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L'architriclin de l'été de la Saint-Denis
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 Article publié le 25 avril 2021.

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Faites les recoins de rue, les parvis au premier coup de matines, les tranchées des trottoirs, les trous du cimetière, les abris de jardin, les lisières, les cabanes avant que la froidure n’en fasse des marmottes. Ratissez large. Des pauvres… Je serai très regardant… Des pauvres, des gueules à faire des enseignes Kiravi et Kanter, des affiches Gévéor, des trognes de massacre, trouvez m’en une dizaine, désinfectez leurs plaies noires de mouches, lavez leurs ripatons en dentelle bleue de Coventry ou écrasés en marmelade.

Ménagez l’âme de la camionnette, les sabots de la charrette, la fougue du triporteur. Je regrette la carcasse enrouillée et la machine tonitruante à mazout de l’autocar municipal miraculeusement remis sur ses quatre roues pour une saison.

Deux ou trois béquillards, un pied bot, un gobin… Un siphonné de la cafetière… Ainsi font, font, font les petites marionnettes… Un colosse décharné et dégingandé… Prenez garde qu’ils ne cassent rien. Puisque vous y êtes, étalez sur l’herbe les binocles, les dentiers, les pilons, les godasses, les médailles de sainteté et militaires de la réserve, des fois qu’ils y trouvent leur bonheur.

 

Garnements, au lieu de déquiller des nids d’arondes et de mitrailleuses avec vos lance-pierres, tirez quelques seaux d’eau du puits. Faites un feu des lambeaux de bure à gros grains et des besaces graisseuses. Trique-poux, faiseurs de frisettes, rafraîchissez ces crânes cabossés et dégarnis, ramenez en devant les maigres crins de derrière, couvrez ces épouvantails à chènevière de batiste et chaussez-les de sandales de corde. Aspergez-les d’eau de Cologne. Et vous, parasites, sangsues, ne restez pas les bras ballants, ne restez pas les bras croisés, ne restez pas les brandillons à la retourne, sortez les pognes des profondes et mettez-les à la pâte. C’est une façon de parler. Vivez d’écorniflerie, si telle est votre nature, mais faites au moins semblant de payer votre écot en esbroufes et en ritournelles gaillardes.

Requinquez le cadavre et la gueule bée de cuir bouilli de ces appelants. Qu’ils s’en fourrent jusque par-dessus les esgourdes, qu’ils se farcissent et se lestent l’estome, qu’ils se lèchent les doigts et les babines, qu’ils se rincent les crochets. Prenez garde qu’ils ne renversent le sel, qu’ils ne croisent les couverts, qu’ils ne retournent le pain. Ceux-là, gavés de fricassées de mie sèche, de morceaux honteux avariés, de fruits cotis de leur maraude, se contenteraient des effondrilles d’un pot-au-feu, d’une purée de maçon, d’un bol de pois chiches, d’une écuelle de lavure de vaisselle aux vermicelles, d’un maquereau au vinaigre, d’un hareng saur, saur, saur de Cros ou pec, pec, pec de Richepin, des gringuenaudes d’un chanteau de bricheton bis, d’une omelette à la Célestine, de deux œufs au miroir ou d’un cornet de tripes à la mode du moine Sidoine Benoît. Une soupe à l’oseille ? Ce n’est pas de refus ! C’est à boire, à boire, à boire, c’est à boire qu’il leur faut ! C’est à boire…

Pour leurs soifs plus de poires, pour leurs faims plus de ciboire, pour leurs péchés plus de jeûnes. Desserrons et rinçons leurs chicots. Qu’ils ne soient plus à eux, mais plus qu’aux brouillards de l’ivresse. Que le jus de la treille rougisse leurs oreilles ! Que le jus de sarments brise tous leurs serments ! Au diable l’eau bénite des caves du Vatican, le verjus des vignes du saigneur d’ouailles, la vinelle des terres promises… 

Jetez, safres convives, les déchets, les détritus, les os, les reliefs aux chiens de saint Rock, d’Ulysse, de Nivelle et à la cagne au triple museau qui grognent entre vos jambes.

