garde tes conseils
Pour te les foutre au cul » dit une
voix tout près
Perchée sur l’acacia flexible d’une antenne.
Des échecs, des échelles, leur petit Jacob
Observe le zeppelin qui ballonne le ciel
Et brouille sa confiance pour le prodiguer,
Ne sachant, en sachant, que les mots sont les cendres
De cet imprudent d’Elpénor que disperse
Circé au teint rose.
–« As-tu
rencontré un nuage disons
Transparent et si clair qu’il ne semble ni brume
Ni ombre, un mot seul qui soit un pont, un toit ?
Et reste sur le toit ton rêve entre deux
âges
Tout en déjeunant et
monte entre tes coudes
En ordre de chaos, à la seule lumière de tes cendres.
Pour au dernier moment voir une queue plissée
Se déployer en gloire d’un antérieur rose. »
Chantent les oiseaux
Les choses sont en foules, l’air et la chanson ;
L’aveugle a traversé la rue dans un murmure
–« C’est gentil
à vous », sa canne heurte la neige
L’air et la chanson tâtonnent, tant de gens
sur le pont de Clichy.
Des hommes, des femmes qui marchent, qui parlent
Qui rient quelquefois, ou marmonnent tout seuls
Mais ils marchent, parlent, rient et jurent
Comme des fantômes. Le soir c’est King Kong
Qui frappe aux fenêtres.
–« Bon voyage »
entend-on –« Bon voyage !! »
Dans la salle de bain, se coupe en se rasant :
–« Où as-tu pu
fourrer mon gel pour peau sensible
Cronide barbu ?
Une main féminine
Te tient par le poil, comme elle j’implore
Ta divinité. » Le miroir embué
creuse son territoire
Sur cette peau d’en face où il passe des trains,
Où le sang a jailli sous la lame tranchante
Des hordes cosaques de ce tremblement
De la sénilité. Récite le début écumeux de Lucrèce
Où le clinamen Aphrodite décline
Ses lettres-atomes latines, se sèche
Parmi la vapeur aux capes imprévues.
Se sent comme un autre homme :
Et comme « au
point-repos du monde qui tournoie ».
Ce confetti, ce monument de soi est restauré
Pour toute la journée ; sort de la
salle de bain
Avec ce perpétuel fluide, un air
frisquet
Qui le fait frissonner : –« me
ferai-je une raie
Partagée sur la nuque ?
puisque tout se donne
partout et
toujours à voir à entendre et à respirer
et ne
cesse d’exciter nos sens ».
Et sort, soudain piégé par les yeux d’une femme,
Se souvient du poème dans Les fleurs du mal
« À une passante »,
et s’écarte d’une voiture juste à temps.
–« Ce n’était
pas écrit » ironise un passant
Delphique comme un tract (qui conduit une chèvre
En forme de caniche). Se souvient du regard
Qui disait : la vieillesse est
touchante et charmante.
Le velours Croate de ses yeux revient
foudroyante pitié.
A noté le poète un 31 décembre Dunja,
mon feu clos.
Des pas, Mais le passant passe et le ciel
féroce
Reste sans orage.
V
La ville est une partie d’échecs dans les villas,
Et dans les chambres de cartons, pas de feu
Éclairant les décors, les consommables.
–« Je
peux dire oh pourquoi dors-tu car le ciel
S’est séparé de toi et que la terre a fait
De toi un étranger je parle du ciel sur la
terre. »
–Il tend la main qui a parlé, ni
roi ni reine, ni
Un simple pion gelé par la persévérance.
Alors vint là quelqu’un qui d’un geste posa
Sa main sur son épaule vaste terrain vague
Encombré des débris de son humanité,
Et versa son obole comme une réponse
Au sphinx inamovible de Memphis.
« Ô toi dont le visage est devenu
la face
Du vent de l’hiver »déclame un
corbeau,
« Tu t’es fait ton hiver, tu
crèches sous Saturne ».
Dans des combles, son joint en main avec un livre
Sous un allogène puissant, lit défait :
–‘quelle
auréole pour Lamia ?
quelle autre pour Lycius ?
quelle pour
le savant ?
Le Vieil Apollonius ?
sur le
front douloureux de Lamia que l’on pende
des feuilles
de saule et un dard de vipère’.
Les jambes étudiantes, suaves pipeaux,
Miment les caniveaux. Flaireurs les chiens se tendent
Vers les urinoirs fantômes des maisons.
C’était près de la Seine, un gnon, et puis un gnon,
Puis un corps étendu comme un linge mouillé ;
La colonie des rats, l’odeur sale des ponts.
