Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
Navigation
Les textes publiés dans les Goruriennes sont souvent extraits des livres du catalogue : brochés et ebooks chez Amazon.fr + Lecture intégrale en ligne gratuite sur le site www.patrickcintas.fr
Autres romans, nouvelles, extraits (Patrick Cintas)
Pastilles pour la toux

[E-mail]
 Article publié le 13 décembre 2015.

oOo

Histoire extraite de BA Boxon.
Lecture du texte intégral [ICI]

 

L’hallucination dut s’éteindre pendant qu’il avait les yeux fermés. Maintenant qu’il regardait la mer, son ventre se nouait, jusqu’à la douleur qui lui arracha un cri. Comme par réflexe, aussitôt le cri lâché, il jeta un rapide mais complet coup d’oeil autour de lui et constata avec soulagement que personne n’en avait été le témoin.

Dieu sait ce qu’il serait advenu si quelque passant, tout juste de passage, un peu inattentif, et dans aucune attente, eût été interrompu par ce cri de douleur. La couleur même du cri ne l’aurait pas trompé sur son origine ! Thomas, encore immobile prés du parapet, s’efforça de retrouver la souplesse de son corps. C’était par là qu’il devait commencer à se remettre de son émotion. L’esprit suivrait, même contraint.

Quelques minutes plus tard, ayant recouvré son équilibre, il osa quelques pas. Il constata, non sans terreur, que ses pas ne pourraient le conduire chez lui sans le faire remarquer. S’arrêtant de nouveau, il frappa du pied, puis osa un nouveau pas. Celui-ci était pire que les précédents, ce qui arrive en général quand on met de l’application sitôt après en avoir singulièrement manqué. Mais l’esprit de Thomas se nourrissait déjà d’un autre système.

À vrai dire, ce n’était même plus un pas. Thomas, terrassé par la perspective de la marche à laquelle sa solitude le condamnait pourtant, ne bougea plus, tout entier à l’angoisse qui l’emplissait comme une eau brûlante. S’il s’avisait de marcher du pas qu’il venait de se coltiner à la suite d’une hallucination vivante, il risquait, pour le moins, de soulever des remarques sur son passage ; des remarques d’abord à peine préoccupées, puis, pas à pas, des certitudes vivaces, hérissées sur les trottoirs à l’endroit des promeneurs, comme autant de points d’interrogation sur le point de se trouver une réponse. Il alluma, fébrile, une cigarette qui le fit tousser. Étranglé par une toux aussi soudaine que violente, il chercha un appui et, sachant qu’il se trompait déjà, se dirigea vers un réverbère sur lequel il crispa ses mains moites. Il vit alors l’horreur de ses quelques pas. Sa toux empira. Les pieds rivés au sol, tout le corps secoué par une toux qui s’accélérait, il devait bien finir par se faire remarquer. Un passant lui tapota le dos d’une main amicale. La toux se calma. Le passant, aimable, mais peut-être soupçonneux malgré un cri enjoué, lui proposa son bras. Thomas fit non de la tête.

— Vous avez l’air malade, dit le passant doucement

— JE NE SUIS PAS MALADE !

Thomas Faulques pressa sa main contre sa bouche qui venait de hurler. Le passant, visiblement, s’en était aperçu, mais son doux visage restait impassible. Il posa une main pesante sur l’épaule de Thomas.

— Inutile de crier, dit-il, toujours très doux. Je sais qu’il n’y a rien de plus exaspérant que ces maudites toux dont on n’arrive pas à se défaire et qui vous prennent de préférence quand cela n’amuse que les autres. Tenez, il y a quelques jours, une pareille toux m’a secoué une heure durant, et je devais être terrible, car ma femme crut que je devenais fou.

— MAIS JE NE DEVIENS PAS FOU !

Thomas avait de nouveau hurlé entre ses doigts crispés autour de sa bouche. Le passant haussa les épaules.

— C’est exactement ce que j’ai dit à ma femme, susurra-t-il, avec cette même douceur qui devait cacher quelque chose que Thomas redoutait. Est-ce que ôa va maintenant ? Ôtez votre main de la bouche. Ce n’est pas en vous étouffant que vous arrangerez des choses si dérangées.

Thomas décolla sa main. La toux n’était plus.

— Vous voyez, dit le passant, souriant. Ce n’était rien. Quelques tapes sur le dos et la toux s’en va. Mais on ne peut pas se tapoter le dos tout seul. Croyez-moi, monsieur, ces quelques tapes valent mieux que les pastilles qu’on nous vend à prix d’or parce qu’on nous prend pour des imbéciles".

Thomas acquiesça. Il regardait l’homme de la tête aux pieds.

— Voulez-vous, proposa le passant, que je vous raccompagne ? Cette maudite toux nous guette tous. Je pourrais le cas échéant, vous tapoter le dos.

— Je vous remercie, dit Thomas d’une voix blême. J’étais venu contempler la mer. Quelque embrun m’aura perturbé.

— Ah ! la mer, mon cher monsieur. Quel spectacle ! Le plus beau à vrai dire, et vous êtes assez jeune pour vous y divertir. Moi j’ai passé l’âge de la mer. Je vous souhaite bien du plaisir.

Avant de partir, le passant avait glissé dans la poche de Thomas Faulques une boîte de pastilles, à l’insu du jeune homme encore troublé par ce qui venait de lui arriver. De nouveau seul, il se consacra à ses pieds. Il tenta un pas. Ce fut navrant. Non point le pas lui-même, tout ordinaire, mais le bruit que fit la boîte de pastilles dans le fond de sa poche. Mon dieu, pensa Thomas. Qu’est-ce que c’est que ces pastilles ?

Il scruta la nuit et, comme il s’y attendait, décela une présence dans l’ombre d’un tamaris. Ce ne pouvait être que le passant. Il se doutait de quelque chose et, avant de se cacher dans l’ombre pour le guetter, avait glissé dans sa poche une boîte de pastilles qui ne calmait pas la toux.

Thomas pressentit sa perdition. Le moindre faux pas aurait les pires conséquences. Ce n’était pas le moment de faiblir. Le ciel l’éprouvait simplement. Il devait se sortir de cette angoissante situation. Pour cela, ne pas montrer, par inadvertance, qu’il s’inquiétât de la présence du passant dans l’ombre du tamaris. Éviter de regarder le tamaris et son ombre. Il sifflota. Au bout d’un moment, les joues douloureuses de se tendre, il avait acquis une certaine décontraction. Il s’exerça à de longues apnées qui le tranquillisèrent dans toute sa fibre.

Le pauvre Thomas luttait fébrilement, mais il ne connaissait pas sa force. Le moment était venu. Il fit un pas. Horreur ! Puis un autre. Horreur ! Horreur ! Le suivant ne valait guère mieux. À la fin, n’y tenant plus, il se mit à courir et, avant de bifurquer dans la première rue, il se retourna, montra son poing exsangue au tamaris lointain, et hurla : "Je suis plus fort que vous croyez !" et, plein de rage, il répandit les pastilles sur la chaussée avant de s’élancer dans l’ombre de la rue qui l’avala d’un coup.

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

 

www.patrickcintas.fr

Nouveau - La Trilogie de l'Oge - in progress >>

 

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -