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Seriatim 3 - [in "Seriatim"]
Seriatim 3 - Jamais je ne pourrais chanter ça ! (Patrick Cintas)

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 Article publié le 14 mars 2021.

oOo

Un cri horrible !

Blanco brandit sa baguette,

Mais rien n’y fait,

Le cri continue de pousser.

Tout le monde est figé

Dans l’attente (sans doute).

Alors on voit arriver, titubant,

La soprano, bouche grande ouverte,

Bras en V, échevelée et terrible !

Elle atteint le niveau de la scène

Où se trouvent le chef de gare et le sycophante.

Río s’approche bien un peu, mais pas trop.

Elle halète entre deux poussées vocaliques.

Et ânonne enfin,

Brandissant la feuille de papier

Sur laquelle elle pose ses yeux horrifiés :

Jamais je ne pourrais chanter ça !

C’est au-dessus de mes forces !

RÍO

Veut-elle dire « au-dessus de mon intelligence » ?

LE CHEF DE GARE

Outré

Mais enfin, madame… !

Vous êtes payée pour ça…

LE SYCOPHANTE

Vous ne pourrez plus dire le contraire…

LA SOPRANO

Quel horrible personnage !

LE SYCOPHANTE

Horrible, certes, mais beau…

LE CHEF DE GARE

Étonné, au sycophante

Vous connaissez le texte… ?

(haussant les épaules)

Je ne m’étonne plus de rien

Venant de vous…

(à la soprano)

Comment se fait-il que…

LA SOPRANO

Hautaine

J’ai dépensé tout l’argent.

LE CHEF DE GARE

C’est bien ennuyeux…

Autant pour moi que pour vous…

(après réflexion)

Et pourquoi donc ne pouvez-vous pas chanter

Ce que contient ce feuillet arraché à l’automne ?

LE SYCOPHANTE

Surpris

Comment savez-vous que…

LA SOPRANO

Je ne peux pas chanter ceci

(elle secoue la feuille au son d’un tambourin)

Parce que c’est… de la prose !

TOUS

DE LA PROSE ?

LA SOPRANO

Contente d’elle-même

Comme je vous le dit. La différence…

TOUS

Agacés

On sait ! On sait !

LA SOPRANO

Mais ce que vous ne savez pas,

C’est que la prose ne se chante pas.

RÍO

Savant

Elle se dit.

LA SOPRANO

Avec humour

Or, ça ne me dit rien.

LE CHEF DE GARE

Perplexe

En concluez-vous qu’on vous a payée pour… rien ?

LE SYCOPHANTE

C’est ce que je conclurais

Si j’étais à sa place…

LA SOPRANO

Digne

Mais vous n’y êtes pas !

Aussi, trouvez quelqu’un pour… dire.

LE CHEF DE GARE

Les conditions de l’arrêt technique

Ne permettent pas de… trouver…

(il se gratte le crâne sous sa casquette)

LE SYCOPHANTE

Nous n’avons même pas de souffleur.

LA SOPRANO

Hautaine

Qu’est-ce que j’y peux, moi ?

Je ne trouve pas, je chante.

(elle fait mine de sortir

mais Río la retient par la manche,

ce qu’elle accepte avec plaisir)

Avant j’étais une enfant

Et un jour je serai vieille…

RÍO

Si vous êtes venue ne pas chanter

Pour dire ça…

LA SOPRANO

Heureuse de pouvoir enfin s’expliquer

devant tout le monde

Avant je ne disais rien

Et ensuite je me tairai…

LE CHEF DE GARE

Trépignant

Je n’ai pas été formé pour ça !

(menaçant)

Quand on est payé pour chanter, on chante !

LE SYCOPHANTE

Et quand on n’est pas payé pour dire, on se tait !

RÍO

Découragé

J’avais pourtant écrit en vers…

LE SYCOPHANTE

Amer

Vous n’avez pas eu de chance…

LA SOPRANO

Caressant la main de Río qui la tient

Je peux rendre d’autres services…

Mais ce n’est pas l’heure…

LE CHEF DE GARE

Consultant son oignon

En voilà du temps perdu !

LE SYCOPHANTE

La prose perd le temps

Qu’il faut pour la dire.

LE CHEF DE GARE

Impatient

Cessez de vous prendre pour Sancho

Et de me traiter de don… (à la soprano)

Mais où donc allez-vous avec l’argent

De la Compagnie ?

