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Pendant que Fred engrossait Alice par le cul...
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 Article publié le 13 janvier 2019.

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Pendant que Fred engrossait Alice par le cul (pour ne pas risquer l’enfantement car cette fois elle avait quelque chose comme douze ou treize ans) Frank, cette fois habitué de ce voyage au large de la ville la plus peuplée du Monde, Frank prenait du recul et exerçait inlassablement sa mémoire sans l’assistance normée du quadrillage et du vis-à-vis des pages.

[ici, un carnet ouvert (à ressort)]

La scierie voisine n’était plus active depuis longtemps. Entre la période de la scierie passé et celle du tourisme pêcheur présent, le temps avait laissé sa trace futur. Il n’était pas difficile de s’imaginer qu’un jour une autre activité économique ou pas d’activité économique du tout laisserait son empreinte anachronique à la surface toujours menaçante de cette contrée située voyons à des milliers de kilomètres de la ville la plus peuplée du Monde et à une altitude raisonnablement conçue pour ne pas perdre de vue l’humanité de chacun. Avec quelle graisse y fabriquait-on ce savon qui employait l’autre moitié de la population ? Abattoir 5. Des camions transportaient des citernes de gras qui s’alignaient devant l’usine et d’autres camions se laissaient remplir de palettes odorantes qui ravissaient le contingent ouvrier procédant à cette transformation base caustique sur corps gras D’où venait cette base ? Quel était la part d’autochtones dans la population active ? Et ainsi de suite…

Frank passa devant la scierie ou plus exactement devant sa grille enchaînée. Un homme lisait le panneau délavé. Il portait un chapeau d’un autre temps je ne dirai pas lequel et sa veste se pliait sur son bras à l’équerre. Il ne s’agissait manifestement pas d’un habitant, ni ouvrier de la saponification industrielle ni employé de la domesticité à usage touristique. Frank ne portait pas de chapeau et allait en chemise. Il se sentit proche de cet individu allez savoir pourquoi. L’autre fumait une cigarette roulée à la main, dimension pétard, jugea Frank en s’approchant. Il est peut-être armé. Que vient-il faire ici, à l’entrée d’une usine qui a certes marqué l’histoire des gens du coin mais qui n’a plus de sens ? L’autre, un type plutôt costaud, le visage cramoisi et l’œil alerte, se tourna vers celui qui avançait vers lui les mains dans les poches et les souliers couverts de la poussière rouge du pays. Frank souriait, s’apprêtant à parler le premier :

« C’est fermé depuis longtemps. On n’embauche plus. Si vous cherchez du boulot…

— Je n’en cherche pas. »

Frank s’arrêta net à quelque pas de l’étranger, le toisant encore, presque désobligeant, mais il se tut, attendant que l’autre s’explique :

« Vous ne me demandez pas ce que je cherche… ?

— Je suis pas indiscret à ce point… Je pensais pouvoir vous rendre service… Ça se fait beaucoup par ici de rendre service à son prochain, surtout si…

— Si quoi ? » fit l’homme brusquement.

Il était sur ses gardes, peut-être protégeant un trésor. Chaque fois qu’on rencontre quelqu’un pour la première fois, il protège son trésor et on en profite pour ne pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas nota Frank dans son carnet virtuel, soucieux de ne pas finalement perdre une aussi bonne pensée. Il ajouta : Bien vu ! et accepta une cigarette tout aussi roulée que celle que l’homme pinçait entre ses lèvres sèches. Peut-être une invitation à boire un coup bien frais et prometteur d’une ivresse à partager pour la première fois. L’homme dit :

« Je m’appelle Pedro. Je suis pas d’ici.

— Frank… Je suis pas d’ici non plus expliquant : je suis chez des amis ajoutant : je me suis invité. »

Pedro éclata de rire. Un rire franc nota Frank qui se mit à rire lui aussi s’interrompant :

« Si c’est pas du boulot que vous cherchez, c’est quelqu’un… ?