Décoiffez, caressez, dépiotez les dames-jeannes replètes et vermeilles, enlacez les négresses sulfureuses, lichez les fillettes gouleyantes, mettez en joue ce régiment de bidons promis à la tuerie qui tape au front et à la nuque… Maintenant que j’y pense, la mortadelle aime le vin corsé et le roquefort le Rivesaltes. Et la dive Bacbuc, buc,buc,buc ?

Hoquetez, gargouillez, pétez, rotez, estrangouillez-vous de rire en compagnie. Cela vaut mieux que de crever seul même sous les arches du vieux Pont-Neuf.

Pruneaux cuits, pruneaux crus ! Pruneaux cuits, pruneaux crus ! Pruneaux cuits, pruneaux crus ! Pruneaux cuits, prune au cul !

 

Levons nos hanaps, nos vidrecomes, nos timbales, nos godets à nos batailles de polochons, à nos moments perdus, à nos verdeurs passagères, à nos méninges et à nos ménages retrouvés. Toutes les gloires, tous les bannissements, toutes les victoires, toutes les défaites font l’affaire.

Tintin, tintin, tintin, tintin… A la mienne, à la tienne, à la sienne, à la nôtre, à la vôtre, à la leur ! A la tienne, Etienne, à la tienne mon vieux ! Tostons les oints de la cour des miracles, les tendrons prétintaillés, les bagasses falbalassées, les dames de la halle, les hallebredas, les hallefessières…

Et vous, échansonnes à peine sorties du temps de poupée, qui ne perdez pas une occasion d’être cruches, ne laissez pas les pichets, les brocs, les carafes vides.

Que nous chantes-tu, jus du mois d’octobre ? Que nous chantes-tu, jus de bois tortu ?

Histoire de clouer le bec du causeur éternel, d’abord et avant toute chose, je voudrais vous violoner sur mon Stradivarius de contrebande un air de mon cru, vous déclamer des centons de Virgile, d’Ausone qui chanta la table et le vin, ensuite de quoi nous fêterons le roi Pétaud qui se plumarde tard et se lève tôt.

Que chacun prenne sa part de gâteau. N’avalez pas la fève ! Choisissez votre reine parmi les putes borgnes qui n’ont pas la langouste dans leur sac à main, les angesses déplumées, les parques en plant, les muses muselées…

Le roi boit ! La reine boit ! La plébécule boit ! Champe ! Champe !

La veuve Clicquot, la grande dame de la Champagne, ses cliques, ses claques et ses héritiers n’y vont pas de main morte, les dons, dondon dondaine, de Dom Pérignon, les dons, dondaine dondon, de Dom Ruinart…

Après la panse vient la danse, le temps de donner du coeur, du cul, du bec, de tourner, de s’agiter dans tous les sens.

Entrez dans la danse, voyez comme on danse…

Les ferrailleurs font comme ça et puis encore comme ça, les marchands d’ail font comme ça et puis encore comme ça, les ménestrels font comme ça et puis encore comme ça, les maquereaux font comme ça et puis encore comme ça, les tourtereaux font comme ça et puis encore comme ça…

Si après cette beuverie, notre ramassis de traîne-malheur n’a pas une christophanie sur le chemin du retour, je veux bien qu’on m’écorche vif.

Treize… Treize, mais nous sommes treize à table ! L’un d’entre vous… L’un d’entre eux… Un convive doit se soumettre au sort, au court fétu, à la courte paille… Quitter le banc, retourner d’où il vient, déguerpir sur le champ, s’escamper à vau-de-route, vider les lieux, quoi ! Christophe, glisse, tout de même, dans une musette une demi-boule de pain, quatre bandes de lard, des raclures de marolles, des copeaux de picodon, quelques oignons, deux maines de jujubes et un litron de Romanée-Saint-Vivant de derrière les fascines et les petits bois à brûler. Rends à notre pèlerin son bâton de maréchal, son Eustache Dubois, sa boussole, ses dents osanores, ses patenôtres … Dans sa poche, lâche deux ou trois rouges liards, ces pistoles des gueux, et entortille dans un mouchoir l’obole pour passer le Styx. N’oublie pas la fleur à la boutonnière et la tape dans le dos.

Je jure sur mes grands diables que je n’inviterai plus personne à ma mense.

 

Robert VITTON, 2017

 

 

Eustache Dubois, coutelier de Saint-Etienne qui fabriquait ce petit couteau grossier à manche de bois appelé eustache.

 

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