LA SOPRANO

Parlant de Río

C’est monsieur qui y va !

Mais je ne sais pas où…

Posez-lui la question.

LE CHEF DE GARE

S’interposant

Où allez-vous, monsieur… ?

RÍO

Hilare

Mais c’est elle qui…

LE CHEF DE GARE

Péremptoire

Vous n’irez nulle par avec mon argent !

LA SOPRANO

Rieuse

Vous voulez dire « celui de la Compagnie… »

LE SYCOPHANTE

Se joignant au rire

…qu’il s’agit maintenant de fausser…

LE CHEF DE GARE

Outré

Vous voulez dire que… de dire…

Cela… cela sonnerait faux… ?

LA SOPRANO

Je ne me tuerai pas à vous le… chanter !

Tout le monde rit,

Sauf le chef de gare.

Il tourne le dos à la salle,

Mais on entend sa voix

Comme venue d’ailleurs :

Je ne sais pas comment Verdi s’y prenait

Pour ne pas trahir son librettiste…

Mais je ne connais pas la musique,

Ce qui explique bien des choses.

(à la soprano, qu’il supplie à genoux

tandis que Río l’entraîne côté jardin)

Je ne vous demande pas de rembourser.

Ce n’est pas à moi de le faire (hésitant)

Enfin… je crois… (lui arrachant le feuillet

des mains qui semblent se transformer

en oiseaux, ce qui ravit Río) / Voyons

ce que ça…

LE SYCOPHANTE

Triomphant

…dit !

LA SOPRANO

Caressée

Il ne manquerait plus que ça ne dise rien !

RÍO

Ou pas grand-chose de nouveau…

LE SYCOPHANTE

…comme cela arrive avec la prose…

LA SOPRANO

…quand on n’a personne pour la…

LE CHEF DE GARE

Déprimé

…dire !

Jeux de lumières.

Comme on voudra.

Le vieux poste de radio est remplacé par un écran de poche.

Río dit qu’il a mal, mais il ne sait « pas où » ?

Il va de l’un à l’autre,

Comme s’il venait d’entrer pour la première fois

Dans une institution qui sait où il a mal.

On lui lance un journal.

Il se rappelle :

C’était « il y a pas si longtemps que ça » /

Il dit « on était jeune /

qui ça « on » ?

blanco et moi /

qui d’autre en effet… ?

lisez !

Il lit

/ ou fait semblant :

« redeviens normal, papa ! » répétait-il sans se lasser et papa se laissait faire. les mains de blanco passaient sur la peau flasque du vieux qui était allongé sur le ventre à même le volet arraché à ses gonds ancestraux. « je sais pas, vous (disait le vieux) mais moi ça me fait de l’effet. je crois que je vais changer.

t’as jamais changé. t’es toujours resté le même. maman…

elle est plus là pour me contredire ! laisse tomber !

et blanco continuait de passer ses mains sur la peau qui frémissait comme si cette histoire de fluide magnétique (ou autre chose) devenait aussi vraie que celle de l’existence de dieu racontée par des fous. j’en avais la chair tétanisée. j’étais assis dans le canapé avec des coussins dessous et une clope au bec, muet depuis qu’on ne me posait plus de questions. moi aussi je croyais que le vieux pouvait changer parce qu’il croyait que son fils était doué d’un pouvoir qui relevait de quelque puissance maléfique héritée de melmoth. mais pour l’instant le vieux ne ressentait rien qui ressemblât à un changement. ça devait se passer à l’intérieur de lui-même. ça commençait par une douleur et ensuite on se sentait mieux. blanco (avant de devenir musicien) avait expérimenté son truc sur moi. ça m’avait changé au point que j’y croyais plus. la douleur que j’avais ressentie était imaginaire. j’en étais devenu presque fou. j’étais sorti de là comme si j’y avais cru / à un moment donné. mais quel moment ?

ça va dit le vieux je ressens quelque chose que j’ai jamais ressenti…

c’est signe que ça vient dit blanco (qui l’avait déjà dit) / demande à río.

río n’est pas l’exemple à suivre grince le vieux.

il m’aimait pas à cause de ce que je savais. et aussi à cause de ce que j’avais dit. aux uns et aux autres dit comme ça pour être de la conversation. des fois on se sent si seul qu’on se met à parler / ou à écrire / ou à caresser un chien (un animal) en attendant que ça passe.