— Vous ne connaissez pas assez la région, dit Pedro en clignant d’un œil.

— Ça fait longtemps que je viens ici… des années…

— Intérim ? Savon ou tourisme… ?

— Je suis un de ces touristes… Je travaille à New Dream…

— Putain ! Ça fait loin pour du poisson !

— Je viens pas seul. Je veux dire : Je suis accompagné.

— Je comprends, » fit Pedro en hochant la tête.

Mais rien de plus. Ni verre ni confidence à propos de ce qu’il cherchait. Frank n’osait pas questionner. Il venait de décrocher un poste de souffleur auprès du polygraphe. Il n’avait pas l’intention de se trahir aux yeux de quelqu’un qui pouvait être un délinquant. Il venait en plus de rater le Concours. Ce n’était pas un bon sujet de conversation avec quelqu’un qu’il ne connaissait ni d’Adam ni d’Ève. Mais pourquoi Pedro (qui n’avait pas de nom de famille pour l’instant) avait-il lu le panneau avec tant d’attention ? Frank se rendit compte qu’il ne l’avait jamais lu lui-même. Il en connaissait l’existence. Il traînait souvent dans le coin pour se masturber en toute tranquillité. Le panneau portait en lettres noires quelque chose qui ressemblait à un texte, ceci sous une couche de poussière rouge. Mais Frank était myope. Il ne s’approcha pas pour lire. Il attendait que Pedro lui en parle. Ou peut-être allait-il lui parler d’autre chose. Ni savon, ni domestique ni touriste… Il était quoi… ? On ne voyait que très rarement des voyageurs dans le coin. Mais Pedro ne voyageait pas. Il donnait l’impression d’être venu chercher quelque chose ici. Et ce n’était pas écrit sur le panneau. Il l’avait lu machinalement, comme on lit les inscriptions d’une affiche indicatrice ou publicitaire.

« Peut-être que vous connaissez la personne que je suis venu visiter, dit enfin Pedro.

Halètements de Frank.

Puisque ça fait des années…

— Elle est d’ici… ?

— Vous avez raison de dire elle… C’est une femme…

Pedro se dandina en riant.

Cherchez la femme !

— Il y a des tas de femmes dans le coin, rigola clairement Frank qui s’inquiétait il ne savait pas pourquoi mais ça le prenait une nouvelle fois à la gorge et à l’estomac.

— Celle-là s’appelle Luce Russel…

Frank écrasa son mégot pour se donner une contenance…

— Si je la connais… bruissa-t-il.

Pedro jeta son mégot par-dessus la grille pourquoi fait-il ça ?

— Vous dites ça si je la connais parce que vous la connaissez ou c’est-il que ce nom vous dit quelque chose… ?

Frank continuait d’écraser le mégot la terre crissait sous lui.

— Vous êtes de la famille… ? finit-il par expirer.

Il devenait méfiant et le paraissait nettement.

— Je vois bien que ça vous regarde… » dit Pedro qui retenait sa joie.

Il était tombé sur la bonne personne. Ou elle était tombée sur lui. On ne sait jamais dans ce genre de situation qui est arrivé le premier. Ce n’est pas parce que l’un marche et que l’autre est arrêté depuis un bout de temps il avait lu la moitié du panneau qu’on est en mesure de désigner le premier et le dernier.

« Elle est pas là, dit Frank dans un râle.

Pedro se demanda où il avait lu le mot râle la dernière fois.

— Comment que vous le savez qu’elle est pas là… ?

Silence têtu de Frank.

Vous la connaissez à ce point ? »

Pedro était aux anges. Quelle chance il avait ! Ce type qui avait l’allure étriquée du barjot de la famille connaissait Luce Russel ! Et en plus il mentait mal.

« Elle est où ? dit-il plus sérieusement, comme s’il s’inquiétait déjà de sa prétendue absence.

— À New Dream… comma d’hab’… Elle est toujours à New Dream…

Frank cherchait à se sortir de cette fâcheuse situation :

Mais sa sœur est là !

