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La contrainte du Spectacle interdit - Chantier 3

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 Article publié le 13 août 2018.

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Le spectacle interdit est sans doute le plus « contraint » de mes livres de poésie.

Cette contrainte n’est pas tellement formelle même si le vers, par sa relative régularité rythmique, marque bien quelque chose de cet effort qui pourrait paraître transparent à qui lirait ces vers sans connaître rien autre de leur auteur.

L’univers métaphorique répond au même genre de contrainte. Il n’y a pas ces cascades d’images dont toute réalisation concrète relèverait du fantastique ou du registre gore. Cette série de poèmes est une méditation métaphorique filée, parfois excentrée mais jamais rendue à l’impossible, si ce n’est à cette impossibilité primordiale qu’est le « spectacle interdit » lui-même, point de fuite ou de convergence distordue.

Une tombée d’oubli traverse les feuillages

de nos maigres leçons d’arbres.

 

S’y réconcilient savoir et connaissance

enrichis seulement

de leur commune, bégayante absence

 

Et c’est encore l’incertitude qui nourrit

cette pitance pauvre de néant

Le contexte du Spectacle interdit puisqu’il trouve son point d’orgue dans un accident. La thématique morbide, qui avait toujours été présente dans mon écriture, était devenue omniprésente dans des poèmes que je n’ai dû conserver qu’en partie. J’entendais assimiler totalement les figures de la Mort et de l’Aimée, confirmé dans mes vues par Ronsard et son terrible vers : « Car l’amour et la mort est une même chose ».

Le recueil intitulé Le spectacle interdit est une épure. Il s’appuie sur les manuscrits brouillons d’au moins trois cahiers (le cahier rouge décharné, le cahier « Première page », le cahier de La chair spectaculaire). Il en retient un peu moins de trente poèmes, le plus souvent brefs (deux à trois strophes) avec quelques exceptions notables cependant. Il se conclut (à l’instar de son lointain prédécesseur « Suite cérémoniale ») sur une description apocalyptique du « Tribunal dernier »).

Dans l’hystérie d’un tribunal imaginaire – celui-là même qui nous avéra

 

On nous a arraché nos yeux pour les railler. « Car ce que vous voyez, nous a-t-on dit, ne fut qu’un leurre. »

Mais il fut triste et immobile.

Nous ne le savions pas.

 

« Ce soir ». Comme un semblable tribunal ne se soucie que de nos nuits, on entendra l’espace rétréci (il nous a convié, nous l’avons dénué).

 

Trahison.

J’ai longtemps pensé que Le spectacle interdit et Le récit ruisselant étaient deux propositions nettement séparées dans le temps. L’une trouvant son origine dans les essais de l’hiver précédent qui sont marqués par cette même volonté de réguler mon écriture, sinon par une écriture rigoureusement métrique, du moins par un vers aux régularités relatives. Le récit ruisselant, s’il conservait des traces de cette contention, était au contraire une libération de l’écriture hors de ces cadres imposés, dont l’acte le plus manifeste est un cahier-recueil, Ligaments d’été, qui est le poème qui narre son propre dérèglement, d’une certaine façon.

En réalité, les deux propositions ont mûri en même temps, de façon entrelacée et leur existence séparée tient, semble-t-il, plus du résultat que du processus.

En scannant les pages du cahier intitulé « Première page », je me rends compte de cet entrelacs quasi inextricable. Et je voudrais tenter de lire cet entrelacs comme on lirait les branches d’un arbre. Cela me semble cohérent tant l’arbre est devenu, à ce moment et dans la symbolique de ma poésie, un acteur discret mais essentiel de ce parcours accidenté.

Du printemps à l’été 1992, ma production a étéparticulièrement abondante. Les tapuscrits se sont accumulés, conservés à l’état de feuilles volantes pour la plupart. Il y a eu des purges. En revanche, les cahiers, qui ont été conservés en totalité, semble-t-il, se sont succédé en grande série.

- Il y a une série de cahiers grand format en papier recyclé que j’utiliserai du début 1992 au début 1993 ;

- Il y a un grand cahier rouge décharné dont il reste surtout des débris ;

- Il y a un cahier orange petit format ;

- Il y a le cahier « Première page », amorcé au printemps autour de notes de journal et qui s’achève sur l’intuition d’un projet poétique renouvelé ;

- Il y a le cahier « Aux attenances de l’été » ;

- Puis les cahiers du Récit ruisselant, qui s’ouvrent après l’accident.

C’est dans « Première page » et « Aux attenances de l’été » que l’imbrication du Spectacle interdit et du Récit ruisselant est la plus forte, bien que le phrasé qui s’élabore dans ces deux cahiers très raturés est d’une solennité et d’une statique qui indique bien que l’épisode du Récit ruisselant n’est pas encore commencé et que l’univers symbolique est encore très proche de ce qu’il était à l’automne précédent, quand que je venais de retrouver l’usage du vers et que je me concentrais sur des bribes de phrase dont j’essayais laborieusement d’extraire je ne sais quelle substance.

Belle et laide, l’âme vit de ses litiges intestins

Du sang qui la fouette

Son soliloque est inégal

Et du lointain d’où je la vis

Dans sa résonance cardiaque

Et incapable de résoudre sa conflictuelle floraison

Je sculpte mes humeurs inextricables

Sur la chair de leurs contraires

 

Il me faut la fouetter de mon sang

Une guerre se livre en moi

Laquelle ? Je l’ignore

Je lutte à tort - mais surtout à travers

La lande sulfureuse où je suis né

Vingt-quatre fois de l’heure.

Il n’y aurait pas beaucoup de sens ou d’intérêt, même pour moi, à classer les poèmes en fonction de leur appartenance ou plutôt de leur « dominante ». En revanche, je veux voir le Spectacle interdit comme une dynamique particulière, dont l’opération principale est d’opérer une réduction. Ce n’est pas pour rien que le recueil ne retient qu’une petite trentaine de poèmes.

Le récit ruisselant n’a jamais fait l’objet d’une pareille tentative. Bien au contraire ! D’une certaine façon, on pourrait dire que tout ce qui n’est pas Spectacle interdit est Récit ruisselant. Mais ce ne serait pas plus exact, surtout si l’on considère que Le récit ruisselant porte en gestation le projet Avec l’arc noir.

Je veux voir Le spectacle interdit comme une épreuve de réduction, d’une part, et comme une relation particulière entre le poème et ma vie, d’autre part.

Le spectacle interdit ne se réduit pas à un livret de 30 pages. Il faut y adjoindre à tout le moins La chair spectaculaire, qui est l’arrière-chambre du recueil principal, où le journal côtoie le poème dans une relation « sur le vif » de l’accident, d’une paralysie heureusement temporaire, d’une convalescence confuse et pleine de tristesse, d’une tristesse sans fin, qui m’amènerait à avoir d’une ligne d’arbres que je voyais de la fenêtre de ma chambre d’hôpital une perception voisine de ce qu’avait pu décrire Proust, en d’autres circonstances, avec toute la délicatesse sentimentale qu’on lui connaît. Il y a également un petit fascicule assez sentencieux ou obséquieux, « Dernière chute au spectacle », qui marque certainement la fin d’un épisode.

Néanmoins, il serait difficile de border autrement le domaine du Spectacle interdit que par un découpage chronologique à la fois approximatif, arbitraire et artificiel, qui permettrait d’en distinguer le périmètre de celui du Crépusculaire(et de ce premier recueil plus ou moins abouti qu’était Carnet sans séjour) d’un côté, et du déferlement du Récit ruisselant de l’autre.

 

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