–« La ville… »
dit quelqu’un« est devenue »… le son
Se perd dans le passage avec les nymphes pâles
Du fleuve vineux charroyant ses flacons
Et ses clacksons graisseux et ses relents cambrés
Comme des sortilèges. Des feux chatoyants
Passent sur les péniches, l’œil des amoureux
Pétris d’adoration.–« Des
ombr’s’ tripotaient
J’les lorgnais mais macache, c’était comme deux mecs
Mais j’en étais pas sûr, c’était un peu barjot :
Le froid me les gelait, je n’pouvais pas bander,
J’ai vu passer comm’un’comête, un rat panat ! »
Des boites sur les quais avec des noms, des corps
La ville perd ses membres, les jette à la lune
Mon ami Pierrot porte un nom suranné
Et sur les bateaux Mouche à tour de bras ça chante :
« Voir
Paris mon cœur ma chère Miss Gordienne »
Et des verdures pissent le long des quais noirs,
Les grands magasins trichent sur l’emploi du temps
Des choses, des lumières.
Et la conciergerie, les seins de Notre-Dame,
Se rongent de manquer d’un rien d’éternité ;
Un ongle de lumière incarné comme un cor
Sonne son hallali rapide et chassieux sous
La coupole du soir, demain il fera jour !!
Et c’est comme un regret des rives siciliennes,
Le cruel bon temps, celui « qu’est
dans la Seine »,
Sa crue est : Demain.
Le flot bouge son attirail de baïonnettes
Dans les yeux pleins d’ombres qui longent les quais
Comme des poissons morts, présageant ce demain
Dans un bruit de moteur marin et d’odeur verte.
–« La ville nous
enserre dit une étudiante
prends-moi dans tes bras et
serre-moi plus fort
j’ai un petite trouille on dit ?
ou les chicottes ?
le Mouche elle est perfectmydear,
je veux chez nous. »
Les lumières se précipitent dans la Seine
Sans pouvoir couler au fond où sont les ombres
–« Quand on
pass’ sous l’pont j’ai comm’un p’tit frisson
qu’la pierre a nous écrase »
dit un garçonnet.
La ville est silencieuse comme les silures
dans les draps du fleuve –« dit
pas n’import’ quoi
ça gueule de partout »
–« je parle des choses,
L’air de la chanson ».
VI
–« Ton corps est
un hôtel dans les draps,
l’écriture drapée de mon désir,
l’hiver
Est la saison des draps »–
(lettre trouvée froissée dans le
Compartiment) Elles
disent je t’aime à leurs portables,
D’un pouce amoureux : c’est doudou
à dada.
–« L’autobus met
du temps, je peux pas te parler
à cause de… trop long ?
oui je disais… j’te laisse
j’srais rentrée pour midi. »
« Pour
vivre dans le bruit du monde sans souffrir
Il faut entrainer le plus de gens possible
Dans ses illusions »,
dit à peu près le type du roman de Roth.
–Barman voulez-vous bien me
montrer cette image
Prise entre le cadre et la glace du miroir ?
–Ha, Monsieur veut-parler de la
carte postale ?
Une vue de Megève, un souvenir d’hiver,
V’pouvez vous la garder,
m’l’enlever d’la caboche :
Cachait l’crottin des mouches !
« La réalité qu’on regarde prend la
place de l’image »
« On ne peut chercher que dans un
espace,
car c’est seulement dans l’espace
que l’on a
une relation au Là où l’on n’est
pas. »
Une circulation littéralement folle, des cheveux
volants
Des cuisses conquérantes nonnes sur des corps
De diablotins femelles, parfums orientaux.
Des cris à gros sabots : la
paillarde me suit…
La pollution des mots dans celle du brouillard,
chacun bien
s’entresuit continue la chanson
De ce pauvre Villon.
Les écrans s’illuminent pour l’information.
Voilà pour qu’ils se pressent, le foot, les journaux
Télévisés du soir, la famille en déclin :
Oh la bonne nouvelle !!!
La Seine a coulé
Son bronze sous ses jupes, on prévoit une crue
Sous le pont Mirabeau. –« Le
mec assassiné
C’est toujours un poète, donc son assassin
Qui titube de joie dans la neige et le froid »–,
Pense en silence l’homme qui prend le trottoir,
Glissant et miroitant, pour son attaché-case.
Sur un mur, est écrit tagué en rouge vif :
Attention la prostitution est menacée.
