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 Article publié le 28 février 2021.

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Ma concentration n’étant ni constante ni infinie, il me faut, à un moment donné, abandonner la partie.

Je me suis approché le plus possible de ce que j’en sentais devoir dire en fonction de ce que j’étais capable de concevoir et de formuler, mais je le sens bien, à me relire, qu’une fois encore, je suis loin du compte.

C’est qu’il faut, entre autres choses, ménager le lecteur en aménageant des passerelles entre divers blocs de sens, fluidifier les idées en les faisant circuler sans encombrer l’esprit du lecteur par une densité de sens trop étouffante.

Et c’est bien là que, divisé, je me divise encore : je prends le parti du lecteur en sachant pertinemment que je lâche la proie pour l’ombre. Et plus j’avance, plus je dilue mon propos, plus la question qui m’a traversé devient opaque, d’une densité sans pareille, et à la fin manquée.

*

Les sources nombreuses mais en nombre fini quoiqu’en constante expansion, qui peut se targuer de les avoir captées toutes, de les avoir ensuite toutes réunies dans un seul et même bassin aux dimensions qui ne peuvent être que gigantesques ?

Afin d’arroser un modeste jardin potager ou d’agrément, selon le goût et les besoins de quelque propriétaire des lieux ou, quelle ambition démesurée ! de transformer la terre entière en un jardin luxuriant à même de satisfaire tous les appétits.

Les synthèses restent nombreuses, toujours imposées par l’esprit du temps, par conséquent provisoires, historiquement datées, c’est-à-dire tôt ou tard dépassées.

Par les événements que l’on essaie de comprendre à la lumière des connaissances les plus récentes. Elles-mêmes tôt ou tard périmées, dépassées voire contredites par des faits nouveaux qui inspirent de nouvelles théories.

Le besoin de synthèse demeure.

A lire tel texte en particulier, je touche des yeux une démarche puissante ou modeste, ambitieuse ou de portée conceptuelle très limitée, mais toujours, durant sa lecture, je sens frémir le multiple et le divers qu’aucun discours ne saurait embrasser et circonscrire dans son entièreté. 

D’où un certain agacement. Un emportement inspiré par une impatience ressentie comme injuste et illégitime.

Le texte en question a soulevé tellement de questions que je suis tenté de m’en détourner pour avoir la paix.

Je puis répondre à tel texte par un texte nouveau.

Un commentaire critique en règle voire une charge.

Ou bien me laisser aller à goûter, malgré l’agacement initial, les effluves et les méandres - les méandres de ses effluves et les effluves de ses méandres - que le texte m’a fait ressentir si vivement.

En somme adhérer ou me détacher plus ou moins violemment, plus ou moins vigoureusement, mais toujours, en quelque sorte, pour échapper au dictare propre à tout texte ou bien pour échapper à la séduction qu’il a exercé sur moi.

Dictarequi peut-veut séduire.

Dictarequi peut tourner au diktat. Séduction qui peut me laisser enchanté et coi.

Ce mélange de séduction et d’agacement est ce qui prédomine en moi durant la lecture et après coup.

Les questions ont bouillonné dans mon esprit durant la lecture. Il me faut laisser reposer la mixture et attendre que les questions s’y décantent.

La séduction apaise, les questions inquiètent.

A l’agacement provoqué par les questions soulevées par le texte mais restées irrésolues de bout en bout répond une attitude critique qui s’appuie sur la séduction exercée par le texte pour mettre en perspective tant la séduction que l’agacement-même.

Séduction, agacement, questions irrésolues ne sont que les moments d’une démarche de lecture dont aucun ne prévaut.

Temps cyclique.

Tout texte repose sur les questions qu’il entend travailler. Les questions qu’il soulève constituent sa base, son assise qui lui fait courir jusqu’à son terme un risque majeur de déséquilibre : base fragile oh combien car se soulevant sous les questions qu’elle soulève !

Aux questions traitées dans tout texte viennent s’ajouter le trouble ressenti par le lecteur que je suis, provoqué par les mille et unes questions que le texte a soulevé en son temps dans mon esprit.

Questions induites par la lecture du texte. Imprévues. Peut-être saugrenues.

Questions non prévues par l’auteur du texte. Qui ne pouvaient l’être à une époque donnée mais qui s’imposent à moi qui vit à une autre époque.

Toute écriture et toute lecture sont d’un temps bien précis. Lorsque texte et lecture ne sont pas contemporains, une distorsion apparaît : le sens que l’on prête à un texte deux milles ans après sa rédaction ne peut être celui que des lecteurs contemporains puis d’époques ultérieures ont bien voulu ou pu y trouver.

Très éloigné dans le temps ou à peine éloigné de quelques semaines, peu importe, dans le fond, même si le contexte d’un texte quasi contemporain est plus aisé à saisir que celui d’une époque lointaine, car, enfin, qui peut se targuer de maîtriser tous les tenants et les aboutissants d’un contexte propre à n’importe quelle époque ?

La Sinngebung - le sens donné-accordé à un texte - varie selon les lieux et les époques, sans qu’aucun de ces divers sens ne puisse être dit illégitime. Le texte qui traverse les époques se nourrit d’elles en les alimentant par les questions qu’il a soulevées et les réponses qu’il a tenté d’y apporter.

Questions et réponses auxquelles s’ajoutent tout l’imprévu, l’inattendu, l’imprévisible et l’invisible qui cernaient le texte au moment de son élaboration et dont l’auteur n’était pas conscient.

Imprévu, inattendu, imprévisible et invisible qui apparaissent également à des époques ultérieures, et qui me font dire que tout texte rebondit ailleurs, à la manière de ce qui tombant sous le sens rebondit ailleurs, comme le suggère Jacques Prévert.

Réponses propres au texte auxquelles on répond, et aussi, par un effet de culture, dont on répond.

L’exégèse paraît ainsi plus que nécessaire, même si en droit elle est intenable. Il s’agit, modestement, de faire droit au texte en étant le plus juste possible dans sa lecture, dans l’appréhension des parages qu’il explora, explore encore et explorera à l’avenir tant que nous serons enclins à le lire, ce qui dépendra de la capacité des générations futures à générer un sens renouvelé.

Le plus juste possibleau sens le plus purement musical du terme.

Interpréter un texte, c’est en jouer fidèlement la partition, partition qui ne s’actualise que d’être partagée entre divers lecteurs de diverses époques.

On peut ainsi parler d’une histoire qui cumule diverses lectures, diverses interprétations.

L’initiative d’un dialogue ininterrompu étant prise par les vivants désireux de ne pas se déprendre d’une tradition qui ne vit que de se renouveler.

Ce qui amène à affirmer sur un mode structuraliste que chaque interprétation ne prend tout son sens que relativement à celles qui l’ont précédée.

Le texte, ainsi, se voit confier à un futur qu’il ne peut anticiper.

Son avenir, quant à lui, dépendra de la chaîne des interprétations qu’il sera capable ou non de susciter.

 

Jean-Michel Guyot

9 février 2021

 

 

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