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Giboulée
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 Article publié le 21 février 2016.

oOo

J’eu tôt fait de le renverser comme une crêpe, non que j’eu l’intention de le faire cuire, mais enfin la tentation me traversa, je l’avoue.

Au lieu de cela, j’entrepris vaillamment de le réduire en bouillie, pour me rendre compte assez vite qu’il n’en était rien. Cette matière visqueuse résistait à ma broyeuse de mots.

Le faire brûler, le laisser se dessécher au soleil ? Ce corps réduit à un corpus de mots vagues, lointains, un brin ignobles encore, qu’avait-il encore à me dire au moment de l’occire ?

Il me fallait admettre mon impuissance à réduire sa masse aqueuse à rien. C’est alors que t’appelant à l’aide, tu es venue à la rescousse. J’en fus tout à fait remué, tu penses bien.

Le corpus de mots fut aussitôt pris de violentes secousses en ta présence, ou bien devrais-je dire plutôt qu’en ta présence il fut pris de violentes secousses ? C’est que tu ne ménageais pas ta peine.

Dès arrivée, tu avais entrepris de te dévêtir devant moi. Ce qui fut fait promptement, je te connais.

Un petit triangle de nuit me souriait, espiègle. Ton Mont de Vénus à toi. Plus encore, tes seins brillaient comme si la rosée du matin les avaient embrassés, mais ce sont tes bras qui m’impressionnèrent le plus, je l’avoue bien volontiers. Tu les avais relevés pour dénouer ta chevelure blonde, et puis tu avais pris cette pose insolite que la statuaire grecque ignora jusqu’à toi.

Mais le corpus de mots ?

Il vibrait. Cette masse gélatineuse et grise tremblait.

Throbbinggristle, me dis-je, en esquissant un sourire douloureux.

Me revint aussitôt en mémoire les frasques sonores du groupe éponyme, comme s’il avait fallu tout ce temps pour que le nom du groupe pris sens et corps, là, dans la chambre haute qui baignait dans la lumière de ton corps dénudé.

Languide, féline, tu me lançais un défi.

Ecrasé par ta présence solaire, je n’aurais su le relever, mais toi tu n’écrasais pas, tu projetais au-devant de toi une aura communicative.

Ce n’était pas un simple désir aguicheur promis à la triste fin d’un banal coït, fût-il très long. Qu’était-ce donc alors ?

L’espace intérieur, la pièce entière ouverte sur le monde ne devenait pas fantomatique, elle et lui irradiaient bien plutôt, laissant à ta présence le temps de s’immerger dans leur mutuelle stupeur.

De ta présence ce jour-là, en effet, je retins le pluriel, comme si nos deux corps ne pouvaient suffire à effacer l’encombrant corpus de mots qui vibrait de plus belle.

Il nous fallait l’espace, la lumière solaire, la chambre tout entière, et ce je ne sais quoi de plus, l’air chaud peut-être, un sourire du ciel, un cri d’hirondelle, une petite virgule noire dans le ciel, les yeux de geai d’une déesse de l’orage qui s’annonçait, lointain encore, mais terrible déjà par sa sourde présence grondante, libellule bleue au vol imprévisible.

Les continuelles vibrations allaient s’accélérant, devenant des secousses, puis des soubresauts. On eût dit un magnifique moteur à explosion qui a des ratés, ou bien un V1 en pleine action, une réaction explosive continuelle qui propulsait le corpus de mots vers lui-même.

Sur le point d’imploser, le corpus alors se liquéfia, libérant une substance blanchâtre qui se mit à noircir au contact de l’air. En suspension dans la chambre, la masse noirâtre se mit à tourbillonner, elle se déplaçait en tous sens dans notre chambre.

Un trou noir en formation, dis-tu alors. Je n’en croyais pas mes oreilles. Tu trouvais encore la force de parler.

Il me fallait choisir, je le compris, entre toi et cette cosmogonie naissante.

Singulière, tu l’es à tous égards. Le pluriel ne te sied pas, une pluie de possibles, une giboulée d’hypothèses toutes plus farfelues les unes que les autres, une tempête quantique, que sais-je encore, ce n’était pas pour toi.

Je l’ai su dès notre première fois, mais il fallait maintenant m’y résoudre une bonne fois.

J’ai fermé les yeux, inspiré profondément, et j’ai caressé ton sexe.

Tu as esquissé un large sourire, avant de te renfrogner. Tu devenais sérieuse.

Ta pose était devenue incommode, tu me le fis sentir en posant tes mains sur mes épaules, tandis que je te léchais. Tu t’es retournée, t’es appuyée sur la chaise, m’offrant ainsi tes fesses. J’ai plongé en toi.

Ton soupir d’aise me donna à comprendre que tu n’attendais que cela.

Tes fesses jumelles frissonnaient d’aise. Les clapotis qui montaient de nos deux sexes enchâssés me rappelaient irrésistiblement la mer.

Tant d’aisance confond.

Nous gardions le silence, nous nous gardions bien d’en rompre l’accord. Ton corps tout entier était un la majeur qui narguait la mort. Nous ne craignions plus d’en finir un jour l’un avec l’autre l’un dans l’autre.

Le temps était à l’orage. L’air devenait lourd, notre respiration plus sourde. Complètement insouciants de ce qui pouvait advenir, nous n’avions cure de ce que pouvait bien devenir ce que tu avais appelé le trou noir.

La nuit fut douce, et le jour qui suivit plus encore.

 

Jean-Michel Guyot

15 février 2016

 

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