(ça va jusque-là monsieur l’éditeur ?)

bref on passait le temps à le perdre comme la plupart des gens qui n’ont pas de métier à opposer à l’ennui. et le vieux n’avait pas changé depuis quarante ans. il se souvenait d’avoir changé une fois mais ça n’avait pas été dans le bon sens / justement celui qu’il avait demandé à blanco de changer en s’activant sur lui avec ses mains héritées de la vieille qui était morte depuis aussi longtemps qu’on en avait envie.

et là ? dit blanco en tortillant ses mains d’une drôle de façon (si tu les tords comme ça dans une église on te prend pour un saint) / normalement tu devrais commencer à ressentir quelque chose…

genre quoi… ? j’ai pas tellement envie de souffrir parce que j’ai déjà mal et que ça me fait rien…

des fois ça vient de si loin qu’on se laisse surprendre et on se met à crier.

j’ai jamais crié / sauf après ta mère !

tu crieras si c’est comme ça que ça doit commencer !

ils s’engueulaient comme d’habitude. je fumais près de la fenêtre et le vent annonçait la pluie. c’est toujours comme ça à cette époque de l’année : on attend la pluie et elle vient. le jardin a l’air d’aimer ça et on se sent presque aussi joyeux que ses herbes folles. je ne sais plus quelle heure il pouvait être. on n’avait pas mangé avant de commencer. le changement du vieux s’était imposé comme la chose la plus urgente à mettre en œuvre. en bas la porte était fermée à clé / des fois que ça nous laisse le temps d’aller voir ailleurs si le don de blanco était une réalité ou un truc qu’on s’était mis dans la tête parce que sinon on se sentait aussi seul qu’on l’était. mais le vieux (pour l’instant) ne ressentait rien genre douleur qui arrive de loin (c’était comme ça que blanco en avait parlé) /

bref (dit le vieux) même si ça marche (ton truc) ça les empêchera de me demander comment j’explique ce qui est arrivé / des choses qu’on peut plus changer / mais est-ce que j’en ai envie ?

t’en auras envie lorsque ça viendra (ajoutant) de loin.

je veux bien le croire (continue le vieux) mais ça changera quoi si c’est ça qu’ils veulent.

ce qui est fait est fait décrète blanco et il multiplie les passes et moi je regarde l’espace entre ses mains et la peau inerte et je vois pas comment c’est possible sans au moins un signe. dehors il pleut. mais sans vent maintenant. comme si le vent laissait la place à cette eau tombée du ciel par principe. qu’est-ce que j’attendais ? le vin commençait à me donner des idées que je n’avais pas avant qu’on commence (si je puis dire qu’on a commencé ensemble le vieux blanco et moi) /

ferme la fenêtre ! ça me refroidit !

je ferme la fenêtre. je me supprime la pluie tranquille. elle se met à battre les carreaux. les arbres sont immobiles. la lumière n’a pas de sens. temps d’orage. ça va venir. j’aurais alors peut-être perdu conscience.

ouais c’est ça ! dit le vieux. on perd conscience et ça recommence alors qu’on avait l’intention de changer. tu parles si j’ai essayé ! plus d’une fois ! mais c’est la première fois que…

il frissonna soudain. quelque chose arrivait. il croisa le regard savant et inquiet de blanco qui maintenait le rythme. ma fumée les rejoignait mais ça les gênait pas. ils étaient concentrés autant l’un que l’autre. ne disant rien parce que ça arrivait. de si loin qu’il n’y avait plus de mot pour en dire quelque chose de sensé. c’est ça le vrai silence. celui qui se tait. avec une bonne raison pour la fermer. mais moi j’avais envie de parler. comme au comptoir avec les potes. les soirs d’été comme en hiver après le boulot. des conversations qui me revenaient comme si elles étaient d’hier alors que le temps avait passé pour les changer en scène à faire. le vent secoua brièvement les carreaux. pas un insecte pour fuir. l’eau dégoulinait en traces rapides. ça me filait le mouron. pourquoi j’étais venu ? en quoi ça me concernait que le vieux change ou pas ? je crois pas que blanco m’eût invité à assister à cette séance où le fils est censé changer le père. je savais tout des raisons qui s’imposaient à l’esprit de l’un et de l’autre. mais en quoi j’étais concerné ? j’ai pourtant jamais su que bavarder avec les autres. le nez dans un verre pour y trouver les mots. ya jamais eu de mots dans un verre / même plein !

