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 Article publié le 26 avril 2006.

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Robert VITTON
Qu’es-aco ?

Si l’on me supprimait la plume
J’écrirais avec mes ongles

Si l’on me supprimait l’encre
J’écrirais avec mon sang

Si l’on me supprimait le papier
J’écrirais sur les murs

Si l’on me supprimait
Je n’écrirais plus jamais

Je vous en donne ma parole

Mais en attendant........


Ma Grammaire

Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
-Qui parle d’offenser grand’père ni grand’mère ?
Molière

Ô Grammaire, ma Grammaire, je garde tes confitures, tes marmelades, tes compotes, tes pots étiquetés dans la tiédeur fruitée de l’imposant buffet gémissant. Tu t’en lèches les doigts et les babines, petit saligaud !. Tes pruneaux, tes figues barbares me lâchent l’intestin, le lait de tes figues vertes ronge mes verrues, la salade de ton potager bride ma faim-valle. La romaine, morfeur, ça gonfle ! J’ai ton bicarbonate de soude sur mes aillades, tes brins de farigoule dans mes marinades, ta camomille sur les paupières, ta verveine dans mes philtres, ton tilleul dans mes sommes, ton huile de foie de morue sur mes bronches, tes bonbons triés dans les ruches de l’Hymette, tes grogs Negrita, tes biscuits à la cuillère dans mon vin chaud comme une écharpe de laine sur ma toux, ton orgeat en carafe et tes pailles assoiffées, ta gargoulette sous la tonnelle de vigne vierge après les escapades, les ventrées de mûres, de jujubes, de nèfles... Le tablier. De la farine, des œufs, de l’eau... La tiédeur des mains, la hargne du poignet... Etale ! La roulette de buis. Taille ! Taille des lanières. Le cabanon... J’attends tes bouillabaisses, tes pêches miraculeuses, ta rouille d’épaves, de jas, d’hameçons, ton sel des larmes d’Amphitrite et des chagrins des baleiniers, tes sauces aux galets de jade, aux galéjades, tes jarres, tes jarretières des marées présagées, tes pièces montées...

 Ô Grammaire, ma Grammaire, je garde tes sombres fouffes impénétrables, tes nippes de phébus, tes règles douloureuses, d’un autre âge, tes césariennes, tes fistules, tes éventrations... Je garde ton savon de Marseille, ton sent-bon, tes serviettes nids d’abeilles, tes nappes aux couleurs des saisons, tes draps à gros grains, ton étouffant édredon, tes fables bleues avec leurs ogres sur la paille et leurs loups sur le fenouil, tes romances à la guimauve, tes cahiers de chansons, tes baragouins, tes bruits confits, tes sirops béchiques à la réglisse et aux coquelicots, tes sucres d’orge, tes pelotes d’épingles, ton phonographe, tes berceuses, tes plats mijotés dans la fonte, tes histoires d’amour, tes paquets d’herbes, ta polenta, ta pissaladière sur le papier gris, ton eau piquante dans le vin pur... L’anis !

Ô Grammaire, ma Grammaire, je garde la saltarelle des battoirs, les ritournelles du lavoir, les claquements des voiles sur les cordes des contrebasses colériques du mistral, les égouttements des tristesses, des sanglots du plaisir, des songes dans les crêpes crépusculaires, des pleurnicheries des dentelles frivoles, des linges de corps et de cuisine, de lit et de table...

Ô Grammaire, ma Grammaire, parle-moi du terroir, des soleils qui débarbouillent le museau des putti qui me prennent au bas du page, qui s’entêtent dans les casseroles étincelantes au masque et à l’étoffe des frimants, des troisièmes couteaux, de ces messieurs de la fanfare, les pieds dans la fosse commune, au nez des faiseurs de textes, des fabricateurs de caleçonnades, des verbiageurs d’ambassade, des argus des cafés engloutis par des gazettes baveuses, par des feuilles de chou.

Ô Grammaire, ma Grammaire, parle-moi des lunes, des anciennes, des nouvelles, des lunes amoureuses, des lunes comme des points sur des campaniles, des lunes qui descendent dans les faubourgs, dans le quartier des putes avec des contes de la semaine des quatre jeudis, des lunes aux cornes dorées qui donnent des croissants aux gueux des ponts et des parvis...