— Vous voulez dire sa sœurette ! exulta Pedro.

Frank sut qu’il venait de s’enfoncer encore un peu plus dans la situation en question. Il dit :

— Ben voui… Mais ce n’est plus une sœurette… Elle a quinze ans… seize…

Pedro compta sur ses doigts :

— Seize… Elle a passé l’âge… »

Il se mit à parler à voix basse en observant son doigt levé à l’équerre de sa paume. Frank cherchait à en savoir plus. De quel âge était-il question ?

« Je regrette… commença-t-il.

— Non, ne regrettez rien dans la perspective d’une femme, quel que soit son âge. Vous la saluerez bien de ma part.

— Elle est pas là je vous dis ! Elle est à…

— Je vous parle de la sœurette… Dites-lui que Pedro l’embrasse où elle veut. Elle comprendra. Et si elle comprend pas, ajoutez Phile… Pedro Phile. »

Il s’en est passé des choses ! dit l’esprit de Frank à Frank qui ne s’écoutait plus parler. Pedro roulait une cigarette en attendant la conclusion de ce discours inattendu. Il avait entendu dire que luce était à Rock Dream chez sa maman. Encore une fake. Revoir Alice n’avait plus de sens. Qu’est-ce qu’il provoquerait en sa présence sinon une colère qui devait fermenter depuis… depuis cinq ou six ans. Non… pas question de se laisser avoir de cette manière. Il déclina l’offre de Frank et tourna les talons. Frank le retint par l’épaule. Pedro se retourna. Le visage de Frank était éclairé de l’intérieur, il ne savait pas de quelle lumière. Piège ou bêtise innée du crétin qui s’invite sans luce à la clé. Pedro jeta une fumée bleue au-dessus de la tête de Frank.

« Qu’est-ce que vous lui voulez à luce… ?

Pedro sentit à quel point la conversation changeait de nature, mais Frank ne paraissait pas mesurer les tenants et les aboutissants de sa question.

Pourquoi ne pas dire un petit bonjour à Alice qui sera ravie de…

Le ravissement d’Alice…

— Je la connais pas assez bien… Et puis c’était il y a longtemps… Elle se souvient plus de moi… Les enfants ne se souviennent pas de vous si vous n’avez fait que passer…

— Vous retournez à New Dream… ?

— Comment que vous savez que j’en viens… ?

— Je sais pas…

— Si j’avais su qu’elle était à New Dream, c’est là-bas que je serais allé… Mais quelqu’un m’a dit qu’elle était chez maman…

— Vous connaissez maman ? »

Pedro se mordit la langue. Encore un mot et il faisait partie de la famille. Frank attendait une explication. Il était solidement bâti le Frank. Il était du genre à mériter une bonne explication, mais Pedro prétexta la fatigue du voyage…

« Vous demeurez à l’hôtel ? demanda Frank qui ne cachait plus son impatience.

— Je demeure pas, mec. Je ne fais que passer. J’ai quelqu’un d’autre à voir plus loin. Faut pas que je me mette en retard. Alors salut ! »

Frank était assez solide et irrité pour empêcher Pedro de partir comme ça sans rien dire de plus, fichant en l’air un projet d’écriture qui venait à peine de naître. Ça ne pouvait pas se terminer par des questions sans réponse. Une conversation faulknérienne s’imposait. Il en tenait le bout. Des fois ça se déroule avec une facilité qui vous transporte de joie, la vraie joie du romancier enfin maître de sa voix. Et voilà que le partenaire quitte la scène sur un coup de tête qui mérite lui aussi une explication. Seul devant une salle vide, vous n’êtes qu’en répétition et le reste n’a plus aucune importance pour les autres qui n’ont d’ailleurs pas répondu à l’invitation. Pedro se transforma en poussière. Et Frank se masturba devant le panneau sans en sauter une syllabe. Il dut le relire deux fois avant d’éjaculer.

 

 

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