ça y est ! dit le vieux. je ressens quelque chose.

ça ressemble à quoi dit tranquillement blanco qui perdait pas le nord.

ça picote… (le vieux sombre d’un coup dans l’inquiétude) ça doit picoter… heu… d’après toi… ?

ça dépend des gens, explique blanco. río, lui, ça le picotait pas (j’en tremble) mais ça l’a pas empêché de changer. regarde ce qu’il est devenu…

le vieux ne me regardait pas. je fumais dans leur direction, presque méchamment. le vieux dit :

ça lui faisait quoi si ça le picotait pas ?

faut lui demander.

mais le vieux ne me parlait plus depuis longtemps. j’avais été le premier au courant. il m’en voulait d’en avoir parlé aux autres avant de le consulter. après tout, ça me regardait pas, ce qu’il faisait ou ce qu’il ne faisait pas. il avait dit aux flics qu’il finirait par me tuer. et quand il est sorti de taule il est pas passé à l’acte. les flics se fichaient de ce qui pouvait m’arriver maintenant qu’il avait payé sa dette. mais je dois avouer que pensant longtemps j’ai pensé à me mettre à l’abri, voire à quitter les lieux. je sais pourquoi je suis resté. c’est l’essentiel.

on peut changer en bien ou en mal, dit le vieux qui frissonnait. faut avoir vécu les deux pour en parler. je suis un sacré témoin. ils vont me questionner pour en savoir plus.

ils savent rien dis-je en soufflant ma fumée sur sa nuque embroussaillée.

que tu dis ! (colère du vieux / mais vite calmée par un nouveau frisson)

vous feriez bien de parler d’autre chose si vous voulez que j’y arrive !

moi : j’ai rien demandé… je suis venu parce que tu…

qui ne le savait pas ? il y avait du monde chez popol. ça circulait. j’aurais donné cher pour transcrire ce flux. conscient que j’étais que la page ne peut pas contenir cette marée constante. et puis j’en étais le personnage. j’avais un nom. un métier. une utilité. et même une femme. il ne me restait plus qu’à lui faire un enfant. c’était en discussion. le vieux interrompit ma réflexion :

ça fait au moins trois minutes que je ressens plus rien.

je me suis déconcentré à cause de río qui…

une averse maintenant. le jardin disparaît derrière les gouttes écrasées. plus d’arbres nus. plus de feuillages non plus. le martellement de la pluie sur le toit. ça m’a toujours donné envie de m’endormir pour toujours. ne jamais revenir. en tout cas pas au même endroit. celui qu’on a toujours connu. mais faut sortir, même sous la pluie, et malgré le vent et l’orage, pour tomber sur autre chose. ça ne se rencontre pas au bout de l’allée. même la rue est peu propice aux trouvailles qui changent l’existence en vécu. pas besoin de passes magnétiques pour ça. ni de flic pour en savoir plus sur ce qu’on sait déjà. j’allumai une autre cigarette. la nuque du vieux frémit. il était tout à moi, je le savais. il ne tourna pas la tête une seule fois vers moi, histoire de mesurer l’importance que je prenais dans sa vie, celle qui devait recommencer sous les mains de blanco.

si j’avais su… commença-t-il.

blanco eut une contraction au niveau du regard. mais ses mains ne paraissaient pas en être affectées. elles suivaient la procédure avec une minutie d’araignée au travail du plafond.

si j’avais… dit le vieux puis :

si…

puis plus rien. comme s’il me laissait la parole. je croyais que la pluie deviendrait assourdissante. j’attendais qu’elle le devînt. j’avais cette patience. depuis l’enfance, je suis patient. jamais un signe de hâte en regard de l’attente. comme si je savais que ce qui doit arriver arrive de toute façon. le vieux était d’accord avec moi sur ce sujet. il avait agi parce que « c’était écrit ». par qui et pourquoi ? il n’en savait pas plus que moi sur cette question. mais maintenant, une fois de plus, à vingt ans de distance, on allait lui reposer la question. et dans les mêmes conditions. la même loi qui s’en prend à celui qui ne respecte pas le corps d’autrui. on n’a vraiment pas le droit d’en faire ce qui nous chante. et ça chante si bien si on y pense. et puis vous savez ce que c’est une averse : ça s’interrompt sans explication. le soleil perce le ciel et ses rayons viennent jouer avec les gouttes descendantes. le vieux s’impatiente :

