Extrait - Le texte intégral
est publié dans la revue Corto nº 28
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Chez [Le chasseur abstrait éditeur...]
Il n’y a pas à chercher bien loin pour savoir pourquoi il n’y a pas plus d’œuvres de génie sur les étagères. La raison en est à chercher du côté du travail, je veux dire de cette entreprise de démolition systématique de toute initiative créative chez les individus. Une fois qu’on a été bien culpabilisé par le système sous prétexte de ne pas correspondre aux attentes de décervelage précis de celui-ci, on en est rendu à se considérer tel un déchet, un raté, à ne plus comprendre que cela est davantage le signe d’une unicité à cultiver, que d’une tare ou d’un manque.
Mais il faut avoir gravi nombre de marches vers la sagesse pour le sentir en soi, en connaître la chaleur précise. Tout le monde extérieur, occupé de pauvres appétits, est un leurre, une pantalonnade, du mauvais carnaval, l’essentiel est de réussir à se ressaisir, non pas pour s’adapter au système décrit plus haut, mais plutôt pour s’en affranchir, quitte à partir un beau matin sur les routes.
Un travail insipide, être obligé de faire ce qui ne nous intéresse pas. Une des pires calamités. Une des pires difficultés. Être obligé de s’infliger une telle purge.
Devoir l’avaler tout entière, sans rien laisser. Et devoir enfin y trouver même son épanouissement.
Comédie.
Extrait d’Ajouts Nocturnes
À lire dans la RAL,M
http://www.ral-m.com/revue/spip.php?rubrique1222
Ainsi faut-il parfois céder aux introductions. Je suis donc tenu de préciser deux ou trois intentions souterraines ayant guidé mon inspiration pour les textes qui suivent.
Tout d’abord, il ne pourrait s’agir d’histoires au sens premier, mais plutôt de formes de mouvements musicaux amorcés autour de certains motifs, cela afin de donner un maximum de couleur à l’ensemble. Ces écrits procèdent de voix particulières, et si chacun d’entre nous porte en lui non pas une seule personne mais plusieurs à se répartir en circonstances, il va de soi qu’une honnête narration, à moins d’être décidément superficielle, ne peut se subordonner aux mouvements d’une seule voix. Ainsi, s’imposa l’effort polyphonique donnant le la à ces modestes chroniques.
Ce sont donc des récits de nuit, d’errance ou de tensions passionnelles. L’intrigue n’y est de fait qu’un appui traditionnel, un tremplin seulement propice à permettre à partir de son canevas de nombreux détours participant moins du roman que du poème en prose.
Tarte à la crème ou crème fouettée de ce que l’on a pu déjà entendre, mais qui demande, avec l’intensité d’un désespoir sensible, à sortir de nous tout autrement.
Le premier de ces textes, Clameurs suffocantes, est en somme une sorte de marqueterie, de bariolage baroque où l’intrigue guide le spectateur dans les pièces successives d’un palais des glaces, consistance d’une intériorité poétique où le narrateur cherche à se perdre à plaisir, au moins pour se reconnaître enfin semblable au héros de sa foi.
Le second, un Captif écrit sur la neige, relate en apparence une somme de déboires vécus par un prétendant éconduit, de là une somme de visions ou de détours conduisant, toujours suivant l’air perverti d’un conte de fées nouveau, aux confins d’une solitude dont méditer sans fin l’apprivoisement.
Les voix dans les romans quelconques sont clairement délimitées, au final moins par souci de clarté sans doute, que par convention ne permettant pas d’enclencher la confection de la plus juste tapisserie.
Mes écrits, pour tenter comme je peux de remédier à une tradition moribonde du récit, reposent ainsi sur une impulsion, juste et simplement une impulsion, mais similaire à celle d’un pas de danseuse se libérant des influences, cela pour atteindre à la pleine lumière des rampes parmi la gaze et les fleurs.
J’ai pu un jour dire cela dans une somme de poèmes à présent perdus.
L’importance est dans le rythme. Louis-Ferdinand Céline nous rappelle gentiment que l’essentiel des sujets documentaires peuvent être saisis dorénavant par la télévision, le cinéma, ajoutons-y donc le Net. Ainsi ne serait plus impartie à la pure création que la seule préoccupation forcenée du style.
Or aucune émission, littéraire de près ou de loin, ou simplement artistique, ne s’arrête réellement sur cette question si cruciale et sous-estimée du style, malgré ce que l’on se raconte en souriant. Ce sont toujours des histoires, rien que des histoires, puis encore l’obsession des histoires de fesses les plus communes, cocufiages ou abandons anorexiques n’amusant plus personne, en cette ère de lassitude corrompue que nous respirons fût-ce en dormant.
On peut se demander en conséquence ce qu’il est advenu des efforts de la Sévigné ou de Saint-Simon, de Lautréamont ou de Louise Labé, éminents héros du verbe d’autrefois, précurseurs ayant tâché non point de se subordonner au résidu commun des histoires de tous, mais bien plutôt de s’en dégager afin d’asseoir une œuvre retentissante, en trône et couronnes sertis de leurs joyaux rutilants de phrases.
Tout ceci, c’est un délire en somme, de la mégalomanie risible, en apparence.
Toutefois, la perfection du style que l’on se cherche ne doit pas faire oublier donc et surtout ce rythme, cette histoire d’impulsion, c’est-à-dire de la musique que l’on doit à tout prix tenter de rendre aux lettres, puisque cela est exigé de nos bons efforts d’ouvrier en rhétorique.
Les extraits qui suivent sont donc moins des extraits arrêtés ou définitifs d’oeuvre à encastrer dans une couverture, que des formes voulues vivantes, encore à fignoler, formes à rendre avec constamment plus de reliefs, suivant l’idéal que l’on doit se trimbaler depuis l’enfance, cette période enfouie mais vivace encore, période sans estimation, sans carte et sans boussole, et où l’humilité et l’orgueil ne posaient point leur lourdeur de définition sur cette belle intuition que l’on se sentait porter en soi, à la fois soif et sobriété de qui heurte à la grille close que l’on veut voir ouverte.
Alan Sévellec
Suivent des extraits de
— Clameurs suffocantes, roman paru chez Petits Tirages.
— Un captif écrit sur la neige, roman en cours.
— Aller aux champignons, nouvelle.
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