Ô Grammaire, ma Grammaire, tu me recommandes à tous les saints du calendrier comme si j’avais un pois chiche dans la comprenette. Je m’en vais, ou je m’en vas... Vaugelas, tu le remets ? Je m’en vais, ou je m’en vas, l’un et l’autre se dit, ou se disent. Les palmes académiques ? Tu débloques la vioque. Tais-toi ! Nage ! Nage ! Tout ça, je m’en moque comme des Quarante. Les Quarante laurés, nimbés, imbibés de l’encre verte de l’immortalité... Et mon bain de siège ? Mais ou donc et or ni car ? Te fais pas de la bile ! Longe pas la voie ferrée ! Traverse entre les clous ! Repose-toi ! Te penche pas à la fenêtre, la tête est plus lourde que le cul. Je conjugue tous mes efforts, mes efforts les plus vains. A table ! J’arrive ! Je viens, je vins, je viendrai, que je vienne, que je vinsse... Quelle scie ce verbe viendre !

Ô Grammaire, ma Grammaire, qui sais régenter jusqu’aux rois... C’est Molière qui me souffle. Je ceins le diadème du roi de la fève, du roi de Thune, du roi Lyre, du roi Pétaud, du roi d’Yvetot, du roi des bals de têtes, du feu roi... Vive le roi ! Coupez ! Coupez ! J’argotise, je patoise à la barbiche de mes sujets. J’assemble mes maux d’imagination, mes maux de crâne, mes maux de gorge, mes maux de cœur, mes maux de mer, mes maux du pays, mes maux... En un mot, je phrase. Chaque vers, chaque mot court à l’événement. C’est Boileau qui la ramène. Celui-là, le jour où il en perdra une...

Ô Grammaire, ma Grammaire, je me souviens des lettres dans la soupe, des mots sur le bord de l’assiette. MERDE, PERIPATETICIENNE, CHAT, CHAGATTE, DERCHE, BITTE... Mange, ça va être froid ! Laisse que je mette des points sur les i, sur les j, des barres aux t, des queues aux p, aux q, des ganses - quelle élégance - aux g, des boucles aux f, des panses aux a, des grands C dans les tartes des sœurs Tatin. Les mots d’ici, les mots de là-bas, les mots, les mêmes mots n’ont pas les mêmes sons, n’ont pas les mêmes sens, n’ont pas les mêmes histoires... Tu l’a remarqué tout seul ? Prends mes mots, citoyen ! Que dis-tu ? Des mots, des mots, des mots. Words, words, words. Tu piques l’angliche maintenant ? Toubib or not toubib ! T’es malade ou quoi ? Quand je serai poète je graverai mes mots... Poète et graveur ? Je graverai mes mots, les mots entr’ouïs de siècle en siècle, de génération en génération, les mots qui m’échappent dans des livres de papier, de marbre, de bois, de bronze... Des monuments aux mots ? Je te prends au mot.

Ô Grammaire, ma Grammaire, les mots de 14-18, de 39-45, de toutes les guerres, de toutes les paix, de toutes les épitaphes, les mots qui viennent des cœurs, des rancoeurs, des armes, des larmes - les morts sont là pour le dire, les mots ne font pas défaut aux défunts - vont aux juke-boxes, aux drugstores, aux dragues endimanchées, aux snacks barbares, aux sirènes des ports, aux salles des pas perdus, aux ors, aux orgues, aux orgueils des Notre-Dame et des manèges, aux guitares bohémiennes, aux soufflets à punaises de la mistoufle, aux nuits vénitiennes et véronales, aux Marseillaises de cuivres et de tam-tam municipaux, aux vagues, aux vogues qui aspergent et toilettent l’esclavage, aux pages effrontées tournées et retournées, aux casses des vents fous, aux pavetons damassés, aux lèvres en cerise des communiantes, des communardes, des garçonnes de huit berges, aux voix radiophoniques, aux bouillonnantes lessiveuses, aux lavatory, aux devantures, aux étals des halles, aux placards des rues...

Ô Grammaire, ma Grammaire, la neuille, quand je ne dors que d’un œil, je corrige mes coquilles, mes fautes typographiques, autrefois dites des couilles. Une muse de passage s’est assise entre l’o et l’u, ce qui explique la venue de ce q. T’en es sûr ? Je te le vends comme Gutenberg et ses protes me l’ont vendu.

2006

 

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