ça va bientôt finir ? avec ta mère : ça durait jamais plus que ce que je pouvais supporter sans la remettre à sa place.

vous n’oseriez pas agir de la sorte avec votre fils, dis-je.

si j’oserais ? j’ai tout osé dans ma vie. et j’ai gagné si souvent que ça m’a encouragé à recommencer. ah ! bon dieu ! recommencer !

vous n’oseriez pas !

ferme-la, río ! grogne blanco.

toujours pas d’étincelles sous ses mains. la vitre est froide. sans insecte. l’été, ils sortaient de dessous les meneaux. les voici en chasse ! quel plaisir d’écraser les plus lents, les moins propres à vaincre mon imagination !

je la fermerai si je veux !

le genre de réplique qui installe le silence. on n’entend plus que les craquements de la couchette où le vieux donne des signes d’abandon. il en veut plus, de ces « simagrées ». il ferait mieux de fuir avant que les flics s’amènent. ils viendront. c’est décidé comme ça. le temps pour eux de se souvenir de cette barraque où il a connu les dangers de l’enfance.

bon dieu ce qu’on était pauvre ! et à peine français…

je revois ça moi aussi. à trente ans de distance, la même histoire. le même personnage qui sort pour jouer et qui revient au nid pour avoir peur de sortir. la solitude. c’est gagné d’avance. la question de savoir qui a joué à notre place (à la place de l’enfant qu’on redevient de temps en temps) ne se pose pas. du moins pas en termes aussi clairs. toit et feuillages des ciels. non : c’est pas au bout de l’allée que ça se trouve. l’angoisse rencontre un corps et ça recommence.

blanco, découragé :

quelque chose se passe qui m’empêche…

le vieux : c’est río. pourquoi est-il là ? il est toujours là ! j’en ai supprimé pour moins que ça. le tour du monde que j’ai fait ! et en moins de temps qu’il faut pour écrire un roman destiné à l’éducation républicaine !

tu délires. c’est toi le problème. pas río.

tu l’as toujours pensé, fiston. et ça a tout foutu en l’air entre toi et moi. j’aurais pas dû revenir de là-bas

les voyages. on en parlait pas plus tard qu’hier. (c’est moi qui parle, une fois de plus)

avec qui que t’en parlais, foireux de bavard !

le vieux montre son poing sans se retourner :

si je le tenais…

ce que tu tiens, c’est un billet pour les assises.

il mourra derrière les barreaux (c’est moi qui…)

je mourais pas sans toi, río !

le vieux se met à rire. ça le secoue. les mains de blanco s’immobilisent. je vois les étincelles. ou ce qui y ressemble. nouveau récit.

des fois je me demande… commence le vieux.

tu te demandes quoi… ?

si je suis vraiment parti… et pourquoi je suis revenu. là-bas, on me demandait rien. quel que soit leur âge… j’en ai fait, des promesses de mariage !

tu as toujours su mentir. autant que je me souvienne…

tu étais un enfant. et je n’étais pas là pour jouer.

je jouais seul.

la tragédie de blanco : l’onanisme. j’en ai ri. mais jamais devant lui. je n’en parle jamais, même devant un verre offert. on me tire pas les vers du nez aussi facilement.

regarde voir s’ils arrivent au lieu de dire n’importe quoi !

la pluie avait cessé. le vent caressait les feuillages et les haies. le portail était resté ouvert. on ne l’entendait pas grincer. la rue était masquée par les laurières. on voyait des toitures, des éclats de fenêtres, on entendait des voix, si lointaines qu’elles semblaient habiter un autre monde.

tu crois vraiment à ce que tu dis ?