VII
–« Grise
mon ami est toute théorie
Et vert l’arbre d’or de la vie »
La foule se précipite vers la réussite
Couleur de l’asphalte ou d’un œuf de guenon
Ce qui ne veut rien dire que la réussite
–« Tu la crach’
ta Valda ? Les clacksons
manifestent,
Les coqs de la ville en rut zieutent les poules
Qui font les trottoirs avec cette innocence
Des bonnes pondeuses snobant les bruyères :
–« La chasse aux
perdrix fait se lever les choses,
Rendues plus visibles et plus réussies ».
Le gai passant flâneur avec son carnet d’or
Son « lutin »
acheté dans quelque monoprix
Passe au vert qui sifflote. La roseest la
chute
amirale des
chutes, est la définition de la vie,
Pense-t-il à écrire, le scribe aux yeux
verts !!!
Et traverse le vert, frôlant des
barbelés
Langue tirée au clair comme les
amoureux
Qui traversent les clous : « des
faînes de Judée ».
Les machines de l’air écrivent dans les arbres ;
Et dans le beau sourire ailé de la passante
Qui est son souci, une canne d’aveugle
Est une information pour toute la
journée.
Trois très petits enfants en patinette passent
Et talonnent le temps, riant, vers l’avenir
Qui leur confisquera l’élan vers cet élan
Sans but ni perspective, c’est l’ange de Klee.
Trois très petits enfants exaltés par un chien,
Le présent qui aboie, comme leurs pieds aboient
Le sol qui reste là, fidèle et permanent.
La canne de l’aveugle, entre les deux serpents
De la ville tâtonne sur la traîne blanche
De la robe que pose sur son dos voûté
La fille de Saturne.
–« Moi
qui me suis assis aux pieds de Thèbes
et qui suis descendu dans le
puits de la mort
je sens l’humidité des draps
chauds de la ville
m’enserrer tout vif. La pluie
montre sa cuisse
mince d’épitaphe, de criquet
farceur
et son odeur de chambres meublées
pour une heure
qui vient des dessous que je
porte, deux vies
en attente de quelque aventure,
je vis
toutes celles qui sont dans la
brèche, deux lignes
de chance, deux vies et donc
entre deux eaux.
–C’est un quartier très chaud,
disent certains, rêvant
la locution magique, l’ambigüe
locuste
et son fameux poison. Des ponts
se multiplient
entre immeubles de mauvaises
vies. Ça fait rêver
le limon des sermons hypocrites,
jugeant
avec délectation ses propres
fantaisies.
Je sens cette mauvaise dentition des mots
mâcher la pluie qui tombe bas
jusqu’aux enfers
où s’ouvrent les vacantes
chambres des possibles
en instance d’un bleu célestement
immatériel
de Butagaz. »
La ville sent le poisson quand le jour tombe,
–« J’ai mes
affaires, attends demain, ou par derrièr’,
Mais j’préfèr’ pas » –Les
restaurants préparent
La cène de minuit ; les sushis
irradiés
Sont rayés de la carte du tendre –On
ira
dans la
chambre-panorama d’nos diasporas
ouvrir le
goitre brun des fruits de la passion.
Les corridors, cornes baissées sous la coupole
Foncent sur le rouge du siècle à venir ;
L’enfant léporidé rêve d’être banquier.
–« Aujourd’hui
cher monsieur on visite la tombe
De monsieur Kardec, on est au spirituel
Comme aux spiritueux ! »
Des gens vont aux offices
Des plus comestibles, et des plus juteux
–Ici, oui c’est la foule, on va
chez les putains
À Pigalle la chaude– et seulement
parler
Pour changer de soutane, décorer sa tombe
En gestation folâtre, sa vivante chair,
Avec le chrysanthème d’un décolleté
Profond comme Socrate.
Oh !
qu’est-il arrivé aux tonnelles de notre
Chair, cheveux mêlés aux sueurs leptotènes ?
Interroge l’odeur du fleuve en hauts talons.
L’horloge bat sa coulpe comme un joueur ruiné.
C’est l’heure du désert de Gobi de la soif
Et des brunes lunettes d’un cul rebondi
Qui passe incognito.
–Je n’aurais jamais cru que le
ciel pue autant
Et qu’les les passions dernières fussent si lascives
Bougonne le vieux et qu’la pensée
se fige
Autant, de plus en plus : "my
dear, my dear, o dear
It was an accident"
–« Chère
Thérèse il ne faut plus
que tu
sois plate comme une punaise »
–« Ce n’était
pas écrit »– ironise un passant
Delphique comme un tract
(Qui conduit
une chèvre en forme de barbet).
Un tremblement prend le feuillage et ses dix doigts
Comme l’oracle à Delphes.
Décembre 2013 - Janvier
2014