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Histoire de Jéhan Babelin (57)
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 Article publié le 24 février 2019.

oOo

Rien n’avait vraiment changé,
Il fallait le reconnaître.
Même Moïse le reconnaissait.
Sa voix sortait de la tombe.
Elle conseillait de ne pas se laisser prendre
Aux pièges de la logique appliquée
Aux changements de sexe et de pays.
Le chien fit basculer le lourd couvercle
Sur le trou noir de la tombe.
Un bruit épouvantable
Secoua la maison.
« Nous sommes …hou !
Hurlait la voix profonde
De Moïse aux enfers.
Le marbre dur se fissurait.
C’est un beau marbre rose de Macael,
Vieux souvenirs d’un lointain voyage.
Des racines remontaient des profondeurs.
Le chien recula dans la cuisine.
Il y avait longtemps
Qu’il ne suivait plus personne.
Et je ne savais rien
De la domesticité.
« Une femme à la maison,
Disait-il en se mordant la langue,
Ça peut servir à quelque chose,
Comme l’art des Tarahumaras.
D’ailleurs que suis-je moi-même ?
Chien de sa chienne ou chienne en rut ?
Personne jamais ne le saura.
Pas même toi, petit enfant
Qui n’a de sexe que ton cul.
En attendant le retour d’Ulysse,
Prenons le temps de nous connaître.

— Je ne te dirais pas mon nom ! »

Je n’avais jamais dit ça à un chien.
J’ignorais tout des conséquences
D’un pareil propos sur ma nature.
« Le fils de personne n’a pas de nom,
Reconnut calmement le chien.
Aussi ne te nommerai-je pas.
Voyons ce que ta langue
Connaît de mon plaisir. »
L’œil dans la tombe nous regardait,
Mais le silence était total.
Enfin le jet monta au ciel
Car nous étions dans le jardin.
L’arbre reçut salive et sperme
Sur sa seule feuille blanche,
Désespérément blanche.
Et une goutte retomba
Dans la tombe d’en bas.
« Quelle stérilité ! grogna le chien
Sans toutefois se laisser aller
A aboyer comme son inspiration
Le conseillait à sa mémoire.
Innommable, dit le chien revenu
De son angoisse et de sa mort,
Mettons que ton père ne soit personne
Et que par conséquent
Il n’est pas improbable
De penser que tu es le fils de ta mère.
Alors qui suis-je si je suis un chien ? »

Moïse frappa l’intérieur de la tombe
Et sa langue prit le chemin d’une fissure
A la place de son œil inadmissible.
« Ne compliquez pas les choses, les amis,
Conseilla-t-il d’une voix prudente.
On ne peut pas vous laisser seuls.
Il ou elle le savait et pourtant !
Voilà le chien et l’enfant face à face.
Face de cul ! Face de langue !
Je n’en peux plus de vous écouter !
Il le savait ! Elle le savait !
Et il ou elle est allé(e) à Los Angeles !
Je crains le pire, foi d’animal ! »
Le chien savait ce que je ne savais pas,
Voilà ce que voulait me dire Moïse.
Mais la tombe était profonde
Et épais étaient ses murs de marbre.
Le chien chiait dans les fissures
Et bientôt la voix de Moïse
Se transforma en ruisseau
Dans l’épais cresson du sens.

Cette fois j’étais seul face au chien.
Il était juché sur la croix de la tombe,
L’inri entre les fesses
Et les bras croisés
Sur sa poitrine velue.
Il dit :
« Si je suis chienne, j’enfanterai.
Mais si tu es femme, ô enfant,
Tu porteras toutes mes naissances ! »
Il leva alors son verre et but.
Je reçus une goutte et l’avalai,
Ce qui me fit tourner la tête.
Je posai mon petit cucul
Sur la racine morte et émergente
D’un arbre tombé mort dans la broussaille.
Le chien inspira profondément.
Il décroisa ses bras et les leva.
Il touchait le ciel de ses ongles.
Et de ces griffures exsangues
Sortit le pus de sa blessure.
Le premier mot ne venait pas.
Il montra ses crocs blancs
Puis l’or de son palais.
Le trou de sa gorge flambait
Comme roulette au casino.
« Renaud Alixte que je fus,
Aboya-t-il sans retenue,
Est mort en moi.
Je n’ai plus rien à dire.
Désolé(e), petit(e) ! »
Et il se laissa glisser
Sur le marbre pentu
Que les feuilles encore
Humidifiait de sa semence.
Il déboucha une bouteille
Et but à même le goulot.
« J’étais poète et je suis chien,
Anonna-t-il dans son verre.
Tu as entendu de quoi
Je fus capable en mon temps,
Du temps que j’étais homme
Ou femme je ne sais plus
Ce que j’étais quand je l’étais,
Poète enfant et vieux à la fois.
Je ne peux plus rien te promettre.
Va-t-en si tu ne veux pas attendre.
Ou reste si tu prétends savoir. »

 

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