à quel sujet… ?

l’autre monde… si près d’ici. mais pas facile à distinguer d’ici même.

je sais qu’il n’y en a plus pour longtemps. c’est tout ce que je sais. pour le reste…

j’ai déjà vécu ça, dit le vieux. mais là-bas, on me foutait la paix. pas une question, rien ! je rembarquais et ça recommençait plus loin. on s’habitue à ce rythme. on en oublie qu’on a un foyer quelque part. j’ai pris la plume quelquefois. c’est dans le sang des voyageurs, le blog.

une date (quelconque) — vu la baleine bleue à l’endroit même où c’était écrit dans le roman. émerveillement de tout l’équipage. les photos circulent à travers le monde. en moins de temps qu’il en faut pour le dire. et même le penser. nous avons subi la même transformation que le vaisseau : le moteur est en nous maintenant ; le vent et les courants n’ont plus d’importance.

le vieux se marre :

vouais ! c’est moi qui ai écrit ça. et j’étais pas aussi jeune que vous l’êtes maintenant que je suis vieux. continue, fiston, je sens que ça vient.

je sais pas, papa… j’ai perdu le fil. j’ai plus la… passion.

tu la retrouveras quand ils viendront me chercher. ça s’est déjà passé comme ça. souviens-toi.

j’étais un gosse ! et puis maman était là. (amer) elle me manque tellement !

tu ferais bien de penser à autre chose. le moment est mal choisi… à une heure de mon arrestation.

une heure ? (c’est moi qui…) comme si vous pouviez le savoir…

ça s’est déjà passé comme ça. ça va recommencer.

furieux, mais sans se retourner vers moi :

ça n’aurait pas dû recommencer !

ne t’agite pas, papa ! ça sert à rien. j’ai perdu le contact avec ta chair. c’est inutile de continuer. río ? sers-moi un verre. j’en ai besoin.

j’en ai besoin moi aussi (dit le vieux).

et on recommence. on est bien parti quand les flics arrivent. ils entrent par le portail qui est resté ouvert. ils gravissent les marches. ils ont progressé sans les précautions d’usage, armes à la main. la porte d’entrée couine. les pas sur le lino du corridor.

vous êtes là ?

derrière la porte, oui. tous les trois immobiles et l’un contre l’autre. mon oreille est collée à la porte. blanco regarde ses mains. le vieux se frotte les yeux.

qu’est-ce qu’ils savent ? dis-je à voix basse.

tu le sais bien, ce qu’ils savent, collabo !

peut-être qu’ils ne savent rien, suppute blanco en regardant ses mains.

ils en savent assez pour entrer dans la maison sans y être invités !

je n’ai pas tout dit… (c’est moi qui révèle)

le vieux me regarde comme si je venais de lui donner de l’espoir, mais il dit :

qu’est-ce que t’entends pas là… ?

c’est moi qu’ils viennent chercher.

le vieux n’en croit pas ses oreilles. il enfile sa chemise et la boutonne. blanco n’a pas l’air surpris par ma révélation. il croit peut-être que je suis en train de piéger son papa. c’est sur lui qu’ils sauteront dès qu’ils auront défoncé la porte. il ne voit pas d’autre issue à l’impasse qui nous interdit de penser autre chose que ce qui nous vient à l’esprit automatiquement.

tu crois… ? dit le vieux.

il serre sa ceinture, rentre les pans blancs de sa chemise, sort un mouchoir de sa poche pour s’essuyer les lèvres. qu’est-ce qu’il peut baver sans ses dents ! elles trônent sur la table de chevet. blanco avait prétendu qu’elles pouvaient interférer. un râtelier complet avec des traces d’or. « j’en ai mordu quelques-unes avec ça ! et exactement où tu penses. quelle mémoire ! »

 

Le monde à travers le verre / le disque brun

Qui danse sous les yeux de quelque témoin

Qu’on n’a pas invité / « Qui veut entrer ? »

La question a pourtant été posée / claire

Comme l’eau des fontaines et odorante

Comme les roses de ses environs / là-bas

On recommence « parce qu’on est fait

pour ça » / « si je n’étais pas venu vous

dire ce que j’en pense » / voici le temps

D’une halte entre les îles / « nous n’irons

pas plus loin » / « faites ce qu’on vous dit

/ et ne changez rien à ce qui est depuis

toujours » / malgré les vomissures noires

Et les pas qui ne laissent pas de traces /

« voulez-vous mon bras ou autre chose ? »

À Paris on éditait la prose de la poésie et

Ailleurs exactement le contraire : « esprit

provincial, va ! » / que faire si on y arrive ?

Qui ne possède pas le chat de sa pipe ?

 

 

 

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