Je ne fuis pas si je ne parle pas, je ne tue pas si je m’arrête,
Vous avez raison au fond. Un peu de cohérence c’est un
Peu de ressemblance. Il faut que je me taise et que l’immobilité
Ne me rende pas fou. Il faut que ces convenances du non-dit
Me soient agréables finalement. Il faudrait tellement de biens
À ma pauvreté, tellement d’existences à ma solitude ! C’est
Impossible, inconcevable, illusoire. Je ne fuis pas pour fuir,
Je ne parle pas pour parler, je ne tue pas pour donner, je fuis
Parce que j’ai une bonne raison et je parle parce que c’est
Le désir et pas autre chose. Quant au meurtre, n’exagérons
Rien. Je tue petit, en miniature, sans importance. Je tue presque
Pour tuer, mais si joyeusement, dans l’infinitésimal et le vrai,
Pas plus. Alors cette crucifixion et ces prisons qui voyagent,
Ces procès où l’Homme est caractérisé au lieu d’être jugé,
Cette voix qui coule sur vos barbes et sur vos seins, je les tue
Avec les moyens de la poésie, avec mes jambes à mon cou,
Avec cette volubilité qui me sauve de l’attente en croix
Sur vos chaises des seuils. D’accord, je tue, mais sans tuer,
Reconnaissez que je ne tue que le temps qu’il me reste à vivre
Et que votre espérance ne me concerne pas. Je suis désespéré,
Pas coupable. Vous ne comprenez pas que c’est le désespoir
Et que la culpabilité est celle des points de fuite sur l’horizon
De votre cruauté d’insectes belliqueux ? Vous n’apprendrez rien
En me suivant plus vite que moi ! Vous ne donnerez rien
À vos enfants que cette croix relative du Bien et du mal,
Du Bien acquis et du mal donné, cela va de soi. Alors
Je fuis, je crois fuir et j’espère que je fuis encore.
Je vais vite, je vais bien, je vais mon petit bonhomme
De chemin. Je vais sans vous, devant vous, par désir,
Mais aussi par habitude car je ne suis pas chien, je ne suis
Pas ce chien que vous poursuivez dans la nuit des couteaux.
Vite, vite ! Je ne voudrais pas vous égarer. La nuit donne
Son opinion et c’est normal. Elle dit que je ne suis pas fou.