« En fait, me dit le chien,
Renaud Alixte c’est moi.
Nano est un sobriquet.
— Un sot briquet… ?
Je ne comprends pas…
— Il n’y a rien à comprendre.
Ça a toujours été comme ça.
On m’appelle Nano
A cause de ma taille.
Eh ! Nano ! Viens ici.
Ou fous le camp, c’est selon.
Je suis un chien de poète.
Je n’ai jamais été autre chose.
Je ne suis doué que pour ça.
— Mais Papa… ? enfin… Jéhan ?
— Je l’encule deux fois par jour.
Je suis aussi fait pour ça.
Je n’y peux rien.
J’ai pas choisi.
Je suis un chien.
Papa aussi.
— Papa un chien !
Ah ! Je m’étonne !
Et moi alors
Qu’est-ce que je suis ?
— Un petit con, »
Grogne le chien
En me mordant.
Aussitôt, comme promis,
Moïse refait surface et le voilà
Brandissant la table des Lois.
« Que tu aboies,
C’est déjà trop,
Mais mordre non !
C’est un marmot ! »
Moi, le fils de personne !
Un marmot
En maillot ?
Les oreilles battues
Comme nuit au soleil
Par cette poésie-aboiement ?
« Faudra t’y faire, dit Moïse
En rongeant le frein de son prépuce.
Jéhan et son chien
Ça n’a jamais fait deux.
Un non plus par ailleurs.
Ah ! tu ne sais pas tout ! »
Et il disparaît de nouveau.
« Il est fait pour ça, dit le chien.
Mords-moi si tu veux
Te réveiller de mon sommeil. »
Ça devenait compliqué,
L’amour à trois.
Mais on était deux pour le moment.
C’était plus simple en attendant
Le retour de Jéhan.
Le retour d’où ?
Je savais pas.
Le chien non plus.
Qui le savait ?
Moïse donc
Réapparut.
« Il est à Los Angeles,
Dit-il en agitant
Le fac-similé
Du billet.
— Ah ! Pourquoi tant de mystère ?
Me plaignis-je en grimaçant.
— Ya pas d’ mystère !
C’est même clair !
Il reviendra tôt ou tard.
C’est long ce genre de changement ! »
Je m’étonnai de grimacer :
« Il va changer ?
De peau, de quoi ?
— De sexe, idiot ! »
Moi un marmot
Dans un maillot
En plus idiot !
« Il en rêve depuis si longtemps… ! »
Aboya le chien de poète
Qui était aussi un poète à ses heures.
N’ayant plus rien à ajouter,
Moïse disparut sans laisser de traces.
Le chien prit son air résigné :
« Tu auras une maman
Et moi une femme,
Dit-il sans rire.
— Ça en fait, des changements ! »
Mais le chien restait chien
Et moi j’avais encore le temps
De devenir un homme ou une femme.
« Elle s’appellera Jéhanne,
Dit la voix de Moïse
Qui sortait de la tombe.
— Jéhanne de France, c’est joli,
Fis-je en me dandinant,
Plus joli que Jéhan Babelin !
— Oui mais ça ne veut plus rien dire ! »
S’écria le chien sans aboyer.
Il avait l’air malheureux, ce chien.
Il aimait les femmes,
Mais pas à ce point !
Et moi je demeurais toujours
L’orphelin de la famille.